La réunion débute à 18 heures 15.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre ont eu recours à la force lors de différents évènements survenus à Paris depuis la manifestation du 17 novembre 2020.
Nous allons procéder à l'audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre ont eu recours à la force lors des différents événements survenus à Paris depuis la manifestation du 17 novembre 2020.
En raison des conditions sanitaires, cette réunion se déroule également en visioconférence, ce qui me permettra de donner la parole aux députés qui le souhaitent, qu'ils soient ici ou à distance.
Des incidents, parfois très graves, se sont produits au cours de la période récente, qui ont affecté la relation de confiance qui doit exister entre les Français et les forces de sécurité. Il y a eu les conditions tumultueuses du recours à la force à l'occasion de la manifestation contre la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui s'est tenue devant l'Assemblée nationale le 17 novembre dernier ; le déchaînement de violences commises à l'encontre de monsieur Zecler, à Paris également, le 21 novembre, et je saisis cette occasion pour avoir une pensée particulière à son égard ; l'évacuation du campement illicite de migrants de la place de la République, le 23 novembre, qui a donné lieu à des débordements ; enfin, les affrontements survenus lors de la manifestation de samedi.
Dans ce contexte, nous devions vous entendre, monsieur le ministre ; nous exerçons ainsi la mission de contrôle qui nous est reconnue par l'article 24 de la Constitution. Cela n'a posé aucune difficulté : en décidant de rendre public le rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les événements survenus place de la République ou en prononçant, d'ores et déjà, des sanctions disciplinaires à l'encontre de certains policiers, vous avez manifesté votre attachement à la transparence et au respect des règles.
Les incidents auxquels j'ai fait référence ne sont pas tous de même nature. Je n'oublie pas non plus que, parmi les victimes, on déplore aussi des policiers et des gendarmes. Ils sont en première ligne et nous sommes à leurs côtés, sous réserve, bien sûr, qu'ils agissent conformément aux lois et aux règles.
Vous avez la parole, monsieur le ministre, pour un propos liminaire. Les députés qui le souhaitent pourront, ensuite, vous poser des questions d'une durée de deux minutes. Pour ma part, je souhaite vous interroger sur le contrôle de l'action des forces de sécurité intérieure et l'efficacité des corps d'inspection. Votre prédécesseur avait annoncé, le 8 juin dernier, une réforme des inspections internes, pour plus de cohérence, de collégialité, d'indépendance vis-à-vis des services et je souhaiterais connaître l'avancement de ce projet.
Je tenais également à vous entendre sur l'effectivité du contrôle de la déontologie des forces de sécurité, effectué par le Défenseur des droits, et la relation entre cette institution et votre ministère. Dans son rapport annuel d'activité de 2019, il affirme rester dans l'attente des réponses aux recommandations qu'il a formulées à l'occasion d'affaires individuelles. Il a par ailleurs rapporté que sur ses trente-six demandes d'engagement de poursuites disciplinaires, formulées entre 2014 et 2019, aucune n'a été suivie d'effet.
Cette audition sera conduite, il convient de le préciser, dans le respect des enquêtes judiciaires en cours concernant les faits récents.
Permettez-moi de vous dire tout d'abord que rien ne me paraît plus normal, ayant été moi-même parlementaire et aimant cette institution, que de répondre à vos interrogations et me soumettre à votre pouvoir de contrôle. Les Français qui nous écoutent doivent le savoir, le rôle et même le devoir des parlementaires – de la majorité ou de l'opposition – est de demander des comptes à l'exécutif quand ils le souhaitent. Il est légitime que je réponde à vos invitations, je suis à votre disposition.
Ensuite, il est normal que pouvoirs et contre-pouvoirs aillent de pair et que ceux qui exercent des pouvoirs spécifiques – je pense notamment aux forces de l'ordre, dont le ministre de l'Intérieur est le chef – puissent répondre à d'autres pouvoirs et faire l'objet de contrôles. Il appartient à la démocratie libérale de contrôler ceux qui bénéficient de moyens exorbitants au droit commun.
Un mot d'introduction, avant de répondre à vos questions. Le premier jour de ma nomination au ministère de l'Intérieur, j'ai indiqué ma ligne de conduite. Elle n'a pas changé depuis : elle consiste, bien sûr, à protéger les Français, qui souhaitent la sécurité, mais aussi ceux qui nous protègent, à savoir les policiers et les gendarmes, qui exercent un métier difficile et dangereux ; ce n'est pas le métier de tout le monde. Je ne suis pas et ne serai pas de ceux qui flattent les policiers quand ça les arrange et qui les lâchent quand ça ne les arrange plus, au gré des faits ou des polémiques médiatiques. Car, comme aurait pu le dire ma grand-mère – cette phrase n'est pas d'elle : « Être dans le vent est le plaisir d'une feuille morte ». Le rôle premier du ministre de l'Intérieur est d'être devant les femmes et les hommes qui servent ce ministère, quand ça va bien, mais aussi quand ça va mal.
Sans la police, sans la gendarmerie, qui sont profondément républicaines, il n'y aurait pas de sécurité pour les plus fragiles d'entre nous. Moi qui ai adhéré à un parti politique à l'âge de 16 ans, je pense sincèrement que le plus beau poste que puisse occuper une femme ou un homme politique est celui qui consiste à protéger ceux qui nous protègent, c'est-à-dire à protéger les plus faibles.
Je veux avoir une pensée pour les quatre policiers et gendarmes décédés depuis que j'occupe les fonctions de ministre de l'Intérieur. On me demande souvent, ces derniers jours, si ma tâche est difficile. Ce qui est difficile, mesdames, messieurs, c'est d'être une femme ou un homme de terrain, qui risque sa vie tous les jours et qui ne sait pas si, après son service, il pourra rentrer chez lui, embrasser sa femme, son mari, ses enfants ou ses parents. Nombreux sont les donneurs de leçons, mais peu de gens prennent un tel risque au quotidien.
Vous avez raison, madame la présidente, des actes inqualifiables ont été commis par ceux qui portent l'uniforme de la République. Cela a été le cas dans le 17e arrondissement de Paris. Ces personnes ont été suspendues. J'ai souhaité qu'elles soient révoquées. Une enquête judiciaire est en cours et je m'en félicite. Ceux qui utilisent de façon disproportionnée la force que le peuple met à leur disposition doivent être sanctionnés et n'ont rien à faire au sein de la police ou de la gendarmerie.
Mais des individualités ne sont pas un tout. Et je ne supporterai pas que l'on porte atteinte à l'institution de la police et de la gendarmerie, qui accomplit un travail admirable. Je rappelle que, samedi encore, quatre-vingt-dix-huit d'entre eux ont été blessés au cours des manifestations.
Certes, on peut se demander pourquoi des femmes et des hommes commettent, de manière totalement disproportionnée et inqualifiable, des actes qui nous révulsent tous et nous font honte. Il existe, comme dans tous les corps sociaux, des comportements individuels qu'il faut condamner. Mais il y a aussi, peut-être, des problèmes structurels, qui ne datent pas d'hier, et que les responsables politiques successifs n'ont pas toujours su résoudre. Nous devons donner à la police et à la gendarmerie de la République les moyens de l'exemplarité qu'on exige d'elles.
Je voudrais souligner, tout d'abord, que les policiers représentent 7 % de l'ensemble de la fonction publique, mais font l'objet de 55 % des sanctions prononcées à l'encontre de tous les fonctionnaires. C'est dire à quel point la police et la gendarmerie sont surveillées, contrôlées, inspectées, sanctionnées, et c'est bien normal – il ne s'agit pas de revenir sur ce point. La question se pose, cependant, de savoir si toutes les fonctions publiques sont autant surveillées, contrôlées, inspectées, sanctionnées.
Ensuite, j'évoquerai ce que j'appellerai les péchés capitaux commis par les différents responsables politiques au cours de nombreuses années. Je voudrais revenir sur les moyens qu'on a pu donner, ou pas, à nos forces de l'ordre. Il faut leur dire – d'autres ne le font pas – que nous leur devons aussi des excuses pour la façon dont nous les mettons dans la rue, où ils accomplissent, au péril de leur vie, des missions extrêmement difficiles, qui font la dignité de fonctionnaires qui s'engagent pour le pays.
J'ai classé ces différents points comme les sept péchés capitaux parce qu'il faut pouvoir parler à l'opinion publique. À cet égard, je ne suis pas de ceux qui considèrent que celle-ci est contre les policiers ou les gendarmes. Je crois que les Françaises et les Français savent très bien qui sont ces agents : ce sont souvent leur père, leur mari, leur femme, leur enfant. Ils savent très bien ce que signifie pour ces hommes et ces femmes, retraités ou policiers d'active, l'engagement sous l'uniforme de la République. Ils ont le plus grand respect pour eux. Sans doute est-ce mon expérience d'élu local qui me pousse à penser que, y compris dans les coins les plus populaires et les plus contestataires, la protection de l'État, c'est celle que les pauvres ne peuvent pas se payer et que la politique de la sécurité est la plus grande des politiques sociales.
J'en viens aux péchés capitaux. D'abord, le ministère de l'Intérieur a commis une erreur fondamentale, celle de dispenser trop peu de formations à nos policiers. Raccourcir la formation initiale n'était pas une bonne mesure – j'ai parfois entendu l'opposition le dire. C'est une vérité, qui se heurte, parfois, à des réalités : on veut plus de policiers, rapidement, ce qui peut conduire à écourter leur formation pour qu'ils se retrouvent plus vite sur la voie publique. Ce n'était pas un bon calcul. Être policier tard le soir, dans des quartiers difficiles, face à des situations complexes, requiert une formation initiale plus importante. C'est ce que j'ai proposé au Président de la République cet après-midi.
Au-delà, il y a la formation tout au long de la carrière. Un policier national peut bénéficier de douze heures de formation par an mais, selon les chiffres de l'année 2019, 20 % d'entre eux seulement ont pu effectivement les suivre. Ceux qui disposent d'une arme doivent effectuer trois tirs, éventuellement au cours d'un même mois, mais là encore, 60 % seulement d'entre eux ont pu le faire en 2019. Il est évident que nous devons à nos policiers plus d'heures de formation et plus de temps pour se former. Nous ne pouvons pas attendre d'eux d'être au rendez-vous en toute situation alors qu'il n'y a pas assez de moniteurs, de matériels, de terrains d'entraînement, de cycles horaires adaptés pour se former. Se former fait partie intégrante de la profession.
Le deuxième péché capital concerne l'encadrement. L'une des difficultés – c'est apparu notamment dans l'affaire du 17e arrondissement de Paris – est liée au manque de chefs, de sous-chefs, de sous-officiers, présents dans la rue, auprès des forces de sécurité. Il faut recréer un corps intermédiaire d'encadrement, plus important, qui soit sur le terrain – car c'est la fonction la plus noble – et qui puisse demander à des jeunes, ou à ceux qui n'ont pas les qualités requises pour encadrer, de garder leur calme dans les situations difficiles, d'adopter un comportement exemplaire et républicain. Le policier obéit à une exigence supplémentaire par rapport à la personne qui se trouve dans la rue : il porte l'uniforme de la République, il représente la loi et dispose d'une arme. À ce titre, il doit adopter un comportement qui n'est pas celui du voyou, susceptible de le provoquer.
Le troisième péché capital porte sur le matériel. Nous avons essayé de le régler – je remercie d'ailleurs les parlementaires d'avoir voté les crédits contenus notamment dans le plan de relance. Mais ce n'est pas suffisant. On ne peut pas considérer qu'on traite bien les fonctionnaires de l'État et qu'on les place dans des conditions de sérénité lorsqu'ils sont contraints de circuler à bord de véhicules de patrouille totalisant 200 000 à 300 000 kilomètres au compteur, avec des barres de ferraille qui leur rentrent dans le dos pendant les quatre heures que dure la tournée des quartiers de Tourcoing par exemple ; lorsque le commissaire de police doit prêter son véhicule parce que celui de la brigade anti–criminalité (BAC) n'est pas réparé depuis six mois ; ou encore lorsqu'il leur faut acheter eux-mêmes chez Décathlon la caméra-piéton ou le casque qu'ils utiliseront lors des opérations de police.
Pendant très longtemps, le ministère de l'intérieur s'est contenté des dépenses de personnel, ce qu'on appelle le titre 2, c'est-à-dire la masse salariale, les heures supplémentaires parfois pas payées ou qui comptaient pour autre chose... Ce faisant, tous ministres de l'Intérieur confondus, on a évité de s'intéresser aux questions du matériel, de l'immobilier, des voitures, des armes. Je ne compte plus le nombre de parlementaires qui m'interpellent au sujet d'une brigade de gendarmerie ou d'un commissariat, dont les locaux sont vétustes et loin d'être à la hauteur de ce qu'on doit à des fonctionnaires, s'agissant de leurs conditions de travail.
Un autre péché capital concerne les images. Si la brigade de police qui est intervenue dans le 17e arrondissement de Paris avait eu des caméras-piétons sur elle, voire sur son véhicule, sans doute aurions-nous compris ce qui s'était passé dès les faux commis par ces policiers pour expliquer les circonstances de leur intervention – j'emploie le terme de faux car c'est la remontée qui m'a été faite par le préfet de police lorsque je me suis enquis de cette affaire, mais l'enquête judiciaire le déterminera bien sûr. Le chef ou l'officier de police judiciaire (OPJ) qui était au commissariat, les policiers eux-mêmes à leur retour d'intervention, auraient pu regarder les images de ces caméras-piétons – comme le prévoit d'ailleurs la proposition de loi relative à la sécurité globale de Mme Thourot et de M. Fauvergue – avant d'établir leur rapport et ils auraient compris assez vite la disproportion tout à fait inacceptable de leur intervention. Mais ils n'en avaient pas. À la demande du Président de la République, les caméras-piétons seront généralisées au 1er juillet prochain et je m'en félicite. Enfin, les véhicules de police, comme ceux des pompiers, pourront disposer de caméras, qui permettront d'obtenir de meilleures vues de la voie publique notamment et d'assurer une surveillance de l'action de la police. Car les caméras protègent, bien évidemment, les citoyens des accès de violence tout à fait inacceptables de la part des forces de l'ordre, mais également les policiers qui, bien souvent, sont blessés, vilipendés, insultés lors de leurs interventions. Or, malheureusement, aujourd'hui, la voix du policier ne vaut pas toujours celle de la personne mise en accusation, qui a pourtant commis, elle, des actes extrêmement forts contre les représentants des forces de l'ordre.
