La réunion

Source

La réunion débute à 16 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission entend, en visioconférence, une communication de la mission flash sur l'évolution et la refondation des conseils de sécurité et de prévention de la délinquance (MM. Stéphane Peu et Rémi Rebeyrotte, co-rapporteurs).

Cette réunion ne fait pas l'objet d'un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l'Assemblée nationale à l'adresse :

http://assnat.fr/iua6Ot

La Commission entend, en visioconférence, une communication de la mission flash sur le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire (M. Sacha Houlié, Président-rapporteur, et M. Philippe Gosselin, Vice-président co-rapporteur).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en venons à la communication de la mission flash sur le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire, qui a été conduite par nos collègues Sacha Houlié et Philippe Gosselin dans la perspective de la future pérennisation de ce régime.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette mission avait pour but d'anticiper la discussion du projet de loi qui sera présenté par le Gouvernement dans les prochains jours. Elle s'est très bien déroulée puisque nous arrivons, avec Philippe Gosselin, quasiment aux mêmes conclusions, à quelques différences peu significatives près. Alors que nous avons souvent été dans une démarche de réaction, et non de préparation, dans cette période marquée par l'urgence, nous inversons la tendance, ce qui est une bonne chose.

Nous avons procédé à une trentaine d'auditions en un peu moins d'un mois, prouesse rendue possible par l'administration de l'Assemblée mais aussi par la disponibilité des acteurs que nous avons entendus. Ce sont des interlocuteurs significatifs, qui ont été au cœur de l'actualité pendant toute l'année, comme Jérôme Salomon, Jean-François Delfraissy et Jean-Marie Burguburu, mais aussi de grands professeurs de droit ou des représentants de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui a accompagné la construction des dispositifs de contact tracing et de certaines applications.

Le but de cette mission était d'évaluer le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire qui disparaîtra au 1er avril prochain. Je rappelle que nous l'avons créé dans l'urgence entre le 17 et le 23 mars 2020 pour faire face à une situation dans laquelle il avait été estimé que le droit français n'offrait pas les moyens d'action nécessaires. Nous avons sondé donc, en premier lieu, des constitutionnalistes et des spécialistes du droit public. Ils nous ont notamment inspiré la phrase de Nicolas Machiavel que nous avons mentionnée au début du rapport : « Ne rien prévoir pour faire face aux situations d'exception est périlleux. [...] Mais prévoir un dispositif de secours énergique l'est tout autant. »

Nous avons travaillé dans une période qui ne facilite pas la réflexion à froid, puisque nous sommes encore dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. J'observe, par ailleurs, que nous avons passé la moitié des cinq dernières années sous le régime de l'état d'urgence, sécuritaire ou sanitaire – onze projets de loi ont été examinés dans ce domaine.

Nous vous présenterons des propositions d'évolution, notre première conclusion étant qu'il serait plutôt approprié de conserver un dispositif spécifique relatif à l'état d'urgence sanitaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens également à souligner la bonne entente qui a régné au sein de cette mission. Nous avons travaillé très rapidement, en cinq semaines, dans des conditions qui ont néanmoins permis d'aboutir à un travail de qualité – en tout cas, je l'espère.

Nous estimons qu'en l'absence de cadre mieux adapté, nous devons – l'État, le Gouvernement et l'ensemble de la société – nous appuyer sur un texte relatif à l'état d'urgence sanitaire, qui doit donc être conforté. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce régime n'est pas en soi une atteinte à l'État de droit, même s'il s'agit évidemment d'un état d'exception, exorbitant du droit commun, qui permet, sous certaines conditions, d'assurer la stabilité des institutions et de protéger nos concitoyens, ce qui est l'essence même de l'État et d'une société organisée.

Je rappelle les raisons qui ont justifié le régime instauré par la loi du 23 mars 2020 : l'ampleur de la crise – si elle avait été localisée, on aurait peut-être pu éviter de recourir à l'état d'urgence ; le caractère extrêmement limité et provisoire des outils juridiques utilisés dans un premier temps – les juristes sont notamment revenus sur l'arrêt Heyriès de 1918, qui concerne les « circonstances exceptionnelles », et sur le fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui souffre de faiblesses structurelles ; enfin, l'inadaptation de régimes proches, comme la loi de 1955 relative à l'état d'urgence qu'on pourrait qualifier de sécuritaire.

Le régime de l'état d'urgence sanitaire est désormais appliqué depuis plusieurs mois. On aurait pu envisager de revenir au droit commun, mais il ne permet pas de résoudre certaines difficultés. C'est pourquoi nous devons légiférer. On aurait pu, aussi, s'engager dans la voie d'un changement de cadre constitutionnel. C'était tentant : on aurait, en effet, pu réfléchir à une réforme plus large permettant de définir un régime commun de l'état d'urgence qui serait composé d'un volet sécuritaire et d'un autre de nature sanitaire. Néanmoins, les chances de faire aboutir une réforme constitutionnelle sont apparues plus que minces. Les conditions politiques et temporelles ne sont en effet pas réunies.

Nous sommes arrivés à la conclusion, qui sera sans doute partagée largement, que la spécificité de l'état d'urgence sanitaire doit être préservée, dans le cadre d'un texte particulier.

La question qui se pose ensuite est de savoir s'il faut adopter un nouveau texte maintenant ou un peu plus tard. Dans l'idéal, il serait sans doute préférable d'attendre un peu et de proroger la loi du 23 mars 2020, car nous sommes encore au cœur de la crise – cela permettrait d'avoir un peu plus de recul. Cela étant, le débat sur la prorogation de la loi actuelle peut être un peu compliqué. La fenêtre de tir pour un débat serein, apaisé, dégagé de la pression sanitaire est aléatoire. Si l'on attend la période estivale, on risque d'entrer dans une période pré-présidentielle, plus compliquée encore, et cela ne sera pas mieux à l'automne. Il nous semble préférable de faire des propositions en nous plaçant dans la perspective du texte qui sera examiné à la rentrée par notre commission, en vue d'aboutir à un résultat satisfaisant et équilibré.

