Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 30 novembre 2020 à 18h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Merci aux représentants des groupes politiques qui se sont exprimés.

Vous avez évoqué, madame Thourot, les suites disciplinaires dans l'affaire du 17e arrondissement. Je vais d'abord vous expliquer ce que je sais, comment cela s'est passé et où on en est.

Je l'ai appris, comme beaucoup de Français, en regardant cette vidéo ignoble sur les réseaux sociaux. Mon premier réflexe, comme celui de ce monsieur qui a été sauvagement agressé, a été de croire qu'il ne s'agissait pas de vrais policiers. Dans cette affaire, qui s'est produite un samedi, à dix-huit heures, si je m'en souviens bien, la personne agressée a d'abord été mise en garde à vue et les policiers ont manifestement fait un faux. Il a fallu attendre mardi pour que le procureur de la République de Paris, ou plutôt son substitut, saisisse l'IGPN. Il n'y avait alors pas d'images. Le ministre de l'Intérieur, le préfet de police et le directeur général de la police nationale n'y avaient pas eu accès. Elles ont été mises en ligne par le site d'information que vous connaissez.

Dès que j'ai vu ces images, j'ai, dans les minutes qui ont suivi, demandé au préfet de police, à l'IGPN et à la direction générale de la police nationale ce qu'était cette histoire et, dès que j'ai su qu'il s'agissait de policiers et qu'ils étaient identifiés, je les ai suspendus – j'ai demandé au directeur général de la police nationale, au préfet de police, de le faire. Puis, quelques heures après, devant la gravité de la situation, je suis allé voir les Français, au journal de vingt heures. J'ai dit ceci : lorsque les faits seront établis par la justice, j'enclencherai la procédure de révocation, c'est-à-dire que ces personnes ne seront plus des policiers.

C'est une sanction extrêmement grave mais elle n'est pas exceptionnelle : elle est prise de nombreuses fois par an. En 2019, 48 fonctionnaires des forces de l'ordre ont été révoqués : 34 dans la police nationale et 14 dans la gendarmerie nationale. Je suis prêt à répondre à toutes les questions, mais je crois que les fonctionnaires qui sont dans les forces de l'ordre – les militaires de la gendarmerie et les policiers nationaux – n'ont pas à rougir du contrôle exercé par la hiérarchie, par le ministre de l'Intérieur, et des sanctions très fortes – les révocations – qui sont prises.

Les suites disciplinaires sont claires : j'ai évoqué la révocation des trois policiers qui sont intervenus. Il y en a un quatrième, celui qui aurait jeté une grenade à l'intérieur – un geste absolument contraire à tout ce qui devrait être dit par la hiérarchie ou dans le cadre de la formation. Je l'ai suspendu. J'attends d'en savoir davantage. Vous avez vu que le procureur de la République a considéré que les choses, pour l'instant, n'étaient pas de la même gravité, mais elles sont graves quand même. J'attends encore quelques heures pour la décision disciplinaire évoquée.

Vous n'avez pas posé la même question s'agissant de ce qui s'est produit place de la République, mais je vais en parler aussi. Trois faits ont été portés à la connaissance du ministère de l'Intérieur. J'ai rendu public le rapport de l'IGPN, qui n'a pas fait débat.

Le coup de pied donné par un policier de grande taille a été jugé conforme aux gestes techniques, d'autant qu'une collègue avait été manifestement agressée juste avant : c'est donc à juste titre que ce geste technique a été fait. Il est certes violent, mais le maintien de l'ordre et les évacuations se font rarement avec de la musique et des politesses. C'est malheureux, on peut le regretter, néanmoins être un policier qui fait du maintien de l'ordre ou une évacuation n'est pas toujours extrêmement simple.

Il y a ensuite le policier qui fait un croche-pied à un manifestant. Circonstance aggravante, c'est un commissaire de police. J'ai considéré que celui-ci, étant un officier, et même si la personne qui a subi le croche-patte, si j'ai bien compris, n'a pas été blessée et n'aurait pas porté plainte, devait être sanctionné. J'ai demandé une réunion du conseil de discipline dans les plus brefs délais.

Enfin, des images, même si elles sont confuses, montrent un journaliste, monsieur Buisine, qui est acculé. Je comprends que l'IGPN a demandé quelques jours de plus pour auditionner tout le monde. Par ailleurs, une procédure judiciaire est en cours : la justice fera son travail. N'ayant pas d'éléments précis, et n'étant pas là pour prononcer des condamnations dans le cadre d'un tribunal médiatique, je n'ai pris des sanctions que lorsque les faits étaient établis par l'IGPN.