Le péché capital suivant porte sur la question des inspections. Il y a beaucoup de débats autour de l'IGPN. Est-il normal qu'il y ait une IGPN au ministère de l'Intérieur ? Je pense que oui. Il existe également une Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Et comme ancien ministre de l'action et des comptes publics, je pourrais évoquer l'Inspection générale des finances placée sous l'autorité du ministre des Comptes publics et du ministre de l'Économie et des finances. Tout ministère dispose d'un corps d'inspection. La difficulté particulière s'agissant de l'IGPN, indépendamment de sa forte sollicitation évoquée précédemment – 55 % des sanctions de l'ensemble de la fonction publique concernent le ministère de l'Intérieur côté police – est qu'elle est à la fois un service d'inspection, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, et un service d'enquête judiciaire.
Si l'IGPN était si mauvaise que cela, le procureur de la République de Paris ne l'aurait pas saisie, ce qu'il a pourtant fait à l'occasion des faits survenus place de la République et dans le 17e arrondissement de Paris. Je constate d'ailleurs que c'est sur la base des enquêtes de l'IGPN que ces policiers ont été mis en garde à vue et, pour au moins deux d'entre eux, placés sous mandat de dépôt, c'est-à-dire qu'ils ont été envoyés directement dans un lieu de privation de liberté. En quarante-huit heures, et ainsi que tous les Français ont pu le constater, via les réseaux sociaux, les documents étaient sur le site du ministère de l'Intérieur – je pense être le premier ministre de l'Intérieur à avoir agi ainsi. Au moment même où l'on salue la transparence de ce procédé, au moment même où le procureur de la République place des gens en garde à vue et sous mandat de dépôt, sur la base des rapports de l'IGPN, j'ai du mal à comprendre qu'on puisse critiquer une institution qui accomplit des choses difficiles, dans un contexte peu simple.
Faut-il prévoir une évolution de l'IGPN ? Comme toute institution, elle mérite évidemment d'être regardée, interrogée, discutée et améliorée. Faut-il la rattacher directement au ministère de l'Intérieur, plutôt que la maintenir au sein de la direction générale de la police nationale (DGPN) ? Cela peut être examiné. Faut-il la fusionner avec l'Inspection générale de l'administration et l'IGGN ? Faut-il mettre à sa tête quelqu'un qui ne serait pas « de la maison » ? Je n'y vois pas d'inconvénient, mais dans ce cas, faisons-le pour toutes les inspections. Je n'y vois pas malice en le disant et je suis prêt à tout étudier.
Y a-t-il, en revanche, un problème parce que les sanctions prévues ne sont pas toujours appliquées ? La réponse est oui. L'IGPN ne fait d'ailleurs pas de préconisations dans le cadre d'enquêtes administratives et je souhaite qu'elle en fasse. Il faut évidemment contraindre le ministre de l'Intérieur à prendre les sanctions que demande l'IGPN. Dans « l'affaire Théo », par exemple, voilà plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, que des sanctions administratives ont été demandées. Peut-être était-ce votre question concernant le Défenseur des droits, qui l'a fait remarquer en effet dans ses dernières adresses au Gouvernement. On a parfois du mal à comprendre pourquoi des sanctions administratives n'ont pas été prises, en complément des sanctions judiciaires à venir, puisque la procédure judiciaire se poursuit. Lorsque Mme la Défenseure des droits me l'a appris – je rappelle que je suis en fonction depuis quatre mois seulement –, j'ai demandé au préfet de police de réunir dans les plus brefs délais les conseils de discipline pour prendre ces sanctions. Je tiens les courriers à votre disposition.
S'il y a une réforme à conduire, madame la présidente de la commission des Lois, elle devra porter non pas sur l'organisation de la tuyauterie administrative, mais sur l'application des préconisations ou les sanctions demandées par l'IGPN car, malheureusement, le pouvoir exécutif n'est pas lié, aujourd'hui, aux propositions de ce corps d'inspection qui fait pourtant son travail dans des conditions que même l'autorité judiciaire trouve totalement respectables.
Le dernier péché capital concerne le lien entre la population et la police. Je ne partage pas, et c'est une conviction très forte, l'idée d'un divorce entre les deux. D'abord, parce que les gardiens de la paix sont rarement des enfants de PDG. Vous les connaissez tous, dans vos circonscriptions. Sociologiquement – j'ai un regard très empirique à partir de ma commune de Tourcoing et de la vallée de la Lys –, les policiers, même lorsqu'ils sont sous-officiers, voire officiers, ne roulent pas sur l'or. Ils vivent parmi les Français ; beaucoup d'entre eux habitent dans des logements sociaux, quelques-uns d'ailleurs vivent dans leur voiture. Ils rencontrent les difficultés de tous les Français des classes populaires ou moyennes, dont ils sont issus en tant qu'enfants d'ouvriers, d'artisans, de commerçants. Bref, ils viennent du peuple. Ils ont des maris, des femmes, des enfants, des parents et, quand ils retirent leur uniforme, ils redeviennent comme les autres, parmi le peuple. Il n'y a donc pas d'un côté la police et de l'autre, la population française. Je n'y crois pas un seul instant.
En revanche, ils sont nombreux, leur sélection est de moins en moins importante et leur formation de plus en plus réduite, et ils rencontrent des difficultés dans leur vie personnelle que l'État employeur a la responsabilité de résoudre : temps de transport, problèmes de logement ou de garde d'enfants... Ils doivent être respectés, protégés dans leur vie privée, ne pas se faire insulter au supermarché ou avoir honte de leur profession. Sur le carnet de correspondance des enfants à l'école, on n'écrit plus désormais qu'on est policier, pour éviter que l'enfant se fasse embêter. Il n'y a donc pas à renouer un fil, dont je pense qu'il n'a jamais été rompu, mais à faire percevoir les difficultés que vivent les policiers et à comprendre comment la population souhaite que la force légitime soit exercée.
La gendarmerie compte environ 30 000 hommes au titre de la réserve ; la police, seulement 6 000. Je souhaite que nous portions ce chiffre à 30 000 également, afin de mieux brasser, de mieux embrasser même, les aspirations de la population.
Indépendamment de tout ce que nous pourrons faire en matière de lutte contre les discriminations, et pour favoriser une meilleure compréhension des enjeux de la société de la part de la police et de la gendarmerie qui, comme toute institution, doivent comprendre la société dans laquelle elles évoluent, je ne partage absolument pas l'idée d'un divorce entre la police et la population.
En revanche, les difficultés sont réelles entre une partie de la jeunesse, entre des quartiers que l'on pourrait qualifier de très populaires – j'ai été maire d'une ville qui en comportait plusieurs –, et l'autorité de l'État. C'est vrai pour les représentants des bailleurs sociaux, pour les agents de la mairie, parfois même pour les agents de propreté, et c'est évidemment vrai pour ceux qui sont là pour imposer l'ordre républicain – il n'est pas toujours agréable de devoir le faire. Que la France ait un problème avec certains quartiers difficiles, que nous n'ayons pas su intégrer et comprendre suffisamment une partie de notre jeunesse pour lui assurer l'accès à l'emploi, l'égalité des chances, un logement décent, est une vérité qui concerne l'ensemble des politiques publiques. Et la police est parfois le dernier agent public à se rendre dans ces quartiers, notamment tard le soir… Ne confondons donc pas les causes avec les conséquences.
Mesdames et messieurs les parlementaires, vous l'aurez compris, je soutiens très fortement les policiers et les gendarmes. Je me fais leur avocat, même dans les périodes difficiles, parce que c'est ce qu'ils attendent de moi, ainsi que les Français, plutôt que de changer de position au gré des polémiques. Mais ce soutien doit aller de pair avec la responsabilité. Dans la mesure où ce ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, je souhaite que nous puissions continuer à les protéger, dans les opérations de police certes, mais aussi dans leur vie personnelle, y compris face aux difficultés induites par ces nouvelles formes de communication que sont les réseaux sociaux.
La contrepartie de ce soutien très fort, que je réitère devant vous, avec conviction, c'est une exemplarité très grande des fonctionnaires de police. Ceux qui salissent l'uniforme doivent être exclus de toute possibilité d'y revenir. Mais je ne confonds pas des individus avec le tout. Honoré de la confiance que me fait le Président de la République, je suis très fier d'être, depuis quatre mois et demi, à la tête d'un ministère où les femmes et les hommes risquent tous les jours leur vie.
Merci, monsieur le ministre, d'être parmi nous. La mission de contrôle qui incombe à l'Assemblée nationale est très importante.
Les images que nous avons vues, la semaine dernière, des violences commises à l'égard de Michel Zecler sont insoutenables pour nous, en tant que parlementaires, mais aussi pour tous les Français : elles sont indéfendables. Pouvez-vous faire le point sur les suites disciplinaires et judiciaires dans cette affaire ?
D'une façon plus générale, nos forces de l'ordre doivent être irréprochables. Toute faute commise par un policier ou par un gendarme doit être sanctionnée très sévèrement. C'est une question de principe, monsieur le ministre, et surtout de confiance entre les Français et les forces de l'ordre, qui doivent être exemplaires.
Vous avez détaillé certaines mesures à venir, certaines réflexions en cours. Pourriez-vous, pour les parlementaires présents mais aussi pour tous les Français qui nous écoutent, faire le point sur les évolutions prévues pour avoir un meilleur management dans la police nationale, un meilleur suivi, un meilleur encadrement et éventuellement des sanctions plus lourdes ? Des réformes profondes sont-elles à l'étude ? Des réflexions sont-elles en cours au ministère de l'Intérieur ? Le Parlement pourrait-il éventuellement y être associé ? C'est un sujet très important.
Les violences sont insupportables et inacceptables dans les deux sens. Vous nous avez dit que 98 policiers et gendarmes ont été blessés samedi dernier. Les images étaient, là aussi, très choquantes. Pourriez-vous nous donner des nouvelles des policiers et des gendarmes blessés ?
Nous sommes réunis ce soir à la suite de l'émotion, légitime, suscitée par les images de l'interpellation violente et inacceptable de Michel Zecler. Mais nous devons éviter un écueil : celui de gouverner et, pour nous, de légiférer sous le poids des émotions et, plus encore, des pressions. Nous les avons subies mardi lors du vote du texte relatif à la sécurité globale, des manifestants très violents étant présents aux abords de l'Assemblée nationale.
Permettez-moi aussi de dire, comme vous l'avez fait, ma confiance, ma reconnaissance, mon soutien – notre soutien – à la police républicaine. N'oublions jamais le poids de sa charge, la difficulté de sa mission, le tribut qu'elle paie pour la sécurité collective : 63 commissariats ont été attaqués cette année, 20 policiers et gendarmes sont blessés chaque jour, 100 policiers et gendarmes subissent des violences quotidiennes et 98 policiers ont été blessés samedi, cela a été dit.
Je voudrais également que nous évitions de donner un prétexte à ceux qui veulent déstabiliser la République et ceux qui constituent son premier rempart. Je pense à tous les nervis d'extrême gauche animés par des intentions violentes.
Je souhaite vous interroger plus personnellement, monsieur le ministre, sur votre bilan et votre action. Les Français veulent de l'ordre, de l'autorité, mais aussi de la liberté. Prenez garde d'installer une forme de désordre. Je m'inquiète des coups de menton médiatiques qui ont un peu caractérisé votre action au détriment du fond, de la sérénité et d'une vision prospective. Nous avons plus que jamais besoin de sérénité, et le besoin de protéger l'uniforme de la République est plus fort que jamais. C'est pour cela que nous avons demandé des peines planchers contre ceux qui s'attaquent aux forces de l'ordre. Vous avez préféré un article 24 qui ne sert à rien : son utilité juridique est nulle. Une seule solution s'impose : donner à la police républicaine les moyens d'accomplir sa mission, parce que nous avons besoin d'elle.
Merci, monsieur le ministre, d'être avec nous ce soir et d'avoir évoqué, dans votre propos liminaire, plusieurs pistes de réflexion. Nous vous accompagnerons sur beaucoup des points que vous avez mentionnés, car ils devraient permettre d'améliorer une situation actuellement difficile – j'espère que les quarante années que j'ai passées à travailler avec les forces de police témoigneront suffisamment du respect que j'ai pour elles.
Permettez-moi de revenir sur le texte que nous venons d'examiner. Le vote de la proposition de loi relative à la sécurité globale et sa concomitance avec un épisode particulièrement choquant de violences policières ont précipité dans la rue ce week-end des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de manifestants, dont un grand nombre de jeunes. Je ne veux pas rouvrir le débat sur le fond : l'Assemblée s'est prononcée, encore que beaucoup de députés qui ont voté pour l'article 24 de la proposition de loi la semaine dernière concèdent aujourd'hui qu'il doit être amélioré. J'ai cru comprendre, d'après les dernières informations qui circulent, que les présidents des groupes de la majorité sont favorables à une réécriture de cet article. Au point où nous en sommes, il me semble, à titre personnel, qu'il serait préférable de retirer un texte qui divise inutilement la société française, d'autant que le sujet sera examiné d'une manière élargie et dans des conditions rédactionnelles qui paraissent plus prudentes dans le cadre de la discussion à venir de l'article 25 du projet de loi relatif aux valeurs de la République. Je vous demande, monsieur le ministre, si le Gouvernement peut envisager un abandon pur et simple de l'article 24 de la proposition de loi dès cette semaine.