Au-delà de ce projet de loi, qui nous paraît nécessaire, il nous semble également opportun de toiletter l'article L. 3131-1 du code de la santé publique pour le renforcer, pour améliorer les protections entourant les mesures qui peuvent en découler et pour construire un dispositif susceptible de permettre, en amont, d'éviter d'entrer précipitamment dans l'état d'urgence et, en aval, d'en sortir plus aisément, sans passer, comme c'est le cas aujourd'hui, par un état d'urgence qui ne dit plus son nom, un état d'urgence dégradé mais qui reste un état d'urgence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons notamment auditionné des membres du Conseil d'État. Son vice-président, M. Bruno Lasserre, a souligné que nous avions besoin d'un texte spécifique en matière d'état d'urgence sanitaire. Dans le cadre de l'état d'urgence sécuritaire, on cherche à protéger la population d'une menace constituée par un tout petit nombre de personnes qui veulent commettre des actes terroristes. S'agissant de la menace sanitaire, en revanche, on cherche à protéger chacun de tout le monde, ce qui constitue la principale difficulté.

Autre question intéressante abordée lors de cette audition, l'état d'urgence constitue-t-il une parenthèse antidémocratique dans notre droit ? C'est, en effet, une critique fréquente. Comme pour toute mesure de police administrative, les atteintes aux libertés sont significatives – elles sont même d'une gravité particulière – au nom d'un objectif d'intérêt général, qui est la protection de la santé publique.

Beaucoup de recours contre les mesures de l'état d'urgence sanitaire ont été exercés par la voie du référé-liberté ou par celle du référé-suspension. Mi-octobre, près de 552 requêtes avaient été introduites devant le Conseil d'État, dont 320 en référé. Elles ont donné lieu à des décisions portant en particulier sur l'organisation des cultes ou sur celle des rassemblements, dont les conditions ont été revues à la faveur du contrôle exercé par le juge administratif. Ce contrôle est restreint en ce qui concerne le déclenchement de l'urgence sanitaire – le fait qu'on le décrète –, mais il est entier – c'est un contrôle de proportionnalité –, en application de l'article L. 3131-18 du code de la santé publique, qui s'applique pour les restrictions de nos libertés.

Nous avons réfléchi à une condition que le Conseil d'État a lui-même mise en œuvre. Normalement, quand on exerce un référé-liberté ou un référé-suspension, il faut que la condition relative à l'urgence soit remplie. Nous proposons de neutraliser cette condition. À partir du moment où le cadre de l'état d'urgence sanitaire est applicable, l'urgence doit être présumée pour contester ses mesures. On pourrait le prévoir lors de l'examen du futur projet de loi.

Le régime prévu par l'article L. 3131-1 du code de la santé publique doit également être précisé, comme Philippe Gosselin l'a indiqué. Il serait utile d'établir une distinction entre, d'une part, ce qui relève d'une catastrophe sanitaire et peut donc conduire à déclarer l'état d'urgence sanitaire et, d'autre part, ce qui relève d'une menace sanitaire grave sans être du niveau de la catastrophe sanitaire et qui doit donc faire l'objet de mesures moins restrictives, ne nécessitant pas d'utiliser le régime de l'état d'urgence sanitaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous le voyez, les conclusions de la mission vont plutôt dans le sens d'un texte pérennisant l'état d'urgence sanitaire et, en parallèle, d'une structuration de l'article L. 3131‑1 du code de la santé publique, ce qui ne peut se faire qu'à plusieurs conditions. Il faut impérativement que le Parlement soit au cœur du dispositif, pour contrebalancer les pouvoirs – légitimes – de l'exécutif et ne pas être désarmé à un moment où la voix des citoyens a besoin de se faire entendre. Cela suppose aussi le renforcement d'autres contre‑pouvoirs et la prise en compte des compétences des acteurs locaux.

Le Parlement n'est pas resté inerte durant toute cette période, bien sûr, mais nous avons en tête les difficultés à nous réunir pendant le premier confinement et nos tâtonnements. Qui plus est, l'adoption de la dernière loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire nous mène, dans un long tunnel, jusqu'au 1er avril 2021, alors que nous étions nombreux à souhaiter une clause de revoyure.

Le Parlement a d'autant plus intérêt à être présent que nous voyons se multiplier les habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, phénomène dont de nombreux juristes et parlementaires se sont inquiétés. Plus de soixante‑dix ordonnances ont été publiées ces derniers mois, concernant des pans entiers de notre droit : fiscalité, droit du travail, de la santé, organisation de la justice. Cela est encore plus inquiétant dans la mesure où le Conseil constitutionnel, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a considéré le 28 mai qu'une fois passé le délai d'habilitation, les textes avaient la qualité de dispositions législatives, ce qui est assez fâcheux.

Outre le développement des ordonnances, le pouvoir réglementaire dispose d'importantes prérogatives pour encadrer les libertés. Or notre capacité d'amendement est entravée par l'article 41 de la Constitution, puisque nous ne pouvons pas déposer d'amendements qui empièteraient sur le pouvoir réglementaire, dont relèvent les décrets relatifs à l'état d'urgence. C'est pourquoi nous avons formulé des propositions pour faire du Parlement un acteur incontournable de l'état d'urgence qu'il doit être selon nous.

