La réunion débute à 14 heures 30.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
La Commission poursuit l'examen de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).
Mes chers collègues, nous reprenons la discussion générale sur la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles.
Hasard du calendrier, au moment où nous discutons de ce texte important, la Cour de cassation doit se prononcer sur la demande de requalification en viol de faits commis par vingt pompiers sur une adolescente entre ses treize et quinze ans. L'histoire de cette enfant, surnommée Julie, de ce qu'elle aurait subi de la part de ces hommes mais aussi des différentes institutions auprès desquelles elle est allée demander justice, n'est ni un cas isolé ni un fait divers. Rappelons-le : une femme sur six, un homme sur vingt déclare avoir subi un viol ou une tentative de viol au cours de sa vie, une personne sur dix affirme avoir été victime d'inceste. Seules 10 % des victimes portent plainte et 1 % seulement des viols font l'objet d'une condamnation. Les correctionnalisations sont nombreuses. Pour quatre personnes sur dix, aujourd'hui encore, la responsabilité du violeur est atténuée si l'attitude de la victime a été provocante ou si elle a flirté.
L'ensemble des histoires que les victimes de violences sexuelles, pour la plupart encore enfants à l'époque des faits, partagent sur les réseaux sociaux au moyen des mots-dièses #MeToo, #MeTooGay, #MeTooInceste ou #Iwas Corsica, témoignent du caractère massif, systémique, de ces violences, ainsi que des défaillances, voire des résistances institutionnelles à reconnaître les faits et à déconstruire les mécanismes et les rapports de domination qui nourrissent ces violences.
Près de deux ans et demi après l'occasion manquée de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, cette proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés permet de reprendre le fil d'une discussion parlementaire arrêtée au milieu du gué. Elle est donc extrêmement bienvenue. Tout en saluant l'initiative de la rapporteure Isabelle Santiago, je rends hommage aux associations qui portent ce combat depuis des décennies.
C'est à l'article 2 que l'on trouve l'apport principal de ce texte puisqu'il crée une nouvelle infraction criminelle pour tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans. Dès 2017, Mme Clémentine Autain avait appelé l'attention du Gouvernement, au nom de notre groupe, sur la nécessité de clarifier le droit en instaurant un seuil de présomption de non-consentement à 15 ans. Lors de l'examen de la loi Schiappa, en 2018, notre groupe, parfois avec le soutien de certains députés de la majorité, avait présenté des amendements en ce sens. Puis, nous avions déposé en 2019 une proposition de loi visant à lutter contre les violences sexuelles à l'égard des enfants, cosignée par des députés de plusieurs groupes, pour renverser la charge de la preuve en prévoyant une présomption simple de la contrainte quand la victime d'une agression sexuelle est un mineur de treize ans. Cette mesure semblait être, alors, le minimum sur lequel pouvaient s'entendre tous les députés. Ce seuil, de notre point de vue, pouvait être porté à quinze ans.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui va plus loin en opérant un changement majeur : désormais, la question du consentement de l'enfant victime serait évacuée. C'est heureux et je suis favorable à cette avancée. Je m'interroge cependant à propos du quantum des peines et de leur échelle. En effet, l'article 1er punit de dix ans d'emprisonnement le fait, pour un majeur, de commettre sur un mineur de quinze ans une atteinte sexuelle, tandis que l'article 2 prévoit vingt ans de réclusion criminelle lorsque cette atteinte comporte une pénétration. Ces dispositions feraient disparaître la circonstance aggravante d'inceste puisque l'atteinte sexuelle incestueuse est punie de dix ans d'emprisonnement par l'article 227-26 du code pénal et le viol incestueux de vingt ans de réclusion criminelle par l'article 222-24 du même code. Le viol d'un mineur de 15 ans serait puni de la même peine, incestueux ou non. Il faudra y réfléchir pour améliorer le texte.
Le débat nous permettra de mettre en avant certaines lacunes du texte. Ainsi, les peines ont beau avoir été durcies, elles ne semblent pas encore suffisamment dissuasives. Il nous semble fondamental d'intervenir avant même la commission de l'infraction en renforçant la prévention et la formation de l'ensemble des professionnels de l'éducation, de la santé, du médico-social, de la police, de la justice, pour améliorer l'accueil, l'écoute, l'alerte, la prévention des violences. Nous devons construire une véritable culture du consentement. Nous avons d'ailleurs déposé plusieurs amendements visant à mieux définir la notion de consentement.
Cette proposition de loi est une avancée. Nous espérons qu'elle sera, non pas un aboutissement, mais le point de départ d'un débat qui s'étende dans l'ensemble de notre société pour que cessent les violences sexuelles, en particulier contre les enfants.
Je salue ce texte et l'occasion qui nous est offerte de débattre de ce sujet. Je remercie la rapporteure, qui a ce combat chevillé au corps et au cœur depuis bien longtemps puisqu'elle a été, durant dix ans, vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne chargée de la prévention et de la protection de l'enfance et de l'adolescence. Le hasard du calendrier fait qu'une lumière particulière est jetée sur ce texte, mais sa préparation a commencé bien avant que l'actualité ne braque ses projecteurs. Il n'en est que plus légitime.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra évidemment cette proposition de loi qui vise à élever la France au rang des pays les plus protecteurs de l'enfance. Nous ne serons plus à la traîne du fait de règles juridiques bien en deçà de celles en vigueur dans les autres pays. C'est une bonne chose.
Ce texte s'articule autour de deux piliers. Tout d'abord, il instaure un interdit clair et déterminant : un mineur de quinze ans n'est pas capable de consentir à des relations sexuelles avec un majeur. La barrière sera dorénavant claire et la victime n'aura plus à prouver l'absence de consentement. Le consentement est une notion subjective, dont l'appréciation diffère d'un juge à l'autre, comme le révèle la lecture de l'exposé des motifs qui montre qu'à l'issue de certains jugements, des viols sur des enfants de onze ans ont pu être requalifiés en atteintes sexuelles. Ensuite, l'inceste devient un acte répréhensible à part entière et non plus seulement une circonstance aggravante.
Comme Mme Danièle Obono, je souhaite que ce débat permette d'aborder des sujets qui dépassent les limites de ce texte. Je me suis rendu, avec Mme Alexandra Louis, à l'audience de rentrée du tribunal judiciaire de Bobigny, qui a mis l'accent sur un phénomène en développement : la prostitution des mineurs. Les dispositions de ce texte relatives aux mineurs de quinze ans permettront sans doute de lutter plus efficacement contre ce fléau. J'espère également que les débats permettront d'alerter le ministère de l'éducation nationale sur le manque d'infirmiers et de médecins scolaires dans les collèges. Dans mon département, qui n'est sans doute pas le seul, il n'est pas rare qu'un collégien traverse tout le secondaire sans rencontrer un seul médecin ou infirmier scolaire, alors qu'il a atteint l'âge de la puberté et que son corps se transforme. Malheureusement, les postes n'existent pas ou ne sont pas pourvus. Bref, cette proposition de loi peut être l'occasion d'ouvrir de nombreux débats.
Je souhaite que l'ensemble des groupes, à commencer par le groupe majoritaire, s'approprient cette proposition de loi pour aboutir à un consensus autour d'un texte de l'opposition et non pas, comme souvent, de l'exécutif. Le rôle du Parlement en serait renforcé. Espérons que ce texte franchisse les étapes du processus législatif. Depuis que je suis député, une seule proposition de loi émanant de l'opposition a été adoptée : celle, déposée par le député du groupe Les Républicains Aurélien Pradié, visant à agir contre les violences au sein de la famille. Puisse le texte de Mme Santiago être le deuxième !
Je remercie la rapporteure pour son travail et le groupe Socialistes et apparentés pour avoir inscrit à l'ordre du jour cette question ô combien importante. La proposition de loi va dans le bon sens et nous en partageons les objectifs. Les violences sexuelles commises sur les mineurs, notamment incestueuses, sont nombreuses, beaucoup trop si l'on en croit l'enquête Ipsos réalisée en novembre dernier qui révèle que 10 % de la population française aurait été victime d'inceste. C'est effarant. Chaque nouveau témoignage d'enfant abusé par des adultes nous glace et nous révolte. La libération de la parole est salutaire si elle permet de ne plus craindre de parler de viol ou d'inceste et de porter de tels faits à la connaissance de la justice. La population attend du législateur une réponse appropriée. Plusieurs voix s'élèvent, émanant d'associations de victimes, de juristes, d'avocats, pour que les victimes soient mieux protégées. Le groupe Libertés et territoires s'associe à cette démarche visant à construire avec clairvoyance la meilleure protection possible, dans notre droit pénal, des mineurs victimes de violences sexuelles.
Si la nécessité de modifier la loi fait consensus, comment parvenir à un dispositif juridique clair, fort et équilibré ? Plusieurs propositions sont sur la table et nous devons agir vite. Il y a la vôtre, madame la rapporteure, que nous saluons. La sénatrice Annick Billon a, de son côté, déposé une proposition de loi, que le Sénat a adoptée à l'unanimité, pour fixer à treize ans l'âge au-dessous duquel l'absence de consentement est présumée. Notre collègue Alexandra Louis, rapporteure de la loi Schiappa en 2018, travaille elle aussi sur la question. Enfin, le garde des Sceaux a annoncé hier qu'il souhaitait retenir un seuil d'âge de quinze ans, en introduisant un écart d'âge supérieur à cinq ans entre le mineur et le mis en cause ainsi qu'une prescription glissante pour les accusés.
L'instauration d'un âge en deçà duquel le non-consentement est présumé permettra de mieux protéger les victimes. En 2018, le Gouvernement avait envisagé faire figurer dans le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes une présomption irréfragable de non-consentement, permettant de considérer comme un viol toute pénétration commise par un adulte sur un mineur de quinze ans, avant d'y renoncer, après un avis du Conseil d'État qui soulevait un risque d'inconstitutionnalité fondé sur la présomption d'innocence et les droits de la défense. À titre personnel, je soutiendrai l'instauration d'un seuil d'âge au-dessous duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur sera qualifié de viol. C'est à la défense de prouver le discernement du mineur.
Cela étant, le garde des Sceaux a raison, il faut aussi pouvoir tenir compte de situations particulières. Un jeune homme de 17 ans qui noue une relation consentie avec une jeune fille de 14 ans et demi ne doit pas devenir un criminel le jour de ses 18 ans. Nous devons être vigilants et réfléchir aux conséquences de chacune de nos propositions pour retenir celle qui sera la plus adaptée. La version définitive du texte, quel que soit son initiateur, devra être bien solide pour ne pas retarder la réforme de notre droit.
Bien évidemment, notre groupe ne s'opposera pas à ce texte qui traite d'une question de société importante et vise à renforcer la protection des victimes.
Je suis extrêmement favorable à ce que des discussions s'engagent sur le sujet, quel que soit le groupe à l'initiative. C'est un débat auquel nous ne pouvons pas échapper. J'exprimerai cependant deux regrets et quelques doutes.
Je regrette d'abord que cette proposition de loi arrive à l'ordre du jour alors que d'autres réflexions ont été engagées. Je pense, en particulier, à la commission sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, coprésidée par le juge Édouard Durand. D'autres propositions encore sont en cours. Bien sûr, on arrive toujours trop tard pour des sujets de cette importance mais, en l'espèce, peut-être sommes-nous, non pas à contretemps, mais légèrement en avance par rapport à une réflexion qui devrait aboutir à des résultats rapides.
Je regrette ensuite que l'on aborde le sujet uniquement sous l'angle pénal. En effet, il ne se pose pas qu'en ces termes. La question du secret professionnel, par exemple, est laissée de côté, alors qu'elle est extrêmement prégnante dans ces affaires. Rien n'est dit de la manière dont nous pourrions libérer encore davantage la parole. Les mesures prévues dans le texte sont importantes mais elles ne suffiront pas à résoudre toutes les difficultés que nous rencontrons, y compris au niveau départemental.
