Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

La gestion de l'eau comme bien commun universel est le défi de notre siècle. L'eau est indispensable à la vie, l'accès à l'eau et son assainissement sont des droits inaliénables Personne ne devrait en être privé. Pourtant, l'eau est traitée comme une marchandise banale ou, pire, utilisée à des fins spéculatives. Le drame de la crise de l'eau en Guadeloupe en est un terrible exemple.

En 2018, l'audit interministériel sur l'eau potable évoquait une crise systémique au coût humain et financier considérable. L'alimentation en eau potable est catégorisée comme un « système très inefficace » par les indicateurs de la Banque mondiale. Comme le résume un habitant dans un reportage paru le 1er décembre dans le journal Le Monde, « chez nous, l'eau est un accident ».

Deux litres sur cinq se perdent en fuite, contre un litre sur cinq dans l'hexagone. Les coupures et les « tours d'eau » se succèdent tout au long de l'année. Dans certaines villes, l'approvisionnement en eau potable dépend des camions livrant les bouteilles. Ceux qui le peuvent construisent des installations de stockage sur leurs propres deniers. En outre, la crise sanitaire a particulièrement déstabilisé les systèmes de distribution. L'eau, quand elle est disponible, n'est pas toujours buvable. En 2016, les trente-six premières matières détectées par l'Office de l'eau étaient des pesticides, dont seize matières actives aujourd'hui interdites. Parmi elles, le chlordécone demeure la molécule la plus présente.

L'eau est plus chère en Guadeloupe qu'ailleurs. Au 1er janvier 2019, le prix moyen du mètre cube était de 3,20 euros, contre une moyenne nationale de 2,03 euros.

Historiquement, c'est le SIAEAG qui est responsable des infrastructures et de la distribution d'eau dans les zones traversées par la canalisation de Belle-Eau-Cadeau, par laquelle transite 40 % de l'eau potable de l'île. C'est le groupe Veolia, prestataire historique, qui a géré durant soixante-dix ans 90 % de l'eau. Après le départ du groupe, en 2015, le SIAEAG a peiné à absorber le triplement des effectifs et il a hérité de graves carences dans la gestion de la facturation. Certains abonnés n'ont plus reçu de facture, d'autres ont décidé de ne plus payer pour de l'eau qui ne leur était pas distribuée. On a également découvert des frais de représentation jugés exorbitants – un ancien dirigeant a été condamné en 2019 à un an de prison pour détournement de fonds. Le collectif des travailleurs de l'eau a montré que l'on était passé d'un excédent de 18 millions d'euros entre 2000 et 2007 à un déficit de plus de 100 millions d'euros entre 2010 et 2015. Le réseau n'a pas été entretenu ; où donc est passé l'argent ? Le décret dissolvant le SIAEAG vient clore un chapitre particulièrement déplorable. Mais il ne règle ni la question des salariés ni celle des dettes, fort nombreuses.

Parce qu'il entend répondre à cette situation particulièrement confuse, ce texte est le bienvenu. Nous saluons l'initiative tout en regrettant le choix du véhicule législatif – une proposition de loi – et l'absence de coordination avec l'action locale, qui empêche la bonne appropriation des mesures. Ce texte ne résout pas davantage un point important, la modalité de régie de l'eau. Après avoir constaté les désastres commis par une régie privée, allons-nous enfin revenir à une régie publique ?

Le syndicat mixte semble être un niveau pertinent pour mobiliser de grandes capacités d'investissement et l'amortir, dans la longue durée, grâce à un nombre d'abonnés important – mais encore faut-il que la régie soit publique. C'est là que le bât blesse. Il nous semble qu'il fallait d'abord créer un EPCI, en tant qu'autorité organisatrice. Celle-ci aurait ensuite choisi comment opérer : soit une régie publique, sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), soit une société publique locale, soit une délégation au privé. Le texte prévoit la création d'un EPIC. Or, un syndicat mixte est un EPCI. Est-ce une coquille ou une façon de garantir la gestion publique ? Il faudrait que cela soit précisé clairement.

Nous nous interrogeons aussi sur l'implication des citoyens. Il faut s'assurer que les collectifs, très actifs pendant des décennies pour alerter les pouvoirs publics, auto-organiser les distributions et combler les défaillances des services publics, seront pleinement intégrés au dispositif. Je pense notamment à l'association Balance ton SIAEAG ou au collectif des travailleurs de l'eau, qui avait lancé une pétition demandant la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la gestion de Veolia. Nous défendons cette forme de gestion et l'intégration plus large des syndicats, des représentants des agents et des associations.

Nous pensons qu'il faut un service public unifié au niveau national avec des dispositifs de péréquation et des tarifications différenciées fondées sur l'usage fait de l'eau. Le vote du groupe La France insoumise sur la proposition de loi dépendra des modifications et des clarifications apportées par la commission des Lois.

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