Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 30 novembre 2020 à 18h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Soyons clairs : vous avez participé au débat parlementaire sur l'intention de diffuser des images, et nous nous sommes demandé ensemble si l'on pouvait parler d'« intention », sans que l'acte ait été commis.

Ce n'est pas parce qu'une personne est récidiviste ou que les services de renseignements nourrissent de très forts soupçons à son égard que le ministre de l'Intérieur a le pouvoir de la faire arrêter ou de l'empêcher de se rendre quelque part. La loi antiterroriste, prise après l'état d'urgence, puis la loi SILT, ont permis de faire évoluer le droit. Les peines d'interdiction de paraître, prononcées par le juge, ont montré leur utilité – interdire à quelqu'un de se rendre dans un quartier précis s'avère parfois plus efficace que le condamner à quelques jours d'emprisonnement ou à une amende qui ne sera jamais payée. Mais ces peines sont privatives de liberté : je vous renvoie donc au garde des Sceaux.

Cette question, c'est aussi celle de l'identification. J'avais proposé de pouvoir mieux identifier les professionnels du désordre que sont, par exemple, les blacks blocs, mais cela a été refusé ; j'en ai pris mon parti, en attendant de mieux y travailler. Ces personnes ne sont pas si faciles à identifier, et l'on ne peut pas toujours prévoir ce qui va se passer. D'ailleurs, les personnes arrêtées samedi en marge des manifestations n'étaient pas toujours connues de nos services. Ces groupes sont mouvants, ils ne sont pas figés.

Nous pourrions, comme d'autres démocraties, essayer de comprendre qui sont ces individus, mais alors, et je sais que Sébastien Huyghe sera d'accord avec ces attendus, nous devons avoir les moyens de les identifier. On ne peut pas nous demander de protéger les manifestations qui se déroulent dans un cadre républicain, de permettre aux familles de descendre dans la rue sans risquer d'être prises dans les violences, et en même temps refuser l'emploi des drones. Cela ne me paraît pas cohérent.

Appliquer une politique à la Minority report, basée sur l'intention, est compliqué. Mais on peut comprendre que certains de nos concitoyens se posent la question. La peine d'interdiction de paraître, qui répond en partie à votre questionnement, doit être plus souvent prononcée ; je sais que le garde des Sceaux y travaille. Enfin, il faut identifier les personnes, car ce ne sont pas les plus violents, mais parfois de simples badauds énervés qui se font attraper ; comme dans la chanson de Léo Ferré, Les Spécialistes arrivent à s'échapper.

Monsieur Latombe, ceux qui me connaissent le diront, je n'ai pas pris l'habitude, ces trois dernières années, de lire les fiches que l'on me préparait. J'assume mes prises de position dans l'hémicycle. Il m'est même arrivé de me faire disputer, pour rester poli, par le Premier ministre et par son prédécesseur car je ne respectais pas toujours les arbitrages interministériels. Il se trouve que c'est Gérald Darmanin qui est au banc, que c'est lui qui donne sa parole. J'ai le plus grand respect pour les hauts fonctionnaires qui organisent des réunions interministérielles, mais c'est moi qui me présente devant le Parlement. Et je dis ce que je pense d'un amendement qui sera ou ne sera pas adopté. J'écoute mon administration mais je n'en suis pas le porte-parole. J'ai la liberté – et la responsabilité qui va de pair – de l'homme politique.

Madame Avia, je partage évidemment vos propos sur le caractère tout à fait inacceptable de ces actes, je l'ai dit et le répète. Sur la circonstance aggravante, il existe déjà une disposition. L'article 132-76 du code pénal, modifié par la loi du 27 janvier 2017, prévoit l'aggravation de la peine privative de liberté encourue lorsqu'un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos ou d'actes racistes.