Je voudrais également dire, en réponse à plusieurs d'entre vous, que 5 millions d'interventions de police et de gendarmerie sont réalisées chaque année et que 11 000 signalements ont lieu. On peut le faire grâce une plateforme, d'une manière tout à fait libre, sans s'adresser à un fonctionnaire de police. On dit souvent qu'il faut aller au commissariat et que, du coup, on ne dénonce pas les faits. Or une plateforme a été créée. Les 11 000 signalements conduisent à 2 000 sanctions – ils ne sont pas tous à prendre comme des vérités d'évangile. Cela signifie que 99 % des opérations et des contrôles de police et de gendarmerie ne font l'objet d'aucune réclamation, d'aucun signalement de la part des citoyens qui les « subissent » – je mets des guillemets.

Monsieur Ciotti, j'entends votre question sur mon bilan. Je suis certes précoce, mais, au bout de quatre mois, j'ai du mal à dresser un bilan exhaustif de mon action au ministère de l'Intérieur. J'ai cependant essayé de dégager certaines actions, lignes fortes et lignes de conduite de ces quelques mois. Vous me donnez l'occasion d'en évoquer plusieurs.

D'abord, après de longs débats qui ne vous auront pas échappé, j'ai proposé à la représentation nationale un texte de loi, présenté au Conseil d'État et que nous aurons bientôt l'occasion d'évoquer, qui porte sur la lutte contre les séparatismes, et renforce aussi la protection des agents publics. Le ministère de l'Intérieur n'est pas uniquement celui de la police et de la gendarmerie : il est aussi celui des cultes et, j'ose le dire, de la laïcité. Cela prend du temps mais cela aide aussi les services de police qui interviennent dans des conditions difficiles, y compris contre l'islamisme rampant ou les difficultés qui naissent du désordre national.

J'ai rendu public un schéma national du maintien de l'ordre, qui est le contraire de ce qu'a dit monsieur Molac – j'y reviendrai bien volontiers, pour lui répondre. Il prévoit notamment des mesures, que personne n'avait prises auparavant, par exemple, l'obligation d'un superviseur en cas de tir de lanceur de balles de défense (LBD). Quelles polémiques n'avons-nous pas entendues ces derniers mois sur ces tirs ! Je constate d'ailleurs que toutes les manifestations publiques qui ont eu lieu se sont déroulées conformément à ce schéma national, avec un superviseur toujours présent et, dans les manifestations de samedi, qui étaient parfois d'une extrême violence, les policiers et les gendarmes sont restés en conformité avec les instructions que j'ai pu donner dans ce schéma national de maintien de l'ordre.

J'ai également finalisé le Livre blanc, tant discuté, tant attendu, et annoncé certaines réformes que peu de gens avaient faites, notamment la direction unique de la police nationale dans un département. Vous connaissez bien ces questions, monsieur le député, et il se peut que je les étudie en avance de phase dans votre département car le maire de Nice a souhaité que cette très bonne idée de direction départementale unique de la police puisse s'y réaliser. Aujourd'hui, le directeur départemental de la sécurité publique, un commissaire, n'a pas toutes les forces de police sous son autorité. À Calais, par exemple, il ne dirige pas la police aux frontières (PAF).

La police nationale ne se réduit pas à la sécurité publique. Le responsable n'a pas toutes les responsabilités – c'est peut-être l'une des difficultés de notre intervention. Cette direction unique de la police nationale est très difficile à réaliser, pour de nombreuses raisons, parfois de corporatisme, d'habitude, de coutume ou fruits de l'histoire, raisons que chacun peut comprendre.

C'est désormais chose faite : j'ai lancé un travail que personne n'avait réalisé depuis un certain temps, celui de la répartition territoriale entre gendarmerie et police, dont tout le monde parle, mais que personne ne fait car on sait qu'il est très difficile de changer les habitudes alors que les populations, les agglomérations ont changé.

Je ne reviens pas sur la question de la lutte contre les stupéfiants ou des expulsions de personnes qui se trouvent illégitimement sur le territoire national. Il est vrai qu'en quatre mois je n'ai pas fait la révolution de Copernic, veuillez m'en excuser, mais peut-être aurez-vous plus tard l'occasion de me poser des questions sur mon bilan. En tout cas, je sais écouter les conseils, y compris les vôtres, dans une action très difficile, celle de mener le ministère de l'Intérieur à bon port.