Nous proposons, tout d'abord, une clause de revoyure tous les trois mois, pour discuter de l'état d'urgence sanitaire, si ce n'est le renégocier. C'est évidemment une contrainte loin d'être négligeable pour l'exécutif. Mais on rappellera qu'au mois de mars, en quelques jours, la navette parlementaire s'est déroulée sans difficulté. Le Parlement a démontré qu'il pouvait travailler vite et bien, non sans une émotion particulière : nous nous en souvenons encore, alors que l'hémicycle était quasiment vide et les couloirs silencieux.

Un autre point me tient à cœur, que ne partage pas complètement Sacha Houlié : le renforcement des conditions de majorité au fur et à mesure des prorogations de l'état d'urgence. À la majorité simple de la première prorogation succéderait une majorité qualifiée, obligeant ainsi la majorité du moment à tendre la main à l'opposition pour s'entendre davantage sur les termes de la prorogation. Ce serait un bon signal, tout comme la possibilité d'organiser un débat à chaque rupture dans la connaissance scientifique. Nous aurons ainsi un débat mercredi sur la vaccination, mais nous aurions pu en avoir sur d'autres thématiques ces derniers mois.

Enfin, il conviendrait de mieux associer le Parlement aux missions du Conseil scientifique, en y prévoyant la présence de deux députés et de deux sénateurs. Rappelons tout de même que nous disposons de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui pourrait être pour nous ce que le Conseil scientifique est pour l'exécutif. Nous devrions mettre davantage à profit ses compétences. Il pourrait faire des analyses, des propositions et assurer un suivi scientifique.

Il faudrait, enfin, ajouter à ces mesures la « boîte à outils » sur laquelle ont travaillé le président Richard Ferrand et le vice-président Sylvain Waserman, au sein du groupe de travail chargé d'anticiper le mode de fonctionnement des travaux parlementaires en période de crise. Le règlement de l'Assemblée nationale sera modifié en ce sens dans les mois qui viennent. C'est le deuxième étage de la fusée – nous n'allions pas réinventer la poudre à canon.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les quelques divergences que nous avons l'un et l'autre concernent le renforcement du rôle du Parlement, puisque je proposais notamment que les commissions parlementaires puissent saisir le Conseil scientifique pour être éclairées sur les travaux qu'il conduit.

Nous nous sommes interrogés sur les enjeux territoriaux à plusieurs titres : la place des élus locaux ; les outre‑mer et les spécificités locales ; la place des préfets et des agences régionales de santé (ARS).

S'agissant du premier point, nous nous sommes posé la question de la police administrative et de l'articulation des prérogatives confiées aux uns et aux autres, en ayant à l'esprit la nécessité de mieux tenir compte des spécificités territoriales et de pouvoir déconcentrer les mesures. Par exemple, des dispositions plus drastiques ont été prises en Guyane et dans d'autres territoires ultramarins, ce qui leur a permis de sortir des mesures contraignantes avant la métropole. Le 15 décembre, les territoires ultramarins seront ainsi sous un régime plus allégé que l'hexagone.

Par ailleurs, en temps de crise, l'échelon pertinent de l'État pour conduire la politique publique, c'est le département – un constat qui va à rebours de la régionalisation à l'œuvre depuis plusieurs années. C'est sous l'égide du préfet de département qu'étaient placées les services des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), qui avaient accès au dispositif de chômage partiel. C'est encore lui qui a travaillé avec les centres hospitaliers locaux et qui a mené les réunions avec les maires pour harmoniser les stratégies locales – celle de déploiement des masques, par exemple.

Le préfet de département doit être conforté dans cette mission, notamment en prenant la main sur les ARS, ce qui pourrait être inscrit dans la loi annoncée sur la décentralisation, la différenciation et la déconcentration, dite « 3D ». Si ces agences ont pu mener des politiques d'ampleur au niveau national pour transférer des patients, en revanche, pour organiser la stratégie locale, déployer les dispositifs de dépistage ou répondre à l'urgence, elles étaient paralysées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de la mission sur les pouvoirs de police des élus municipaux que nous allons mener avec Naïma Moutchou, nous pourrons envisager d'examiner l'articulation des pouvoirs de police générale et ceux de police spéciale des maires, afin d'enrichir, à terme, le projet de loi 3D. Les élus locaux ne devraient pas s'en tenir à un dialogue poli et policé avec les préfets, mais pouvoir revendiquer, au titre de la différenciation territoriale, de vrais pouvoirs de décision ou de codécision. Paris n'est pas toute la France. Il n'est, bien sûr, pas question de contester un pouvoir national à l'État, qui doit garder dans une crise aussi importante ses pouvoirs, mais il convient de tenir compte des critères locaux. C'est d'ailleurs ce qui a conduit ce week-end à imposer un dépistage pour les arrivées en Corse.

S'il ne s'agit pas d'inscrire l'état d'urgence dans le droit positif permanent, nous devons pouvoir l'envisager, malheureusement, dans la durée. Après avoir vu comment renforcer le rôle du Parlement et développer des garanties à l'usage des citoyens, notamment avec la présomption d'urgence pour le référé‑liberté devant le Conseil d'État ou les juridictions administratives, il convient de nous intéresser au Conseil scientifique et au renforcement des pouvoirs des autorités administratives indépendantes.

Le Conseil scientifique a démontré son intérêt, mais il faut clarifier son rôle. Au‑delà des éléments relatifs à la déontologie ou au statut de ses membres, il faut mieux articuler ses missions avec celles du Gouvernement et du Parlement, insister sur son devoir de confidentialité, d'impartialité et d'indépendance. Qui plus est, il ne faut pas que le Conseil scientifique s'exprime de façon parfois intempestive, au risque de contredire l'expression du Parlement et, plus encore, celle de l'exécutif. C'est la lisibilité même de la parole publique qui est en jeu. Cela procède également de la transparence des décisions. Mentionnons aussi, par parenthèse, le rôle du Conseil de défense, qui figure à l'article 15 de la Constitution, mais qui n'a pas été réuni pour l'état d'urgence sanitaire.