Votre audition, monsieur le ministre, intervient dans un contexte tout à fait particulier. Depuis plusieurs mois, à l'occasion d'interventions des forces de l'ordre, se sont fait jour des pratiques que l'idée que l'on se fait, et que l'essentiel sinon la quasi-totalité des policiers et des gendarmes se font, d'une police républicaine conduit à réprouver : la violence excessive, la violence raciste. Elle est sans doute le fait de quelques-uns seulement mais la multiplication des faits divers finit parfois par constituer un fait social.
Il y a quelques jours, c'est place de la République que nous avons assisté à une opération de maintien de l'ordre extrêmement brutale. Il y a quelques jours encore, c'est un homme noir qui a été passé à tabac, avec une violence inouïe. À la fin de la manifestation d'hier, ce sont des policiers qui ont été molestés, avec une extrême violence. Dans les trois cas, ces images nous ont choqués et vous ont choqué. Nous en sommes à un point où il est légitime de se demander si les Français sont correctement protégés mais également si les policiers eux-mêmes le sont, dans leur vie privée, vous l'avez dit, et dans l'exercice de leurs missions.
Le Président de la République l'a rappelé il y a trois ans, je crois : les policiers ont une hiérarchie. Ils ont au-dessus d'eux des directeurs de la sécurité publique, puis des préfets et ensuite un ministre. Quand les ministres ne prennent pas leurs responsabilités, c'est l'institution policière qui trinque, sans nuance. Nous avons eu à connaître d'une proposition de loi mal ficelée qui a suscité beaucoup de contestation dans la rue ce week-end. La meilleure des façons d'assumer votre responsabilité, monsieur le ministre, ne serait-elle pas de reprendre le texte à zéro et d'engager un grand chantier qui pourrait consister en des états généraux de la sécurité publique, en travaillant peut-être sur certains des péchés capitaux que vous avez mentionnés ? Je regrette, s'agissant du premier, la formation, que les amendements à la dernière loi de finances que nous avions proposés aient été rejetés par le Gouvernement et la majorité.
Nous vivons une période compliquée, sur fond de crise sanitaire, économique, sociale et désormais sécuritaire, dans laquelle nous avons le devoir collectif de rester sereins. Vous avez témoigné d'une grande sérénité, monsieur le ministre, et on doit vous en rendre grâce.
Nous avons vu ces derniers jours, lors de l'évacuation des migrants ou des manifestations contre la proposition de loi relative à la sécurité globale, des images de violences policières que nous condamnons avec force et détermination. Le groupe Agir ensemble ne veut pas, néanmoins, céder à un manichéisme qui voudrait qu'il y ait, d'un côté, de fervents défenseurs des libertés et, de l'autre, des responsables politiques décidés à les faire taire ou à les mettre sous cloche en utilisant leur bras armé que constitueraient les forces de l'ordre. Loin d'avoir les torts qu'on leur prête trop souvent, elles sont au service des administrés et saluées par la plupart d'entre eux. Mon groupe est soucieux des libertés mais également préoccupé par l'équilibre qu'il convient de trouver avec la sécurité des forces de l'ordre, de ceux qui sont garants de notre sécurité et donc de notre liberté.
On essaie de faire croire à un manque de logique mais c'est faux : les textes – la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, celle relative à la sécurité globale puis le projet de loi contre le séparatisme – s'enchaînent en suivant un fil conducteur. Il convient peut-être de revenir sur des points particuliers s'il apparaît que les équilibres à respecter ont été perdus de vue : c'est la démocratie, le jeu des procédures parlementaires, du rapport de force avec la rue et des contrôles juridictionnels – mais nous n'en sommes pas là. Nous devrons probablement améliorer la proposition de loi, et nous allons nous y atteler avec le Sénat.
Notre mission est d'écrire la loi et de construire l'avenir. Au-delà de la réécriture de l'article 24, nous devons contribuer à améliorer les conditions dans lesquelles se déroulent les manifestations. Vous avez évoqué la formation des policiers, monsieur le ministre. Envisagez-vous de la prolonger jusqu'à trente-six mois, comme le font les Allemands, et d'introduire des modules concernant les violences policières et les pratiques à suivre lors des interventions ? Vous avez évoqué une généralisation, à court terme, des caméras-piétons. Avez-vous une idée des conditions dans lesquelles les images seront traitées ? S'agissant de l'IGPN, envisagez-vous une présence en son sein de la Défenseure des droits, de parlementaires et éventuellement de magistrats du siège ?
Merci pour votre présence, monsieur le ministre, et pour les propos que vous avez tenus. Ils dénotent une volonté de dire les choses et de ne pas cacher les réalités. Vous avez ouvert un débat qui déchaîne les passions, y compris dans les territoires ruraux : j'en suis le témoin après les propos difficiles et même la haine que nous avons connus ce week-end dans le département de la Lozère. Le courroux de certains concernait l'article 24 de la proposition de loi, tel qu'ils le lisaient, et mon vote. J'assume l'orientation que j'ai prise. Je n'accepte ni les invectives ni les attaques, et je souhaite que le débat se poursuive, comme vous l'avez également souhaité. Par ailleurs, vous avez apporté certains éclairages, notamment sur la sociologie des policiers.
J'ai remis il y a quelques semaines un rapport sur le Défenseur des droits, sujet qui me tient à cœur. J'avais évoqué avec monsieur Toubon les difficultés à avoir des réponses en ce qui concerne les manquements aux règles de déontologie. J'ai fait, avec ma co–rapporteure, Coralie Dubost, un certain nombre de propositions à cet égard. Est également ressorti le manque de connaissance, au sein des forces de l'ordre, de l'existence même du Défenseur des droits et du rôle qu'il joue, à la suite de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Je suis convaincu que nous ne pouvons en rester à la situation actuelle : il faut apporter une réponse aux violences des policiers et à celles commises de l'autre côté. On ne peut pas faire abstraction de la réalité.
Nous nous posons tous des questions. La doctrine du maintien de l'ordre, qui amène à une confrontation avec les manifestants, ne contribue-t-elle pas à une exacerbation à la fois de leur côté et du côté des forces de l'ordre ? Ne faudrait-il pas passer à une autre doctrine ? On dit que celle qui est utilisée actuellement est la meilleure, mais j'en doute.
Les black blocs sont des professionnels des manifestations. Y a-t-il au ministère de l'Intérieur, et au-delà, une volonté d'identifier et de suivre ces groupes ? Si on ne le fait que dans les manifestations, on a évidemment perdu : il faut aller plus loin.
Avez-vous l'intention de créer une autorité indépendante, comme il en existe une en Grande-Bretagne, pour s'occuper des débordements des forces de l'ordre ?
Enfin, je ne peux que rejoindre ma collègue Laurence Vichnievsky : la proposition de loi relative à la sécurité globale, en particulier son article 24 et celui qui prévoit une surveillance généralisée par des drones, sans limite et avec une possibilité de recourir à la reconnaissance faciale, ne sont pas acceptables dans une démocratie.
Je voudrais revenir sur un point qu'a évoqué le ministre. Je ne suis pas sûre que nous ayons la même définition, et je voudrais donc une clarification. Vous avez parlé d'un problème structurel. Je suis d'accord avec ce terme : les violences subies par monsieur Zecler et les jeunes présents sur le lieu de son agression ne sont pas un fait divers isolé mais un phénomène qui fait système. Il y a une accumulation, depuis de nombreuses années, de faits dans lesquels sont à l'œuvre les mêmes phénomènes : un usage disproportionné de la violence et des actes caractérisés comme racistes.
Je rappelle qu'une action a été engagée en 2015 contre des discriminations systémiques à l'égard de jeunes au sein du commissariat du 12e arrondissement de Paris, et il faudrait aussi parler de la situation dans le 19e arrondissement, où un journaliste a récemment fait des révélations sur des violences policières à l'égard de certains citoyens et de certaines citoyennes, notamment à caractère raciste, de l'interpellation qui a eu lieu à L'Île-Saint-Denis en avril dernier et des choix faits par le préfet Didier Lallement pour l'intervention menée place de la République.
Tout cela est documenté depuis des années et dénoncé par les victimes, qui mettent en cause non seulement les auteurs des actes mais aussi l'ensemble de l'institution. Ces faits ne sont pas commis par toute l'institution, bien évidemment – nous serions dans un autre État si la police s'adonnait à cela –, mais il y a suffisamment de faits étayés et dénoncés par le Défenseur des droits ou la Commission nationale consultative des droits de l'Homme pour qu'on comprenne que tout cela fait système. Parmi les points que vous avez détaillés, monsieur le ministre, je ne vous ai pas entendu parler du problème du racisme systémique et des violences, ni de la direction et de la hiérarchie de la police. C'est aussi en raison du déni de la hiérarchie que les problèmes se perpétuent. J'aimerais que vous vous exprimiez sur ce sujet. Pour le reste, vous avez repris l'ensemble de nos propositions, ce qui est d'ailleurs intéressant…
Vous avez commencé votre intervention, monsieur le ministre, en énumérant ce que vous avez appelé les péchés capitaux. J'ai envie de vous remercier car il y a là, même si on pourrait ajouter quelques points, les principaux sujets qui posent problème depuis de très longues années et qui appellent, de mon point de vue, une véritable réflexion et une loi d'orientation sur la police. Il y a eu régulièrement dans notre pays de grandes lois d'orientation et de grands moments de débat national sur les missions de la police républicaine – je pense notamment au « rapport Bonnemaison » et aux assises de Villepinte sur la sécurité, en 1997. Mais il n'y a pas eu depuis vingt ans des moments de ce type, où la société peut débattre de sa police et de ses missions. Nous avons besoin d'un débat susceptible de déboucher sur une loi d'orientation afin de réengager tout le monde dans le même mouvement, autour d'une même adhésion à des principes républicains.
Depuis le début de son mandat, le Président de la République a demandé trois fois à son ministre de l'Intérieur – à vos prédécesseurs puis à vous-même – des notes, des comptes, des propositions sur la manière dont fonctionne la police, sur sa déontologie et sur ses missions. Je ne sais pas ce que vos prédécesseurs ont dit au Président de la République, mais on aimerait savoir ce que vous allez répondre à sa demande et si vous allez suivre la proposition que je viens de faire, comme Boris Vallaud.
Il y aurait beaucoup à dire, mais je pense qu'il faut des actes de désescalade dans la période actuelle. Je vous en propose un qui est un peu lié à ma circonscription et à mon vécu : je crois qu'il y a un grand problème avec le préfet Lallement, dont vous connaissez les références historiques. Quand on se situe dans les pas de celui qui a été le massacreur de la Commune, quand on dit aux malades du covid que s'ils sont sur un lit de réanimation c'est parce qu'ils ont été irresponsables, qu'ils n'ont pas respecté les règles, quand on fait preuve d'un mépris total pour les malades et pour le peuple, quand on dit à des « gilets jaunes » pacifistes qu'on ne fait pas partie du même camp, on n'est plus un préfet de la République, on est hors de son champ. Vous devez en tirer les conséquences. Ce serait un signe bienvenu de désescalade.
Merci aux représentants des groupes politiques qui se sont exprimés.
Vous avez évoqué, madame Thourot, les suites disciplinaires dans l'affaire du 17e arrondissement. Je vais d'abord vous expliquer ce que je sais, comment cela s'est passé et où on en est.
Je l'ai appris, comme beaucoup de Français, en regardant cette vidéo ignoble sur les réseaux sociaux. Mon premier réflexe, comme celui de ce monsieur qui a été sauvagement agressé, a été de croire qu'il ne s'agissait pas de vrais policiers. Dans cette affaire, qui s'est produite un samedi, à dix-huit heures, si je m'en souviens bien, la personne agressée a d'abord été mise en garde à vue et les policiers ont manifestement fait un faux. Il a fallu attendre mardi pour que le procureur de la République de Paris, ou plutôt son substitut, saisisse l'IGPN. Il n'y avait alors pas d'images. Le ministre de l'Intérieur, le préfet de police et le directeur général de la police nationale n'y avaient pas eu accès. Elles ont été mises en ligne par le site d'information que vous connaissez.
Dès que j'ai vu ces images, j'ai, dans les minutes qui ont suivi, demandé au préfet de police, à l'IGPN et à la direction générale de la police nationale ce qu'était cette histoire et, dès que j'ai su qu'il s'agissait de policiers et qu'ils étaient identifiés, je les ai suspendus – j'ai demandé au directeur général de la police nationale, au préfet de police, de le faire. Puis, quelques heures après, devant la gravité de la situation, je suis allé voir les Français, au journal de vingt heures. J'ai dit ceci : lorsque les faits seront établis par la justice, j'enclencherai la procédure de révocation, c'est-à-dire que ces personnes ne seront plus des policiers.
C'est une sanction extrêmement grave mais elle n'est pas exceptionnelle : elle est prise de nombreuses fois par an. En 2019, 48 fonctionnaires des forces de l'ordre ont été révoqués : 34 dans la police nationale et 14 dans la gendarmerie nationale. Je suis prêt à répondre à toutes les questions, mais je crois que les fonctionnaires qui sont dans les forces de l'ordre – les militaires de la gendarmerie et les policiers nationaux – n'ont pas à rougir du contrôle exercé par la hiérarchie, par le ministre de l'Intérieur, et des sanctions très fortes – les révocations – qui sont prises.
