Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du lundi 14 décembre 2020 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Chers collègues, je vous remercie pour la qualité de votre travail. Le groupe Socialistes et apparentés partage plusieurs de vos analyses et de vos propositions et a des réserves, voire une opposition, sur d'autres.

Le régime juridique de l'état d'urgence a été constamment remanié depuis dix mois. Plusieurs options existaient et rien ne s'opposait, par exemple, à l'application de la loi de 1955 et de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le Gouvernement n'a pas fait ce choix, pour des raisons qui nous semblent plus politiques que juridiques, et il a pris le risque d'introduire dans l'urgence des mesures d'exception qui sont appelées à durer. Certaines dispositions prises dans le cadre de l'état d'urgence risquent de devenir la norme, par exemple en matière économique. Nous aurons d'autres crises à affronter – climatiques, environnementales, économiques, sanitaires – et l'accumulation de textes venant s'ajouter à la législation existante n'est pas forcément un gage d'efficacité.

Les lois instaurant puis prorogeant l'état d'urgence sanitaire ont permis au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures législatives provisoires étendues, ce qui n'est pas sans susciter des inquiétudes. Nous aborderons donc avec la plus grande vigilance l'examen du projet de loi qui nous sera bientôt soumis. Nous devrons veiller, en particulier, à préserver les mécanismes de contrôle. Le professeur Dominique Rousseau dit que si l'on peut comprendre que l'exercice des libertés soit différent dans certaines circonstances exceptionnelles, la préservation de l'État de droit suppose toutefois le respect de quelques principes fondamentaux. Ce respect est garanti par le contrôle qu'exercent le Parlement, le juge et la presse.

L'article 16 de la Constitution permet déjà d'instituer un régime d'exception, qui prévoit la consultation du Conseil constitutionnel sur les mesures prises et la possibilité, pour le président de l'Assemblée nationale, de saisir celui-ci au bout de trente jours. Or aucune garantie de cet ordre n'a été introduite dans les projets de loi instituant ou prorogeant l'état d'urgence sanitaire ; notre groupe a pourtant déposé plusieurs amendements visant à limiter la durée des mesures prises, à prévenir de nouvelles habilitations relatives à la gestion des données personnelles, à interdire au Gouvernement d'étendre le périmètre des mesures prises par ordonnance en dehors du champ strictement sanitaire, ou encore à protéger les plus fragiles. Or aucun de ces amendements n'a été retenu.

Mon groupe s'inquiète, par ailleurs, du fait que certaines décisions aient été prises sans que les données scientifiques aient été soumises à la discussion et à la possible contradiction d'une large expertise. Notre collègue Jean-Pierre Pont l'a dit : le Conseil scientifique ne donne qu'un avis, ce n'est pas à lui de dicter les décisions du Gouvernement.

Je tiens, pour finir, à revenir sur plusieurs de vos propositions et à saluer certaines d'entre elles.

En ce qui concerne la proposition n° 1, nous souhaitons instituer un régime d'urgence unique avec des garanties telles que l'information et la saisine constante du Parlement et l'avis du Conseil constitutionnel.

Oui à votre proposition n° 3 de prévoir la présomption de l'urgence pour saisir, par la voie du référé, le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, lorsque celui-ci a été décrété ou prorogé. Un bilan des décisions prises par le juge pourrait également éclairer notre débat sur le prochain projet de loi.

La proposition n° 5, visant à engager un travail sur la recevabilité des amendements, est intéressante, mais encore faut-il que l'exécutif et la majorité soient disposés à discuter, ce qui n'a pas toujours été le cas. Ce n'est pas le Gouvernement, quel qu'il soit, qui est en cause, mais le système institutionnel de la Ve République, qui sort toujours renforcé parce que le Président de la République décide, le Premier ministre applique et la majorité fait bloc.

Nous considérons également comme une bonne mesure la proposition n° 7 de Philippe Gosselin, consistant à renforcer les conditions de la majorité au fur et à mesure des prorogations de l'état d'urgence sanitaire. Cela donnerait une marge de négociation aux groupes minoritaires et permettrait de les associer à l'élaboration des scénarios et des hypothèses. Cela étant, en période de crise ou de peur, il peut être difficile, pour des parlementaires, d'expliquer pourquoi ils sont contre l'état d'urgence.

La proposition n° 8, sur l'organisation d'un débat parlementaire à chaque rupture constatée dans la connaissance scientifique, serait une bonne mesure, mais elle supposerait une expertise publique collégiale, transparente et contradictoire au cœur de la décision. L'indépendance du Conseil scientifique n'est pas posée comme principe : c'est un élément qui, selon moi, doit évoluer.

La proposition n° 9, visant à mieux associer le Parlement aux travaux du Conseil scientifique, correspond à une demande de longue date. D'autres organes sont chargés de délivrer une expertise dans le champ sanitaire. Le Haut Conseil de la santé publique, notamment, compte parmi les missions que lui a attribuées la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, de « fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences sanitaires, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ». Nous avons déjà des outils à notre disposition ; mieux vaudrait les activer plutôt que d'en créer toujours de nouveaux, ce qui nous fait perdre du temps.

La déclinaison territoriale des mesures, dont Sacha Houlié a parlé, est évidemment importante et nécessaire, mais il y a un enjeu de cohérence. Où était-elle lorsqu'il était possible de faire du vélo sans masque à Paris, alors que son port était obligatoire au Mans ?

Quant à conforter le rôle du préfet de département sur les ARS, pourquoi pas, mais est-ce suffisant, alors que ce que l'on constate souvent, c'est un manque de répondant de leur part ? Il faut aussi donner de la place aux élus locaux, qui doivent pouvoir être écoutés et poser des questions. Il convient donc de rester vigilant sur la façon dont ce pouvoir sera décliné et conjugué.

Enfin, oui à la proposition n° 14 de garantir ou consolider le rôle de certaines autorités en période de crise sanitaire, dont je constate que leurs avis, même circonstanciés et argumentés, n'infléchissent en rien la décision politique. Il faudrait réfléchir à un rôle plus substantiel. J'espère que nous pourrons le proposer dans le futur projet de loi.

Globalement, nous partageons plusieurs éléments de votre rapport, mais, éclairés de l'expérience vécue lors de l'examen de textes précédents, nous sommes inquiets et réservés quant à la suite. Nous jouerons notre rôle de parlementaires et contribuerons avec des propositions raisonnables – nous avons l'expérience de crises et de situations d'état d'urgence précédentes. Toutefois, rien ne se fera sans concertation et sans la volonté de tous les acteurs, y compris le Gouvernement et la majorité.

Je termine en vous remerciant tous les deux pour l'énorme travail que vous avez fourni, en si peu de temps. Le projet de loi à venir nous permettra d'approfondir certaines des propositions qui n'ont pas pu être suffisamment étayées dans ce rapport.

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