En tout état de cause, il faut renforcer les dispositifs d'information et de communication sur les connaissances liées à l'épidémie, de manière à protéger la société des discours alternatifs dénués de cohérence. Nous proposons l'instauration d'une plateforme unique et accessible en ligne, rassemblant l'intégralité des informations relatives à l'épidémie en cours. Chaque ministère pourrait conserver sa propre plateforme, mais un ensemble cohérent, jouant le rôle d'un guichet unique et ayant vocation à recenser les informations disponibles, serait de nature à clarifier la situation et à introduire davantage de cohérence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans notre rapport, nous proposons enfin de renforcer le rôle de cinq autorités indépendantes : la CNIL, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le Défenseur des droits, la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE).

La CNIL joue un rôle indispensable, rappelé à plusieurs reprises par le Parlement. Elle a contribué à la construction du système d'informations de dépistage (SI-DEP) et de la base de données ContactCovid, permettant le traçage des cas contacts. Elle a éclairé les travaux du Parlement, notamment lors de l'élaboration de l'application StopCovid, devenue TousAntiCovid. Elle formule un avis éclairé sur les décrets pris sur le fondement des lois relatives à l'état d'urgence sanitaire. Autant de raisons pour lesquelles il nous a semblé essentiel que le travail de la CNIL soit reconnu, maintenu et précisé dans le texte de loi visant à pérenniser l'état d'urgence sanitaire. Cela nous semble d'autant plus nécessaire que ses moyens font débat, et que ses représentants n'ont pas manqué de nous rappeler que, pour mener à bien les missions qui leur sont confiées, des moyens supplémentaires leur seraient très utiles.

S'agissant du CGLPL, le poste est resté vacant entre le 16 juillet et le 15 octobre 2020, jusqu'à la nomination de Dominique Simonnot. Auparavant, du 23 mars au 11 mai, l'ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale a provoqué la paralysie du système judiciaire, ce qui a eu pour effet de maintenir sous le régime de l'incarcération des personnes qui auraient pu être libérées. Nous avons immédiatement corrigé ces dysfonctionnements, mais nous les aurions peut-être vus si nous avions davantage consulté le CGLPL.

Le Défenseur des droits a également toute sa place en période d'état d'urgence sanitaire, au regard des conséquences de celui-ci sur les inégalités sociales et territoriales. Du 16 mars au 1er juin, l'institution a reçu 1 400 saisines. Ce chiffre, qui couvre à peu près le premier confinement, donne une idée de la suite, et confirme qu'il faut absolument maintenir le fonctionnement de cette autorité en période d'état d'urgence sanitaire, si besoin en le précisant dans la loi.

Il en est de même de la HAS, qui a donné des avis utiles et pertinents sur le dépistage, les tests, la vaccination et les médicaments, ainsi que du CCNE, qui a soulevé d'importantes difficultés, liées notamment au traitement des résidents des établissements d'hébergements pour personnes âgées et au déroulement des cérémonies funéraires. À ce sujet, nous saluons le travail mené par notre collègue Xavier Breton sur l'éthique de l'urgence, qui lui a inspiré une proposition de loi adoptée à l'unanimité de notre Assemblée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En conclusion, l'intérêt que présente le travail transpartisan est, une fois encore, bien démontré. Dès lors que l'on aborde un sujet de façon objective et dépassionnée, l'ambiance est moins électrique que celle qui règne dans l'hémicycle – l'odeur de poudre et l'adrénaline ne sont pas toujours bonnes conseillères ! À quelques nuances près – très peu –, Sacha Houlié et moi-même sommes globalement d'accord sur le dispositif proposé. Dès lors qu'il n'y a pas de révision constitutionnelle, il s'agit d'inscrire l'état d'urgence sanitaire dans un régime de quasi-droit commun. Il nous semble important de définir cet état d'exception par un texte de loi plutôt que de résoudre au cas par cas, de façon un peu hasardeuse, au gré des épidémies, les problèmes susceptibles de se présenter.

Toutefois, s'agissant de dispositions plus ou moins attentatoires aux grandes libertés, il importe que le Parlement puisse être davantage présent dans leur élaboration. Cela implique qu'il se structure en suivant les conclusions des travaux conduits par Sylvain Waserman, ainsi que les propositions formulées dans notre rapport portant sur la clause de revoyure, sur les délais, sur le contrôle à la majorité qualifiée, sur le débat au sein du Parlement, sur la place pleine et entière des différents organes des commissions, tel l'OPECST. Cela suppose également de constituer un dispositif législatif d'ensemble : la présomption de l'urgence, en période d'état d'urgence sanitaire, pour saisir en référé le juge administratif des mesures s'y rapportant ; la reconnaissance et le renforcement des autorités indépendantes et des contre-pouvoirs, ainsi que des différenciations locales, en bonne intelligence, car si l'État doit être un, les politiques publiques peuvent être multiples.

Nous attendons que le Gouvernement tienne l'engagement, pris devant nous, d'organiser la discussion parlementaire du projet de loi de pérennisation dans des délais et des conditions raisonnables, permettant de mener un réel travail de fond, respectueux des prérogatives du Parlement. Nous ne doutons pas que la commission des Lois, sous l'égide de sa présidente, et l'Assemblée nationale dans son ensemble, par-delà les sensibilités politiques, sauront y prendre toute leur part.