Les suites disciplinaires sont claires : j'ai évoqué la révocation des trois policiers qui sont intervenus. Il y en a un quatrième, celui qui aurait jeté une grenade à l'intérieur – un geste absolument contraire à tout ce qui devrait être dit par la hiérarchie ou dans le cadre de la formation. Je l'ai suspendu. J'attends d'en savoir davantage. Vous avez vu que le procureur de la République a considéré que les choses, pour l'instant, n'étaient pas de la même gravité, mais elles sont graves quand même. J'attends encore quelques heures pour la décision disciplinaire évoquée.
Vous n'avez pas posé la même question s'agissant de ce qui s'est produit place de la République, mais je vais en parler aussi. Trois faits ont été portés à la connaissance du ministère de l'Intérieur. J'ai rendu public le rapport de l'IGPN, qui n'a pas fait débat.
Le coup de pied donné par un policier de grande taille a été jugé conforme aux gestes techniques, d'autant qu'une collègue avait été manifestement agressée juste avant : c'est donc à juste titre que ce geste technique a été fait. Il est certes violent, mais le maintien de l'ordre et les évacuations se font rarement avec de la musique et des politesses. C'est malheureux, on peut le regretter, néanmoins être un policier qui fait du maintien de l'ordre ou une évacuation n'est pas toujours extrêmement simple.
Il y a ensuite le policier qui fait un croche-pied à un manifestant. Circonstance aggravante, c'est un commissaire de police. J'ai considéré que celui-ci, étant un officier, et même si la personne qui a subi le croche-patte, si j'ai bien compris, n'a pas été blessée et n'aurait pas porté plainte, devait être sanctionné. J'ai demandé une réunion du conseil de discipline dans les plus brefs délais.
Enfin, des images, même si elles sont confuses, montrent un journaliste, monsieur Buisine, qui est acculé. Je comprends que l'IGPN a demandé quelques jours de plus pour auditionner tout le monde. Par ailleurs, une procédure judiciaire est en cours : la justice fera son travail. N'ayant pas d'éléments précis, et n'étant pas là pour prononcer des condamnations dans le cadre d'un tribunal médiatique, je n'ai pris des sanctions que lorsque les faits étaient établis par l'IGPN.
Je voudrais également dire, en réponse à plusieurs d'entre vous, que 5 millions d'interventions de police et de gendarmerie sont réalisées chaque année et que 11 000 signalements ont lieu. On peut le faire grâce une plateforme, d'une manière tout à fait libre, sans s'adresser à un fonctionnaire de police. On dit souvent qu'il faut aller au commissariat et que, du coup, on ne dénonce pas les faits. Or une plateforme a été créée. Les 11 000 signalements conduisent à 2 000 sanctions – ils ne sont pas tous à prendre comme des vérités d'évangile. Cela signifie que 99 % des opérations et des contrôles de police et de gendarmerie ne font l'objet d'aucune réclamation, d'aucun signalement de la part des citoyens qui les « subissent » – je mets des guillemets.
Monsieur Ciotti, j'entends votre question sur mon bilan. Je suis certes précoce, mais, au bout de quatre mois, j'ai du mal à dresser un bilan exhaustif de mon action au ministère de l'Intérieur. J'ai cependant essayé de dégager certaines actions, lignes fortes et lignes de conduite de ces quelques mois. Vous me donnez l'occasion d'en évoquer plusieurs.
D'abord, après de longs débats qui ne vous auront pas échappé, j'ai proposé à la représentation nationale un texte de loi, présenté au Conseil d'État et que nous aurons bientôt l'occasion d'évoquer, qui porte sur la lutte contre les séparatismes, et renforce aussi la protection des agents publics. Le ministère de l'Intérieur n'est pas uniquement celui de la police et de la gendarmerie : il est aussi celui des cultes et, j'ose le dire, de la laïcité. Cela prend du temps mais cela aide aussi les services de police qui interviennent dans des conditions difficiles, y compris contre l'islamisme rampant ou les difficultés qui naissent du désordre national.
J'ai rendu public un schéma national du maintien de l'ordre, qui est le contraire de ce qu'a dit monsieur Molac – j'y reviendrai bien volontiers, pour lui répondre. Il prévoit notamment des mesures, que personne n'avait prises auparavant, par exemple, l'obligation d'un superviseur en cas de tir de lanceur de balles de défense (LBD). Quelles polémiques n'avons-nous pas entendues ces derniers mois sur ces tirs ! Je constate d'ailleurs que toutes les manifestations publiques qui ont eu lieu se sont déroulées conformément à ce schéma national, avec un superviseur toujours présent et, dans les manifestations de samedi, qui étaient parfois d'une extrême violence, les policiers et les gendarmes sont restés en conformité avec les instructions que j'ai pu donner dans ce schéma national de maintien de l'ordre.
J'ai également finalisé le Livre blanc, tant discuté, tant attendu, et annoncé certaines réformes que peu de gens avaient faites, notamment la direction unique de la police nationale dans un département. Vous connaissez bien ces questions, monsieur le député, et il se peut que je les étudie en avance de phase dans votre département car le maire de Nice a souhaité que cette très bonne idée de direction départementale unique de la police puisse s'y réaliser. Aujourd'hui, le directeur départemental de la sécurité publique, un commissaire, n'a pas toutes les forces de police sous son autorité. À Calais, par exemple, il ne dirige pas la police aux frontières (PAF).
La police nationale ne se réduit pas à la sécurité publique. Le responsable n'a pas toutes les responsabilités – c'est peut-être l'une des difficultés de notre intervention. Cette direction unique de la police nationale est très difficile à réaliser, pour de nombreuses raisons, parfois de corporatisme, d'habitude, de coutume ou fruits de l'histoire, raisons que chacun peut comprendre.
C'est désormais chose faite : j'ai lancé un travail que personne n'avait réalisé depuis un certain temps, celui de la répartition territoriale entre gendarmerie et police, dont tout le monde parle, mais que personne ne fait car on sait qu'il est très difficile de changer les habitudes alors que les populations, les agglomérations ont changé.
Je ne reviens pas sur la question de la lutte contre les stupéfiants ou des expulsions de personnes qui se trouvent illégitimement sur le territoire national. Il est vrai qu'en quatre mois je n'ai pas fait la révolution de Copernic, veuillez m'en excuser, mais peut-être aurez-vous plus tard l'occasion de me poser des questions sur mon bilan. En tout cas, je sais écouter les conseils, y compris les vôtres, dans une action très difficile, celle de mener le ministère de l'Intérieur à bon port.
Madame Vichnievsky, vous avez soulevé la question de l'article 24, et vous n'êtes pas la seule. Cet article fait débat, je ne sais pas pourquoi – c'est évidemment un clin d'œil à votre adresse, madame la présidente, après de longues journées et soirées de débats.
Je ne suis pas un fétichiste des numéros, d'autant qu'il s'agit d'une proposition de loi. Il me semble que le Parlement, qui a mal pris la création d'une commission, prendrait encore plus mal que le Gouvernement retire, modifie ou renforce un article qui, désormais, est dans la navette parlementaire.
Je ne suis pas un fétichiste des numéros, mais, en revanche, je le suis de la protection des policiers et des gendarmes. Ma position, qui est celle du Gouvernement et du Président de la République, est que les opérations de police, faites par des policiers, des gendarmes, des policiers municipaux, des douaniers, sont des opérations de fonctionnaires dans un moment particulier. Une atteinte à ces fonctionnaires dans de tels moments doit être sanctionnée plus lourdement qu'une autre.
Pour répondre à votre question, ma conviction profonde, qui est celle du Gouvernement, est que nous devons absolument maintenir l'objectif de protection des policiers et des gendarmes dans le cadre des opérations de police, souhaité par les parlementaires et le Gouvernement. Je le répète, ils ne sont pas assez protégés. C'est ma conviction, et je n'en ai pas changé.
Je le dis d'autant plus que la même commission des Lois, voilà quelques semaines, aurait pu m'amener à commenter des faits aussi ignobles, avec des paroles aussi fortes, quand deux policiers du Val-d'Oise ont été retrouvés quasi-morts avec sept balles dans le corps, roués de coups – l'un des deux lutte encore pour la vie au moment où je vous parle.
La protection des policiers et celle de la liberté de la presse ne sont pas en concurrence mais en complémentarité. Il n'y a pas une victoire de l'un contre l'autre, ni, surtout pas, de l'un sans l'autre. Bien sûr, on ne doit pas pouvoir, coûte que coûte, protéger les fonctionnaires de police, mais on ne doit pas non plus, coûte que coûte, sous prétexte que ces questions conduisent à un débat, qui est vif, je ne l'ignore pas, passer par pertes et fracas la vie des femmes et des hommes qui, dans leurs vies professionnelle et personnelle, doivent être protégés. C'est ma conviction, hier comme aujourd'hui, et, je vous donne un scoop, cela le sera aussi demain. Ce n'est pas grave si, en attendant, les choses sont difficiles.
Monsieur Euzet, vous avez évoqué trente-six mois de formation. Cela me paraît beaucoup, même si on peut toujours étudier certaines propositions. Je le dis au député Vallaud, il y a des moments où les ministres donnent des avis défavorables à des amendements, alors qu'ils n'auraient pas dû. Faire amende honorable, c'est très bien. Tout ce qui va du côté de la police est une bonne chose – monsieur Coquerel l'avait évoqué dans un débat, comme monsieur Peu, qui connaît bien ces questions.
Ne pas garantir une formation, initiale et continue, sur la difficulté d'être policier était une erreur – il faut savoir le reconnaître. Nous la leur devons, mais trente-six mois me semblent toutefois beaucoup, ou alors, il faut laisser au ministère de l'Intérieur le temps de recruter des policiers, que vous ne verrez pas sur le terrain avant la fin de votre mandat parlementaire. Je le dis à chacune et chacun, si l'on donne plus de temps de formation, il faut accepter l'idée que les policiers arrivent un peu moins vite dans les commissariats. D'ailleurs, on a fermé trop d'écoles. Sans doute faudrait-il en rouvrir, ce serait formidable. J'ai été de l'autre côté dans la discussion budgétaire, je connais les difficultés, mais la question se pose tout de même.
Aussi, monsieur Vallaud, je suis attentif à toutes les propositions du groupe Socialistes et apparentés, comme de toutes les oppositions. Si vous avez eu l'impression que vos amendements étaient rejetés d'un revers de la main, veuillez m'en excuser.
Quant aux caméras-piétons évoquées par monsieur Euzet, elles seront généralisées au 1er juillet prochain. Elles posent deux difficultés – nous avons déjà eu cette discussion, mais elle me paraît très importante. Les caméras-piétons ont aujourd'hui un temps de charge très limité : or le temps du film n'est pas celui de la patrouille, ce qui oblige les policiers et les gendarmes à prendre la caméra-piéton, quand ils en ont une, et à rentrer leur numéro d'identification du référentiel des identités et de l'organisation (RIO). S'ils ne le font pas, ils ne pourront pas mettre en marche la caméra au moment de l'intervention – chacun comprend qu'en pleine nuit, dans une situation difficile, rentrer le numéro de RIO c'est perdre trop de temps pour l'intervention. Mais si le numéro est rentré dès le début, la caméra se décharge avant que l'intervention n'ait lieu. À la demande du Président de la République, un nouvel appel d'offres a été lancé pour des caméras-piétons qui auront une plus grande charge.
Par ailleurs, pour répondre au député Euzet, les policiers pourront regarder ces images, sans les modifier, pour leurs enquêtes, et l'OPJ, pour contrôler ce que font ces policiers – c'est le principe de la proposition de loi de Mme Thourot et M. Fauvergue. C'est donc la loi qui le permettra.
Permettez-moi de proposer une mesure supplémentaire, à laquelle j'associe bien volontiers les parlementaires. L'une des difficultés survient lorsque le policier sort son arme, et utilise un LBD ou un taser. J'ai vu qu'un journal en ligne avait créé une polémique quant au « mensonge » d'une autorité de police sur une opération. Je le dis aux parlementaires, le manque d'images empêche d'avoir une vision claire des choses. Voilà plus d'un an que, dans cette affaire, le procureur de la République n'a pas conclu, sans doute par manque d'informations supplémentaires. Aujourd'hui, il existe des moyens techniques qui nous permettent de déclencher la caméra automatiquement dès que l'arme est sortie ou que l'on utilise le LBD ou le taser. Peut-être faudrait-il imaginer – c'est légitime – que, lorsqu'une arme, un LBD ou un taser sont sortis, la caméra se déclenche automatiquement. Cela protège le policier et la personne en face, en cas d'erreur manifeste d'appréciation ou en cas d'usage totalement disproportionné de la force.
Je remercie également monsieur Morel-À-L'Huissier, qui a évoqué certains sujets sans, me semble-t-il, poser de réelles questions – cela viendra.
Contrairement à monsieur Molac, je ne vois pas dans les black blocs des « professionnels des manifestations », mais des professionnels du désordre, des voyous ou des truands, des gens qui font profession de casser du flic – casser des bâtiments n'est pas bien, mais il est plus grave de rouer de coups des policiers, de les frapper avec un marteau ou de les blesser avec des vis.
Le maintien de l'ordre est tout le contraire de ce que monsieur Molac a évoqué. J'encourage chacun à étudier le schéma national du maintien de l'ordre : monsieur Molac nous fera le crédit que les manifestations des quinze dernières années sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes – pas tout le temps, naturellement, mais c'est le cas pour une grande partie, notamment de la place parisienne ou de grandes villes de province.