Je ne suis pas opposé à l'idée d'un débat sur votre proposition de créer une circonstance aggravante lorsqu'un délit ou un crime à caractère discriminatoire est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique. Mais nous devons trouver le bon équilibre avec la protection que nous devons à ces personnes, singulièrement aux policiers et aux gendarmes qui interviennent dans des circonstances difficiles. Je trouve que les peines devraient être aggravées lorsque l'on s'attaque à eux, car alors, on s'attaque à la République.

Il ne faut pas être dans la politique de la bouteille ballotée par les vagues, faire des communiqués un jour pour soutenir un policier agressé, et prendre des sanctions le lendemain contre un policier qui a « déconné » – je reprends le mot –, et commis des actes totalement répréhensibles. Je partage votre avis, les dépositaires de l'autorité publique ont un devoir de responsabilité – singulièrement les gendarmes et les policiers, qui sont armés et davantage exposés aux mauvaises rencontres –, mais nous leur devons aussi notre soutien. L'un ne va pas sans l'autre. Je ne verrai pas d'inconvénient à ce que nous en discutions ensemble.

Monsieur Coquerel, je ne partage pas vos appréciations concernant la préfecture de police, mais je souhaite vous répondre, ainsi qu'à monsieur Marleix, sur la chaîne des responsabilités. Dans le nouveau schéma que j'ai publié, le préfet – à Paris, le préfet de police – est responsable du maintien de l'ordre. Il doit prendre les décisions qui lui semblent adaptées à la situation, selon les renseignements qui lui sont transmis, les moyens dont il dispose et l'enjeu auquel il fait face. Si, de manière structurelle, la décision est mauvaise – la force a été utilisée de manière disproportionnée, des actes graves ont été commis –, il faut en tirer toutes les conséquences.

Je regarde toujours ce qui se fait sans amour, ni haine, ni violence : je considère que, lors des deux événements que vous avez cités – le rassemblement place de la République et les manifestations de samedi –, le préfet de police n'a pas pris de mauvaises décisions structurelles. Je ne proposerai donc pas son changement. Ce sont des individus isolés qui ont pris, ou auraient pris – cela n'est pas encore prouvé pour certains – des décisions contraires à la déontologie ou à la législation.

Avec Stéphane Peu, vous avez appelé à la désescalade. Avouez que le fait d'organiser des provocations, comme sur la place de la République, ne participe pas de cette désescalade. Il n'est pas normal, et même illégal, d'installer des centaines de personnes sans-papiers sur une place de Paris, en pleine crise sanitaire qui plus est, et d'en laisser certaines provoquer les forces de l'ordre – vous savez que cela a été le cas, même si la loi n'autorise pas encore l'État à diffuser les vidéos qu'il a en sa possession. Des consignes très claires concernant la désescalade ont été données samedi. La très grande majorité des manifestants ont respecté les lois et ont pu s'exprimer, mais lorsqu'il y a eu des provocations, la police n'y a pas répondu. Il ne faut pas qu'il y ait désescalade d'un côté et provocations de l'autre. Or ce qui s'est passé place de la République était bien une provocation.

Matthieu Orphelin, comme Sacha Houlié, m'ont interrogé sur la prise en compte des discriminations dans la formation des policiers. Dès mon arrivée au ministère de l'Intérieur, j'ai encouragé Christian Vigouroux, conseiller d'État, à poursuivre la mission que lui avait confiée mon prédécesseur sur la lutte contre les discriminations, notamment celles fondées sur la race. Je suis prêt à associer le Parlement à ce travail. J'ai entendu dans l'intervention du député Houlié une volonté d'apaisement, mais aussi le souhait d'établir un juste équilibre entre le respect que nous devons aux forces de l'ordre et le respect que les forces de l'ordre doivent à la population. Lorsque j'étais jeune arbitre de football, on m'avait expliqué que pour être respecté, il fallait que je sois respectable. C'est exactement ce que je pense des policiers et des gendarmes : qu'ils commencent par être respectables, alors ils seront respectés.