Réaffirmer les droits du Parlement, ce n'est pas seulement demander, espérer ou quémander des droits supplémentaires pour les oppositions ; c'est réaffirmer la place d'une institution protectrice des libertés, dans une période où l'État de droit doit être renforcé pour ne pas être détérioré. L'état d'urgence, en soi, n'implique pas nécessairement la mise entre parenthèses de celui-ci ; il peut aussi être un moyen de renforcer nos institutions et d'assurer légitimement la sécurité de nos concitoyens. Tout dépend du poids des contre-pouvoirs et de la façon dont est envisagé le rôle du Parlement. Par-delà nos sensibilités respectives, nous sommes d'accord, me semble-t-il, pour préserver et défendre l'institution à laquelle nous appartenons, et au sein de laquelle nous représentons la nation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je partage cette conclusion et salue, moi aussi, le travail transpartisan que nous avons réalisé. Il a permis de dresser un bilan assez précis et complet de l'état d'urgence sanitaire. Nos réserves portent principalement sur la place du Parlement, qui doit notamment être mieux associé aux travaux du Conseil scientifique – Philippe Gosselin souhaite que des parlementaires y siègent quand je penche pour une saisine par les commissions parlementaires.

Pour l'essentiel, nous nous entendons pour dire que le régime juridique mis en œuvre a plutôt bien fonctionné, chacun – pouvoir exécutif, juges, Parlement – ayant été à sa place. Reste que le Parlement doit avoir plus de place encore, les autorités indépendantes doivent être confortées dans leur rôle, de même que les préfets et les élus locaux, dont on a mis en avant le rôle sans leur donner tous les pouvoirs. Nous avons construit, au fil de l'eau, un régime juridique qui a été perfectionné et adapté. Grâce aux modifications auxquelles nous proposons de procéder, il devrait être très utile à ceux qui nous succéderont, s'ils doivent gérer des crises aussi complexes que celle à laquelle nous sommes confrontés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chers collègues, je vous remercie de votre travail. Cette mission flash, je l'avais appelée de mes vœux et annoncée dans l'hémicycle il y a bien longtemps, considérant qu'il fallait, en la matière, prendre le temps de la concertation, du travail parlementaire transpartisan et des auditions. Vous avez mené ce travail dans des délais très contraints, procédant à près de trente auditions de très haut niveau. La mission est largement accomplie, ce dont je vous remercie.

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de renforcer le rôle du Parlement dans le cadre du régime juridique de l'état d'urgence. Dans un pays démocratique connaissant une situation de crise, ce sont nos institutions qui nous permettent de tenir et de faire face ensemble. Je partage l'ambition que vous nourrissez.

Seule votre proposition n° 5 m'inspire des réserves. Vous proposez de réexaminer le cadre de la recevabilité des amendements, qui est d'ordre constitutionnel. Il ne me semble pas souhaitable de modifier les règles applicables à l'examen des textes de loi par le Parlement dans le cadre d'un régime d'exception. La recevabilité des amendements, encadrée par les articles 41 et 45 de la Constitution, est un véritable sujet, qu'il faut aborder selon une démarche d'ensemble, non à l'occasion d'une mission flash. Au demeurant, nous en avons débattu lors de la réforme du Règlement de l'Assemblée et de la réforme constitutionnelle. Les travaux menés sous l'égide du président de l'Assemblée nationale s'y prêtent également. À cette réserve près, vos travaux me semblent très intéressants et très pertinents.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me joins à vous, madame la présidente, pour féliciter, au nom du groupe La République en marche, nos deux rapporteurs qui, dans un temps extrêmement contraint et dans des conditions qui n'étaient pas faciles, ont réalisé un travail important.

Il faut un état d'urgence sanitaire spécifique, c'est certain, mais il ne faut pas qu'il soit trop singulier non plus, car il n'est pas dit que la prochaine épidémie à laquelle nous devrons faire face sera comparable à celle du covid-19 : ce ne sera peut-être pas une épidémie respiratoire, elle n'aura peut-être pas le même degré de contagiosité…

Vous avez raison, il importe d'assurer un équilibre entre l'action du Gouvernement et celle du Parlement, en laissant suffisamment de marges de manœuvre au Gouvernement pour prendre des décisions dans l'urgence – car un virus peut faire des ravages en moins d'une semaine –, mais en prévoyant une clause de revoyure avec les parlementaires.

J'aimerais que M. Gosselin précise ce qu'il entend par le terme de « rupture dans la connaissance scientifique ». Tient-elle à une mutation du virus ou à l'expression d'avis différents sur une question scientifique ? Des avis différents, on en a eus, parfois plusieurs dans la même journée !

Le département me semble être le bon échelon pour contrôler l'évolution du virus. Mais, sur le terrain, il peut arriver qu'à une rue près, on se trouve dans un « bon » ou dans un « mauvais » département, ce qui peut compliquer les choses. En ce moment, par exemple, nos voisins belges vont chez le coiffeur dans le département du Nord, si bien que le gouvernement belge a menacé de mettre en quarantaine tous ceux qui reviennent de France avec les cheveux coupés.

Il me semble, enfin, que le rôle du Conseil scientifique est de donner un avis, et non de dicter des décisions. S'il donne son avis au Gouvernement, il peut aussi le donner au Parlement afin d'éclairer ses travaux. Ce qui importe, en tout cas, c'est qu'il n'y ait qu'une seule voix, et non plusieurs, souvent discordantes.

Je vous remercie une nouvelle fois pour la qualité de votre travail, qui va éclairer utilement notre prochain débat sur l'état d'urgence sanitaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis désolée, madame la présidente, mais j'étais en réunion et je n'ai pu entendre que la conclusion de M. Gosselin. Je tiens à vous remercier d'avoir créé cette mission flash : les auditions, d'une grande qualité, ont permis aux rapporteurs de mener une réflexion tout à fait enrichissante.