Madame Vichnievsky, vous avez soulevé la question de l'article 24, et vous n'êtes pas la seule. Cet article fait débat, je ne sais pas pourquoi – c'est évidemment un clin d'œil à votre adresse, madame la présidente, après de longues journées et soirées de débats.

Je ne suis pas un fétichiste des numéros, d'autant qu'il s'agit d'une proposition de loi. Il me semble que le Parlement, qui a mal pris la création d'une commission, prendrait encore plus mal que le Gouvernement retire, modifie ou renforce un article qui, désormais, est dans la navette parlementaire.

Je ne suis pas un fétichiste des numéros, mais, en revanche, je le suis de la protection des policiers et des gendarmes. Ma position, qui est celle du Gouvernement et du Président de la République, est que les opérations de police, faites par des policiers, des gendarmes, des policiers municipaux, des douaniers, sont des opérations de fonctionnaires dans un moment particulier. Une atteinte à ces fonctionnaires dans de tels moments doit être sanctionnée plus lourdement qu'une autre.

Pour répondre à votre question, ma conviction profonde, qui est celle du Gouvernement, est que nous devons absolument maintenir l'objectif de protection des policiers et des gendarmes dans le cadre des opérations de police, souhaité par les parlementaires et le Gouvernement. Je le répète, ils ne sont pas assez protégés. C'est ma conviction, et je n'en ai pas changé.

Je le dis d'autant plus que la même commission des Lois, voilà quelques semaines, aurait pu m'amener à commenter des faits aussi ignobles, avec des paroles aussi fortes, quand deux policiers du Val-d'Oise ont été retrouvés quasi-morts avec sept balles dans le corps, roués de coups – l'un des deux lutte encore pour la vie au moment où je vous parle.

La protection des policiers et celle de la liberté de la presse ne sont pas en concurrence mais en complémentarité. Il n'y a pas une victoire de l'un contre l'autre, ni, surtout pas, de l'un sans l'autre. Bien sûr, on ne doit pas pouvoir, coûte que coûte, protéger les fonctionnaires de police, mais on ne doit pas non plus, coûte que coûte, sous prétexte que ces questions conduisent à un débat, qui est vif, je ne l'ignore pas, passer par pertes et fracas la vie des femmes et des hommes qui, dans leurs vies professionnelle et personnelle, doivent être protégés. C'est ma conviction, hier comme aujourd'hui, et, je vous donne un scoop, cela le sera aussi demain. Ce n'est pas grave si, en attendant, les choses sont difficiles.

Monsieur Euzet, vous avez évoqué trente-six mois de formation. Cela me paraît beaucoup, même si on peut toujours étudier certaines propositions. Je le dis au député Vallaud, il y a des moments où les ministres donnent des avis défavorables à des amendements, alors qu'ils n'auraient pas dû. Faire amende honorable, c'est très bien. Tout ce qui va du côté de la police est une bonne chose – monsieur Coquerel l'avait évoqué dans un débat, comme monsieur Peu, qui connaît bien ces questions.

Ne pas garantir une formation, initiale et continue, sur la difficulté d'être policier était une erreur – il faut savoir le reconnaître. Nous la leur devons, mais trente-six mois me semblent toutefois beaucoup, ou alors, il faut laisser au ministère de l'Intérieur le temps de recruter des policiers, que vous ne verrez pas sur le terrain avant la fin de votre mandat parlementaire. Je le dis à chacune et chacun, si l'on donne plus de temps de formation, il faut accepter l'idée que les policiers arrivent un peu moins vite dans les commissariats. D'ailleurs, on a fermé trop d'écoles. Sans doute faudrait-il en rouvrir, ce serait formidable. J'ai été de l'autre côté dans la discussion budgétaire, je connais les difficultés, mais la question se pose tout de même.

Aussi, monsieur Vallaud, je suis attentif à toutes les propositions du groupe Socialistes et apparentés, comme de toutes les oppositions. Si vous avez eu l'impression que vos amendements étaient rejetés d'un revers de la main, veuillez m'en excuser.