Isabelle Florennes et Sacha Houlié m'ont posé la même question sur la police de proximité. Je pense que la police doit être de proximité. Ce que je constate, depuis que je suis au ministère, mais que j'avais déjà perçu en étant maire de Tourcoing, c'est que notre police est parmi les plus efficaces du monde, mais en intervention – c'est une police « urgentiste ». Sa réaction aux actes terroristes l'a fort bien démontré : les personnes ont été rapidement identifiées et mises hors d'état de nuire, dans des conditions qui dépassent parfois l'entendement. Lorsqu'après avoir commis son attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, le terroriste islamiste est entré dans le métro, on ne connaissait pas son identité, on n'avait pas de vidéo et nous avions tous très peur qu'il sème la mort sur son passage ; quinze minutes plus tard, il était appréhendé, dans des conditions tout à fait normales.

En tant que maire, j'ai toujours été partisan de ce que l'on appellera « prévention » à gauche et que l'on qualifiera de « bleu dans la rue » à droite, une police sur le terrain, en lien avec les commerces, avec les quartiers. Doit-on parler d'îlotage ou de police de proximité ? L'une des grandes erreurs commises par la majorité précédente, c'est d'avoir créé une police d'agglomération tous azimuts. Comme maire de Tourcoing, j'avais trouvé dommage que l'on rassemble la police de l'agglomération lilloise, car même si cela permet aux policiers d'intervenir en nombre, ils ne se déplacent plus que pour les problèmes, ce qui n'arrange pas le lien avec la population, ni avec les élus. De la même façon, la mutualisation à tout crin des forces de police dans la petite couronne parisienne a créé des lacunes, même si elle présente des avantages pour la plaque parisienne, réputée très violente – ce sont d'ailleurs des commissariats de l'agglomération qui sont intervenus hier.

La mutualisation des forces est nécessaire pour lutter contre les violences urbaines, les trafics de drogue, mener des interventions nocturnes difficiles et répondre ainsi aux problèmes structurels dans les endroits où il existe de vraies difficultés. L'urbanisme a changé, la population aussi : il est normal de mettre plus de moyens à Sarcelles, une des circonscriptions les plus difficiles de France, et de réduire le nombre de policiers dans d'autres commissariats. Mais je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre police d'agglomération et police de proximité.

Je suis prêt à étudier cette question, sans idéologie. Il faut nous défaire d'une vision trop macro des forces de polices, avec des macro patrouilles. La création d'une police municipale à Paris – à laquelle je vous sais opposé, monsieur Coquerel –, permettra peut-être de libérer des effectifs. Je veillerai en tout cas à une meilleure répartition.

Enfin, monsieur Rebeyrotte, les réseaux sociaux sont, pour les policiers, une opportunité magnifique de mieux faire connaître leur métier, pour le ministère de communiquer avec plus de transparence, et pour les parlementaires de nous interroger davantage. Vous avez parlé de la popularité des forces de l'ordre : j'appelle votre attention sur le fait que lorsqu'elles ont mené avec succès une opération, elles doivent attendre l'autorisation du parquet pour communiquer. Certains procureurs la donnent sans problème – lorsque les besoins de l'enquête ne l'interdisent pas –, mais ce peut être compliqué avec d'autres. Or il est très frustrant de ne pas pouvoir faire savoir que l'on a saisi des voitures volées, ou que l'on est parvenu à arrêter le type qui paradait à longueur de journée dans le quartier sur son quad, au nez et à la barbe des autorités. Communiquer reste interdit dans bien des cas. Je pense que le code pénal, l'organisation de la police et de la justice ne sont pas à la page des réseaux sociaux.

J'ai dit ce que je pensais de la mise en danger des forces de l'ordre. Je suis absolument pour consacrer la liberté de la presse – sans doute faut-il l'écrire, le réécrire et le surligner au feutre jaune –, mais j'estime que l'on doit aussi protéger les policiers et les gendarmes qui sont livrés à la vindicte sur les réseaux sociaux.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour cette invitation et reste à votre disposition. Je transmettrai vos mots de soutien aux policiers, singulièrement aux 98 blessés lors des manifestations de samedi.

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