À ce stade, et pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas, le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés est tout à fait réservé, pour ne pas dire opposé, à un texte qui ancrerait dans le droit commun des mesures d'urgence sanitaire – Patrick Mignola, le président de notre groupe, me l'a redit clairement.

Les propositions que vous faites visent à garantir les droits du Parlement, et notre groupe y est sensible – je pense notamment à la clause de revoyure –, mais nous estimons qu'il n'est pas opportun de commencer l'année 2021 par un texte prolongeant l'état d'urgence.

Votre mission, je le répète, apporte un éclairage enrichissant et je vous remercie de la rapidité et du niveau d'exigence dont vous avez fait preuve. Sur le texte qui sera bientôt déposé en conseil des ministres, nous n'avons pas suffisamment d'informations et, pour l'heure, nous émettons des réserves.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chers collègues, je vous remercie pour la qualité de votre travail. Le groupe Socialistes et apparentés partage plusieurs de vos analyses et de vos propositions et a des réserves, voire une opposition, sur d'autres.

Le régime juridique de l'état d'urgence a été constamment remanié depuis dix mois. Plusieurs options existaient et rien ne s'opposait, par exemple, à l'application de la loi de 1955 et de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Le Gouvernement n'a pas fait ce choix, pour des raisons qui nous semblent plus politiques que juridiques, et il a pris le risque d'introduire dans l'urgence des mesures d'exception qui sont appelées à durer. Certaines dispositions prises dans le cadre de l'état d'urgence risquent de devenir la norme, par exemple en matière économique. Nous aurons d'autres crises à affronter – climatiques, environnementales, économiques, sanitaires – et l'accumulation de textes venant s'ajouter à la législation existante n'est pas forcément un gage d'efficacité.

Les lois instaurant puis prorogeant l'état d'urgence sanitaire ont permis au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures législatives provisoires étendues, ce qui n'est pas sans susciter des inquiétudes. Nous aborderons donc avec la plus grande vigilance l'examen du projet de loi qui nous sera bientôt soumis. Nous devrons veiller, en particulier, à préserver les mécanismes de contrôle. Le professeur Dominique Rousseau dit que si l'on peut comprendre que l'exercice des libertés soit différent dans certaines circonstances exceptionnelles, la préservation de l'État de droit suppose toutefois le respect de quelques principes fondamentaux. Ce respect est garanti par le contrôle qu'exercent le Parlement, le juge et la presse.

L'article 16 de la Constitution permet déjà d'instituer un régime d'exception, qui prévoit la consultation du Conseil constitutionnel sur les mesures prises et la possibilité, pour le président de l'Assemblée nationale, de saisir celui-ci au bout de trente jours. Or aucune garantie de cet ordre n'a été introduite dans les projets de loi instituant ou prorogeant l'état d'urgence sanitaire ; notre groupe a pourtant déposé plusieurs amendements visant à limiter la durée des mesures prises, à prévenir de nouvelles habilitations relatives à la gestion des données personnelles, à interdire au Gouvernement d'étendre le périmètre des mesures prises par ordonnance en dehors du champ strictement sanitaire, ou encore à protéger les plus fragiles. Or aucun de ces amendements n'a été retenu.

Mon groupe s'inquiète, par ailleurs, du fait que certaines décisions aient été prises sans que les données scientifiques aient été soumises à la discussion et à la possible contradiction d'une large expertise. Notre collègue Jean-Pierre Pont l'a dit : le Conseil scientifique ne donne qu'un avis, ce n'est pas à lui de dicter les décisions du Gouvernement.

Je tiens, pour finir, à revenir sur plusieurs de vos propositions et à saluer certaines d'entre elles.

En ce qui concerne la proposition n° 1, nous souhaitons instituer un régime d'urgence unique avec des garanties telles que l'information et la saisine constante du Parlement et l'avis du Conseil constitutionnel.

Oui à votre proposition n° 3 de prévoir la présomption de l'urgence pour saisir, par la voie du référé, le juge administratif sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, lorsque celui-ci a été décrété ou prorogé. Un bilan des décisions prises par le juge pourrait également éclairer notre débat sur le prochain projet de loi.

La proposition n° 5, visant à engager un travail sur la recevabilité des amendements, est intéressante, mais encore faut-il que l'exécutif et la majorité soient disposés à discuter, ce qui n'a pas toujours été le cas. Ce n'est pas le Gouvernement, quel qu'il soit, qui est en cause, mais le système institutionnel de la Ve République, qui sort toujours renforcé parce que le Président de la République décide, le Premier ministre applique et la majorité fait bloc.

Nous considérons également comme une bonne mesure la proposition n° 7 de Philippe Gosselin, consistant à renforcer les conditions de la majorité au fur et à mesure des prorogations de l'état d'urgence sanitaire. Cela donnerait une marge de négociation aux groupes minoritaires et permettrait de les associer à l'élaboration des scénarios et des hypothèses. Cela étant, en période de crise ou de peur, il peut être difficile, pour des parlementaires, d'expliquer pourquoi ils sont contre l'état d'urgence.

La proposition n° 8, sur l'organisation d'un débat parlementaire à chaque rupture constatée dans la connaissance scientifique, serait une bonne mesure, mais elle supposerait une expertise publique collégiale, transparente et contradictoire au cœur de la décision. L'indépendance du Conseil scientifique n'est pas posée comme principe : c'est un élément qui, selon moi, doit évoluer.