Peut-être que la difficulté – le drame – vient de ce que le ministère de l'Intérieur, notamment pendant la période des « gilets jaunes » mais pas seulement, a confié des missions de maintien de l'ordre à des policiers dont ce n'était pas le métier et qui manquaient d'équipements et de formation. Il peut être très difficile de réagir lorsque l'on vous met en face d'une situation ultraviolente. L'une de nos difficultés est que nous n'avons pas créé assez de postes de compagnies républicaines de sécurité (CRS) ou de gendarmes mobiles. J'ai pris la décision de créer l'équivalent de 300 policiers et gendarmes mobiles supplémentaires, et demandé au DGPN une équipe spécifique de maintien de l'ordre contre les violences urbaines, notamment en province – elle est souvent démunie devant ces difficultés. Il faut que nous changions nos ressources humaines, pour appliquer un maintien de l'ordre modéré – être durs quand c'est dur ; être attentifs quand les manifestants sont manifestement pacifiques, ce qui est le cas dans 99,9 % des cas, avec des policiers qui soient professionnels –, et que l'on n'envoie pas des agents dont le maintien de l'ordre n'est pas le métier.
M. Molac a aussi évoqué une autorité administrative indépendante. Je n'y suis pas favorable pour l'IGPN, d'abord parce que cette autorité est connue : elle s'appelle le Défenseur des droits. Comme vous l'avez dit, avec raison, madame la présidente, la Défenseure a accès aux informations et peut faire ses recommandations et donner ses instructions, qu'il nous appartient d'appliquer. Vous avez cité l'année 2019, je vous en remercie.
Exactement. J'ai parfois reçu ses réponses et je suis ses recommandations, par exemple, je l'ai dit, dans l'affaire Théo.
Vous avez cité la Grande-Bretagne, je pourrais aussi citer l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne : ces pays ont l'équivalent d'une IGPN, qui fonctionne bien. Je le redis à M. Molac, le sujet n'est pas tant l'IGPN que les décisions que prend le pouvoir exécutif lorsque l'inspection fait des recommandations et les cas où elle peut en faire.
Madame Obono, il se peut que je me sois mal exprimé ou que vous m'ayez mal entendu à cause de la visioconférence, mais j'ai évoqué la discrimination et le racisme. Je partage évidemment votre dégoût devant tout acte de discrimination et, singulièrement, de racisme. Un léger coup d'œil à la sociologie des policiers vous fera toutefois voir que le corps est très ouvert et ressemble à la population. Ce n'est pas le cas de tous les corps de la fonction publique.
Mais, il est vrai que, de la part de ceux qui ont l'autorité, des propos et des actes racistes sont absolument inacceptables. En tant que ministre de l'Intérieur, un de mes premiers gestes a été de ne pas garder dans la police nationale un agent qui avait porté un écusson rappelant le Troisième Reich. Il a tout de même fallu que je prenne un acte positif pour l'empêcher.
Vous avez donc mille fois raison, et je suis prêt à travailler davantage, notamment mais pas uniquement, avec la LICRA. Cela fait d'ailleurs partie de la formation des agents publics. Sur ce point, je ne peux que partager votre constat.
Enfin, monsieur Peu, je suis d'accord avec vous sur un point et en désaccord sur un autre – ce n'est pas si mal. Je suis favorable à une loi d'orientation, que j'appellerais même loi de programmation de la police ou de la sécurité intérieure. Il manque une loi de programmation militaire à notre police et à notre gendarmerie. Je vais la préparer. C'est une demande du Président de la République.
Je la préparerai, et le prochain Président de la République – je souhaite personnellement que ce soit Emmanuel Macron –, le prochain Gouvernement, la prochaine Assemblée décideront de ce qui sera fait de cette loi de programmation, qui aura donné lieu à concertation, sera ficelée, organisée, financée. Vous avez raison de dire que, depuis le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur, il n'y a pas eu ce que vous appelez de vos vœux, une grande loi d'orientation, permettant de se poser pour savoir ce que l'on souhaite pour la police et la gendarmerie.
Enfin, vous évoquez le préfet Lallement. Il est toujours facile d'attaquer des gens qui ne sont pas là pour se défendre. Il se trouve que le préfet Lallement a un patron, le ministre de l'Intérieur. Je suis le ministre de l'Intérieur et je suis responsable de tous les préfets qui sont sous ma responsabilité. Je n'ai ni amour ni haine pour le préfet Lallement, que je n'ai pas nommé. C'est un fonctionnaire travailleur, placé sous l'autorité de son ministre, qui ne m'a jamais menti, qui occupe l'un des postes les plus difficiles de France, et qui a l'exigence de l'autorité politique au-dessus de lui, c'est-à-dire la mienne. Je le vois deux ou trois fois par semaine. Et j'ai constaté depuis que je suis en poste qu'il ne faillit pas à ses fonctions.
S'il y a quelqu'un à attaquer, c'est le ministre de l'Intérieur. Cessons d'attaquer les gens quand ils ne sont pas là. Lorsque l'on sert la République, quel que soit le poste que l'on occupe, être ainsi attaqué est très difficile à vivre. C'est vrai pour le préfet Lallement comme pour de nombreuses autres personnes.
Certains font de la politique et répondent devant le Parlement – je suis attaqué, je réponds, cela est normal. Le plus dur est sans doute de voir son nom attaché à des insultes alors que, toute sa vie, on a servi la République. Comme tous les préfets, comme tous les fonctionnaires qui sont sous mon autorité, le jour où je considérerai que les gens ne sont pas à la hauteur de leur tâche, j'irai voir le Président de la République ou le Premier ministre, et leur proposerai des changements.
Aujourd'hui, le préfet Lallement a toute ma confiance. Il fait des choses extrêmement difficiles – la manifestation de samedi s'est déroulée dans des conditions compliquées de tension médiatique et sur le terrain – et je ne suis pas de ceux qui tirent dans le dos des gens, surtout lorsque l'on est en difficulté.
Monsieur le ministre, comme vous, nous sommes très attachés à la proposition de loi de Mme Thourot et M. Fauvergue car elle apporte de nombreuses réponses concrètes pour l'organisation future du continuum de sécurité et son encadrement.
Pour ce qui concerne la « commission Burguburu », je suggère de la faire réfléchir sur la régulation des réseaux sociaux. Laetitia Avia ne dira pas le contraire, c'est un sujet majeur. Même si nous sommes très attachés à protéger les policiers et les gendarmes dans leur vie privée, nous avons en effet un problème de régulation des réseaux sociaux. Disons-le : nous nous heurtons à des difficultés régulières. C'est un espace qui n'est pas aujourd'hui sous l'autorité de la Déclaration des droits de l'Homme, puisque la liberté consiste à pouvoir y faire tout et n'importe quoi. Il faut que nous trouvions les moyens de cette régulation. Peut-être pourrez-vous nous apporter un élément d'éclairage sur ce point ?
Enfin, vous avez ouvert la piste d'une évolution de l'IGPN. Sans remettre en cause une institution qui est centrale, un travail a-t-il été engagé sur cette question ?
Il n'y a pas de bon argument pour expliquer les violences policières car il n'y a pas d'autorité de l'État sans autorité dans l'État. C'est notre promesse de 2017, celle sur laquelle le Parlement a accordé sa confiance au Gouvernement.
Les images de l'agression de Michel Zecler sont inqualifiables. Elles font honte aux Français ; elles font honte à leurs représentants, tout comme celles de l'agression des policiers à l'issue de la manifestation de samedi. Il n'y a pas à hiérarchiser ces violences. Il y a deux devoirs : définir les responsabilités et dire ce qui doit changer.
Sur la responsabilité individuelle, vous vous êtes exprimé : les auteurs sont suspendus à titre conservatoire, ils seront révoqués par leur administration et doivent être déférés devant la juridiction pénale.
La responsabilité collective, ensuite, est une autre promesse de 2017 : lorsqu'il y a une bavure, il doit y avoir une réponse et une sanction juridique jusque dans la hiérarchie policière. C'est la République de la responsabilité.
Ces dernières semaines, le contexte s'est alourdi. Les images, comme les déclarations, se sont multipliées : les images ont été choquantes, les mots inexacts, inappropriés, nous en avons déjà parlé ici. Monsieur le ministre, où est selon vous la responsabilité et pourquoi des agents de police ont-ils pu se croire autorisés à agir ainsi ?
Face à la défiance, le Président de la République a invité le Gouvernement à présenter des propositions. En juin dernier, à l'issue des mobilisations en hommage à George Floyd et Cédric Chouviat, le ministre de l'Intérieur avait présenté plusieurs dispositifs, que vous avez évoqués : une instruction de porter le RIO de façon visible ; un renforcement de l'usage des caméras-piétons ; une réforme de la formation initiale et continue pour nos forces de l'ordre, incluant la prise en compte des discriminations ; une mission confiée au déontologue, Christian Vigouroux, pour établir un recensement des actes et propos racistes ou discriminants au sein de la police, ainsi que des réponses qui ont été apportées sur les trois dernières années ; une réforme de l'IGPN et de l'IGGN pour les placer sous la tutelle de l'inspection générale de l'administration, dans le but d'atteindre plus de collégialité – nous en avons parlé.
Pour les réformes que vous n'avez pas évoquées, où en sommes-nous ? Que pensez-vous d'un retour à la police de proximité, dans le cadre du déploiement de la police de sécurité du quotidien, qui peine parfois à prendre forme sur le terrain ?
Depuis le début du quinquennat, il y a indiscutablement un malaise dans l'emploi que le pouvoir fait des forces de l'ordre. Le premier acte, le plus symbolique, a été, en juillet 2018, quand un proche collaborateur du chef de l'État a pu se glisser avec un brassard de police parmi les forces de l'ordre pour frapper un manifestant. On imagine le malaise des fonctionnaires de police devant un tel mélange des genres.
Ce malaise, c'est ensuite l'épuisement des forces de l'ordre, mobilisées week-end après week-end tout au long de l'année 2019 contre des manifestations du mouvement des « gilets jaunes ». En mai 1968, Georges Pompidou avait négocié les accords de Grenelle en trois jours ; le Président de la République a cette fois fait le choix de laisser pourrir le mouvement plusieurs semaines avant, finalement, de céder.
Le malaise, c'est la répression de crises à répétition que crée ce pouvoir depuis trois ans, dont celle autour de l'article 24 n'est qu'une ènième illustration. C'est enfin l'épuisement des forces de l'ordre, police et gendarmerie, mises à contribution de façon ingrate et parfois parfaitement stupide. Je pense au contrôle des attestations de sortie ces derniers mois, qui ont pris un temps précieux à tous ses personnels.
Cette agitation dont notre pays aurait dû faire l'économie intervient, faut-il le rappeler, dans un contexte de dégradation de la délinquance et de violences physiques accrues depuis le début du quinquennat. Il en résulte une surexposition permanente des forces de l'ordre, aussi déplorable pour nos concitoyens – on pourrait rappeler le nombre de victimes des manifestations de 2018 et 2019 – que pour les forces de l'ordre – samedi, il y a eu 98 blessés parmi elles, lors de la manifestation.
Vous faites un travail très difficile, monsieur le ministre. Je le sais car j'ai eu l'honneur de travailler auprès de personnalités qui ont laissé le souvenir d'être de grands ministres de l'Intérieur – Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant. Leur point commun était le sang-froid et leur volonté de ne jamais exposer inutilement les forces de l'ordre. La force publique est au service de la paix publique et son usage doit être précautionneux. Elle est au service non pas du pouvoir, quel qu'il soit, mais de la loi.
Quand je parle des ministres de l'Intérieur, je pense aussi à toute la chaîne de commandement des forces de l'ordre. Monsieur le ministre, il y a urgence à réorganiser cette chaîne de commandement, dont vous avez rappelé que vous étiez l'ultime responsable.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre propos liminaire, qui répond déjà à certaines interrogations.
Les faits terribles de la semaine dernière, sur lesquels plusieurs collègues sont déjà revenus, traduisent une montée de la violence, perceptible depuis déjà deux ans dans certains faits ou manifestations. Elle nous amène à nous interroger à la fois sur la déontologie, ou l'exigence d'exemplarité des fonctionnaires de police et sur la nécessaire évolution et adaptation des techniques de maintien de l'ordre.
Sur ce sujet, je rappelle que la commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre travaille sur tous ces thèmes et auditionne certains professionnels depuis le début du mois de septembre. J'espère que le rapport qui sera publié pourra vous éclairer sur les questions qu'ont posées ces personnels concernant l'encadrement, la formation continue et sa nécessaire évolution compte tenu de l'évolution des techniques de maintien de l'ordre ainsi que l'évolution des techniques et des équipements. Ces personnels nous parlent également de la communication qu'il est nécessaire de renforcer, notamment à l'heure de la diffusion sur les réseaux sociaux,
Enfin, j'attends beaucoup du Livre blanc sur la sécurité intérieure, que vous avez évoqué, pour qu'un débat s'engage, notamment sur l'organisation de nos forces de sécurité sur le territoire. En cela, nous avons soutenu le travail commencé dans le cadre de la proposition de loi de nos collègues Fauvergue et Thourot, en particulier sur le continuum de sécurité. Vous proposez une nouvelle organisation territoriale, notamment en région parisienne. J'y serai particulièrement attentive, s'agissant notamment de l'extension du pouvoir de la préfecture de police.
Au lieu d'obtenir la paix, vous n'obtenez qu'un déchaînement de la violence. Les Français en ont marre. À mal utiliser la police, vous n'obtenez que l'escalade de la violence. Nous dénonçons les quelques policiers brutaux, les casseurs irresponsables mais écoutez, dans les rues, la colère des Français qui gronde, en réaction à la politique mise en place par le Gouvernement depuis trois ans.
Monsieur le ministre, écoutez la colère des Français, retirez le texte !
En cette fin d'audition, je veux tenter humblement, dans cet enchaînement de tensions sociales, de contribuer avec vous tous à mettre l'église au milieu du village.
Nous sommes tous attachés au projet républicain et à ses outils, comme la police républicaine. Les images récentes nous ont choqués, non seulement celles des policiers pris à partie lors de la dernière manifestation, qui risquent leur vie et qu'il faut protéger, mais aussi évidemment celles de Michel Zecler, comme celles des journalistes interpellés. Chaque jour, de nouveaux cas apparaissent : nous avons tous lu ce nouvel article de presse qui évoque une affaire en 2019, où six jeunes ont fait l'objet d'une tentative d'homicide involontaire de la part d'un policier.