Venons-en à mes doutes. Aujourd'hui, l'âge de quinze ans est un élément constitutif du délit d'atteinte sexuelle mais il n'est qu'une circonstance aggravante du viol et de l'agression sexuelle. Il y a là, en effet, un hiatus auquel réfléchir. Il me semble que la loi du 3 août 2018 a amélioré la situation, en précisant la définition de la contrainte qui peut découler d'une différence d'âge significative entre la victime et l'auteur des faits. C'est déjà, à mon avis, une avancée forte même si, hélas, nous ne disposons d'aucune étude qui atteste de son bien-fondé ou non. On n'arrête pas de voter des lois sans savoir ce que les précédentes ont donné. Si le problème est général, il prend, en l'espèce, une acuité particulière.
Réfléchissons une seconde. Est-on nécessairement une victime à quinze ans ? Un adolescent de quatorze ans et demi ou de quinze ans est-il vraiment incapable d'être responsable de son corps ? Personnellement, je n'en suis pas persuadé. D'ailleurs, la responsabilité pénale est fixée à treize ans et non à quinze, ce qui veut bien dire que, même si des excuses de minorité sont prévues, on peut être pénalement responsable à cet âge-là. Je me souviens même que nous avons débattu dans cette enceinte de l'abaissement de l'âge de la majorité à seize ans. Est-ce à dire qu'à seize ans, on pourrait être jugé pleinement responsable civilement, mais qu'à quinze ans, on n'aurait aucune responsabilité sur son corps ? Ce texte supprimerait toute gradation au profit d'un effet couperet – étant précisé que l'âge doit être connu de l'auteur des faits, sinon l'élément moral ne serait pas constitué. Écoutons aussi la parole des adolescents ; le planning familial lui-même s'inquiète des conséquences en matière de contraception.
Pour conclure, je pense que la décision prise par le Sénat mérite réflexion. Ne nous précipitons pas vers la mesure couperet introduite par cette proposition de loi.
Si je soutiens totalement la proposition de loi, M. Didier Paris a raison : nous devons rester vigilants. Les relations consenties entre un jeune majeur et un adolescent existent. Nous devons en tenir compte afin qu'un jeune ne se retrouve pas, le jour de sa majorité, coupable des infractions que nous pourrions créer. Prévoir un écart d'âge de cinq ans est une piste intéressante mais il peut y en avoir d'autres, que nos débats permettront d'éclairer. La question qui nous occupe est de celles sur lesquelles nous devons tomber d'accord si nous voulons toutes les chances d'éviter la censure du Conseil constitutionnel.
À entendre les députés du groupe majoritaire, je pressens ce qu'il adviendra de ce texte et je le regrette. Rappelons simplement qu'en novembre 2017, le Président de la République avait fait de ce sujet l'une des grandes causes du quinquennat. Novembre 2017 ! Depuis, il y a d'abord eu la loi du 3 août 2018 – sur laquelle certains amendements allant dans le sens de ce que nous appelons de nos vœux aujourd'hui avaient été déposés mais rejetés sans appel –, puis la loi du 29 décembre 2019, la loi du 30 juillet 2020, la proposition de loi Billon et aujourd'hui celle de Mme Isabelle Santiago. Cessons de tergiverser ! Le sujet est majeur. Nous devons protéger les victimes, les enfants. Que diable n'avez-vous déposé des amendements pour enrichir ce texte ?
L'enjeu est de taille et il ne serait pas souhaitable de retarder davantage l'adoption de cette proposition de loi.
Le groupe LaREM, conscient de la complexité des enjeux, entend aborder ce texte dans un esprit constructif. Nous voulons tous avancer et aboutir à un texte solide, conforme à la Constitution. C'est parce que le sujet est complexe que nos prédécesseurs ont eu du mal à avancer et que nous avons eu des débats nourris en 2018. À l'époque, nous avions néanmoins sécurisé la pratique. J'ai passé beaucoup de temps à évaluer ce texte ; cela m'a permis de me faire une idée précise de ses effets et de me forger une conviction personnelle : concernant les mineurs victimes de violences sexuelles, nous devons changer de paradigme.
Mes propositions découlent aussi de l'observation de la législation de nos voisins, en particulier l'Allemagne. Le droit comparé est un outil précieux pour tirer profit de l'expérience d'États qui ont connu les mêmes débats parce que, comme nous, ils sont des États de droit dans lesquels la présomption d'innocence est centrale.
Beaucoup d'entre vous ont dit que l'inceste était une circonstance aggravante. En droit pénal français, l'inceste est une simple surqualification pénale. Il n'est ni une infraction autonome ni une circonstance aggravante. Il existe une circonstance aggravante de commission par ascendant, qui n'inclut pas tous les cas d'inceste. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet complexe mais je tenais à donner cette précision pour que l'on parte sur des bases solides.
Enfin, le choix du seuil d'âge, quinze ou treize ans, a fait l'objet de nombreux travaux en 2018. L'âge de quinze ans a été retenu non pas arbitrairement mais à la suite d'études menées avec des psychologues et des psychiatres ; il est celui sur lequel s'accordent la majorité des professionnels. Attention à ne pas faire de parallèle entre responsabilité pénale et maturité sexuelle. Ce n'est pas du tout la même chose. En France, l'âge moyen du premier rapport sexuel est de dix-sept ans. Prenons garde à ne pas nous laisser submerger par l'émotion provoquée par certains faits divers !
Je remercie tous les députés, quel que soit leur groupe, qui ont pris la parole. Ce faisant, ils contribuent à la construction de ce texte. Je suis une nouvelle députée, puisque je ne suis arrivée qu'en septembre. Mais depuis lors, je vous observe pour comprendre comment travailler. Du fait de mon parcours, j'ai l'habitude de parler avec tout le monde et je n'ai pas eu le temps de m'apercevoir que les choses pourraient être plus compliquées. Surtout, je travaille sur des sujets qui, d'ordinaire, recueillent un large consensus. En général, les mesures que l'on prend pour protéger l'enfance font l'unanimité.
Je répondrai rapidement à certaines questions avant que nous ne les abordions plus longuement au cours du débat. En particulier, je reviendrai sur certains messages que j'ai reçus sur les réseaux sociaux. Le travail législatif suppose de faire preuve, à un moment donné, de courage politique et de déposer un texte. Il faut ensuite être capable d'entendre les positions des uns et des autres, d'améliorer ce premier jet et d'aboutir à une rédaction qui conviendra au plus grand nombre. Si le texte, à l'issue de la procédure législative, est adopté par le Parlement, il sera souvent différent de celui déposé. Néanmoins, il me semble important que nous conservions les deux principes qui fondent celui-ci, tout en l'enrichissant et, puisque nous sommes à la commission des Lois, en assurant sa solidité juridique.
Concernant la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon, je ne vous dirai pas ne pas avoir pensé inscrire mes travaux dans ce cadre. Au contraire, j'aurais voulu le faire si le seuil d'âge y avait été fixé à quinze ans et si l'inceste avait été au cœur des débats. Mais les votes n'ont pas permis cette avancée. Surtout, les délais constitutionnels qui exigent un délai de quatre semaines entre le vote du Sénat et l'examen par l'Assemblée nationale n'auraient pas permis, de toute manière, une inscription dans la niche de mon groupe. Il semblerait néanmoins que la proposition de loi Billon ait vocation à être inscrite en mars. De la sorte, elle aura bien une vie à l'Assemblée nationale.
Vous avez été nombreux à poser des questions autour de l'enfant, qu'il s'agisse de prostitution des mineurs, de médecine scolaire ou de formation. Lorsque j'ai été élue, je me suis présentée au président de l'Assemblée nationale et, forte de mon expérience, je lui ai fait part de ma surprise de constater l'absence d'une délégation aux droits de l'enfant. Je vous le dis à présent : j'aimerais que, ensemble, nous demandions sa création. Nous devons pouvoir intervenir dans tous les domaines que vous avez cités. Prenez la prostitution des mineurs. Lorsque j'étais chargée de la protection de l'enfance dans le Val-de-Marne, je côtoyais ce phénomène tous les jours. Durant les trois dernières années, nous avons travaillé sur la question. M. Adrien Taquet a participé à de nombreuses réunions avec les services du Val-de-Marne parce que, à l'époque, nous étions les premiers à mener des actions contre ce fléau en partenariat avec le parquet et le préfet. Des idées, il y en a plein ! Le sujet de l'enfance est transversal et ce n'est qu'en travaillant main dans la main que nous pourrons avancer.
S'agissant des délais de prescription, n'étant pas experte en ce domaine, je me suis abstenue de faire des propositions. Néanmoins, la question est légitime et je souhaite que nous y réfléchissions avec la majorité et le Gouvernement. Dans cette attente, je soutiendrai l'amendement que Mme Laurence Rossignol avait déposé sur le texte de Mme Billon, qui est le fruit d'un travail avec des juristes et que certains d'entre vous ont déposé aujourd'hui.
À présent, pour ce qui concerne l'examen des articles, je ne pourrai pas approuver tous vos amendements. Cela étant, l'essentiel est d'aboutir à un texte qui serve l'intérêt des enfants. C'est ma priorité. Je suis ravie que les travaux de l'Assemblée nationale le permettent et je suis honorée, en tant que députée, de défendre cette cause avec vous tous.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Avant l'article 1er
La Commission examine l'amendement CL109 de la rapporteure.
Cet amendement vise à mieux structurer la proposition de loi en identifiant les thématiques qu'elle contient. Le chapitre Ier traiterait des atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, le chapitre II de l'inceste et le chapitre III des dispositions communes.
Si je ne vois pas d'inconvénient à créer des chapitres, le terme d'atteinte sexuelle ne me semble pas approprié. En effet, il existe déjà une infraction pénale intitulée ainsi, qui est très connotée, comme on a pu le constater lors de l'examen de la loi du 3 août 2018, et qui est, en pratique, retenue par défaut lorsqu'on ne peut retenir l'agression sexuelle ou le viol sur mineur.
Si vous trouvez un autre terme d'ici à la séance publique, je l'accepterai avec grand plaisir.
Il faudra s'en souvenir à l'issue de la réunion : les chapitres servent à organiser le texte et l'intitulé est à parfaire. Nous devons trouver un terme qui permette de qualifier l'ensemble des actes qui deviennent une même infraction du fait qu'ils sont commis sur un mineur. Idéalement, ce terme ne devrait pas être déjà utilisé.
Nous avons débattu de cette question au sein de la délégation aux Droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. D'autres termes pourraient être utilisés mais ils correspondent déjà à des incriminations. Pourquoi ne pas parler, tout simplement, de violences sexuelles ? Le terme de « violence », contrairement à celui d'« atteinte », a le mérite de ne pas édulcorer la réalité.
Le sujet relève de la matière pénale, aussi vous proposerai-je de parler des « infractions sexuelles » sur mineur de quinze ans.
Sans me lancer dans un cours de droit pénal, je rappelle que les infractions recouvrent les crimes – donc les viols –, les délits et les contraventions. Tous les cas seraient couverts. Le terme d'atteinte sexuelle ne convient pas puisqu'il désigne déjà une catégorie d'infraction pénale à l'encontre des mineurs.
On pourrait aussi ne rien mettre du tout, ce qui serait encore plus simple.
La Commission adopte l'amendement ainsi rectifié.
Article 1er (art. 227-25 du code pénal) : Atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans
La Commission examine l'amendement CL77 de Mme Marie-France Lorho.
J'ai déposé cet amendement dans le seul but de nous poser la question du véhicule législatif utilisé pour renforcer, dans notre droit, la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. La présidence de l'Assemblée nationale a enregistré, le 22 janvier 2021, la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Le Gouvernement a également annoncé sa volonté de criminaliser tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans. Afin de ne pas alimenter l'inflation législative, il serait préférable de réunir les dispositions concernant ce sujet au sein d'un seul et même texte, ce qui clarifierait notre droit. Par conséquent, je vous suggère de ne pas retenir les dispositions proposées par ce texte mais de les réintroduire par voie d'amendement dans le texte du Sénat.
En outre, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, l'article 1er aurait pour objet de créer une nouvelle infraction délictuelle d'atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Or, cette infraction est déjà prévue par l'article 227-25 du code pénal. Je vous invite donc à supprimer cet article 1er.
Malgré tout le respect que m'inspire votre position, je dois émettre un avis défavorable sur votre amendement car il couperait court à nos débats. Je vous l'ai expliqué tout à l'heure : la seule façon d'avancer rapidement est de retenir ce texte qui peut être adopté rapidement si le Gouvernement accède à la demande qui lui a été faite d'engager la procédure accélérée. Au contraire, la proposition de loi de Mme Billon, qui ne peut plus être examinée selon la procédure accélérée, devra être soumise à la procédure normale.