Quant aux caméras-piétons évoquées par monsieur Euzet, elles seront généralisées au 1er juillet prochain. Elles posent deux difficultés – nous avons déjà eu cette discussion, mais elle me paraît très importante. Les caméras-piétons ont aujourd'hui un temps de charge très limité : or le temps du film n'est pas celui de la patrouille, ce qui oblige les policiers et les gendarmes à prendre la caméra-piéton, quand ils en ont une, et à rentrer leur numéro d'identification du référentiel des identités et de l'organisation (RIO). S'ils ne le font pas, ils ne pourront pas mettre en marche la caméra au moment de l'intervention – chacun comprend qu'en pleine nuit, dans une situation difficile, rentrer le numéro de RIO c'est perdre trop de temps pour l'intervention. Mais si le numéro est rentré dès le début, la caméra se décharge avant que l'intervention n'ait lieu. À la demande du Président de la République, un nouvel appel d'offres a été lancé pour des caméras-piétons qui auront une plus grande charge.

Par ailleurs, pour répondre au député Euzet, les policiers pourront regarder ces images, sans les modifier, pour leurs enquêtes, et l'OPJ, pour contrôler ce que font ces policiers – c'est le principe de la proposition de loi de Mme Thourot et M. Fauvergue. C'est donc la loi qui le permettra.

Permettez-moi de proposer une mesure supplémentaire, à laquelle j'associe bien volontiers les parlementaires. L'une des difficultés survient lorsque le policier sort son arme, et utilise un LBD ou un taser. J'ai vu qu'un journal en ligne avait créé une polémique quant au « mensonge » d'une autorité de police sur une opération. Je le dis aux parlementaires, le manque d'images empêche d'avoir une vision claire des choses. Voilà plus d'un an que, dans cette affaire, le procureur de la République n'a pas conclu, sans doute par manque d'informations supplémentaires. Aujourd'hui, il existe des moyens techniques qui nous permettent de déclencher la caméra automatiquement dès que l'arme est sortie ou que l'on utilise le LBD ou le taser. Peut-être faudrait-il imaginer – c'est légitime – que, lorsqu'une arme, un LBD ou un taser sont sortis, la caméra se déclenche automatiquement. Cela protège le policier et la personne en face, en cas d'erreur manifeste d'appréciation ou en cas d'usage totalement disproportionné de la force.

Je remercie également monsieur Morel-À-L'Huissier, qui a évoqué certains sujets sans, me semble-t-il, poser de réelles questions – cela viendra.

Contrairement à monsieur Molac, je ne vois pas dans les black blocs des « professionnels des manifestations », mais des professionnels du désordre, des voyous ou des truands, des gens qui font profession de casser du flic – casser des bâtiments n'est pas bien, mais il est plus grave de rouer de coups des policiers, de les frapper avec un marteau ou de les blesser avec des vis.

Le maintien de l'ordre est tout le contraire de ce que monsieur Molac a évoqué. J'encourage chacun à étudier le schéma national du maintien de l'ordre : monsieur Molac nous fera le crédit que les manifestations des quinze dernières années sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes – pas tout le temps, naturellement, mais c'est le cas pour une grande partie, notamment de la place parisienne ou de grandes villes de province.

Peut-être que la difficulté – le drame – vient de ce que le ministère de l'Intérieur, notamment pendant la période des « gilets jaunes » mais pas seulement, a confié des missions de maintien de l'ordre à des policiers dont ce n'était pas le métier et qui manquaient d'équipements et de formation. Il peut être très difficile de réagir lorsque l'on vous met en face d'une situation ultraviolente. L'une de nos difficultés est que nous n'avons pas créé assez de postes de compagnies républicaines de sécurité (CRS) ou de gendarmes mobiles. J'ai pris la décision de créer l'équivalent de 300 policiers et gendarmes mobiles supplémentaires, et demandé au DGPN une équipe spécifique de maintien de l'ordre contre les violences urbaines, notamment en province – elle est souvent démunie devant ces difficultés. Il faut que nous changions nos ressources humaines, pour appliquer un maintien de l'ordre modéré – être durs quand c'est dur ; être attentifs quand les manifestants sont manifestement pacifiques, ce qui est le cas dans 99,9 % des cas, avec des policiers qui soient professionnels –, et que l'on n'envoie pas des agents dont le maintien de l'ordre n'est pas le métier.

M. Molac a aussi évoqué une autorité administrative indépendante. Je n'y suis pas favorable pour l'IGPN, d'abord parce que cette autorité est connue : elle s'appelle le Défenseur des droits. Comme vous l'avez dit, avec raison, madame la présidente, la Défenseure a accès aux informations et peut faire ses recommandations et donner ses instructions, qu'il nous appartient d'appliquer. Vous avez cité l'année 2019, je vous en remercie.

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