Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 30 novembre 2020 à 18h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Je vais tenter de répondre à toutes vos questions. De nombreuses questions portent sur le rapport entre la police et la population. Des chiffres ont été cités. Selon un sondage Elabe de juin 2020, réalisé à un moment où les rapports avec la police nationale étaient compliqués, 69 % des personnes interrogées déclaraient apprécier la police, et le pourcentage s'élevait, de mémoire, à 81 % pour la gendarmerie. Il est vrai que les chiffres sont en baisse pour la police, et qu'ils n'atteignent pas 100 %.

Permettez-moi cependant quelques remarques. Est-ce que 69 % des Français aiment la classe politique, le ministre de l'Intérieur ou les parlementaires ? C'est un niveau de popularité très important. Nombre d'entre nous aimeraient être élus à 69 % ! Il faut relativiser la détestation évoquée, les grands titres des journaux ne reflètent pas toujours ce que pense profondément l'opinion publique. Néanmoins, et comme pour tout indicateur en baisse, il faut s'en inquiéter. De même qu'il faut comprendre la différence de perception entre la gendarmerie et la police. Le ministre de l'Intérieur n'a pas à donner de bonnes notes. Cette distinction tient sans doute aux différences d'histoire, de terrains d'intervention, de formation, et parfois à l'imaginaire collectif : cinéma, chansons, caricatures – tout ce qui fait le sel de la France.

Une popularité de 69 %, ce n'est pas si mal que ça. Je ne suis pas d'accord quand vous dites que 100 % de la population devrait aimer la police, car cela signifierait que les voyous l'aiment également, ce qui m'inquiéterait. Certes, il peut y avoir des voyous qui aiment la police, mais, ainsi que le fait dire Henri Verneuil, comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité du genre.

J'entends beaucoup dire que la jeunesse n'aime pas la police. Rappelons que de nombreux gendarmes et policiers sont jeunes. En outre, beaucoup viennent des quartiers de banlieue. Il suffit de connaître les commissariats ou les gendarmeries pour savoir que la police et la gendarmerie sont des institutions extrêmement démocratiques. D'ailleurs, la moitié des commissaires sont issus des gardiens de la paix du rang. Peu de secteurs de la fonction publique permettent une telle promotion interne. Certes, il est toujours possible d'améliorer les choses, mais je ne pense pas que la police ait ce défaut.

De plus, ces critiques ne me paraissent pas nouvelles. Quand j'étais plus jeune, le chanteur Renaud n'était pas pro-policier ; il a changé ensuite. Dans Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ? il chantait : « Plus de slogans face aux flicards, mais des fusils, des pavés, des grenades ! » Puis il a chanté Willy brouillard et J'ai embrassé un flic. Mon papa m'a transmis l'amour de Georges Brassens, qui chantait à n'en plus finir sa détestation du policier. Mais il a aussi écrit des chansons dans lesquelles il trouve des flics rassurants, qui le protègent. Dans L'épave, tout le monde le rejette sauf un policier qui, à la fin de la chanson, lui passe sa pèlerine car il est nu dans la rue, et il chante : « Ça ne fait rien, il y a des flics bien singuliers », et finit par ne plus jamais pouvoir crier : « Mort aux vaches ! » C'était dans les années soixante, d'autres ayant plus de culture politique, ou plus vieux, pourraient trouver des références culturelles plus anciennes.

Il est normal que les dépositaires de l'autorité publique, qui interviennent dans des conditions extrêmement difficiles, ne soient pas toujours aimés de la population. Je ne nie pas que la baisse de leur popularité puisse soulever des questions, mais elle reste à un niveau extrêmement élevé, sans doute le plus élevé parmi les fonctionnaires.

Madame Rabault, permettez-moi de corriger un biais méthodologique. Vous avez pris pour référence l'année 2015. C'était au lendemain des attentats, on ne peut pas comparer la période où l'on applaudissait les policiers dans la rue aux conditions actuelles. C'est heureux, car alors, les policiers étaient particulièrement attaqués et ils ont payé leur tribut aux attaques terroristes, à Charlie Hebdo et ailleurs.

Monsieur Coquerel a souligné l'équilibre dans mes propos, je vais essayer de continuer de la sorte. Depuis quinze ans, les violences augmentent, quels que soient les gouvernements. Elles augmentent très fortement à l'égard des policiers, parce que la société est de plus en plus violente. Depuis, nous avons connu les attentats terroristes, et on ne gère pas de la même façon le ministère de l'Intérieur quand il y a des attentats et quand il n'y en a pas, c'est ainsi. Les manifestations extrêmement violentes n'existaient pas il y a quinze ou vingt ans. Les syndicats étaient forts – certes moins que dans d'autres pays – et disposaient de services d'ordre. Les manifestations spontanées n'étaient pas la règle. Aujourd'hui, les préfets ont beaucoup de difficulté à prévoir et encadrer les manifestations, et les manifestants eux-mêmes ne sont pas toujours organisés comme l'étaient des organisations qui faisaient profession de contester.

Le monde a changé, les policiers avec. Bref cette mesure me semble élevée, car dans une société où l'autorité sous ses diverses formes est rejetée, où la classe politique, les magistrats, les journalistes, les chefs d'entreprise sont relégués dans l'estime des Français, un taux de 69 % n'est pas si mauvais. Nous pourrions tous, quel que soit notre bord, jalouser le score des policiers.

Madame Chalas, je suis honnête avec moi-même, et je m'interroge aussi sur la portée des paroles publiques, prononcées par les ministres ou par les parlementaires, auprès de la population. Mais de là à penser que ma parole serait attendue comme celle de la pythie et libérerait les policiers… c'est faire grand cas de ma personne et, peut-être, faire insulte aux forces de l'ordre.

