Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 18 février 2021 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur :

L'accord conclu entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, et ses conséquences touchent le ministère de l'Intérieur à plusieurs titres.

Un premier sujet est le contrôle aux frontières, que mon prédécesseur a particulièrement bien anticipé, de même qu'il organisé la transition dans ce domaine. Nous avons sans doute aussi été aidés par la baisse du trafic, notamment du fait du covid-19. Dans la zone nord, 126 effectifs supplémentaires ont été déployés pour faire face aux obligations de contrôle aux frontières. Ils seront portés à 145 à partir du 15 mars. Pour passer le mois de janvier, le plan de gestion du trafic a mobilisé cinq unités de force mobile (UFM) – il a été levé depuis. Une forte baisse du trafic, de 70 % entre janvier 2020 et janvier 2021, a été constatée. Elle est liée à la situation sanitaire ainsi qu'aux difficultés douanières. L'instauration des contrôles a montré que l'on a su faire face à la situation, y compris à des moments de trouble. Depuis le 1er janvier, 75 000 personnes en moyenne ont été contrôlées par semaine. Le trafic est resté fluide, avec un maximum de 3 kilomètres de bouchons à Calais et à Coquelles, au plus fort de la période de transition.

Deuxième sujet : le droit au séjour des ressortissants britanniques. Là encore sous l'égide de Christophe Castaner, le ministère de l'Intérieur a parfaitement anticipé la question, notamment en ouvrant une plateforme sur laquelle les ressortissants britanniques habituellement présents sur le territoire français peuvent demander la délivrance d'un titre de séjour. Parmi les 200 000 citoyens britanniques concernés, 100 000 ont déjà accédé à la plateforme et déposé un dossier. À ma connaissance, aucun retour négatif n'a été enregistré, notamment dans les circonscriptions où de nombreux citoyens britanniques sont installés. Dans le cas contraire, nous sommes à la disposition des parlementaires pour traiter les éventuelles difficultés.

Troisième sujet : la coopération migratoire. Elle est difficile avec nos amis britanniques depuis longtemps, avant Sangatte. Les conditions météorologiques, le froid et, sans doute aussi, la crise sanitaire, ont fait naturellement baisser la pression migratoire depuis les côtes françaises vers la Grande-Bretagne, mais des améliorations peuvent également être constatées. Le transport routier reste la voie la plus fréquente d'immigration clandestine : plus de 22 000 interceptions, notamment dans des camions, ont été enregistrées, pour 15 000 personnes dans de petits bateaux, les fameux small boats.

Chacun s'en souvient, nous avons eu une discussion rude mais efficace avec la ministre de l'Intérieur britannique, que je remercie devant la représentation nationale, ainsi qu'avec les ambassadeurs français et britannique. Nous sommes parvenus à trouver un accord pour la continuité du financement des moyens que le gouvernement britannique met à la disposition du gouvernement français. Grâce à la réserve opérationnelle de gendarmerie et de police, aux caméras et autres systèmes de surveillance des côtes françaises, ainsi qu'aux moyens de communication, nous interceptons 56 % des bateaux dans la bande du nord de la France, qui s'étend jusqu'à la Belgique. Puisque 60 % des migrants qui traversent, par Boulogne-sur-Mer ou Calais, le détroit qui sépare la France et la Grande-Bretagne viennent de Flandres, nous avons renforcé les contrôles à la frontière belge.

Les financements octroyés s'élèvent à 228 millions d'euros depuis 2014, et à 30 millions pour l'année qui vient, en vertu de l'accord que nous avons conclu le 28 novembre 2020 avec la ministre britannique. Le Brexit n'a pas eu de conséquence négative, ni sur notre relation bilatérale avec nos partenaires britanniques ni sur la vague migratoire que l'on redoutait au moment de sa conclusion. Alors que la Grande-Bretagne compte déjà plus d'1 million d'étrangers en situation irrégulière, du fait des conditions sanitaires et sans doute de la façon dont nous avons géré la transition avec les Britanniques, l'appel d'air n'a pas eu lieu. Au total, 3 081 étrangers en situation irrégulière ont été interceptés en janvier 2021, et 5 032, en décembre 2020. Durant ces deux mois la situation au regard du covid et l'état de la mer ont été sensiblement identiques ; les interceptions plus nombreuses en décembre qu'en janvier montrent donc que le Brexit n'a pas entraîné l'appel d'air migratoire annoncé.

La crainte concerne surtout la coopération qui existait au sein de l'Union européenne, notamment dans le cadre du règlement Dublin. Aujourd'hui, il n'y a plus de lien avec les Britanniques pour renvoyer des étrangers en situation irrégulière. Pour l'instant, nous n'avons pas souhaité signer d'accord sur ce plan – nous n'y voyons pas d'intérêt pour la France –, mais nous devons continuer nos relations avec le gouvernement britannique, si possible au nom de l'Union européenne. C'est ce que nous demandons à la Commission européenne, comme nous l'avons fait lors de notre rencontre avec la commissaire européenne aux affaires intérieures.

Le territoire britannique exerce une forte attractivité sur l'immigration clandestine. La ministre de l'Intérieur britannique la connaît : elle a récemment communiqué dans la presse sur un changement de législation du travail concernant les personnes immigrées, notamment celles qui demanderaient des documents sur le territoire britannique. C'est une bonne chose – chacun sait que les migrants ne restent pas à Calais pour le seul climat des Hauts-de-France. Mme Patel et M. Johnson modifient donc l'attractivité sociale que les gouvernements britanniques précédents avaient maintenue. Une autre difficulté est que les contrôles de pièce d'identité n'existent pas en Grande-Bretagne. Nous considérons que ces contrôles restent insuffisants, ce qui encourage une immigration clandestine de travail encore forte et les velléités de passages à la frontière maritime.

Enfin, la coopération en matière de sécurité entre les services britanniques et français, ainsi qu'entre les ministères est très bonne. Le Brexit n'a pas eu de conséquence, ni politique – c'était le souhait de la ministre et de moi-même –, ni dans le droit de l'Union. Reste que la coopération policière est rendue difficile par le refus, de la part des Britanniques, des règles qui auraient pu nous permettre de poursuivre l'utilisation du système d'information Schengen de chaque côté de la Manche – notamment, ils n'ont pas voulu appliquer certaines prescriptions du droit de l'Union sur les données personnelles. La déconnexion du Royaume-Uni du système d'information ne leur permet ni d'avoir accès à ces systèmes, ni de faire des signalements. La coopération est étroite entre nos services, mais il y a cette difficulté que nous essayons de résoudre avec nos collègues britanniques. Dès la fin de la pandémie, je me rendrai à Londres, à l'invitation de la ministre, pour discuter notamment de cette question.

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