Nous ne voterons pas cet amendement de suppression car nous souhaitons utiliser tous les vecteurs possibles pour avancer.
La Commission rejette l'amendement.
L'amendement CL58 de Mme Alexandra Louis est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL108 de Mme Alexandra Louis, lequel fait l'objet de quatre sous-amendements : les sous-amendements CL119 et CL120 de M. Aurélien Pradié et les sous-amendements CL123 et CL124 de M. Jean Terlier.
Comme l'adoption de cet amendement ferait tomber tous les autres amendements sur l'article, je vous propose d'engager une discussion nourrie afin que tous ceux qui le souhaitent aient la possibilité de s'exprimer.
L'objet de mon amendement est de servir de base pour un travail en séance publique en vue d'améliorer le texte, et cela suivant plusieurs axes.
En premier lieu, il convient, pour des raisons qui tiennent à la lisibilité du droit, de créer dans le code pénal une section dédiée aux infractions sexuelles sur mineurs. C'est pourquoi j'ai rédigé un amendement visant à créer cette nouvelle section, qui reprend plusieurs des éléments relatifs aux infractions autonomes, mais dans une rédaction différente.
Je suis tout à fait favorable au principe d'une infraction autonome pour une simple et bonne raison : aujourd'hui, le crime de viol et le délit d'agression sexuelle protègent cette valeur sociétale qu'est la liberté sexuelle ; c'est la raison pour laquelle il faut rechercher l'existence ou non d'un consentement. En revanche, s'agissant de mineurs de moins de quinze ans – seuil qui rallie la majorité des suffrages –, ce que l'on veut protéger, ce n'est pas la liberté sexuelle, c'est l'intégrité physique et psychique des enfants. C'est pourquoi il faut changer de raisonnement juridique et écarter toute idée de consentement en posant l'interdit de toute relation sexuelle avec un majeur. Il convient néanmoins de faire attention à l'effet couperet. Le Conseil d'État avait appelé notre attention sur ces couples d'adolescents que nos collègues sénateurs appellent « Roméo et Juliette » : dans le cas d'une relation nouée entre deux mineurs, dans un cadre donc parfaitement légal, le simple fait que l'un d'eux parvienne à l'âge de la majorité rendrait cette relation criminelle et ferait peser sur la personne concernée le risque d'être mis en accusation devant la cour d'assises. Je pense que nous devons impérativement tenir compte de tels cas particuliers, car ils forment le cœur même du droit pénal et de la vie judiciaire. Il s'agit donc d'un sujet complexe et j'y ai beaucoup réfléchi. Deux options peuvent être envisagées.
La première consiste à prévoir ce qu'on appelle un fait justificatif : si la relation a commencé avant la majorité, on tient compte de cette circonstance pour neutraliser la responsabilité pénale. Cette formule a un inconvénient, lié aux effets de seuil : qu'en est-il si le couple se forme alors que le plus âgé vient tout juste d'avoir 18 ans ?
L'autre solution réside en la fixation d'un écart d'âge maximum de cinq ans. L'une des juristes qui m'a assistée dans mes travaux, Mme Hardouin-Le Goff, a fait beaucoup de droit comparé. Certains pays ont retenu cette option.
Quant à l'inceste, il faut qu'il trouve toute sa place dans le code pénal car il n'est aujourd'hui qu'une surqualification. Il convient non seulement d'évacuer la question du consentement des mineurs concernés, mais aussi de réprimer l'infraction incestueuse davantage qu'un délit de droit commun afin d'établir une hiérarchie, de tirer les conclusions de tels actes en matière d'autorité parentale et de prévoir des circonstances aggravantes.
Enfin, l'article 1er tel qu'il est rédigé n'est pas satisfaisant pour ce qui concerne l'élément moral. Il convient de prendre en considération la connaissance par l'auteur de l'âge du mineur ; à défaut, ces dispositions risqueraient d'être déclarées inconstitutionnelles.
L'objectif de l'amendement est en définitive de limiter le risque constitutionnel et d'engager le débat, notamment sur l'écart d'âge. Tel est l'objet des sous-amendements de mon collègue Jean Terlier : il ne faudrait pas que l'on tienne compte du critère de l'écart d'âge lorsqu'il s'agit de faits incestueux.
Le sous-amendement CL119 vise précisément à remettre en question ce critère. On touche là à la vie de jeunes adultes ; il faut éviter la multiplication des effets couperet.
On peut considérer que, dès lors qu'un acte sexuel est commis par un majeur sur un mineur, il n'y a pas besoin de pénétration pour qu'il soit considéré comme une agression sexuelle ou, selon nous, comme un viol. Le sous-amendement CL120, auquel nous tenons particulièrement, précise que les agressions sexuelles qui comprennent un acte bucco-génital sont soumises au même régime que celles qui comportent une pénétration – c'est une des difficultés auxquelles se heurte la jurisprudence. C'est pourquoi nous avons déposé des sous-amendements en ce sens sur chacun des amendements de Mme Louis – manière de souligner que nous soutenons votre démarche, mais que nous souhaitons l'élargir aux actes bucco-génitaux.
Mes sous-amendements tendent à protéger les victimes de crimes ou de délits incestueux en considérant que l'exception relative à la différence d'âge de cinq ans ne trouve pas à s'appliquer dans ces cas.
Mon avis est favorable sur tous les sous-amendements. Le critère de l'écart d'âge soulève, en pratique, des difficultés et il serait nécessaire de creuser la question. Les associations ont appelé notre attention sur le fait qu'un écart d'âge de cinq ans pourrait correspondre à une relation entre un étudiant de dix-huit ans et un collégien de treize ans. Prendre en considération le cas des couples « Roméo et Juliette », nous y sommes très favorables, mais il faut être prudent quant aux effets de bord induits. J'avais plutôt envisagé privilégier un amendement rédigé différemment – mais il nous reste encore du temps pour échanger.
Ce que propose Mme Louis n'est ni plus moins qu'une autre rédaction du texte. En vous présentant la proposition de loi, j'ai indiqué qu'elle reposait sur deux piliers : le seuil d'âge à quinze ans pour définir l'infraction d'atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur ; et celui de dix-huit ans pour réprimer l'inceste. Créer deux infractions autonomes différentes, sans retenir le seuil de dix-huit ans pour l'inceste, me paraît une option plus compliquée. L'idée initiale de ce travail collectif – réalisé, je le rappelle, avec les grandes associations nationales et le conseil national de la protection de l'enfance – était que la clarté prime.
Certes, le travail de Mme Louis est remarquable. Mais il s'agit d'une approche très différente. J'émettrai donc un avis de sagesse sur son amendement, étant précisé que son adoption ferait tomber de nombreux amendements et sous-amendements et modifierait la nature même du texte.
La façon dont nous travaillons est problématique. Nous avons reçu une proposition de loi dont la Délégation s'est saisie. Nous avons procédé à des auditions sur ce texte, sur lequel nous avons déposé des amendements. Et voilà que Mme Louis – qui a fait un travail remarquable sur la loi Schiappa dont elle fut la rapporteure et dont elle était chargée de l'évaluation – nous fait des propositions sur lesquelles nous n'avons pu procéder à aucune audition ni recevoir la moindre expertise. Je suis dans l'incapacité de déterminer laquelle des propositions est la meilleure, entre la présente proposition de loi, celle de Mme Billon, le travail qu'a accompli la Délégation et l'amendement CL108 qui réécrit en totalité ou presque le texte soumis à notre examen.
À travers l'article 1er, il s'agit de procéder à une réécriture presque totale des articles du code pénal sur la question !
Je vous le dis : c'est un sujet sur lequel – comme presque toutes les personnes présentes – je travaille depuis longtemps et cela me gêne de ne pas pouvoir expertiser cet amendement. J'en suis confus car je suis certain que le travail de Mme Louis est de qualité. Mais si l'on travaille sur une rédaction, c'est que cela a un sens, sinon il n'y aurait pas de travail législatif : on se contenterait de présenter un seul texte sur chaque question.
À cette remarque sur la forme s'ajoutent des objections sur le fond. Il y a d'abord le sous-amendement CL120 qui soulève la question des actes bucco-génitaux, sur laquelle la Délégation a beaucoup réfléchi. Il y a ensuite l'amendement CL44, extrêmement important car il aligne le dispositif proposé sur la nouvelle définition – saluée par tous les juristes – du viol, qui inclut les actes commis sur la personne de l'auteur. Tout cela va passer à la trappe.
C'est la première fois depuis le début de la législature que cela se passe ainsi. C'est d'autant plus gênant qu'il s'agit d'une question importante. Comme je l'ai déjà dit, les textes de ce type, de surcroît lorsqu'ils sont d'origine parlementaire, doivent faire l'objet d'un travail commun, de manière à aboutir à un consensus. Or, nous nous retrouvons aujourd'hui avec trois textes qui visent le même objectif, mais qui répondent à des philosophies légistiques différentes. Nous ne nous y retrouvons pas du tout.
Après cette digression technique concernant l'organisation de nos travaux, qui ne doit pas intéresser grand monde hormis les parlementaires (M. Erwan Balanant s'exclame), je voudrais revenir au choix qui nous est proposé.
Le débat est le suivant : comment devons-nous appréhender, d'une part, l'acte sexuel commis par un majeur sur un mineur – que nous voulons pour notre part qualifier de viol –, d'autre part, l'inceste ? Selon moi, il s'agit de deux questions distinctes. Il ne faudrait pas que l'actualité nous influence et que nous nous focalisions sur l'inceste. N'oublions pas que des crimes sexuels sur mineurs peuvent être commis par des personnes qui ne sont pas des proches de la victime.
Il me semble donc nécessaire de distinguer deux choses : d'un côté, le crime ; de l'autre, la circonstance aggravante qu'est l'inceste.
Pour ma part, je souscris totalement à ce que vient de dire notre collègue Erwan Balanant. Mme Louis a souligné à plusieurs reprises que le sujet était complexe et qu'il fallait y travailler avec sérieux, attention et compétence. Or, que se passe-t-il ? On nous soumet un amendement de réécriture du texte certainement très intéressant mais sur lequel – contrairement à la proposition de loi – nous n'avons pu mener aucune investigation et dont nous ne pouvons mesurer les conséquences. Ce n'est pas une façon de procéder ! Une question aussi complexe et importante doit être examinée suivant les procédures parlementaires habituelles.
Je suis moi aussi embêté. Il me semblait avoir compris les intentions de la proposition de loi telle qu'elle nous avait été soumise. L'article 1er, en particulier, avait pour objectif – sauf erreur de ma part – d'éviter que la question du consentement ne se pose pour un enfant de moins de quinze ans. On a d'ailleurs évoqué certains jugements récents qui ont vu des viols ou agressions sexuelles sur de jeunes enfants requalifiés du fait, d'une part, d'une interprétation subjective du consentement, d'autre part, de l'obligation faite à la victime de faire la démonstration de son non-consentement. C'est un des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés et c'est pourquoi je voyais plutôt d'un bon œil cet article 1er. Mais si l'on prend en considération le critère de l'écart d'âge, c'est problématique : dans ces tranches d'âge, il peut s'établir dans bien des circonstances – à l'école ou au sein d'une association sportive, par exemple – une relation d'emprise ou d'autorité avec un écart inférieur à cinq ans.
Je pense pour ma part qu'il vaut mieux conserver l'article en l'état car il a le mérite de la clarté. En outre, il ne sort pas de nulle part : il a été élaboré en liaison avec les associations, nous avons travaillé dessus… Déposer un amendement qui réécrirait entièrement sinon la proposition de loi, du moins l'article 1er qui en est l'un des piliers, reviendrait à vider le texte de son sens.
Je tiens à faire part de deux choses qui ont surpris la nouvelle parlementaire que je suis.