Alors que nous sommes à un haut point de tension sociale, nous devons être garants du fait que la démocratie est un préalable au projet républicain et à ses outils. C'est un préalable à la République : on ne peut pas avoir une république qui irait contre la justice, contre la liberté, contre l'égalité.
Le groupe Libertés et Territoires garde toutefois une divergence d'appréciation avec le projet gouvernemental : s'il faut protéger la police et la gendarmerie, cela doit se traduire par le retrait de l'article 24 puisqu'il y a d'autres moyens que de restreindre la liberté d'expression et de la presse – c'est malheureusement le chemin législatif qu'a pris le Gouvernement. Or cela donne le sentiment, avéré ou non, qu'il y a eu une coproduction du projet législatif entre l'exécutif et certains syndicats de policiers. C'est ce malaise qu'il faut dissiper.
Ma première question porte donc sur la perspective, au delà d'une réécriture, d'un retrait de l'article 24 et d'un débat serein. Je rejoins les propos de ma collègue Vichnievsky sur ce point.
Au-delà du projet législatif, nous souhaiterions recevoir des éléments de réponse concernant le courroux de plusieurs directeurs de publication contre certaines conventions, qui systématisent l'obligation de passer par le service de communication de la police nationale pour publier un reportage. De telles méthodes restreignent les libertés.
Monsieur le ministre, le ton que vous avez employé ce soir et le contenu de vos propos tranchent nettement avec l'attitude envers l'opposition lors des débats sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, et avec la réponse à ma question au Gouvernement la semaine passée. Est-ce l'affaire du producteur de musique qui a conduit à cette évolution ? Je l'ignore. En tout cas, cela vaut mieux que d'être traités d'extrémistes ou d'amis du crime, comme ce fut le cas alors que nous évoquions certaines idées que vous reprenez ce soir.
Vous avez parlé d'un problème peut-être structurel au sein de la police. Le terme structurel a toute son importance, car lors de la dispersion des personnes présentes sur la place de la République, à laquelle j'ai assisté, le problème ne tenait pas à deux ou trois policiers faisant un geste de trop, mais à la volonté d'évacuer coûte que coûte la place, sans égard pour la population en face – il s'agissait de gens pacifiques – et avec trop peu de policiers. Et les affaires comme celles du producteur de musique sont trop fréquentes, sans que des caméras en saisissent toujours les images.
Vous avez parlé de formation, d'encadrement, de problèmes de matériel, des conditions de vie des policiers, de la possibilité de réforme de l'IGPN et des rapports entre la police et la population. Nous pouvons travailler sur tous ces sujets, mais admettez qu'ils sont en contradiction avec la proposition de loi sur la sécurité globale en cours de discussion, qui créé beaucoup de tensions.
Je vous invite à retirer le soutien du Gouvernement à ce texte pour remettre les choses à plat et discuter d'un projet plus global. Il pourrait prévoir la dissolution de la BAC – qui s'est encore illustrée, comme trop souvent, dans une affaire révélée par Mediapart ces jours derniers – et son remplacement par une police de proximité. Nous proposons également la suppression de plusieurs armes dangereuses lors des manifestations, l'instauration du récépissé de contrôle d'identité et la constitution d'une commission « vérité et justice » sur les violences policières et les actes racistes.
Il y a un problème de doctrine globale du maintien de l'ordre, donc de chaîne de commandement et de responsabilité politique. Comme Stéphane Peu, je demande la démission du préfet Lallement – nous sommes en droit de le faire, qu'il soit présent ou non. Si vous considérez que les responsabilités sont ailleurs, nous sommes prêts à en discuter. Ce serait néanmoins un signal fort dans le sens de l'apaisement et de la baisse des tensions que nous souhaitons tous dans les semaines à venir.
Permettez-moi d'exprimer, comme beaucoup l'ont fait, mon soutien total à l'immense majorité de celles et ceux qui, au sein des forces de l'ordre, assurent notre sécurité dans des conditions souvent difficiles.
Notre pays a besoin d'apaisement, de sortir de la spirale de violence, de se rassembler. Vous aimez le clivage et le combat politique, mais c'est d'une autre posture politique que notre pays a besoin s'agissant du maintien de l'ordre.
Il faut apaiser notre pays. Allez-vous apaiser en consacrant d'importants moyens supplémentaires à la formation initiale et à la formation continue des forces de l'ordre ? Pouvez-vous détailler les nouvelles mesures prévues ? Les quelques mots par lesquels vous les avez évoquées en introduction ne sont pas suffisants.
Allez-vous apaiser en parlant, enfin, de la nécessaire désescalade des violences et en mettant en place les techniques qui la permettent ? Allez-vous apaiser en reconnaissant qu'il existe un problème de confiance entre certains citoyens et les forces de l'ordre, et que vous allez y remédier ? La question n'est pas que le ministre de l'Intérieur ne perçoive pas ce problème de confiance, comme vous l'avez dit en introduction, quand 31 % des Français le ressentent. Il faut rétablir ce lien pour tous, et d'abord pour les policiers.
Allez-vous apaiser en modifiant la chaîne de commandement de la préfecture de police ? Il faudra sans doute évoquer les rapports entre les politiques et les préfets.
Allez-vous apaiser en confirmant, avec votre majorité, le retrait de l'article 24 ? Nous vous le demandons depuis le début de l'examen du texte et des membres du MoDem l'ont redemandé ce soir. D'autres articles de cette proposition de loi, dont nous avons moins parlé, posent également problème, comme celui concernant la surveillance par drones. Ils doivent aussi être retirés.
J'espère sincèrement que vous y êtes prêt. Ce seraient de beaux actes de responsabilité du Gouvernement, pour notre pays, pour nos gardiens de la paix et pour les citoyennes et les citoyens.
Monsieur le ministre, on répète dans les médias et sur les réseaux sociaux qu'il existerait un lien entre le discours et la rhétorique d'un ministre de l'Intérieur et les libérations de forces très obscures de certaines brebis galeuses de la police, qui se sentiraient intouchables et toutes-puissantes. Qu'en pensez-vous ?
Cette idée amène les mêmes à déclarer que la violence est structurelle, institutionnelle, au sein du ministère de l'Intérieur, et à conclure qu'il faut poser le sujet des « violences policières ». Quel est votre avis à ce sujet ?
Pour ma part, sur le terrain, je rencontre au quotidien des policiers, notamment de la BAC, qui ne sont pas des brebis galeuses, mais qui sont usés et désespérés du regard de certains sur leur profession. Ils dénoncent le manque de sanctions et une forme d'omerta sur les dénonciations d'individus violents et racistes parmi eux.
Monsieur le ministre, le passage à tabac dont a été victime Michel Zecler n'est pas digne de notre République, et je tiens à saluer votre réactivité et votre fermeté face à ces actes. Je tiens également à saluer les réquisitions du procureur de Paris, Rémy Heitz, qui sont à la hauteur de ces faits.
Michel Zecler a été la victime de violences inqualifiables de la part de policiers, qui avaient aussi un caractère raciste. C'est sur ce second point que je souhaite vous interroger. Malheureusement, un trop grand nombre de nos concitoyens font état, lors d'épisodes troublants, de comportements ou propos à caractère raciste ou discriminatoire de la part des membres des forces de l'ordre, et nous ne pouvons le tolérer.
La police est-elle raciste ? Je ne le crois pas. Il peut y avoir des comportements racistes dans la police, car elle est à l'image de notre société. Or la police n'est pas un corps social anodin, elle représente l'État, et il ne peut y avoir de racisme au sein de l'État, même de manière isolée. Toutes celles et tous ceux qui représentent et incarnent la République doivent être les porte-voix de l'ensemble de nos valeurs républicaines. Ils le sont, dans leur grande majorité, mais certains salissent leur uniforme et il nous faut agir pour endiguer ces dérives.
C'est pourquoi je propose de créer une circonstance aggravante lorsqu'un délit raciste ou discriminatoire est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique. Ce statut confère des droits et des protections légitimes que nous devons renforcer – et la majorité s'y engage –, mais aussi des devoirs qui justifient que tout manquement au cœur de nos valeurs républicaines soit sanctionné plus lourdement. Cette mesure ferait écho à l'exigence d'exemplarité que vous avez rappelée et à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
Monsieur le ministre, en tant que vice-présidente de l'Assemblée nationale, je suis très attachée au respect des prérogatives du Parlement, principe essentiel et constitutif de notre organisation démocratique, au même titre que la séparation des pouvoirs.
L'article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale – dont vous êtes l'auteur – est à l'origine d'un gigantesque malentendu et des désordres violents de ce week-end. Pour vous extraire de cette nasse, avec le Premier ministre, vous avez imaginé rien moins que de court-circuiter le Parlement par la création d'une commission dite indépendante, chargée de sa réécriture, comme s'il fallait se défier de la représentation nationale et de l'engagement de ses élus.
Face au tollé suscité par cette erreur, l'objet de cette commission a été modifié, mais ces atermoiements ne cachent pas son but véritable. Comme le disait Clemenceau : « Pour enterrer un problème, créez une commission. » Aussitôt après avoir rencontré le Président de la République, la majorité nous affirme qu'elle va réécrire elle-même l'article 24, oubliant le rôle de la navette parlementaire, puisque, nous dit-on, il appartiendra au Gouvernement de choisir le meilleur véhicule législatif pour cet article réécrit.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir le courage de renoncer à cette commission, qui n'a d'autre conséquence que d'ajouter de la confusion à la confusion ?
Je lis dans la presse que vous avez rendez-vous ce soir avec le Premier ministre et des parlementaires. Quel sera votre avis sur la suppression de l'article 24 ?
Nous avons tous été choqués par les images de l'évacuation de la place de la République, puis par celles de l'interpellation honteuse de ce producteur de musique. Vous avez la conviction, monsieur le ministre, qu'il n'existe pas de problème de confiance entre les citoyens et les forces de l'ordre.
Effectivement, les Français ont encore majoritairement confiance dans les forces de l'ordre. Les sondages le montrent : ils sont plutôt confiants et se sentent en phase avec les policiers. Mais l'évolution de ces chiffres montre une tendance catastrophique ces dernières années. Cela ne date pas du début du quinquennat, comme l'affirme monsieur Marleix, mais sans doute de la suppression de 10 000 policiers de proximité pendant la présidence Sarkozy. La confiance doit être une évidence, partagée par tous les citoyens. Il ne peut y avoir seulement 60 % de Français qui font confiance à la police ; dans un État de droit, 100 % des citoyens doivent lui faire confiance.
Vous venez de faire des annonces très fortes. L'amélioration de la formation était largement demandée. Elle devra porter sur les méthodes d'interpellation, et peut-être faudra-t-il revoir la gestion des manifestations, car on ne peut pas continuer à avoir peur d'aller manifester dans notre pays. Cette formation devra être complétée de mesures sur la déontologie et les valeurs de la République, qui doivent être réaffirmées. Que comptez-vous faire en ce sens ?
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger comme plusieurs de nos collègues sur la doctrine que vous souhaitez porter au sein du ministère de l'Intérieur. Je regrette que vous n'y ayez pas fait plus longuement référence dans votre propos liminaire.
En 2015, 80 % des Français disaient faire confiance à la police. En 2020, ils ne seraient plus que 66 %. Cette évolution n'est pas bonne, même si la police garde la confiance de la majorité des Français.
Dans son éditorial du 27 novembre 2020, un grand quotidien du soir rappelait que l'histoire montre que les comportements pouvaient être circonscrits par la ligne de commandement. Il y reprenait également une phrase de la lettre adressée aux policiers par le préfet Maurice Grimaud en mai 1968 : « Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » Pourriez-vous repréciser votre doctrine à la tête du ministère de l'Intérieur, et comment elle y est relayée ?
La semaine passée, comme nombre de nos concitoyens, nous avons été extrêmement choqués par les images de la terrible agression dont a été victime Michel Zecler. Ces images sont l'exact opposé de ce qu'est la police de la République et de l'idée que le pays s'en fait. De même, nous avons été extrêmement choqués par les violences subies par nos forces de l'ordre ce week-end. Elles illustrent les actes toujours plus violents dont elles font l'objet dans l'exercice de leurs fonctions, mais aussi, parfois, dans leur vie privée. Le besoin de protection de nos forces de l'ordre est un principe auquel nous ne devons pas renoncer. J'ai également été extrêmement choqué par certains discours tirant argument de certaines violences pour en minimiser d'autres. C'est honteux.
Au cours des dernières semaines, on a souvent mis dos à dos ordre public et libertés fondamentales, policiers et manifestants, forces de l'ordre et citoyens. Un doute s'est également installé autour de l'article 24 et du respect des libertés individuelles. Il n'est pas acceptable, car il est contraire à l'objectif initial de ce texte, mais aussi à l'identité de cette majorité et de notre famille politique.
La réécriture proposée cet après-midi va dans le bon sens. Elle devra assurer la protection des forces de l'ordre, principe sur lequel nous ne devons pas reculer, mais aussi ne rien céder à l'idée selon laquelle nous ne devons pas porter atteinte aux libertés individuelles, ce qui n'est pas le dessein de ce projet.
La Gouvernement a annoncé la constitution d'une commission indépendante en vue d'élaborer des propositions sur la meilleure manière de concilier la protection des forces de l'ordre et le respect du droit à l'information, deux piliers indispensables de notre République. Quel sera le périmètre de cette commission, son calendrier et ses missions ?
Les manifestations se terminent souvent dans la violence. Les images de celle de samedi dernier sont éloquentes : nous avons vu un policier se faire quasiment lyncher en direct. J'espère qu'il va bien, ainsi que ses quatre-vingt-dix-sept collègues qui ont été blessés. Ces violences sont le fait d'une minorité, les black blocs, que vous avez qualifié de délinquants, et je partage ce jugement.
