Hasard du calendrier, au moment où nous discutons de ce texte important, la Cour de cassation doit se prononcer sur la demande de requalification en viol de faits commis par vingt pompiers sur une adolescente entre ses treize et quinze ans. L'histoire de cette enfant, surnommée Julie, de ce qu'elle aurait subi de la part de ces hommes mais aussi des différentes institutions auprès desquelles elle est allée demander justice, n'est ni un cas isolé ni un fait divers. Rappelons-le : une femme sur six, un homme sur vingt déclare avoir subi un viol ou une tentative de viol au cours de sa vie, une personne sur dix affirme avoir été victime d'inceste. Seules 10 % des victimes portent plainte et 1 % seulement des viols font l'objet d'une condamnation. Les correctionnalisations sont nombreuses. Pour quatre personnes sur dix, aujourd'hui encore, la responsabilité du violeur est atténuée si l'attitude de la victime a été provocante ou si elle a flirté.
L'ensemble des histoires que les victimes de violences sexuelles, pour la plupart encore enfants à l'époque des faits, partagent sur les réseaux sociaux au moyen des mots-dièses #MeToo, #MeTooGay, #MeTooInceste ou #Iwas Corsica, témoignent du caractère massif, systémique, de ces violences, ainsi que des défaillances, voire des résistances institutionnelles à reconnaître les faits et à déconstruire les mécanismes et les rapports de domination qui nourrissent ces violences.
Près de deux ans et demi après l'occasion manquée de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, cette proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés permet de reprendre le fil d'une discussion parlementaire arrêtée au milieu du gué. Elle est donc extrêmement bienvenue. Tout en saluant l'initiative de la rapporteure Isabelle Santiago, je rends hommage aux associations qui portent ce combat depuis des décennies.
C'est à l'article 2 que l'on trouve l'apport principal de ce texte puisqu'il crée une nouvelle infraction criminelle pour tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans. Dès 2017, Mme Clémentine Autain avait appelé l'attention du Gouvernement, au nom de notre groupe, sur la nécessité de clarifier le droit en instaurant un seuil de présomption de non-consentement à 15 ans. Lors de l'examen de la loi Schiappa, en 2018, notre groupe, parfois avec le soutien de certains députés de la majorité, avait présenté des amendements en ce sens. Puis, nous avions déposé en 2019 une proposition de loi visant à lutter contre les violences sexuelles à l'égard des enfants, cosignée par des députés de plusieurs groupes, pour renverser la charge de la preuve en prévoyant une présomption simple de la contrainte quand la victime d'une agression sexuelle est un mineur de treize ans. Cette mesure semblait être, alors, le minimum sur lequel pouvaient s'entendre tous les députés. Ce seuil, de notre point de vue, pouvait être porté à quinze ans.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui va plus loin en opérant un changement majeur : désormais, la question du consentement de l'enfant victime serait évacuée. C'est heureux et je suis favorable à cette avancée. Je m'interroge cependant à propos du quantum des peines et de leur échelle. En effet, l'article 1er punit de dix ans d'emprisonnement le fait, pour un majeur, de commettre sur un mineur de quinze ans une atteinte sexuelle, tandis que l'article 2 prévoit vingt ans de réclusion criminelle lorsque cette atteinte comporte une pénétration. Ces dispositions feraient disparaître la circonstance aggravante d'inceste puisque l'atteinte sexuelle incestueuse est punie de dix ans d'emprisonnement par l'article 227-26 du code pénal et le viol incestueux de vingt ans de réclusion criminelle par l'article 222-24 du même code. Le viol d'un mineur de 15 ans serait puni de la même peine, incestueux ou non. Il faudra y réfléchir pour améliorer le texte.
Le débat nous permettra de mettre en avant certaines lacunes du texte. Ainsi, les peines ont beau avoir été durcies, elles ne semblent pas encore suffisamment dissuasives. Il nous semble fondamental d'intervenir avant même la commission de l'infraction en renforçant la prévention et la formation de l'ensemble des professionnels de l'éducation, de la santé, du médico-social, de la police, de la justice, pour améliorer l'accueil, l'écoute, l'alerte, la prévention des violences. Nous devons construire une véritable culture du consentement. Nous avons d'ailleurs déposé plusieurs amendements visant à mieux définir la notion de consentement.
Cette proposition de loi est une avancée. Nous espérons qu'elle sera, non pas un aboutissement, mais le point de départ d'un débat qui s'étende dans l'ensemble de notre société pour que cessent les violences sexuelles, en particulier contre les enfants.