D'abord, dans le cadre de mon activité professionnelle, je me suis toujours inscrite dans le dialogue et c'est ce que je continue de faire. J'ai donc invité les membres de la majorité et le Gouvernement à participer, en amont de l'examen du texte, à une réunion lundi dernier, afin de travailler sur ce qui aurait pu être amélioré dans le sens de l'intérêt général. Personne n'a trouvé le temps d'y assister. De même, lors des auditions, j'ai eu le plaisir de voir des collaborateurs, mais aucun des collègues qui proposent aujourd'hui de réécrire le texte.
Quoi qu'il en soit, il est bon de s'inscrire dans le dialogue – depuis le début du travail sur ce texte, la main est tendue.
Il ne doit pas avoir lieu qu'ici : la preuve en est que nous nous retrouvons avec plusieurs textes, dont une proposition de loi déposée hier. Tous les amendements que vous avez déposés en sont un copier-coller !
Pour ce qui me concerne, ce qui continuera à me guider, c'est l'intérêt général, à savoir celui de l'enfant. En fonction de ce qui se passera au moment des votes, je me rangerai à l'avis de la majorité.
Je voulais néanmoins, puisque notre réunion est publique, indiquer dans quelle situation nous nous trouvons.
Je rappelle, parce que ce que nous entendons viendrait à nous en faire douter, que nous disposons tous ici de la liberté de déposer des amendements. Nous les présentons, nous les discutons, puis nous les mettons aux voix.
Peu importe le véhicule législatif : ce qui compte, c'est la destination. Ce que j'ai proposé ne tombe pas du ciel. Moi aussi, j'ai procédé à des auditions – une centaine. J'ai rencontré des associations, des policiers, des gendarmes, des magistrats. J'ai fait expertiser une cinquantaine de rédactions différentes avant de proposer celle-ci.
Il existe néanmoins des différences de fond entre les deux rédactions. D'abord, je ne l'ai peut-être pas dit assez clairement, la proposition de loi pose un problème de constitutionnalité : on ne tient pas compte de l'élément moral ; on ne prend pas en considération les exceptions. Bref, on ne tient pas compte de l'avis du Conseil d'État de 2018. Ensuite, je propose de réprimer plus sévèrement l'inceste, notamment par un retrait de l'autorité parentale.
Bref, mon amendement n'est pas de pure forme. Moi aussi, je suis une professionnelle ; j'ai des convictions, que j'ai défendues avec des juristes ; je propose d'apporter ma pierre à l'édifice. Toutes les propositions sont bonnes à entendre. Nous aurons ensuite la navette parlementaire pour y travailler.
Je suis surprise d'entendre que nous aurions refusé de participer à une réunion de balayage proposée deux jours à peine avant l'examen du texte en Commission. Permettez-moi de rappeler que le président de notre groupe, M. Christophe Castaner, avait proposé au groupe Socialistes et apparentés de travailler de manière transpartisane.
M. Christophe Castaner a proposé que nous retirions cette proposition de loi sans contrepartie alors qu'elle est celle qui pourrait aboutir le plus vite !
Je rappelle aussi que, sur le projet de loi relatif à la justice pénale des mineurs, nous avons établi un groupe de contact en amont de l'examen du texte – ce qui ne nous a pas empêchés d'avoir des débats en Commission et en séance publique – et que nous avons fourni un travail de qualité. Nous devrions travailler sur ce texte suivant le même modèle : il en va de l'intérêt des enfants.
Il importe en effet de considérer d'abord l'intérêt de l'enfant. C'est pourquoi, tout comme M. Balanant et Mme Auconie, je regrette la réécriture intégrale proposée. Vous dites, madame Louis, que nous devons nous accorder du temps, qu'il s'agit d'un sujet compliqué. Je ne suis moi-même ni juriste ni avocate et c'est vrai que la matière est d'un abord difficile. Or, la réécriture portera bien au-delà de l'article 1er puisqu'elle affectera aussi mon amendement relatif aux actes bucco-génitaux.
Quant à l'écart d'âge, pourquoi retenir cinq ans et non quatre ou six ? Cela pose le problème de l'effet de seuil. C'est pourquoi j'avais déposé des amendements, auxquels la rapporteure a fait allusion tout à l'heure en indiquant les privilégier, visant à pallier cet inconvénient en prenant en considération la nature du rapport entre le mineur et le majeur. Malheureusement, ils tomberont si l'amendement de Mme Louis est adopté.
L'amendement qui nous est soumis vise à améliorer le texte en vue de la séance publique : il ne s'agit nullement de figer les choses. À titre personnel, je le trouve infiniment plus complet et mieux adapté juridiquement que le texte initial de la proposition de loi, dont le degré d'aboutissement, après tant de travail, me surprend. Le pragmatisme de la démarche n'exclut pas la rigueur juridique. Il s'agit ici – faut-il le rappeler ? – de droit pénal.
J'adhère à l'idée de tout reprendre et de tout clarifier, même si le quantum de la peine reste identique. Ce qui change, c'est la manière de l'exprimer, qui me semble bonne – à la réserve près, je le répète, qu'un seuil à treize ans nous permettrait d'aboutir plus clairement.
Les dispositions relatives à l'inceste sont bienvenues : on a besoin d'une répression autonome de l'inceste, qui tienne compte de toutes les situations, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Ma seule réserve va dans le même sens que les sous-amendements de notre collègue Jean Terlier : on ne peut pas appliquer la même logique à l'inceste qu'aux infractions de droit commun.
Découvririez-vous le droit d'amendement à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, chers collègues ? Il ne nous appartient pas à nous, majorité, de critiquer ou même contester la possibilité qui vous est offerte de réécrire tel ou tel article d'un texte que nous présentons ! En outre, cela a été dit, la question ne date pas d'aujourd'hui. Le rapport de Mme Alexandra Louis, dont est issu cet amendement, est public : chacun aura pu le consulter. Il est un peu outrancier de nous faire un procès d'intention parce que nous souhaitons améliorer ce texte en exerçant notre droit d'amendement !
Ce procès, vous l'auriez instruit avec encore plus de force si nous avions rejeté en bloc la proposition de loi ou si nous l'avions réécrite en séance publique. Nous le faisons aujourd'hui, ce qui nous permettra d'avoir un débat apaisé dans l'hémicycle.
Ce qui est en cause, ce n'est pas la qualité des propositions de Mme Louis. C'est la méthode.
Je fais partie de la majorité. J'ai entendu hier le garde des Sceaux faire de très bonnes propositions. Je pensais que ce texte allait nous permettre de converger et de trouver un terrain d'atterrissage. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.
Prenons la question de l'inceste, que vous incluez dans votre réécriture. Nous avions prévu de défendre des amendements sur le sujet. Que va-t-il se passer ? Eh bien, la Commission va adopter vos amendements, le texte sera réécrit et ce sera plié. Or, vous savez bien que nous travaillons sur les textes plus finement ici qu'en séance publique.
Je ne remets pas en cause votre travail, madame Louis : j'ai lu votre rapport, je suis ce dossier, comme Mme Sophie Auconie et d'autres collègues, depuis le début de la législature. Mais je trouve que la méthode employée pose un problème. À travers cet amendement, vous réécrivez une partie significative du code pénal !
Eh bien, dans ce cas, vous amendiez le texte, on passait cette étape et vous reveniez avec votre proposition de loi. Là, c'est comme si un député, à l'occasion d'une question liée à la pêche, refondait entièrement le code rural !
Essayons d'avancer, chers collègues. De toute façon, il reste la séance publique : si elle n'est pas l'exacte réplique de l'examen en commission des Lois, ce n'est pas plus mal. Ce que nous allons voter aujourd'hui risque d'être très différent de ce qui a été proposé, mais au moins aurons-nous adopté un texte. Il nous restera du temps pour continuer à travailler, déposer des amendements et engager un nouveau débat, ce qui permettra à l'Assemblée nationale d'être éclairée au terme d'un travail parlementaire de qualité.
Le groupe Agir ensemble se moque de savoir qui a l'initiative de la loi. Ce matin, par exemple, nous avons été ravis de voter en faveur d'une proposition de loi déposée par le groupe Socialistes et apparentés. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de voter en faveur de textes présentés par l'opposition et je pense que nous avons démontré notre capacité à travailler avec elle sur nombre de sujets. Même si nous faisons partie de la majorité, ne voyez de notre part aucune volonté de nous opposer par principe à ce qui provient d'autres groupes.
Cela étant, je voudrais vous alerter sur un point et exprimer deux réserves concernant l'article 1er.
Le point sur lequel je voudrais vous alerter, c'est que la création de l'infraction autonome que nous allons, je l'espère, voter aujourd'hui et confirmer la semaine prochaine en séance publique, n'a pas de portée rétroactive. Les faits qui ont déjà eu lieu ne pourront pas, hélas, faire l'objet de cette nouvelle qualification juridique. C'est d'ailleurs pourquoi nous avions privilégié en 2018 des dispositions interprétatives, afin de laisser aux magistrats un pouvoir d'appréciation. Il faut que les choses soient dites clairement, que nous les assumions et que nos concitoyens aient bien conscience du fait que les crimes qui ont déjà été perpétrés ne seront pas concernés par ces dispositions.
Ma première réserve porte – je l'ai dit lors de la discussion générale – sur le fait que toutes les rédactions proposées prévoient d'augmenter le quantum de la peine, en le fixant à dix ans d'emprisonnement contre sept ans aujourd'hui avec une circonstance aggravante lorsque l'acte est perpétré par un ascendant, c'est-à-dire en cas d'inceste, ce qui donnait la possibilité de porter la peine à dix ans. Dix ans, c'est la peine maximale pour un délit. Si l'augmentation du quantum de la peine part d'une bonne intention, elle aurait des répercussions sur les circonstances aggravantes et aboutirait donc à mettre au même niveau toutes les atteintes sexuelles, qu'elles soient commises par un inconnu ou par un membre de la famille.
D'autre part, je salue la nouvelle rédaction relative aux délits et crimes incestueux. En 2016, nos collègues avaient eu les plus grandes difficultés à définir le crime d'inceste. Si la définition proposée aujourd'hui n'est peut-être pas parfaite, elle fournit une base de travail intéressante pour la séance publique.
Si je comprends la frustration notre collègue Erwan Balanant, nous sommes tous tributaires du fonctionnement de notre assemblée. Les collègues ici présents ont voulu, de bonne foi, enrichir le texte. La base de travail proposée me paraît juridiquement plus solide que la proposition initiale, même si elle est encore imparfaite. Je suis convaincu que d'ici à la semaine prochaine, nous parviendrons à une rédaction qui conviendra à tous.
Sur la forme, je regrette que tout notre travail, ainsi que celui des collègues, soit réduit à néant par cet amendement de rédaction globale. Bien sûr, je souhaite, comme vous, que le dispositif adopté soit solide, mais les amendements que j'avais rédigés et ceux auxquels j'étais favorable, ainsi que les différentes coordinations avec les dispositions du code, visaient le même objectif.
Cette proposition de loi, rédigée en novembre et déposée en décembre dernier, n'est pas celle que Mme Louis a déposée hier. Je ne nie pas l'important travail qu'elle a réalisé, mais nous ne sommes pas dans le même rythme. En outre, il eût été préférable que ces échanges interviennent avant aujourd'hui.
Sur le fond, vous me reprochez un élément intentionnel mal conçu. J'en suis surprise parce que je reprends presque sans changement la rédaction actuelle de l'article 227‑25 du code pénal ; je me borne à écarter le cas de pénétration sexuelle. Or, la Cour de cassation a été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur cet article, et elle a répondu sans nuance le 6 juin 2018 : « Les dispositions critiquées, qui [...] sont rédigées en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre que leur interprétation se fasse sans risque d'arbitraire et dans des conditions garantissant le respect des droits de la défense, ne portent pas atteinte au principe de la légalité des délits et des peines ».
Il a été annoncé que la proposition de loi de Mme Billon serait examinée en mars. Mme Louis, je le répète, a réalisé un important travail, et elle a compris que son propre texte ne serait jamais inscrit à l'ordre du jour du Parlement. C'est pourquoi elle a déposé ses amendements, qui sont des copier-coller de sa proposition de loi. Même si la présente proposition de loi restera celle des socialistes et sera examinée comme telle en séance publique, sur le fond comme sur la forme, je ne suis pas dupe de la manœuvre !
La Commission rejette le sous-amendement CL119. Elle adopte successivement les sous-amendements CL120, CL123 et CL124, puis elle adopte l'amendement CL108 sous-amendé.
