Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 24 novembre 2020 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

Je vais vous répondre aussi complètement que possible, quitte à revenir sur certains points au cours de l'examen des amendements – notamment, madame la rapporteure, pour ce qui concerne la peine d'interdiction de paraître dans les transports publics.

Madame Untermaier, vous parlez du statut et de l'indépendance du parquet. Vous évoquez la réunion du Congrès, me rappelant mes propos, et vous avez raison. Je ne les ai pas oubliés. Mais vous n'ignorez pas que la convocation du Congrès est entre les mains du Président de la République. J'espère que nous pourrons avancer sur le sujet. Bien entendu, je vous communiquerai l'amendement qui sera déposé en séance publique sur la question de la dignité des conditions de détention. C'est la moindre des choses afin que vous puissiez exercer toutes vos prérogatives. Nous attendons simplement l'avis du Conseil d'État.

Monsieur Houbron, c'est vrai : la France s'est battue pour la langue française et elle a perdu. Mais nous avons tout de même gagné cette bataille devant la Cour de justice de l'Union européenne : si nous avons perdu dans l'affaire Tele2, c'est en français !

Monsieur Paris, pourquoi la France comptera-t-elle cinq procureurs, l'Italie vingt et l'Allemagne onze ? En Allemagne, c'est lié au nombre de Länder et, en Italie, c'est à raison de l'importance du contentieux… Bien entendu, ces effectifs pourront évoluer en fonction des besoins. J'espère que l'Italie aura bientôt besoin de moins de vingt procureurs et que la France n'en nécessitera pas davantage que les cinq envisagés.

Monsieur Gosselin, nous n'allons pas toucher aux juges d'instruction par un cheval de Troie. Je ne vous dirai pas ce que je pense du statut du juge d'instruction et du juge d'instruction ; je crois que vous le savez. Ce n'est vraiment pas à l'ordre du jour et ce serait, pour le coup, bien cavalier – un terme dont vous affectionnez l'usage, tant par courtoisie que dans un sens parlementaire. Non, nous n'allons pas attaquer le juge d'instruction par le truchement de ce texte. Si, un jour, cette discussion devait avoir lieu, ce serait de façon totalement différente.

Monsieur Latombe, je reviendrai sur les conditions d'emploi des procureurs européens délégués en présentant l'amendement du Gouvernement. S'agissant de l'arrêt Tele2, nous attendons une décision du Conseil d'État. Vous allez un peu vite, mais je le comprends, car le sujet est d'une extrême importance. Vous comprendrez aussi que la décision du Conseil d'État est essentielle pour savoir comment progresser en matière de conservation des données. Je donnerai davantage de détails tout à l'heure, si vous le souhaitez.

Monsieur Jean-Félix Aquaviva, vous estimez qu'il s'agit d'un grand texte ; je vous en remercie. Je n'ai pas souhaité qu'il n'y ait qu'une juridiction nationale spécialisée sur l'environnement, à Paris, car il faut tenir compte des spécificités territoriales. Il est préférable que le braconnage de civelles soit traité devant le tribunal judiciaire spécialisé de la cour d'appel de Bordeaux. De même, la Corse possède certaines spécificités écologiques. Une spécialisation au niveau des différentes cours d'appel sera plus efficace.

M. Brindeau et d'autres ont exprimé leurs réticences concernant la convention judiciaire d'intérêt public. Cet outil existe pourtant déjà et fonctionne bien ; il est même extrêmement efficace. S'agissant d'un éventuel conflit de compétence entre Parquet européen et parquet national, la question est réglée par le paragraphe 6 de l'article 25 du règlement européen : c'est le parquet national qui l'emporte.

Le nouveau Parquet européen dispose d'une compétence ratione materiae clairement délimitée aux infractions économiques dont l'Europe est directement victime. Pour y faire entrer le terrorisme, comme certains d'entre vous l'ont évoqué et comme c'est le souhait du Président de la République, il faut l'unanimité. Nous n'en sommes pas là. Laissons ce jeune Parquet européen prendre ses marques, grandir un peu, et voyons comment il fonctionne !

Madame Karamanli, la procédure pénale française sera respectée, sauf pour la compétence que je viens d'évoquer. Entre soixante-dix et quatre-vingt des affaires actuelles seraient du ressort du Parquet européen. Toutefois, en la matière, on estime qu'il existe un chiffre noir et que le Parquet européen sera beaucoup plus efficace, par exemple sur les carrousels à la TVA lorsque plusieurs pays sont impliqués.

Madame Jacquier-Laforge, contre les atteintes à l'environnement, nous nous dotons d'abord d'outils : nous créons des tribunaux spécialisés dans chaque cour d'appel ; nous instaurons une convention judiciaire d'intérêt public pour nous assurer de l'efficacité de la réparation du préjudice écologique ; nous créons des officiers de police judiciaire spécialisés dans le domaine environnemental afin que les enquêtes soient de meilleure qualité. Ensuite, nous définissons des infractions, au premier rang desquelles l'infraction générale de pollution de l'eau et du sol – les services ont également travaillé afin que l'on puisse appréhender la pollution de l'air, ce qui n'est pas simple d'un point de vue légistique. Nous avons également imaginé une infraction aggravée, que nous appellerons écocide, visant les comportements volontaires ayant causé un dommage irréversible. Des gradations sont prévues, en fonction de l'intentionnalité. Les peines vont de trois à dix ans d'emprisonnement. Trois ans, ce n'est pas une peine plancher, ce peut aussi être un maximum. Enfin, les amendes sont renforcées.

Nous n'avons pas qualifié l'écocide de crime car le terme est fort. Pour des raisons de proportionnalité, nous ne pouvons le qualifier comme tel. Plutôt qu'un délit, d'aucuns auraient souhaité qu'il s'agisse d'un crime puni de vingt ans d'emprisonnement, mais l'infraction la plus grave fait tout de même encourir à celui qui la commet dix ans d'emprisonnement – vingt ans en cas de récidive. Ce n'est pas rien ! Nous avons estimé qu'il était préférable d'éviter l'inconstitutionnalité pour des raisons de proportionnalité.

En outre, la création d'une infraction de mise en danger vise la pollution qui n'a pas encore eu lieu mais dont les conditions sont réunies pour qu'elle se produise.

Nous avons également prévu un dispositif novateur : une amende égale à dix fois l'économie procurée. Celui qui déverse dans un fleuve des produits dangereux le fait pour gagner de l'argent car cela lui évite de solliciter des entreprises spécialisées. Pour fixer le montant de l'amende, la justice calculera l'économie attendue et la multipliera par dix. Pour résumer de manière simpliste : autrefois, je polluais mais je ne payais pas, et c'est pour cela que je polluais ; demain, je paierai dix fois l'économie que je pensais faire.

Lorsque nous examinerons les propositions de la Convention citoyenne dans un projet de loi dédié, nous demanderons la création d'un titre spécifique pour les dispositions relevant du code pénal.

Monsieur Bernalicis, vous êtes par principe, par posture, opposé au Parquet européen. Je ne peux rien dire d'autre.

S'agissant du statut du juge d'instruction, j'ai donné ma position, rassurant certains députés et en désolant d'autres – mais ce n'est pas la discussion du jour. En tout cas, ce n'est pas ainsi que l'on y touchera. M. Paris a souligné que les Belges, en maintenant le rôle de leur juge d'instruction, ont choisi une option différente de la nôtre, dont ils reconnaissent d'ailleurs qu'elle crée des complications. À l'heure des choix, nous en avons fait qui sont exceptionnels au regard de notre procédure, mais qui traduisent les orientations du Parlement européen dans toute sa légitimité.

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