Certains policiers nous disent qu'avec le travail important du renseignement, les membres de ces groupes sont identifiés. La police aurait donc les capacités de les empêcher de rejoindre les manifestations, d'y participer et de commettre ces actes violents. Cela se faisait sous Nicolas Sarkozy, mais il semble que cette pratique s'est arrêtée en 2014 et que depuis, rien n'a été fait pour la remettre en œuvre et éviter que ces individus malfaisants ne sévissent. Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie du Gouvernement pour empêcher ces individus de nuire ?
L'évacuation de la place de la République s'est faite dans la violence, et ces images vous ont choqué, nous ont choqués, ainsi que tous les Français. Il semble que cette situation ait été créée par la précipitation et la désorganisation dans laquelle cette évacuation a été préparée. Ce sont en effet des forces de police chargées de la sécurité publique, dont ce n'est pas le métier, qui sont intervenues en lieu et place d'unités chargées du maintien de l'ordre, entraînées pour ce genre de situation. La volonté de donner une image d'efficacité, par cette action précipitée, n'a-t-elle pas pris le pas sur les procédures classiques de maintien de l'ordre ? Quels enseignements tirez-vous de ces événements ?
Le Président de la République et le Premier ministre n'ont jamais été parlementaires, aussi ne maîtrisent-ils pas complètement le fonctionnement et les prérogatives du Parlement. Cependant, la presse rapporte que c'est vous qui auriez préconisé au Premier ministre de créer cette commission indépendante pour réécrire l'article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale. Êtes-vous bien à l'origine de cette proposition ? Si tel est le cas, quel est le cheminement de votre réflexion alors que vous avez été parlementaire et que vous dites aimer le Parlement ?
Comme l'a indiqué Laurence Vichnievsky, il n'est pas question pour nous de ne pas soutenir la police et la gendarmerie dans leur mission régalienne de maintien de l'ordre. Nous leur apportons notre soutien malgré, en ce qui me concerne, mon vote contre la proposition de loi sur la sécurité globale.
Au-delà de l'article 24 de ce texte, qui a été longuement évoqué, je souhaite revenir sur le processus législatif dont il est issu. Il s'agit au départ d'une proposition de loi de nos collègues Fauvergue et Thourot, à la suite d'un très bon rapport sur le continuum de sécurité. Mais à partir du titre III, c'est-à-dire de l'article 20, il ne s'agit plus d'une proposition de loi mais plutôt d'un projet de loi qui comporte des dispositions soulevant des questions sur les atteintes aux libertés individuelles. Je pense notamment aux articles 21 et 22 sur la vidéoprotection et les drones. Seul l'article 22 a fait l'objet d'un avis du Conseil d'État, et aucun n'a été soumis à l'avis de la CNIL. Opposition et majorité ont proposé des amendements à ce texte, tous ont été vite balayés, en commission et dans l'hémicycle.
Comment pouvez-vous rassurer les parlementaires ? Au-delà de la commission souhaitée par le Premier ministre et vous-même, évoquée par Annie Genevard et Sébastien Huyghe, comment allez-vous nous intégrer à l'élaboration de la prochaine loi et à la rédaction des modifications de cette proposition de loi ? Certains de nos amendements sont en contradiction avec la vision de votre administration ou de l'exécutif. La vraie question soulevée par cette proposition devenue projet de loi est celle de la place du Parlement dans l'élaboration de la loi.
Lorsque j'ai vu les images de l'agression de Michel Zecler par des renégats de la police nationale dans le 17e arrondissement, j'ai eu honte – et nous avons été nombreux dans ce cas. Je tiens à souligner la dignité de monsieur Zecler, qui n'a pas fait d'amalgame dans son témoignage vidéo ; il a rappelé que la police, ce n'est pas cela.
Mais la police nationale et la gendarmerie font respecter la loi : ce sont les symboles de la République pour bon nombre de nos concitoyens. À ce titre, ils doivent être exemplaires. Dans le Livre blanc que vous nous avez remis il y a quinze jours, et qui a fait l'objet d'une longue concertation, le travail de formation et de management à engager pour recréer un lien de confiance était déjà abordé. Ce soir, vous nous indiquez les chantiers à ouvrir et à poursuivre. Je vous en remercie, car ils vont tous dans la bonne direction.
La mission d'information qui travaille depuis plusieurs mois sur le racisme a enquêté sur le lien entre la police et la population, pour ramener une partie de la population au sentiment de citoyenneté. Nous aurons à cœur de voir évoluer certaines pratiques policières. En plus des mesures que vous annoncez ce soir, nous proposerons des réformes de l'IGPN, non par défiance à l'égard de la police ou de la gendarmerie, mais comme une main tendue pour recréer ce lien de confiance.
Je vais tenter de répondre à toutes vos questions. De nombreuses questions portent sur le rapport entre la police et la population. Des chiffres ont été cités. Selon un sondage Elabe de juin 2020, réalisé à un moment où les rapports avec la police nationale étaient compliqués, 69 % des personnes interrogées déclaraient apprécier la police, et le pourcentage s'élevait, de mémoire, à 81 % pour la gendarmerie. Il est vrai que les chiffres sont en baisse pour la police, et qu'ils n'atteignent pas 100 %.
Permettez-moi cependant quelques remarques. Est-ce que 69 % des Français aiment la classe politique, le ministre de l'Intérieur ou les parlementaires ? C'est un niveau de popularité très important. Nombre d'entre nous aimeraient être élus à 69 % ! Il faut relativiser la détestation évoquée, les grands titres des journaux ne reflètent pas toujours ce que pense profondément l'opinion publique. Néanmoins, et comme pour tout indicateur en baisse, il faut s'en inquiéter. De même qu'il faut comprendre la différence de perception entre la gendarmerie et la police. Le ministre de l'Intérieur n'a pas à donner de bonnes notes. Cette distinction tient sans doute aux différences d'histoire, de terrains d'intervention, de formation, et parfois à l'imaginaire collectif : cinéma, chansons, caricatures – tout ce qui fait le sel de la France.
Une popularité de 69 %, ce n'est pas si mal que ça. Je ne suis pas d'accord quand vous dites que 100 % de la population devrait aimer la police, car cela signifierait que les voyous l'aiment également, ce qui m'inquiéterait. Certes, il peut y avoir des voyous qui aiment la police, mais, ainsi que le fait dire Henri Verneuil, comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité du genre.
J'entends beaucoup dire que la jeunesse n'aime pas la police. Rappelons que de nombreux gendarmes et policiers sont jeunes. En outre, beaucoup viennent des quartiers de banlieue. Il suffit de connaître les commissariats ou les gendarmeries pour savoir que la police et la gendarmerie sont des institutions extrêmement démocratiques. D'ailleurs, la moitié des commissaires sont issus des gardiens de la paix du rang. Peu de secteurs de la fonction publique permettent une telle promotion interne. Certes, il est toujours possible d'améliorer les choses, mais je ne pense pas que la police ait ce défaut.
De plus, ces critiques ne me paraissent pas nouvelles. Quand j'étais plus jeune, le chanteur Renaud n'était pas pro-policier ; il a changé ensuite. Dans Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ? il chantait : « Plus de slogans face aux flicards, mais des fusils, des pavés, des grenades ! » Puis il a chanté Willy brouillard et J'ai embrassé un flic. Mon papa m'a transmis l'amour de Georges Brassens, qui chantait à n'en plus finir sa détestation du policier. Mais il a aussi écrit des chansons dans lesquelles il trouve des flics rassurants, qui le protègent. Dans L'épave, tout le monde le rejette sauf un policier qui, à la fin de la chanson, lui passe sa pèlerine car il est nu dans la rue, et il chante : « Ça ne fait rien, il y a des flics bien singuliers », et finit par ne plus jamais pouvoir crier : « Mort aux vaches ! » C'était dans les années soixante, d'autres ayant plus de culture politique, ou plus vieux, pourraient trouver des références culturelles plus anciennes.
Il est normal que les dépositaires de l'autorité publique, qui interviennent dans des conditions extrêmement difficiles, ne soient pas toujours aimés de la population. Je ne nie pas que la baisse de leur popularité puisse soulever des questions, mais elle reste à un niveau extrêmement élevé, sans doute le plus élevé parmi les fonctionnaires.
Madame Rabault, permettez-moi de corriger un biais méthodologique. Vous avez pris pour référence l'année 2015. C'était au lendemain des attentats, on ne peut pas comparer la période où l'on applaudissait les policiers dans la rue aux conditions actuelles. C'est heureux, car alors, les policiers étaient particulièrement attaqués et ils ont payé leur tribut aux attaques terroristes, à Charlie Hebdo et ailleurs.
Monsieur Coquerel a souligné l'équilibre dans mes propos, je vais essayer de continuer de la sorte. Depuis quinze ans, les violences augmentent, quels que soient les gouvernements. Elles augmentent très fortement à l'égard des policiers, parce que la société est de plus en plus violente. Depuis, nous avons connu les attentats terroristes, et on ne gère pas de la même façon le ministère de l'Intérieur quand il y a des attentats et quand il n'y en a pas, c'est ainsi. Les manifestations extrêmement violentes n'existaient pas il y a quinze ou vingt ans. Les syndicats étaient forts – certes moins que dans d'autres pays – et disposaient de services d'ordre. Les manifestations spontanées n'étaient pas la règle. Aujourd'hui, les préfets ont beaucoup de difficulté à prévoir et encadrer les manifestations, et les manifestants eux-mêmes ne sont pas toujours organisés comme l'étaient des organisations qui faisaient profession de contester.
Le monde a changé, les policiers avec. Bref cette mesure me semble élevée, car dans une société où l'autorité sous ses diverses formes est rejetée, où la classe politique, les magistrats, les journalistes, les chefs d'entreprise sont relégués dans l'estime des Français, un taux de 69 % n'est pas si mauvais. Nous pourrions tous, quel que soit notre bord, jalouser le score des policiers.
Madame Chalas, je suis honnête avec moi-même, et je m'interroge aussi sur la portée des paroles publiques, prononcées par les ministres ou par les parlementaires, auprès de la population. Mais de là à penser que ma parole serait attendue comme celle de la pythie et libérerait les policiers… c'est faire grand cas de ma personne et, peut-être, faire insulte aux forces de l'ordre.
Je rappelle que lorsque je suis arrivé au ministère de l'Intérieur, les policiers jetaient les menottes au passage du Gouvernement. La période était particulière.
Je garde aussi à l'esprit, tout en sachant que ce sera encore le cas lorsque je partirai – c'est un travail de très long terme –, que certains policiers ne mentionnent plus leur profession dans le cahier de correspondance de leurs enfants, pour éviter les insultes ou parce qu'ils ont peur. Rappelons-nous le drame de Magnanville où deux policiers ont été égorgés dans des conditions absolument ignobles, devant leur enfant.
Et cela déchire le cœur lorsque les policiers ou les gendarmes vous confient, dans la cour de leur commissariat ou de la brigade de leur gendarmerie, qu'ils ne disent plus à leurs enfants que c'est une belle vocation que la leur. Qui, sinon le ministre de l'Intérieur, doit se faire leur avocat ?
Enfin, que dire de ces policiers qui se rendent au commissariat en voiture et se garent à vingt rues de là, pour éviter les insultes, les rayures sur la carrosserie, parfois les animaux morts sur le pare-brise ? Mon rôle, c'est de faire en sorte qu'ils prennent leur poste la tête haute. Très honnêtement, je ne crois pas déclencher quoi que ce soit lorsque je me place à leur côté et que je dis qu'ils font un métier très difficile.
Depuis que je suis ministre de l'Intérieur, j'ai connu quatre enterrements. Je ne souhaite à personne de devoir aller présenter ses condoléances à une veuve de 38 ans, d'épingler la Légion d'honneur sur le cercueil d'un policier, en présence d'une enfant de 7 ans en lui expliquant que son père n'est pas mort pour rien.
Cela m'oblige. Je dois tenir une parole, dont je comprends qu'elle fait parfois naître des critiques – car je fais de la politique –, mais qui sera entendue par des hommes et des femmes qui exercent un métier très difficile. Cela n'excuse en rien les comportements ignobles que nous avons tous dénoncés et qui font honte au reste des policiers.
J'ai eu hier au téléphone l'un des policiers blessés samedi – ils sont parfois plus choqués psychologiquement qu'atteints physiquement. Ce major de 50 ans, à quelques années de la retraite, était très pondéré dans ses propos. Lorsque quelqu'un vous dit : « on savait qu'on allait manger à cause de ce qu'ont fait nos collègues ; j'ai honte quand je rentre chez mon voisin », vous comprenez que cette salissure sur l'uniforme, ce sont les policiers et les gendarmes qui en sont les premières victimes. Nous en connaissons tous, qui font bien leur travail. Leurs opinions politiques diffèrent, ils ne pratiquent pas la même religion, ils n'ont pas la même histoire ; ils sont le reflet de la société, au même titre que votre hémicycle.
Les députés du groupe LR, comme ceux du groupe LaREM, m'ont interrogé sur la baisse de la popularité des forces de l'ordre. Mais il faut noter aussi deux chiffres en augmentation constante : en 2019, il y a eu 11 217 blessés – sur 150 000 policiers et 100 000 gendarmes – et 20 787 refus d'obtempérer. En France, toutes les 20 minutes, un conducteur refuse d'arrêter sa voiture sur le bord de la route malgré les injonctions. Et je ne parle pas des insultes. Quant aux félicitations, elles sont nombreuses, mais les policiers et les gendarmes vous le diront : les gens se cachent pour les remercier. Cela devrait tous nous interpeller.