En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé et les amendements CL104 de Mme Alexandra Louis, CL44 de M. Erwan Balanant, CL45 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CL82 de Mme Marie-France Lorho, CL66 et CL67 de M. Fabien Di Filippo, CL84 de Mme Marie-France Lorho et CL24 de Mme Albane Gaillot, qui faisait l'objet du sous-amendement CL110 de la rapporteure, tombent.
Article 2 (art. 227-25-1 [nouveau] du code pénal) : Pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans
L'amendement CL59 de Mme Alexandra Louis, qui faisait l'objet du sous-amendement CL121 de M. Aurélien Pradié, est retiré.
La réunion est suspendue de seize heures à seize heures cinq.
Les amendements sur l'article 2 sont quelque peu vidés de leur sens du fait de l'adoption de l'amendement de rédaction globale de l'article 1er, mais ils restent en discussion sauf si leurs auteurs les retirent. Sachez néanmoins qu'ils sont soit satisfaits, soit incompatibles au fond avec les dispositions déjà adoptées.
La Commission examine les amendements identiques CL26 rectifié de Mme Albane Gaillot, CL33 de M. Aurélien Pradié et CL55 rectifié de M. Erwan Balanant.
Il s'agit d'inclure les rapports bucco-génitaux dans les faits constitutifs des crimes sexuels. En effet, dans un arrêt du 14 octobre 2020, la Cour de cassation a écarté la qualification de viol dans une affaire d'inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l'auteur n'aurait pas été d'une profondeur significative et que la plainte de la victime n'aurait été assortie d'aucune précision en termes d'intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement.
Certes, on ne doit pas commenter une décision de justice, mais je dois dire que l'arrêt de la Cour de cassation est très surprenant. C'est pourquoi il nous semble indispensable d'inclure les atteintes sexuelles comportant un acte bucco-génital au dispositif de l'article 2.
Je suis heureux de savoir qu'elles sont satisfaites, même si nous n'en avons pas discuté dans les conditions habituelles.
Le principal, selon moi, est que ces dispositions soient adoptées puisque j'avais émis un avis favorable sur ces amendements. Les avoir intégrées à l'article 1er va dans le bon sens.
Comme ils ne sont pas retirés par leurs auteurs, je suis obligée de mettre ces amendements aux voix mais sachez qu'ils sont satisfaits par les dispositions adoptées à l'article 1er.
La Commission adopte les amendements identiques.
Elle est saisie de l'amendement CL46 de M. Erwan Balanant.
Cet amendement est issu des travaux de la Délégation. La proposition de loi de Mme Santiago crée une nouvelle incrimination, mais celle-ci n'a pas de nom. Je trouve dommage que les choses ne soient pas nommées. La Délégation propose donc de créer deux branches pour le viol : le viol pour les plus de quinze ans serait toujours associé à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ; lorsque la victime est mineure de quinze ans, il s'agirait d'un viol sur mineur, non nécessairement associé à la surprise, la menace, la violence ou la contrainte.
Ce point est très important. Étant donné qu'il est clair que la majorité ne compte pas adopter l'article 2, nous veillerons à ce qque votre préoccupation figure dans le texte que nous voterons en séance publique. Je suis désolée que les choses se passent de cette façon…
L'important, vous l'avez souligné, madame la rapporteure, est d'atteindre notre objectif : la protection des mineurs. Les questions qui font consensus feront l'objet d'un examen attentif en vue de trouver un terrain d'atterrissage en séance publique. Je pense que nous pouvons prendre collectivement cet engagement.
La Commission adopte l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL95 de Mme Sophie Auconie.
Cet amendement, inspiré de la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon, adoptée il y a quelques jours par le Sénat, prévoit que l'infraction sexuelle est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu'elle est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d'actes de barbarie.
J'aurais demandé le retrait ou, à défaut, émis un avis défavorable sur cet amendement, satisfait par l'article 222-2 du code pénal.
La Commission rejette l'amendement .
Elle passe à l'amendement CL25 de Mme Albane Gaillot, qui fait l'objet du sous-amendement CL111 de la rapporteure.
Il s'agit de prévoir une exonération pénale pour les jeunes majeurs qui entretenaient une relation continue et pérenne avec un mineur de quinze ans. L'amendement vise à tenir compte du fait qu'un mineur de quinze ans peut, dans certains cas et quand sa maturité affective le lui permet, consentir à un rapport sexuel avec un jeune de dix-huit ans.
Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, j'avais préparé un amendement que j'ai retiré au profit du vôtre, madame Gaillot, qui prévoit que la relation doit être inscrite dans la durée et que le mineur ne doit pas être sous emprise. Cela me semble préférable au critère de l'écart d'âge, qui risque de faire repartir le débat sur les treize ans, ce que je ne souhaite pas.
Mon sous-amendement tend simplement à préciser que l'exonération de responsabilité pénale ne vaut pas dans les situations d'inceste.
La notion d'écart d'âge n'est pas nécessairement une bonne idée : ainsi un éducateur peut avoir un lien d'autorité sans que l'écart d'âge soit atteint. Le critère d'une relation continue et pérenne me semble préférable – même si cette notion est, elle aussi, difficile à définir.
Je l'ai indiqué : deux voies sont envisageables. Si l'amendement de Mme Gaillot prend bien en considération la situation d'autorité ou de dépendance, il ne couvre pas forcément tous les cas de figure. Or, la difficulté, c'est qu'à une multitude de situations doit s'appliquer une seule disposition, qui doit de surcroît être très précise puisque le droit pénal est d'interprétation stricte. La solution de l'écart d'âge me semble plus souple et n'empêche pas forcément de réprimer. Cela constituerait un progrès tout en étant peut-être constitutionnellement plus sûr. Quoi qu'il en soit, il sera nécessaire de poursuivre le débat dans l'hémicycle.
La Commission rejette le sous-amendement, puis elle rejette l'amendement.
La Commission rejette ensuite l'article 2.
Après l'article 2
La Commission examine l'amendement CL99 de Mme Sophie Auconie.
Il s'agit de répondre à la problématique d'une éventuelle relation entre adolescents qui pourrait tomber sous le coup de la loi au moment où l'un des membres du couple arriverait à l'âge de majorité. Il est proposé que, dans ce cas de figure, les infractions ne soient pas constituées. Il convient de prévoir dans la loi ce fait justificatif afin d'éviter tout effet de seuil.
L'amendement est retiré.
La Commission passe à l'amendement CL112 de la rapporteure.
Afin de bien séparer les thématiques, il est proposé d'insérer un chapitre II relatif à l'inceste après l'article 2. Du fait de la nouvelle rédaction de l'article 1er, je ne sais pas si c'est encore pertinent…
C'est utile vu que nous avons adopté un chapitre Ier. L'intitulé du chapitre est-il perfectible ?
La Commission adopte l'amendement.
Article 3 (art. 227-25-2 [nouveau] du code pénal) : Pénétration sexuelle incestueuse sur mineur
La Commission examine l'amendement CL102 de Mme Alexandra Louis, qui fait l'objet du sous-amendement CL122 de M. Aurélien Pradié.
Cet amendement s'inscrit dans la continuité de l'amendement CL108 précédemment présenté. Il s'agit de réprimer dans le code pénal les relations incestueuses imposées par un majeur à un mineur de plus de quinze ans. Le sujet est juridiquement complexe et la rédaction devra être retravaillée d'ici à la séance publique, afin qu'elle soit la plus rigoureuse possible.
D'ici à la séance publique, nous devrons clarifier la question de l'articulation juridique entre l'inceste et l'infraction sexuelle. Trois cas de figure se dégagent : sur un mineur de quinze ans, il y a présomption d'infraction et l'inceste est une circonstance aggravante ; entre quinze et dix-huit ans, même si la relation sexuelle entre un majeur et un mineur peut être consentie, l'inceste est réprimé ; enfin, la situation d'inceste peut se produite après la majorité.
Le sous-amendement CL122 vise à inclure les rapports bucco-génitaux dans les crimes sexuels.
L'inceste suscite plusieurs débats. Il y a celui du quantum de la peine d'abord puisqu'en droit français, il ne fait l'objet que d'une simple surqualification pénale, la seule circonstance aggravante étant sa commission par ascendant, ce qui n'est pas satisfaisant. Mais d'autres questions se posent. Doit-on interroger le consentement entre quinze et dix-huit ans ? Comment prendre en compte l'inceste ? Doit-il être, ou pas, une circonstance aggravante ? Il faut y réfléchir, même pour les majeurs. En l'état actuel du droit, lorsqu'un viol ou une agression sexuelle est commis par un frère ou une sœur, cela ne constitue pas forcément une circonstance aggravante. Les degrés de répression pourraient être différents car beaucoup estiment que l'inceste est plus grave qu'un viol ou une agression sexuelle de droit commun.
Eu égard aux précédents votes de la Commission, il serait cohérent qu'elle adopte l'amendement, même si mes réserves perdurent. Je suis favorable au sous-amendement.
Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement le sous-amendement et l'amendement sous-amendé.
En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé et les amendements CL20 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL35 de M. Aurélien Pradié, CL47 de M. Erwan Balanant, CL10 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL70 de M. Fabien Di Filippo, CL42 de Mme Valérie Beauvais, CL76 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CL9 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL48 de M. Erwan Balanant, qui faisait l'objet du sous-amendement CL113 de la rapporteure, CL81 de Mme Marie-France Lorho, CL71 de M. Fabien Di Filippo et CL91 de Mme Sophie Auconie tombent.
Nous n'avons pas pu en parler puisque les amendements sont tombés, mais la limitation du cadre familial fait débat et la délégation aux Droits des femmes souhaite inclure les cousins et cousines dans le champ des personnes susceptibles d'être incriminées pour viol incestueux. Cela soulève une difficulté puisqu'en France, il est possible de se marier entre cousins…
Certains objecteront qu'il n'y a pas de différence d'âge entre cousins mais, parfois, même entre cousins germains, il peut y avoir des différences de génération, notamment dans les très grandes familles.
Votre sous-amendement visant à ajouter « germain » me semblait pertinent, madame la rapporteure. La notion de cousin peut être large. Il faudra que nous en débattions en séance publique.
Vous avez raison, monsieur Balanant, et ce point avait fait l'objet de toute notre attention à l'issue des auditions. Cela explique mon sous-amendement de précision. Il faudra l'intégrer dans le texte en séance publique.
J'avais bien vu votre amendement en ce sens et je comptais vous apporter une réponse. Il faudra veiller à intégrer l'ensemble de la famille élargie au dispositif.
Vous excuserez mon expression, peut-être un peu froide, mais nous devons nous interroger sur le périmètre de l'inceste. La famille a changé et le code pénal passe probablement à côté de l'organisation sociale actuelle. Ce qui compte dans la définition de l'inceste, n'est-ce pas le lien quotidien qu'entretient la victime avec l'auteur, plutôt que la réalité du lien du sang ? À l'origine, l'inceste est une relation sexuelle entre personnes liées par le sang. En ajoutant le conjoint ou le concubin, par exemple, on s'en éloigne pour aller vers la notion de famille vécue, de famille au quotidien. Doit-on conserver le lien du sang – ce qui est visé par l'amendement de M. Balanant – ou plutôt travailler sur l'idée d'emprise ?
Soyons attentifs aux termes que nous employons, monsieur Schellenberger. En matière d'inceste, on ne parle pas de relations sexuelles mais de traumatismes sexuels. Les pédopsychiatres me l'ont fait remarquer car je faisais parfois l'erreur il y a quelques années.
Si nous avions pu travailler sur le texte proposé, élaboré en liaison avec les associations nationales et qui aurait été complété par certains des amendements déposés, nous aurions pris en compte la famille élargie que vous décrivez, dans les limites permises par le droit. Je pense que cette rédaction était la bonne.
Nous avons eu ce débat en 2018 et je me souviens de nos échanges sur les cousins et cousines. La définition juridique de l'inceste a beaucoup évolué dans l'histoire ; il faut en tenir compte. Elle a également fait l'objet de nombreuses péripéties constitutionnelles : il est arrivé par le passé que le Conseil constitutionnel l'invalide.