Je rappelle que lorsque je suis arrivé au ministère de l'Intérieur, les policiers jetaient les menottes au passage du Gouvernement. La période était particulière.

Je garde aussi à l'esprit, tout en sachant que ce sera encore le cas lorsque je partirai – c'est un travail de très long terme –, que certains policiers ne mentionnent plus leur profession dans le cahier de correspondance de leurs enfants, pour éviter les insultes ou parce qu'ils ont peur. Rappelons-nous le drame de Magnanville où deux policiers ont été égorgés dans des conditions absolument ignobles, devant leur enfant.

Et cela déchire le cœur lorsque les policiers ou les gendarmes vous confient, dans la cour de leur commissariat ou de la brigade de leur gendarmerie, qu'ils ne disent plus à leurs enfants que c'est une belle vocation que la leur. Qui, sinon le ministre de l'Intérieur, doit se faire leur avocat ?

Enfin, que dire de ces policiers qui se rendent au commissariat en voiture et se garent à vingt rues de là, pour éviter les insultes, les rayures sur la carrosserie, parfois les animaux morts sur le pare-brise ? Mon rôle, c'est de faire en sorte qu'ils prennent leur poste la tête haute. Très honnêtement, je ne crois pas déclencher quoi que ce soit lorsque je me place à leur côté et que je dis qu'ils font un métier très difficile.

Depuis que je suis ministre de l'Intérieur, j'ai connu quatre enterrements. Je ne souhaite à personne de devoir aller présenter ses condoléances à une veuve de 38 ans, d'épingler la Légion d'honneur sur le cercueil d'un policier, en présence d'une enfant de 7 ans en lui expliquant que son père n'est pas mort pour rien.

Cela m'oblige. Je dois tenir une parole, dont je comprends qu'elle fait parfois naître des critiques – car je fais de la politique –, mais qui sera entendue par des hommes et des femmes qui exercent un métier très difficile. Cela n'excuse en rien les comportements ignobles que nous avons tous dénoncés et qui font honte au reste des policiers.

J'ai eu hier au téléphone l'un des policiers blessés samedi – ils sont parfois plus choqués psychologiquement qu'atteints physiquement. Ce major de 50 ans, à quelques années de la retraite, était très pondéré dans ses propos. Lorsque quelqu'un vous dit : « on savait qu'on allait manger à cause de ce qu'ont fait nos collègues ; j'ai honte quand je rentre chez mon voisin », vous comprenez que cette salissure sur l'uniforme, ce sont les policiers et les gendarmes qui en sont les premières victimes. Nous en connaissons tous, qui font bien leur travail. Leurs opinions politiques diffèrent, ils ne pratiquent pas la même religion, ils n'ont pas la même histoire ; ils sont le reflet de la société, au même titre que votre hémicycle.

Les députés du groupe LR, comme ceux du groupe LaREM, m'ont interrogé sur la baisse de la popularité des forces de l'ordre. Mais il faut noter aussi deux chiffres en augmentation constante : en 2019, il y a eu 11 217 blessés – sur 150 000 policiers et 100 000 gendarmes – et 20 787 refus d'obtempérer. En France, toutes les 20 minutes, un conducteur refuse d'arrêter sa voiture sur le bord de la route malgré les injonctions. Et je ne parle pas des insultes. Quant aux félicitations, elles sont nombreuses, mais les policiers et les gendarmes vous le diront : les gens se cachent pour les remercier. Cela devrait tous nous interpeller.

J'ai déjà répondu sur l'IGPN. Il me semble qu'à aucun moment l'inspection générale n'a été mise en cause dans les faits ignobles qui sont survenus cette semaine. Encore une fois, c'est l'application par l'administration, en l'occurrence par le ministre, des propositions ou des décisions prises par l'IGPN qui sont en cause. Répondre cela, ce n'est pas refuser de réformer ou de chercher à améliorer les choses. J'y suis particulièrement attentif et je comprends ces questions.

Annie Genevard, avec d'autres, m'a interrogé sur la procédure parlementaire et sur l'article 24. Je le répète, je suis profondément convaincu de la nécessité de maintenir la protection des policiers, des policiers municipaux – ainsi que vous l'avez souhaité par amendement –, des douaniers, des gendarmes, dans le cadre des opérations de police. C'est un bel objectif, il est légitime, il est attendu et il n'y a rien de plus normal que d'y tendre.

La commission avait vocation – je comprends qu'elle ne l'a plus – à conseiller le Gouvernement dans la rédaction d'une disposition. Demander à des personnalités qualifiées de proposer une nouvelle rédaction n'a vraiment rien d'original – cela s'est déjà fait et se fera encore… Que le Parlement ait le dernier mot, et que chacun, à commencer par les sénateurs, soit libre de son vote me semble correspondre à la Constitution de la Ve République.

Encore une fois, je souhaite que l'on conserve la protection des opérations de police, un objectif sur lequel, je le constate, le Président de la République et le Premier ministre ont donné leur accord. Je comprends qu'il faille rassurer et donner des assurances sur la liberté de la presse, mais il ne faut pas mettre en concurrence ces deux libertés très protectrices. J'ai entendu les présidents des groupes de la majorité : si le Parlement le souhaite, nous aurons une discussion, mais c'est à vous que le vote reviendra. Nous ne sommes pas au Royaume-Uni, et le membre du Gouvernement que je suis ne siégera pas sur vos bancs pour prendre part au vote… il peut m'arriver de le regretter.

Je me pose souvent, sans toutefois parvenir à trouver la réponse absolue, la question soulevée par monsieur Huyghe : pourrions-nous mieux organiser le maintien de l'ordre si nous arrivions à appréhender les personnes avant qu'elles n'agissent ? Cette question, c'est d'abord celle de l'intention.

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