La proposition n° 9, visant à mieux associer le Parlement aux travaux du Conseil scientifique, correspond à une demande de longue date. D'autres organes sont chargés de délivrer une expertise dans le champ sanitaire. Le Haut Conseil de la santé publique, notamment, compte parmi les missions que lui a attribuées la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, de « fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences sanitaires, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ». Nous avons déjà des outils à notre disposition ; mieux vaudrait les activer plutôt que d'en créer toujours de nouveaux, ce qui nous fait perdre du temps.

La déclinaison territoriale des mesures, dont Sacha Houlié a parlé, est évidemment importante et nécessaire, mais il y a un enjeu de cohérence. Où était-elle lorsqu'il était possible de faire du vélo sans masque à Paris, alors que son port était obligatoire au Mans ?

Quant à conforter le rôle du préfet de département sur les ARS, pourquoi pas, mais est-ce suffisant, alors que ce que l'on constate souvent, c'est un manque de répondant de leur part ? Il faut aussi donner de la place aux élus locaux, qui doivent pouvoir être écoutés et poser des questions. Il convient donc de rester vigilant sur la façon dont ce pouvoir sera décliné et conjugué.

Enfin, oui à la proposition n° 14 de garantir ou consolider le rôle de certaines autorités en période de crise sanitaire, dont je constate que leurs avis, même circonstanciés et argumentés, n'infléchissent en rien la décision politique. Il faudrait réfléchir à un rôle plus substantiel. J'espère que nous pourrons le proposer dans le futur projet de loi.

Globalement, nous partageons plusieurs éléments de votre rapport, mais, éclairés de l'expérience vécue lors de l'examen de textes précédents, nous sommes inquiets et réservés quant à la suite. Nous jouerons notre rôle de parlementaires et contribuerons avec des propositions raisonnables – nous avons l'expérience de crises et de situations d'état d'urgence précédentes. Toutefois, rien ne se fera sans concertation et sans la volonté de tous les acteurs, y compris le Gouvernement et la majorité.

Je termine en vous remerciant tous les deux pour l'énorme travail que vous avez fourni, en si peu de temps. Le projet de loi à venir nous permettra d'approfondir certaines des propositions qui n'ont pas pu être suffisamment étayées dans ce rapport.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie d'avoir salué le travail accompli, dans des délais effectivement contraints. Nous l'avons voulu ainsi pour permettre au Gouvernement de prendre connaissance de nos conclusions avant même qu'il propose son texte. De son côté, le ministre Olivier Véran, lors de son audition, nous a dévoilé les grands principes et la philosophie du projet de loi pérennisant l'état d'urgence sanitaire.

Je vous rejoins, madame la présidente, madame Karamanli, sur la question de la recevabilité des amendements dans le cadre des ordonnances. Celle-ci relève, en effet, d'un cadre constitutionnel, mais une réflexion sur ce sujet a été engagée par le président Richard Ferrand. De notre côté, avec Philippe Gosselin, nous nous étions interrogés sur l'opportunité de soulever ce sujet dans le rapport, dans la mesure où nous avions admis que nous travaillerions à droit constitutionnel constant. Néanmoins, nous avons considéré que cela apporterait un supplément d'âme à notre rapport en même temps qu'un rappel de la limite, assez handicapante, à laquelle se sont heurtés nos travaux. Intrinsèque à la Ve République, cette limite entrave notre liberté, et le faire savoir est aussi une manière de se rebeller, en quelque sorte.

S'agissant des ordonnances, je n'irai pas aussi loin que vous le proposez, madame Karamanli. Il a fallu faire évoluer très rapidement la construction de certains dispositifs, comme ceux relatifs au chômage partiel ou à l'organisation du télétravail. On a appris au fil de l'eau. Le dispositif des ordonnances, aussi insatisfaisant soit-il pour le Parlement qui se décharge de sa compétence, s'est avéré approprié précisément dans cette situation d'urgence.

Nous nous sommes interrogés très rapidement sur le Conseil scientifique, nous souvenant que les propos tenus par Jean-François Delfraissy sur les antennes radio au début de l'automne avaient participé à une forme de panique ou de flottement dans la stratégie déployée à la rentrée : allait-on trop vite ou pas assez ; les mesures de durcissement progressif prises face à la flambée des contaminations étaient-elles les bonnes ? Nous avons tourné autour du pot, entre devoir d'information et devoir de réserve des médecins, pour finir par les rappeler à leur déontologie, sans pour autant que cela les décourage de participer aux travaux. Les mesures alternatives que nous avons présentées, telles que la participation de parlementaires au Conseil scientifique ou la saisine par les commissions parlementaires sont, en tout état de cause, une invitation à la transmission de l'information.

Une autre mesure, qui peut paraître déclaratoire, est, à notre avis, profondément révolutionnaire dans la façon d'appréhender les futurs états d'urgence : c'est l'organisation d'un débat, sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, à chaque rupture constatée dans la connaissance scientifique. Des débats, nous en avons certes eus – sur le déconfinement, sur le reconfinement ou encore sur l'application StopCovid –, mais nous aurions pu en avoir un sur le port du masque, au moment où le monde entier a changé d'avis après que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'avait considéré comme inutile. Des politiques ont payé cher pour avoir relayé ce message, fondé à l'époque sur la doctrine scientifique. Débattre au Parlement de ce changement de stratégie aurait constitué un gage de l'amende faite par les politiques sur ce sujet, pour convaincre nos concitoyens de sa pertinence et de nos facultés d'évoluer. De surcroît, cela aurait peut-être permis d'éteindre quelques contestations ou thèses conspirationnistes.