Je suis assez sensible au sujet des demi-frères et demi-sœurs pour une raison simple : si l'on peut se marier entre cousins, on ne peut pas le faire entre demi-frères et demi-sœurs. Il nous faut engager une réflexion globale car, dans le cas contraire, les dispositions civiles seront différentes des dispositions pénales, ce qui pourrait engendrer de graves difficultés pratiques. Je vous propose de nous y atteler, avec prudence, pour la séance publique.
L'enjeu est moins le périmètre que la définition même de l'inceste. Selon Wikipédia – prudence, donc –, « ce peut être une relation entre membres d'une même famille dont le degré de parenté ou d'alliance interdit le mariage civil ou religieux ». C'est sur ce canevas que nous devrions retravailler pour établir la frontière entre ce qui est considéré comme de l'inceste et ce qui ne l'est pas.
Faut-il lier civil et pénal ? Les enjeux ne sont pas les mêmes : d'un côté, un traumatisme sexuel pour une victime sujette à une emprise familiale ; de l'autre, l'empêchement du mariage pour raisons de consanguinité. Si on lie les deux, je crains – sans faire la promotion de ce type d'union – que l'on n'en vienne à empêcher le mariage entre personnes élevées ensemble alors qu'aucun élément génétique ne le justifie.
Nous sommes au cœur du sujet. Si on ne prend en considération ni le consentement ni la différence d'âge, on pourrait en venir à réprimer pénalement la relation entre deux cousins âgés respectivement de 17 ans et de 18 ans et demi, qui peuvent pourtant se marier – le mariage des mineurs peut être autorisé dans certains cas. Nous devons donc être vigilants quant aux conséquences de notre choix. Peut-être des personnes mariées sont-elles aujourd'hui dans ce cas de figure ; il s'agit sans doute de cas exceptionnels, mais nous devrions les intégrer à notre réflexion pour que la définition que nous adopterons soit très prudente. Ne nous exposons pas au risque d'une nouvelle censure du Conseil constitutionnel !
Nous en débattrons en séance publique et j'espère que nous pourrons y travailler en amont pour éviter une cacophonie. C'est le but de nos travaux que d'enrichir le texte, mais il est essentiel que nous aboutissions à un résultat clair et lisible. C'est ce qu'attendent les intéressés et l'ensemble des Français. Il faut donc que le code pénal soit le plus clair possible au sujet de l'inceste.
Article 4 (art. 227-25-3 [nouveau] du code pénal) : Atteinte sexuelle incestueuse sur mineur
La Commission est saisie de l'amendement CL103 de Mme Alexandra Louis.
Il s'agit de réprimer les faits d'inceste sur un mineur de plus de quinze ans. L'échelle des peines pourrait encore être ajustée – il nous faut être vigilants sur ce point –, mais cela permet de consacrer la prise en compte de l'inceste. Nous parlons ici du délit, sans pénétration sexuelle, qu'il importe de distinguer du crime impliquant un acte de pénétration sexuelle prévu à l'article 3. À défaut, cela poserait un problème de proportionnalité qui pourrait mettre à mal la rédaction proposée.
Comme précédemment, l'adoption de cet amendement de réécriture de l'article ferait tomber tous les amendements à l'article dont nous allions débattre, y compris ceux sur lesquels je m'apprêtais à donner un avis favorable ou de sagesse.
Je comprends aussi la cohérence des votes de la Commission. Permettez-moi de m'en remettre à la sagesse collective !
Deux amendements issus de la Délégation aux droits des femmes ont été déposés par Mme Battistel à cet article. Le premier, le CL49, tendait à mentionner les actes commis sur la personne de l'auteur afin de coller à la nouvelle définition du viol. Le second, le CL50, visait à donner un nom à l'atteinte sexuelle considérée en la qualifiant d'agression sexuelle incestueuse sur mineur.
La Commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL22 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL49 et CL50 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CL11 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL72 et CL73 de M. Fabien Di Filippo et CL92 de Mme Sophie Auconie tombent.
Après l'article 4
L'amendement CL115 de la rapporteure est retiré.
La Commission aborde l'amendement CL117 de la rapporteure.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL75 de Mme Laurence Trastour-Isnart.
L'amendement permet au juge de prononcer contre l'auteur d'actes commis sur un mineur de moins de quinze ans une interdiction d'activité professionnelle ou bénévole le mettant en contact avec des mineurs qui soit valable plus de dix ans. L'absence de précision quant à la durée autorise le juge à prononcer des interdictions de quinze ou vingt ans.
Demande de retrait. On ne peut pas créer de peine automatique ; le juge doit rester libre de prononcer ou non une peine complémentaire. En l'occurrence, celle-ci existe déjà à l'article 227-29 du code pénal.
L'amendement est retiré.
Les amendements CL114 et CL116 de la rapporteure sont successivement retirés.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL56 de M. Erwan Balanant et CL62 de Mme Alexandra Louis. Ce dernier fait l'objet d'un sous-amendement CL125 de M. Pacôme Rupin.
Les violences sexuelles numériques, perpétrées en ligne par un prédateur sexuel, sont un phénomène sur lequel nous avons été plusieurs à travailler. On m'en avait parlé lorsque je préparais mon rapport sur le harcèlement scolaire et on nous l'a présenté précisément et crûment lors de notre visite à la brigade de protection des mineurs.
Mon amendement tend à créer un nouvel article du code pénal sanctionnant de dix ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait, pour un majeur, d'inciter un mineur de quinze ans à commettre, par un moyen de communication électronique, un acte sexuel de quelque nature qu'il soit. Il s'agit d'actes sexuels commandés à distance. Ils créent pour les victimes un double traumatisme : le premier, que je suppose au moins égal à celui résultant d'une agression ou d'un viol, du fait de pénétrations induites à distance ; le second qui vient des photos prises, qui peuvent resurgir longtemps après la commission des faits et qui enferment à jamais la victime.
Nous en restons ici au délit, mais je me demande si l'on ne devrait pas criminaliser les actes les plus graves que sont les pénétrations à distance.
J'ai fait le même constat que mon collègue Balanant. Il existe des phénomènes dits de « sextorsion » qui passent par les réseaux sociaux : des majeurs utilisent ces réseaux pour entrer en contact avec des mineurs ; ces prédateurs usent de stratagèmes pour obtenir des éléments ayant trait à la vie privée des enfants et les amener à leur donner des photos, ce qui leur permet de les soumettre à un chantage. Cela peut aller très loin : on demande à l'enfant de se livrer à des actes d'autopénétration. On a pourtant tendance à considérer ces infractions comme moins graves que si elles avaient lieu dans la vie « réelle ».
En pratique, les mêmes faits sont qualifiés tantôt de violence, tantôt de corruption de mineur. C'est un vrai problème. Je propose donc moi aussi qu'ils soient réprimés pénalement – le droit pénal sert à exprimer les interdits.
Un problème particulier se pose dans le cas de l'autopénétration induite à distance. Je suis partie du principe qu'il fallait sans doute la criminaliser et peut-être modifier en ce sens l'infraction de viol, mais les juristes interrogés ont été presque unanimement hostiles à cette proposition. Nous n'en devons pas moins nous demander comment mieux protéger les mineurs de ces violences en ligne qu'il ne faut absolument pas minimiser. Dans la dernière affaire dont on nous a parlé, il y avait quarante victimes pour un auteur : les réseaux sociaux fournissent aux prédateurs un terrain de chasse sans précédent.
Il faut en tirer les conséquences en matière de peines et d'accompagnement : il convient de tenir compte de l'aspect sexuel dans la qualification de l'infraction, d'autant que les victimes souffrent de psychotraumatismes assimilables à ceux qu'entraîne un viol de droit commun – voire pires, en raison des photos et des vidéos qui peuvent resurgir des années après les faits.
Tous les membres de notre Commission qui ont pris part à la visite du Bastion s'en souviennent. Les policiers nous ont alertés sur le phénomène en question et nous ont demandé de faire évoluer la définition du viol pour inclure cette incrimination, car ils sont souvent entravés dans les enquêtes et poursuites qu'ils voudraient lancer contre ce type de prédateurs. En progressant sur cette voie en vue de la séance publique, nous ferions œuvre utile et nous confirmerions l'intérêt de nos visites de terrain, dont je ne doutais pas.
Le sujet est essentiel. Avis favorable à l'amendement CL56. En revanche, j'ai une réserve concernant l'amendement CL62 car il ne précise pas qu'il vise les actes commis par un majeur : demande de retrait.
Je me souviens moi aussi de notre visite au Bastion et de notre rencontre avec les services qui luttent contre la pédocriminalité en ligne. Il en ressortait qu'il manquait dans notre droit pénal une qualification permettant de poursuivre les auteurs de tels faits. Peut-être faudrait-il établir une distinction entre les peines encourues selon que l'acte en question est une autopénétration ou un auto-attouchement. Ces amendements sont en tout cas essentiels.
Mon sous-amendement à l'amendement CL62 tend à préciser, à l'alinéa 2, que les faits sont commis par un majeur – ce serait cohérent avec l'alinéa 3 – et à ramener le montant de l'amende d'un million d'euros à 100 000 euros.
Ce qui m'a frappé lors de notre visite au Bastion, c'est que les professionnels nous ont demandé de rapprocher la définition française du viol de celle en vigueur en Belgique. Cette dernière ne distingue pas les actes de pénétration venant d'un tiers de ceux qu'une personne est amenée, par ruse ou sans son consentement, à pratiquer sur elle-même. Cela nous permettrait de poursuivre plus facilement les actes commis en ligne par manipulation de la victime.
J'avais étudié cette suggestion mais elle nous amènerait à modifier la définition du viol en général, ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d'une proposition de loi consacrée aux infractions sur mineurs.
Voilà un an presque jour pour jour que nous avons fait la visite à laquelle plusieurs d'entre nous viennent de se référer. Il y a urgence : les policiers sont démunis et nous n'avons pas la possibilité de protéger les mineurs qui se font piéger. Les stratégies développées par les prédateurs sont efficaces : n'importe quel mineur, même très entouré par sa famille et ses camarades, peut être touché. Face à ces situations dramatiques, les policiers ont peu de moyens : dans le cas déjà cité de la personne à l'origine d'atteintes sur quarante mineurs, ils n'ont pas pu agir comme ils l'auraient voulu et l'intéressé, libéré très rapidement, a pu recourir aux mêmes stratagèmes dans d'autres pays.
Je soutiens la proposition des auteurs des amendements ; reste à trouver d'ici à la séance le meilleur moyen légistique de lui faire droit.
Il faut que nous réfléchissions ensemble au bon emplacement de la disposition dans le code pénal : j'ai proposé de l'introduire après l'article 227-22-1, Mme Alexandra Louis un peu plus loin. Nous devrions nous coordonner. J'ai le sentiment que la place que j'ai choisie est la bonne ; sans doute Mme Louis pourrait-elle dire la même chose de son propre amendement, mais comme c'est le mien qui a fait l'objet d'un avis favorable…
Il est important de préciser dans l'amendement CL62 de Mme Louis qu'il vise les actes que des majeurs font commettre à des mineurs de quinze ans ; sinon, on sort du champ du texte et on touche à d'autres équilibres que l'on ne peut pas remettre en cause aujourd'hui.
S'agissant de l'emplacement, j'avais pris le parti de créer une section dédiée aux infractions sexuelles sur mineurs, sur le modèle du code de la justice pénale des mineurs. Cela me paraîtrait plus lisible et symboliquement important. C'était aussi le sens de mon amendement CL108 et la raison pour laquelle son adoption a fait tomber beaucoup d'autres amendements.
Il faudra que nous nous réunissions pour travailler ensemble et nous coordonner avant l'expiration du délai de dépôt des amendements en séance publique.
La Commission rejette l'amendement CL56.
Elle adopte le sous-amendement CL125, puis l'amendement 62 sous-amendé. En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL23 de Mme Brigitte Kuster et CL98 de Mme Sophie Auconie.
L'allongement du délai de prescription me semble indispensable ; l'actualité récente démontre que, dans certains cas, le délai actuel n'est pas satisfaisant. Il faut laisser aux victimes le temps nécessaire à la dénonciation des faits subis car le phénomène d'amnésie traumatique peut les empêcher d'avoir conscience de ce qui s'est passé, parfois pendant plusieurs décennies. Le report à la majorité du point de départ du délai de prescription est insuffisant. Voyez les affaires Preynat, Le Scouarnec, Hamilton ! Je propose que le point de départ du délai de prescription soit fixé au jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d'exercer ses droits.