J'ai déjà répondu sur l'IGPN. Il me semble qu'à aucun moment l'inspection générale n'a été mise en cause dans les faits ignobles qui sont survenus cette semaine. Encore une fois, c'est l'application par l'administration, en l'occurrence par le ministre, des propositions ou des décisions prises par l'IGPN qui sont en cause. Répondre cela, ce n'est pas refuser de réformer ou de chercher à améliorer les choses. J'y suis particulièrement attentif et je comprends ces questions.
Annie Genevard, avec d'autres, m'a interrogé sur la procédure parlementaire et sur l'article 24. Je le répète, je suis profondément convaincu de la nécessité de maintenir la protection des policiers, des policiers municipaux – ainsi que vous l'avez souhaité par amendement –, des douaniers, des gendarmes, dans le cadre des opérations de police. C'est un bel objectif, il est légitime, il est attendu et il n'y a rien de plus normal que d'y tendre.
La commission avait vocation – je comprends qu'elle ne l'a plus – à conseiller le Gouvernement dans la rédaction d'une disposition. Demander à des personnalités qualifiées de proposer une nouvelle rédaction n'a vraiment rien d'original – cela s'est déjà fait et se fera encore… Que le Parlement ait le dernier mot, et que chacun, à commencer par les sénateurs, soit libre de son vote me semble correspondre à la Constitution de la Ve République.
Encore une fois, je souhaite que l'on conserve la protection des opérations de police, un objectif sur lequel, je le constate, le Président de la République et le Premier ministre ont donné leur accord. Je comprends qu'il faille rassurer et donner des assurances sur la liberté de la presse, mais il ne faut pas mettre en concurrence ces deux libertés très protectrices. J'ai entendu les présidents des groupes de la majorité : si le Parlement le souhaite, nous aurons une discussion, mais c'est à vous que le vote reviendra. Nous ne sommes pas au Royaume-Uni, et le membre du Gouvernement que je suis ne siégera pas sur vos bancs pour prendre part au vote… il peut m'arriver de le regretter.
Je me pose souvent, sans toutefois parvenir à trouver la réponse absolue, la question soulevée par monsieur Huyghe : pourrions-nous mieux organiser le maintien de l'ordre si nous arrivions à appréhender les personnes avant qu'elles n'agissent ? Cette question, c'est d'abord celle de l'intention.
Soyons clairs : vous avez participé au débat parlementaire sur l'intention de diffuser des images, et nous nous sommes demandé ensemble si l'on pouvait parler d'« intention », sans que l'acte ait été commis.
Ce n'est pas parce qu'une personne est récidiviste ou que les services de renseignements nourrissent de très forts soupçons à son égard que le ministre de l'Intérieur a le pouvoir de la faire arrêter ou de l'empêcher de se rendre quelque part. La loi antiterroriste, prise après l'état d'urgence, puis la loi SILT, ont permis de faire évoluer le droit. Les peines d'interdiction de paraître, prononcées par le juge, ont montré leur utilité – interdire à quelqu'un de se rendre dans un quartier précis s'avère parfois plus efficace que le condamner à quelques jours d'emprisonnement ou à une amende qui ne sera jamais payée. Mais ces peines sont privatives de liberté : je vous renvoie donc au garde des Sceaux.
Cette question, c'est aussi celle de l'identification. J'avais proposé de pouvoir mieux identifier les professionnels du désordre que sont, par exemple, les blacks blocs, mais cela a été refusé ; j'en ai pris mon parti, en attendant de mieux y travailler. Ces personnes ne sont pas si faciles à identifier, et l'on ne peut pas toujours prévoir ce qui va se passer. D'ailleurs, les personnes arrêtées samedi en marge des manifestations n'étaient pas toujours connues de nos services. Ces groupes sont mouvants, ils ne sont pas figés.
Nous pourrions, comme d'autres démocraties, essayer de comprendre qui sont ces individus, mais alors, et je sais que Sébastien Huyghe sera d'accord avec ces attendus, nous devons avoir les moyens de les identifier. On ne peut pas nous demander de protéger les manifestations qui se déroulent dans un cadre républicain, de permettre aux familles de descendre dans la rue sans risquer d'être prises dans les violences, et en même temps refuser l'emploi des drones. Cela ne me paraît pas cohérent.
Appliquer une politique à la Minority report, basée sur l'intention, est compliqué. Mais on peut comprendre que certains de nos concitoyens se posent la question. La peine d'interdiction de paraître, qui répond en partie à votre questionnement, doit être plus souvent prononcée ; je sais que le garde des Sceaux y travaille. Enfin, il faut identifier les personnes, car ce ne sont pas les plus violents, mais parfois de simples badauds énervés qui se font attraper ; comme dans la chanson de Léo Ferré, Les Spécialistes arrivent à s'échapper.
Monsieur Latombe, ceux qui me connaissent le diront, je n'ai pas pris l'habitude, ces trois dernières années, de lire les fiches que l'on me préparait. J'assume mes prises de position dans l'hémicycle. Il m'est même arrivé de me faire disputer, pour rester poli, par le Premier ministre et par son prédécesseur car je ne respectais pas toujours les arbitrages interministériels. Il se trouve que c'est Gérald Darmanin qui est au banc, que c'est lui qui donne sa parole. J'ai le plus grand respect pour les hauts fonctionnaires qui organisent des réunions interministérielles, mais c'est moi qui me présente devant le Parlement. Et je dis ce que je pense d'un amendement qui sera ou ne sera pas adopté. J'écoute mon administration mais je n'en suis pas le porte-parole. J'ai la liberté – et la responsabilité qui va de pair – de l'homme politique.
Madame Avia, je partage évidemment vos propos sur le caractère tout à fait inacceptable de ces actes, je l'ai dit et le répète. Sur la circonstance aggravante, il existe déjà une disposition. L'article 132-76 du code pénal, modifié par la loi du 27 janvier 2017, prévoit l'aggravation de la peine privative de liberté encourue lorsqu'un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos ou d'actes racistes.
Je ne suis pas opposé à l'idée d'un débat sur votre proposition de créer une circonstance aggravante lorsqu'un délit ou un crime à caractère discriminatoire est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique. Mais nous devons trouver le bon équilibre avec la protection que nous devons à ces personnes, singulièrement aux policiers et aux gendarmes qui interviennent dans des circonstances difficiles. Je trouve que les peines devraient être aggravées lorsque l'on s'attaque à eux, car alors, on s'attaque à la République.
Il ne faut pas être dans la politique de la bouteille ballotée par les vagues, faire des communiqués un jour pour soutenir un policier agressé, et prendre des sanctions le lendemain contre un policier qui a « déconné » – je reprends le mot –, et commis des actes totalement répréhensibles. Je partage votre avis, les dépositaires de l'autorité publique ont un devoir de responsabilité – singulièrement les gendarmes et les policiers, qui sont armés et davantage exposés aux mauvaises rencontres –, mais nous leur devons aussi notre soutien. L'un ne va pas sans l'autre. Je ne verrai pas d'inconvénient à ce que nous en discutions ensemble.
Monsieur Coquerel, je ne partage pas vos appréciations concernant la préfecture de police, mais je souhaite vous répondre, ainsi qu'à monsieur Marleix, sur la chaîne des responsabilités. Dans le nouveau schéma que j'ai publié, le préfet – à Paris, le préfet de police – est responsable du maintien de l'ordre. Il doit prendre les décisions qui lui semblent adaptées à la situation, selon les renseignements qui lui sont transmis, les moyens dont il dispose et l'enjeu auquel il fait face. Si, de manière structurelle, la décision est mauvaise – la force a été utilisée de manière disproportionnée, des actes graves ont été commis –, il faut en tirer toutes les conséquences.
Je regarde toujours ce qui se fait sans amour, ni haine, ni violence : je considère que, lors des deux événements que vous avez cités – le rassemblement place de la République et les manifestations de samedi –, le préfet de police n'a pas pris de mauvaises décisions structurelles. Je ne proposerai donc pas son changement. Ce sont des individus isolés qui ont pris, ou auraient pris – cela n'est pas encore prouvé pour certains – des décisions contraires à la déontologie ou à la législation.
Avec Stéphane Peu, vous avez appelé à la désescalade. Avouez que le fait d'organiser des provocations, comme sur la place de la République, ne participe pas de cette désescalade. Il n'est pas normal, et même illégal, d'installer des centaines de personnes sans-papiers sur une place de Paris, en pleine crise sanitaire qui plus est, et d'en laisser certaines provoquer les forces de l'ordre – vous savez que cela a été le cas, même si la loi n'autorise pas encore l'État à diffuser les vidéos qu'il a en sa possession. Des consignes très claires concernant la désescalade ont été données samedi. La très grande majorité des manifestants ont respecté les lois et ont pu s'exprimer, mais lorsqu'il y a eu des provocations, la police n'y a pas répondu. Il ne faut pas qu'il y ait désescalade d'un côté et provocations de l'autre. Or ce qui s'est passé place de la République était bien une provocation.
Matthieu Orphelin, comme Sacha Houlié, m'ont interrogé sur la prise en compte des discriminations dans la formation des policiers. Dès mon arrivée au ministère de l'Intérieur, j'ai encouragé Christian Vigouroux, conseiller d'État, à poursuivre la mission que lui avait confiée mon prédécesseur sur la lutte contre les discriminations, notamment celles fondées sur la race. Je suis prêt à associer le Parlement à ce travail. J'ai entendu dans l'intervention du député Houlié une volonté d'apaisement, mais aussi le souhait d'établir un juste équilibre entre le respect que nous devons aux forces de l'ordre et le respect que les forces de l'ordre doivent à la population. Lorsque j'étais jeune arbitre de football, on m'avait expliqué que pour être respecté, il fallait que je sois respectable. C'est exactement ce que je pense des policiers et des gendarmes : qu'ils commencent par être respectables, alors ils seront respectés.
Isabelle Florennes et Sacha Houlié m'ont posé la même question sur la police de proximité. Je pense que la police doit être de proximité. Ce que je constate, depuis que je suis au ministère, mais que j'avais déjà perçu en étant maire de Tourcoing, c'est que notre police est parmi les plus efficaces du monde, mais en intervention – c'est une police « urgentiste ». Sa réaction aux actes terroristes l'a fort bien démontré : les personnes ont été rapidement identifiées et mises hors d'état de nuire, dans des conditions qui dépassent parfois l'entendement. Lorsqu'après avoir commis son attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, le terroriste islamiste est entré dans le métro, on ne connaissait pas son identité, on n'avait pas de vidéo et nous avions tous très peur qu'il sème la mort sur son passage ; quinze minutes plus tard, il était appréhendé, dans des conditions tout à fait normales.
En tant que maire, j'ai toujours été partisan de ce que l'on appellera « prévention » à gauche et que l'on qualifiera de « bleu dans la rue » à droite, une police sur le terrain, en lien avec les commerces, avec les quartiers. Doit-on parler d'îlotage ou de police de proximité ? L'une des grandes erreurs commises par la majorité précédente, c'est d'avoir créé une police d'agglomération tous azimuts. Comme maire de Tourcoing, j'avais trouvé dommage que l'on rassemble la police de l'agglomération lilloise, car même si cela permet aux policiers d'intervenir en nombre, ils ne se déplacent plus que pour les problèmes, ce qui n'arrange pas le lien avec la population, ni avec les élus. De la même façon, la mutualisation à tout crin des forces de police dans la petite couronne parisienne a créé des lacunes, même si elle présente des avantages pour la plaque parisienne, réputée très violente – ce sont d'ailleurs des commissariats de l'agglomération qui sont intervenus hier.
La mutualisation des forces est nécessaire pour lutter contre les violences urbaines, les trafics de drogue, mener des interventions nocturnes difficiles et répondre ainsi aux problèmes structurels dans les endroits où il existe de vraies difficultés. L'urbanisme a changé, la population aussi : il est normal de mettre plus de moyens à Sarcelles, une des circonscriptions les plus difficiles de France, et de réduire le nombre de policiers dans d'autres commissariats. Mais je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre police d'agglomération et police de proximité.
Je suis prêt à étudier cette question, sans idéologie. Il faut nous défaire d'une vision trop macro des forces de polices, avec des macro patrouilles. La création d'une police municipale à Paris – à laquelle je vous sais opposé, monsieur Coquerel –, permettra peut-être de libérer des effectifs. Je veillerai en tout cas à une meilleure répartition.
Enfin, monsieur Rebeyrotte, les réseaux sociaux sont, pour les policiers, une opportunité magnifique de mieux faire connaître leur métier, pour le ministère de communiquer avec plus de transparence, et pour les parlementaires de nous interroger davantage. Vous avez parlé de la popularité des forces de l'ordre : j'appelle votre attention sur le fait que lorsqu'elles ont mené avec succès une opération, elles doivent attendre l'autorisation du parquet pour communiquer. Certains procureurs la donnent sans problème – lorsque les besoins de l'enquête ne l'interdisent pas –, mais ce peut être compliqué avec d'autres. Or il est très frustrant de ne pas pouvoir faire savoir que l'on a saisi des voitures volées, ou que l'on est parvenu à arrêter le type qui paradait à longueur de journée dans le quartier sur son quad, au nez et à la barbe des autorités. Communiquer reste interdit dans bien des cas. Je pense que le code pénal, l'organisation de la police et de la justice ne sont pas à la page des réseaux sociaux.
J'ai dit ce que je pensais de la mise en danger des forces de l'ordre. Je suis absolument pour consacrer la liberté de la presse – sans doute faut-il l'écrire, le réécrire et le surligner au feutre jaune –, mais j'estime que l'on doit aussi protéger les policiers et les gendarmes qui sont livrés à la vindicte sur les réseaux sociaux.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour cette invitation et reste à votre disposition. Je transmettrai vos mots de soutien aux policiers, singulièrement aux 98 blessés lors des manifestations de samedi.
La réunion se termine à 20 heures 45.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.