Enfin, j'entends les remarques de madame Florennes quant au calendrier de l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour mais le Parlement n'est pas maître de son agenda – encore une caractéristique de la Ve République. Son inscription intervient cependant de notre fait, puisque le Parlement est à l'origine de l'échéance de l'état d'urgence sanitaire au 1er avril 2021 et, finalement, des clauses de rendez-vous que nous préconisons à un rythme trimestriel dans le rapport. C'est peu ou prou ce qui s'est passé, et c'est une manière de rappeler que le Parlement a son mot à dire tout au long de l'évolution du dispositif. Nous avons estimé que le faire figurer dans la loi ordinaire est, à défaut de la meilleure des solutions, la moins mauvaise.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En ce qui concerne les ordonnances, nous sommes en effet soumis au cadre constitutionnel. Sans doute aurions-nous pu élaborer une doctrine juridique spécifique, mais il y a le possible, le souhaitable et le réalisable. Il est certes toujours possible de renvoyer aux calendes grecques une révision constitutionnelle des articles 16, 24, 38, 41 et 45, dont je ne suis pas sûr que le caractère très technique mobiliserait nos concitoyens, mais le réalisme impose de raisonner à cadre constant. J'entends et je partage toutes les préventions qui se sont exprimées à ce propos et je travaillerai, avec le président Ferrand et l'ensemble des parlementaires qui le souhaitent, à la modification du règlement de l'Assemblée nationale pour que nous puissions aller le plus loin possible dans le cadre de la logique constitutionnelle actuelle.

Il en est de même en ce qui concerne la recevabilité des amendements. J'entends bien les propos de la présidente, mais une question ne s'en pose pas moins compte tenu du système institutionnel de la Ve République – dont je ne propose d'ailleurs pas une remise à plat intégrale. Dans le cadre d'un état d'urgence, les amendements que nous pourrions déposer risquent d'être déclarés irrecevables au titre de l'article 41, car ne relevant pas du domaine de la loi : quasiment aucun amendement ne pourra être déposé, et encore moins soutenu !

Bien des questions se posent à propos du Conseil scientifique, dont le rôle doit être clarifié. Je ne fais pas de mauvais procès à son président, Jean-François Delfraissy, ou à ses membres, mais la question se pose de son indépendance et de sa légitimité. C'est d'ailleurs pourquoi, au-delà de la nécessaire coordination entre les travaux de l'Assemblée nationale et du Conseil scientifique, les avis de ce dernier pourraient être transmis au Parlement, singulièrement à l'OPECST, qui serait en quelque sorte notre propre Conseil scientifique.

Madame Karamanli, je ne crois pas au risque d'une inscription pérenne de l'état d'urgence dans le droit commun. Nous souhaitons, en revanche, pérenniser un cadre légal qui laisse la possibilité de son instauration. Je rappelle que ce n'est pas la loi qui, en tant que telle, instaure l'état d'urgence, mais un décret, qui relève donc du pouvoir exécutif. En l'occurrence, le décret devra répondre à un certain nombre de critères. Toute la question est de savoir comment objectiver le déclenchement de l'état d'urgence sanitaire – nous n'y répondons d'ailleurs pas complètement.

En résumé, le cadre général « non activé » repose sur la loi qui sera éventuellement débattue et votée en début d'année prochaine ; l'activation repose sur le décret ; la prorogation, enfin, ne peut être autorisée que par le Parlement.

À l'origine, j'étais plutôt favorable à une prorogation de la loi du 23 mars 2020 afin que nous nous donnions le temps de mieux tirer les enseignements de la situation. Aujourd'hui, je crains qu'il n'y ait pas de fenêtre de tir au-delà du premier semestre puisque nous entrerons dans une période pré-électorale, propice aux malentendus et aux sous-entendus. De surcroît, même si personne ne le souhaite, il est possible qu'une loi d'état d'urgence soit nécessaire après le 31 mars et que la simple prorogation soit, elle aussi, un peu compliquée.

J'espère que nos travaux, même s'ils peuvent certes être améliorés, offriront un cadre de réflexion utile. Certaines propositions sont très élaborées, d'autres sont des pistes dont l'exploration aurait nécessité un peu plus de temps. Quoi qu'il en soit, nous examinerons avec la plus grande attention le texte qui sera présenté en conseil des ministres prochainement, qui devra respecter un certain nombre de principes. Si le débat ne permet pas de garantir les droits du Parlement, de renforcer les pouvoirs des autorités indépendantes et ne donne pas une place suffisante aux citoyens, bref, si tout cela est de la « poudre aux yeux », je serai encore plus déterminé à tirer les conclusions qui s'imposeront du non-respect de nos préconisations.

Outre que l'acceptabilité du texte ne repose pas uniquement sur la pérennisation éventuelle de l'état d'urgence, les travaux concernant la réforme du Règlement devront également aboutir. Bref, c'est un ensemble, qui peut être tricoté, détricoté et largement amélioré grâce à vos contributions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez raison, nous avons besoin de temps pour réfléchir à ces questions fondamentales. C'est le sens de cette mission et du texte qui sera examiné en janvier. Nous avons montré que nous savons travailler dans l'urgence mais, lorsqu'il est possible de le faire de manière plus posée, c'est aussi bien !

Nous sommes tous d'accord, le Parlement doit jouer un rôle encore plus important. Dans ce contexte, je souhaite que la commission des Lois formule des propositions consensuelles et transpartisanes.

Je remercie vivement M. Gosselin et M. Houlié pour leur travail. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur du projet de loi pérennisant le cadre juridique de gestion des urgences sanitaires, pourra le poursuivre avec M. Gosselin qui, au nom du groupe Les Républicains, sera le rapporteur d'application de ce texte.

La réunion se termine à 18 heures 25.

Informations relatives à la Commission

- sur la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, dont les co-rapporteurs seront Mme Élodie Jacquier-Laforge et M. Raphaël Schellenberger ;

- sur les entraves opposées à l'exercice des pouvoirs de police des élus municipaux, dont les co-rapporteurs seront M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou.

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.