Je vous recommande à ce sujet le travail de la psychiatre Muriel Salmona, auditionnée ici même à de nombreuses reprises, et le documentaire Enfance volée, chronique d'un déni. Nous devons tenir compte de l'amnésie traumatique dans le droit pénal.
Vous prêchez une convaincue ; les travaux dont vous parlez sont connus et reconnus. J'avais donc souhaité que l'on puisse réfléchir aux questions de mémoire traumatique et d'imprescriptibilité. Il faudrait également former les experts judiciaires à ces questions. Mais je demande le retrait de votre amendement, car le sujet appelle un travail avec le Gouvernement et la majorité sur la rédaction la plus opportune. Je suis prête à en discuter en séance publique, où nous pourrons échanger avec le garde des Sceaux.
Sur l'amendement CL23, avis défavorable.
Compte tenu de votre proposition, je vais retirer mon amendement, non sans rappeler que, sur les trois à quatre mille agressions que recouvre l'affaire Preynat, touchant plusieurs centaines de victimes, quelques-unes seulement ont été reconnues non prescrites. C'est un vrai sujet.
L'amendement CL98 est retiré.
La Commission rejette l'amendement CL23.
Elle est saisie de l'amendement CL94 de Mme Sophie Auconie.
Je remets sur la table la question de l'imprescriptibilité, qui avait suscité un débat passionné en 2018. Pour moi, l'imprescriptibilité a tout son sens dans le cas de crimes contre des enfants. On me dit qu'elle est liée aux crimes contre l'humanité, mais je considère que nos enfants sont l'humanité. L'auteur doit réaliser qu'il sera puni quel que soit le jour où son crime aura été dévoilé.
On commence à tenir compte de l'amnésie traumatique et, de ce point de vue, l'extension du délai de prescription à trente ans après la majorité de la victime a constitué une avancée. Mais elle n'est pas suffisante. Les exemples actuels le confirment, puisque de nombreuses victimes ne sont pas considérées telles parce que les faits sont prescrits. L'imprescriptibilité montrerait que nous comprenons l'ascendant, l'emprise, l'amnésie traumatique – toutes les raisons pour lesquelles un enfant ne dévoile pas le mal qu'on lui a fait, n'en dénonce pas l'auteur. C'est essentiel : il faut protéger l'enfant jusqu'au bout.
Dans l'affaire Le Scouarnec, les victimes, qui se comptent par centaines, ont dénoncé les faits après de longues années, de sorte que beaucoup ne seront pas considérées comme victimes à cause de la prescription. Ce n'est pas acceptable.
Au moment d'aborder le sujet sensible de la prescription, je rappelle qu'en 2018, nous avons allongé le délai de sorte que l'action publique peut désormais être engagée jusqu'aux 48 ans de la victime, étant précisé qu'il n'y a pas de limite dans le temps pour porter plainte. Il est important de le dire à nos concitoyens car les mécanismes de prescription sont devenus si complexes qu'on ne sait jamais à première vue si des faits sont prescrits ou non.
Cet allongement recouvre de nombreuses situations. Lors des auditions que j'ai menées, il est apparu que, sur la prescription, les avis sont divisés. Mais la quasi-totalité des magistrats et juristes rencontrés sont réservés quant à un nouvel allongement, voire une imprescriptibilité, à cause des difficultés pratiques auxquelles les confronte déjà l'allongement du délai lorsqu'il s'agit d'apporter la preuve des faits. Le vrai combat est celui-là : apporter la preuve et mobiliser la société, libérer la parole. Le véritable enjeu est que les gens parlent. S'ils l'avaient fait, dans de nombreuses affaires médiatisées, nous ne nous poserions pas la question de la prescription. C'est d'ailleurs, rappelons-le, une obligation lorsque des mineurs sont en jeu.
Je proposerai un mécanisme de prescription pour les infractions sérielles, commises par un auteur sur une multitude de victimes, dont il faut mieux tenir compte.
N'oublions pas, enfin, l'absence d'effet rétroactif : les faits qui sont prescrits le resteront. Dans l'affaire Duhamel, comme pour de nombreux faits révélés aujourd'hui, les faits ne seraient pas prescrits si la loi de 2018 avait été en vigueur à l'époque. Nous avons vraiment fait un pas en avant en 2018 ; il me paraît difficile d'aller plus loin.
Je souscris entièrement à ce qui vient d'être dit. Il y a deux obstacles à l'imprescriptibilité en la matière. Théorique, d'abord : elle est réservée aux crimes contre l'humanité, ce qui représente un symbole fort ; de plus, si on l'étend aux crimes sexuels sur mineurs, pourquoi pas aux autres crimes sur mineurs ? Pratique, ensuite : il faut libérer la parole le plus vite possible, voilà le message que nous devons diffuser. La conservation des preuves est difficile au bout de trente ans. Nous avons cependant voulu l'allongement en 2018 pour tenir compte de l'amnésie traumatique, mais ne laissons pas croire que, si la parole se libère au bout de cinquante ans, la justice pourra faire son œuvre. Ce serait un mensonge.
Travaillons en revanche à une prescription « glissante », dont le délai partirait de la dernière infraction commise quand les infractions sont multiples, et bénéficierait ainsi aux actes antérieurs.
La question de la prescription des violences sexuelles se pose avec de plus en plus d'acuité, la société ayant du mal à accepter qu'une personne identifiée comme l'auteure d'une infraction puisse ne jamais être poursuivie. Par ailleurs, l'amnésie traumatique, de plus en plus documentée, est une donnée nouvelle qui nourrit le débat.
J'ai toujours considéré, tant sur le plan universitaire que professionnel, que la prescription était nécessaire. Il existe une hiérarchie entre les crimes contre l'humanité et les crimes relevant du droit commun, et il est important que notre système judiciaire en tienne compte. De plus, dans ces dossiers où la parole se libère trop tard, les investigations peuvent être longues et sont parfois surinvesties par la victime. Or, quand on n'arrive pas à trouver les preuves qui permettraient d'établir la culpabilité et de prononcer des sanctions, ce parcours long, douloureux se solde par un échec, et c'est traumatisant pour les victimes. La loi Schiappa, en portant à trente ans le délai de prescription, constitue une avancée. Mais, au-delà de trente ans, le risque de dépérissement de la preuve est réel, qui plus est dans un domaine où celle-ci est très difficile à établir.
Le débat sur l'imprescriptibilité est ancien dans la classe politique, parmi les féministes et dans la société d'une manière générale. Il s'agit pourtant d'une fausse bonne idée : si l'objectif est d'en finir avec les infractions sexuelles commises sur des enfants, l'imprescriptibilité ne changera rien. Nous ne mettrons pas fin à ces violences en autorisant leurs poursuites pour l'éternité, ou du moins pour un temps très long. Si les victimes ont droit à la justice, elles ne se reconstruiront pas par la sanction : c'est un leurre. Elles le reconnaissent elles-mêmes. Il est illusoire de penser que la justice peut être rendue quarante, cinquante ou soixante ans après les faits. Il n'y a rien de pire qu'un procès parole contre parole dans ce type d'affaire.
Les véritables avancées sont celles que nous avons votées et celles qui seront proposées sur la prescription « glissante » ou « « échelonnée ». Elles se situent presque en dehors du répressif, et relèvent de l'accompagnement, de la libération de la parole, de la prévention. Le reste, notamment l'imprescriptibilité, est malvenu. Du reste, de très nombreuses associations, très sérieuses, s'y opposent : elles aussi doivent être entendues.
J'entends ces arguments qui sont très justes. Mais je pense aux affaires récentes dans lesquelles les victimes sont nombreuses. Le classement sans suite d'une procédure judiciaire faute de preuve est, certes, un traumatisme, mais l'ensemble des victimes d'un même auteur doivent bénéficier, par principe, d'une égale protection. L'abbé Preynat a fait plusieurs centaines de victimes, mais seules quatre plaintes font l'objet d'une procédure judiciaire : quel traumatisme pour toutes les autres victimes ! La seule solution réside dans l'imprescriptibilité.
Vous dites que la première action à mener est de libérer la parole : nous sommes tous d'accord ! Et je suis très fière de vivre dans une société dans laquelle, grâce aux réseaux sociaux, la parole se libère. Toutefois, la situation d'emprise perdurera quoi qu'il arrive : c'est ce que nous ont dit les victimes et les magistrats qui reçoivent ces enfants tous les jours. L'extension du délai de prescription à trente ans est un véritable progrès. Mais ce n'est pas suffisant – toutes les associations le disent. Compte tenu de l'existence d'amnésies traumatiques, lesquelles sont scientifiquement démontrées – c'est une pathologie –, il faut à tout le moins faire débuter le délai de prescription au moment où les souvenirs ressurgissent. À défaut, je demande l'imprescriptibilité pour assurer l'égalité de protection de toutes les victimes d'un même auteur. Pour des cas moins évidents que ceux de Le Scouarnec ou de Preynat, la présomption d'innocence prévaut et bénéficie toujours à l'auteur ; c'est un principe de notre droit. La présomption d'innocence ne pose donc pas de problème.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, l'amendement CL87 de M. Dimitri Houbron et les amendements identiques CL36 de M. Aurélien Pradié, CL88 de M. Dimitri Houbron et CL97 de Mme Sophie Auconie.
La loi du 3 août 2018 a fait évoluer la procédure pénale dans le domaine qui nous occupe. Tout d'abord, les infractions sexuelles criminelles commises à l'encontre des mineurs sont prescrites trente ans après la majorité de la victime. Ensuite, en modifiant la lettre de l'article 434-3 du code pénal, la loi a permis de faire du délit de non-dénonciation une infraction continue et non plus instantanée. Ainsi, tant que les sévices sexuels durent sans que la personne les dénonce, la prescription ne court pas.
Toutefois, cette disposition n'est pas à la hauteur de l'enjeu. En effet, le délit de non-dénonciation se prescrit conformément aux règles de droit commun, soit six ans révolus à compter du jour de l'infraction. L'argument selon lequel les victimes devenues majeures n'ont plus besoin de la protection d'une loi imposant à ceux ayant connaissance des faits de les dénoncer n'est pas pertinent. Certes, on peut considérer que si ces victimes sont en état d'agir, il n'y a plus lieu de reprocher à des tiers de ne pas le faire. Mais cela reviendrait à considérer que le droit pénal sert non pas à punir des auteurs pour les faits qu'ils ont commis, mais à satisfaire le besoin de réparation des victimes, ce qui n'est pas le rôle de la sanction pénale. Ceux qui savent et se taisent doivent prendre conscience de la gravité d'un tel silence. En ne prenant pas leurs responsabilités, ils autorisent la perpétuation de sévices aux conséquences irréversibles.
L'objet de cet amendement est de calquer les délais de prescription de l'action publique du délit de non-dénonciation, sans modifier le quantum de la peine encourue, sur celui du crime ou du délit qui n'est pas dénoncé.
Il convient d'allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation concernant un délit ou un crime commis sur un mineur, en le portant à dix ans pour un délit et à vingt ans pour un crime. Dans les affaires qui alimentent l'actualité, on constate souvent que des personnes savent et se taisent, permettant ainsi le maintien d'un système et parfois sa transmission. Pour casser ces chaînes, il faut absolument que ceux qui savent et ne disent rien puissent être inquiétés le plus longtemps possible.
Nous proposons que le délit de non-dénonciation soit sanctionné de façon beaucoup plus sévère. Si le mineur a été victime d'un délit, par exemple une atteinte sexuelle, le délai de prescription serait porté à dix ans à compter de la majorité de la victime. Si le mineur a été victime d'un crime, par exemple un viol, le délai de prescription serait porté à vingt ans à compter de la majorité de la victime.
Favorable aux amendements identiques, je demande à M. Houbron de bien vouloir retirer le CL87.
Si je comprends bien l'objectif de ces amendements, je m'interroge sur deux points. Au plan juridique, tout d'abord, il faut se montrer très vigilant quant à la cohérence et à l'équilibre général des délais de prescription, que ces amendements remettraient en cause. À chaque fois que l'on touche à ces délais, on fragilise la pratique judiciaire : c'est un message que m'ont répété en boucle les magistrats et les avocats.
