Si l'ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs a pu traverser le temps comme elle l'a fait, c'est parce qu'elle reposait sur un principe fondateur, celui de la primauté de l'éducatif dans la réponse pénale à la délinquance des enfants. Une logique de protection présidait à cette ordonnance, dans l'esprit de ses concepteurs. Si elle a fait l'objet, depuis lors, d'ajustements rendus nécessaires par le temps, elle a aussi inspiré plusieurs de nos voisins européens pour poser les bases de leur propre ordonnancement judiciaire en matière de justice des mineurs. Il n'y a rien d'étonnant à cela : l'enfance restera toujours et partout l'enfance. N'est-ce pas plutôt le regard que l'on pose sur elle et l'évolution de la société qui nous amènent aujourd'hui à vouloir réviser cette ordonnance dans une logique bien différente ? La question mérite d'être posée.
Les mineurs sont des enfants et des adolescents en évolution vers un devenir adulte. La loi se doit de les protéger et de prévoir leur éducation afin de les conduire vers le monde des adultes responsables. C'est bien cette jeunesse qui, demain, prendra place aux côtés des adultes qui la jugent aujourd'hui. Soyons prudents !
L'enfance d'aujourd'hui est-elle plus en danger que l'enfance d'hier ? Très certainement, compte tenu des menaces qui pèsent sur elle, au travers de phénomènes que bien des parents ont du mal à appréhender – je pense notamment aux réseaux sociaux et aux trafics de quartier, sans parler de la pauvreté. Victimes et auteurs se retrouvent souvent chez les mêmes individus, pour peu que l'héritage social pèse très tôt sur eux. C'est ainsi qu'ils se retrouvent malgré eux dans un réseau de trafiquants, à devoir être complices d'un acte délictueux dont ils ne prennent pas la mesure. Consommer devient alors une addiction qui conduit à la délinquance, qui l'entretient : cette spirale infernale les mène tout droit à la case prison, une fois l'âge adulte atteint. C'est donc avant que tout se joue.
Faut-il, dès lors, une justice des adultes pour juger des enfants qui se retrouvent malgré eux en conflit avec la loi ? Dans l'ordonnance que nous examinons, les références constantes au code pénal et au code de procédure pénale sont préoccupantes. Un code autonome eût été préférable. Face à des actes délictuels et parfois criminels, il est nécessaire d'opposer la loi, mais dans un cadre qui puisse être entendu et compris par ces enfants et ces adolescents.
La primauté de l'éducatif est essentielle. Je veux poser ici la question du sens que l'on donne à la sanction éducative, qui doit permettre aux jeunes de prendre conscience de la gravité de leurs actes afin qu'ils ne les commettent plus. Le répressif seul ne réglera jamais rien pour les enfants et les adolescents en conflit avec la loi ; ceux-ci ne peuvent prendre conscience de leurs actes que si nous les éduquons, par le biais de sanctions éducatives qui constituent déjà, en soi, une contrainte pour eux. En somme, le répressif alimente des sentiments d'incompréhension et de haine quand l'éducatif, à l'inverse, permet une prise de conscience.
Je ferai quelques observations sur les principes directeurs qui ont présidé à la rédaction de cette ordonnance. Outre la remarque générale faite précédemment relative à l'altération du principe de la primauté de l'éducatif, on peut regretter l'alignement des mesures et des sanctions qui, mises sur le même plan, traduisent une forte porosité de la frontière entre la justice des mineurs et celle des majeurs.
En outre, alors que la notion du discernement devient cardinale et qu'elle conditionne l'irresponsabilité pénale, celle-ci reste floue et peu juridique. Elle est, de surcroît, purement théorique, puisque la notion d'âge du discernement est laissée à l'appréciation du magistrat qui pourra toujours poursuivre un mineur de moins de 13 ans considéré comme discernant. L'ordonnance pose le principe de l'irresponsabilité pénale des moins de 13 ans, qui reste toutefois une présomption simple. Si l'abandon des poursuites de l'enfant de moins de 13 ans est avancé comme un progrès, pour que cette irresponsabilité pénale soit vraiment effective, il faudrait que la présomption soit irréfragable.
Enfin, nous ne pouvons qu'être dubitatifs face à l'affichage qui consiste à affirmer la primauté de l'éducatif et les multiples exceptions procédurales qui s'ensuivent.
Pour autant, nous notons, grâce à ce texte, un meilleur suivi par le juge des enfants des mesures judiciaires, qui permettra une adaptabilité des modules au fil du temps, à condition de les concevoir non pas comme des sanctions mais comme des réparations. L'assistance obligatoire du mineur par un avocat est également une bonne nouvelle et nous espérons que ce projet de loi de ratification permettra d'apporter une réponse judiciaire plus cohérente, dans un délai raisonnable.
Au final, j'ai le sentiment que nous avons tourné une page : celle qui nous voyait regarder l'enfant pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il a fait. Qu'est-ce qui a pu manquer dans la construction fragile de l'enfant devenu adolescent ? Que manquera-t-il à l'adolescent brutalement rattrapé par l'âge ? Ces questions devront toujours être posées, avant même le prononcé de la sanction, sauf à alimenter l'échec de toute politique qui se veut réparatrice.
C'est dans cet esprit que j'ai déposé un certain nombre d'amendements, fort de mon expérience en tant qu'avocat et dans la prise en charge de mineurs primo-délinquants ou réitérants. Le travail au quotidien des éducateurs en milieu ouvert et en milieu fermé, de la protection judiciaire de la jeunesse et des magistrats en ont constitué la base.