Ensuite, je m'interroge sur l'efficacité de la mesure proposée. Nous sommes tous d'accord sur l'objectif : ceux qui savent doivent parler. Or, je ne suis pas persuadée que l'allongement des délais de prescription ait un effet dissuasif. Le quantum de la peine a déjà été alourdi en 2018 et le début du délai de prescription a été décalé lorsque cette infraction instantanée a été transformée en une infraction continue. En outre, l'abstention est difficile à prouver – en droit, on parle de probatio diabolica, la preuve diabolique. Là réside le véritable enjeu.
J'ai souvent entendu, au cours des auditions, que s'il était souhaitable d'améliorer le droit pénal, il ne fallait pas oublier que le véritable combat est la mobilisation de la société. Beaucoup de gens savent ou ont des doutes – et je rappelle qu'en l'espèce, en cas de doute, on ne s'abstient pas – et doivent être amenés à parler. Nous sommes allés loin en matière de répression, beaucoup plus loin en matière de prescription. Ces amendements me laissent dubitative.
Il serait paradoxal que l'auteur de l'infraction soit passible des assises mais que la personne qui savait et n'a pas dénoncé, par exemple la mère, soit exemptée de responsabilité. C'est triste à dire mais c'est souvent dans le cadre intrafamilial que les faits sont commis. Le message à transmettre, c'est qu'il faut libérer la parole : les gens qui ont connaissance de ces faits doivent les dénoncer. Mais il ne me paraît pas exorbitant d'appliquer le même délai de prescription à l'infraction principale et au délit de non-dénonciation. Ce serait faire œuvre utile, même si la difficulté d'apporter la preuve existe.
Je comprends mieux pourquoi nous ne sommes pas souvent d'accord, madame Louis : selon moi, le véritable enjeu, ce n'est pas de sensibiliser l'opinion publique – il y a des structures, des établissements, des organisations bien plus efficaces que nous dans ce domaine –, c'est d'envoyer un signal aux auteurs. Il faut libérer la parole, évidemment – je ne suis pas sûre qu'un texte comme celui-ci y parvienne –, mais aussi sanctionner, et protéger nos enfants. Voilà le véritable enjeu ! Le texte tel qu'il est réécrit ne correspond pas aux enjeux de ce qui est un sujet sociétal majeur, comme en témoignent quotidiennement les médias – qui, ce faisant, sensibilisent l'opinion publique.
J'adopterai une position d'équilibre, à mi-chemin entre Mme Auconie et Mme Louis. À titre personnel, je tiens à la prescription parce qu'elle structure notre système juridique. Avant d'étendre systématiquement les délais, observons déjà l'effet produit par l'allongement qui a été voté. Mais, en l'occurrence, nous parlons de personnes qui savaient et qui ont permis, en se taisant, que l'infraction perdure. C'est inacceptable. C'est pourquoi le délit de non-dénonciation ne doit pas être prescrit trop vite : il doit pouvoir faire l'objet de poursuites longtemps après, parce qu'il est aussi impardonnable que l'acte lui-même.
Madame Auconie, vous avez fixé des objectifs qui parfois nous dépassent. Je ne sais pas si notre rôle est d'envoyer un signal. En revanche, il est de renforcer les sanctions et c'est ce que nous faisons avec cette proposition de loi, dans un cadre juridique équilibré. Nous ne nous opposons pas à l'esprit de votre amendement, mais nous devons nous montrer vigilants quant à la constitutionnalité de ce que nous votons.
La loi pénale n'est pas rétroactive : c'est un principe à valeur constitutionnelle. L'affaire Duhamel n'est donc pas sous l'empire de la loi de 2018.
Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, je ne ferme pas la porte mais je m'interroge sur l'efficacité d'un allongement de la durée de prescription. La loi pénale a plusieurs fonctions : elle protège, elle amorce des changements sociétaux et elle réprime. Il faut tenir compte de tous ces aspects et savoir ce que l'on veut faire tant en matière de dissuasion que de répression. Je propose donc que nous débattions de ce sujet en séance publique, en présence du ministre. Encore une fois, lorsque l'on modifie le régime de prescription, on touche à l'architecture du droit. Or, il ne faut y toucher qu'avec la main tremblante, pour reprendre la formule consacrée.
Votre remarque aurait pu valoir pour l'ensemble du texte !
Tout n'est pas parfaitement logique dans l'agencement des différentes prescriptions. La prescription est un cadre important de notre droit pénal mais, en l'occurrence, les délais sont courts. Si l'on veut faire preuve de cohérence, il faut les allonger. En effet, une personne n'ayant pas dénoncé un crime ou un délit peut, à partir d'un certain délai, se sentir à l'abri de poursuites, tandis que la prescription n'est pas acquise pour l'auteur des faits. Cela ne va pas ! Nous avons bien avancé tout à l'heure en traitant quarante articles du code pénal en un seul amendement : nous pouvons également voter celui-ci, quitte à y revenir en séance publique.
Ce que nous faisons nécessite un minimum de rigueur : on ne peut pas être approximatif ! L'affaire Duhamel est jugée sous l'empire de la loi ancienne. Si elle se produisait aujourd'hui, elle serait jugée sous l'empire de la loi Schiappa votée il y a deux ans, c'est un fait ! Il ne s'agit pas de freiner des quatre fers – nous aussi, nous voulons avancer –, mais de faire en sorte que ce que nous votons tienne la route, parce que nous sommes attendus sur ce sujet.
La Commission rejette successivement l'amendement CL87 et les amendements identiques.
Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL37 de M. Aurélien Pradié et CL27 de Mme Albane Gaillot, ainsi que l'amendement CL89 de Mme Alexandra Louis.
Il s'agit encore une fois du délai de prescription. L'amendement répond aux préoccupations légitimes exprimées par Mme Sophie Auconie puisqu'il interrompt le délai de prescription si l'auteur des faits poursuit ses actes sur d'autres victimes, ce délai ne recommençant à courir qu'à l'issue de la succession d'actes criminels ou délictueux.
Nous sommes d'accord sur l'objectif. Plutôt que de parler de prescription glissante, réactivée ou rééchelonnée, je préfère retenir la notion d'infractions sérielles. De fait, dans de nombreuses affaires, certaines victimes sont parties civiles tandis que d'autres ne sont que témoins, ce qui pose des difficultés.
Les rédactions proposées par nos collègues soulèvent un problème technique : il faut veiller à ce que ce ne soit pas la commission de l'infraction qui interrompe le délai, mais bien un acte interruptif défini dans le code de procédure pénale. Si la première infraction tombait, on serait bien embêté. Il faut être attentif à cette articulation.
Je vous soumets donc la définition que Mme Haritini Matsopoulou, professeure de droit privé, m'a proposée, et qui s'inspire de plusieurs solutions jurisprudentielles. Il s'agit de recourir à la notion de connexité et de l'adapter à ces infractions spécifiques, en traitant à la fois les délits et les crimes et en veillant à ce qu'un acte interruptif – en l'espèce, la saisine d'une juridiction –, et non une infraction, interrompe le délai de prescription. Je veux bien retravailler cet amendement mais je le trouve intéressant parce qu'il s'inscrit dans la continuité de ce qui a été fait pour d'autres infractions, par exemple des infractions économiques. En tout cas, il est nécessaire d'apporter une précision dans le code de procédure pénale, sinon cela ne fonctionnera pas.
J'ai écouté avec une grande attention vos propositions, qui sont intéressantes. Mais, même si vous êtes majoritaires, je reste la rapporteure du texte, lequel doit être élaboré dans le cadre d'un rassemblement le plus large possible, dans la recherche de l'intérêt général. J'émets un avis favorable sur les amendements identiques.
Je conviens avec Mme Louis qu'aucun de ces trois amendements ne propose une rédaction parfaite et qu'il sera nécessaire de les retravailler. La loi pénale est d'interprétation stricte ; il faudrait donc éviter d'employer des termes utilisés à propos de délinquance économique s'agissant de délits et de crimes sexuels commis sur des mineurs. Si je suis d'accord avec la première partie de l'amendement de Mme Louis, je désapprouve la seconde, qui tend à considérer comme connexes les délits et les crimes sexuels qui « sont déterminés par la même cause et tendent au même but ». Il conviendrait d'amender cette rédaction pour qu'elle corresponde à la réalité d'une infraction sexuelle.
Je ne suis pas opposée à l'idée de retravailler cet amendement ; il s'agit d'un point de départ. Ma préoccupation est que le délai de prescription d'une infraction ne soit pas interrompu par une autre infraction.
La Commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, l'amendement CL89 tombe et l'article 6 est ainsi rédigé.
La Commission en vient à l'amendement CL38 de M. Aurélien Pradié, qui fait l'objet d'un sous-amendement CL118 de la rapporteure.
Il s'agit d'élargir la liste des infractions dont les auteurs sont inscrits au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles et violentes en y faisant figurer le délit d'incitation à commettre un crime ou un délit sur un mineur. Cette extension, qui ne serait pas la première, nous semble pertinente car, si l'on veut lutter contre ces infractions, il est essentiel de se donner les moyens d'informer et d'éviter que leurs auteurs ne se trouvent à proximité de mineurs ou ne travaillent avec les mineurs en tant qu'encadrants, salariés ou même bénévoles.
Le sous-amendement est retiré.
La Commission adopte l'amendement et l'article 7 est ainsi rédigé.
La Commission est saisie de l'amendement CL96 de Mme Sophie Auconie.
La structuration du texte ayant changé, votre amendement n'a plus d'objet. Demande de retrait.
L'amendement est retiré.
La Commission en vient à l'amendement CL39 de M. Aurélien Pradié.
Nous souhaitons l'inscription d'un plus grand nombre de personnes sur le fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles et violentes, en rendant cette inscription automatique lorsque la victime est mineure, et ce, quel que soit le quantum de la peine encourue. Certes, le juge a une liberté d'appréciation mais, s'agissant de l'inscription dans ce type de fichier, nous devrions être un peu plus incitatifs.
Je me réjouis qu'il puisse être adopté car il reprend exactement une disposition rejetée en 2018 lors de l'examen de la loi Schiappa.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL40 de M. Aurélien Pradié.
Une fois n'est pas coutume, nous demandons au Gouvernement un rapport sur les moyens alloués à la lutte contre les violences sexuelles, sur l'accueil et la prise en charge des victimes de viol et d'inceste, et sur les dispositifs nouveaux qu'il entend déployer. Il y a souvent des déclarations d'intention, dont les effets se font attendre longtemps. En l'espèce, un rapport peut favoriser une action publique plus rapide.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement CL43 de Mme Valérie Beauvais.
Il s'agit de demander au Gouvernement de remettre un rapport sur la recrudescence des violences sexuelles commises par des mineurs sur des mineurs. Ces faits sont en en effet en forte augmentation : 50 % des condamnations pour viol sur mineurs de 15 ans concernent des auteurs eux-mêmes mineurs.
Je ne suis pas favorable aux demandes de rapport : les parlementaires ont un pouvoir d'évaluation, qu'ils peuvent exercer. Si nous avons des questions à poser au Gouvernement, le débat en séance publique permettra d'obtenir des réponses.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement CL57 de M. Erwan Balanant.
L'objet de cet amendement de repli était de demander au Gouvernement un rapport sur l'opportunité de créer un délit de violences sexuelles numériques, délit que nous avons créé un peu plus tôt. Cependant, celui-ci ne règle pas totalement la question des violences numériques, qui méritera sans doute de faire l'objet d'un travail de notre Commission.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL93 de Mme Sophie Auconie.
Il s'agit de demander au Gouvernement un rapport évaluant la possibilité de considérer l'amnésie traumatique comme un obstacle insurmontable au sens de l'article 9-3 du code de procédure pénale dans les affaires portant sur des violences sexuelles commises sur des mineurs.
Une partie du rapport d'évaluation que j'ai rédigé est consacrée à ce sujet : j'invite tous ceux qui le souhaitent à en prendre connaissance. J'ai essayé de retracer les différents points de vue, tous intéressants, sur ce sujet très complexe.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion se termine à 17 heures 55.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.