Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du jeudi 18 février 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • britannique
  • domicile
  • royaume-uni
  • trafic
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La réunion

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La réunion débute à 14 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur les conséquences, pour la France, de l'accord conclu le 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l'Union européenne en matière de sécurité intérieure et sur l'application des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

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Mes chers collègues, à la demande du président de l'Assemblée nationale, les commissions permanentes sont chargées d'effectuer des auditions des ministres dans leur champ de compétences, d'une part sur les conséquences pour la France de l'accord conclu le 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l'Union européenne en matière de sécurité intérieure, et d'autre part sur l'application des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Nous avons entendu le garde des Sceaux la semaine dernière sur la coopération judiciaire avec le Royaume-Uni après le Brexit et nous accueillons aujourd'hui M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur.

Monsieur le ministre, il m'a semblé opportun d'aborder les deux thématiques dans une même audition. Je vous propose que nous commencions par votre propos liminaire et les questions des députés sur les conséquences du Brexit, puis que nous procédions de même avec le second sujet.

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Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur

L'accord conclu entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, et ses conséquences touchent le ministère de l'Intérieur à plusieurs titres.

Un premier sujet est le contrôle aux frontières, que mon prédécesseur a particulièrement bien anticipé, de même qu'il organisé la transition dans ce domaine. Nous avons sans doute aussi été aidés par la baisse du trafic, notamment du fait du covid-19. Dans la zone nord, 126 effectifs supplémentaires ont été déployés pour faire face aux obligations de contrôle aux frontières. Ils seront portés à 145 à partir du 15 mars. Pour passer le mois de janvier, le plan de gestion du trafic a mobilisé cinq unités de force mobile (UFM) – il a été levé depuis. Une forte baisse du trafic, de 70 % entre janvier 2020 et janvier 2021, a été constatée. Elle est liée à la situation sanitaire ainsi qu'aux difficultés douanières. L'instauration des contrôles a montré que l'on a su faire face à la situation, y compris à des moments de trouble. Depuis le 1er janvier, 75 000 personnes en moyenne ont été contrôlées par semaine. Le trafic est resté fluide, avec un maximum de 3 kilomètres de bouchons à Calais et à Coquelles, au plus fort de la période de transition.

Deuxième sujet : le droit au séjour des ressortissants britanniques. Là encore sous l'égide de Christophe Castaner, le ministère de l'Intérieur a parfaitement anticipé la question, notamment en ouvrant une plateforme sur laquelle les ressortissants britanniques habituellement présents sur le territoire français peuvent demander la délivrance d'un titre de séjour. Parmi les 200 000 citoyens britanniques concernés, 100 000 ont déjà accédé à la plateforme et déposé un dossier. À ma connaissance, aucun retour négatif n'a été enregistré, notamment dans les circonscriptions où de nombreux citoyens britanniques sont installés. Dans le cas contraire, nous sommes à la disposition des parlementaires pour traiter les éventuelles difficultés.

Troisième sujet : la coopération migratoire. Elle est difficile avec nos amis britanniques depuis longtemps, avant Sangatte. Les conditions météorologiques, le froid et, sans doute aussi, la crise sanitaire, ont fait naturellement baisser la pression migratoire depuis les côtes françaises vers la Grande-Bretagne, mais des améliorations peuvent également être constatées. Le transport routier reste la voie la plus fréquente d'immigration clandestine : plus de 22 000 interceptions, notamment dans des camions, ont été enregistrées, pour 15 000 personnes dans de petits bateaux, les fameux small boats.

Chacun s'en souvient, nous avons eu une discussion rude mais efficace avec la ministre de l'Intérieur britannique, que je remercie devant la représentation nationale, ainsi qu'avec les ambassadeurs français et britannique. Nous sommes parvenus à trouver un accord pour la continuité du financement des moyens que le gouvernement britannique met à la disposition du gouvernement français. Grâce à la réserve opérationnelle de gendarmerie et de police, aux caméras et autres systèmes de surveillance des côtes françaises, ainsi qu'aux moyens de communication, nous interceptons 56 % des bateaux dans la bande du nord de la France, qui s'étend jusqu'à la Belgique. Puisque 60 % des migrants qui traversent, par Boulogne-sur-Mer ou Calais, le détroit qui sépare la France et la Grande-Bretagne viennent de Flandres, nous avons renforcé les contrôles à la frontière belge.

Les financements octroyés s'élèvent à 228 millions d'euros depuis 2014, et à 30 millions pour l'année qui vient, en vertu de l'accord que nous avons conclu le 28 novembre 2020 avec la ministre britannique. Le Brexit n'a pas eu de conséquence négative, ni sur notre relation bilatérale avec nos partenaires britanniques ni sur la vague migratoire que l'on redoutait au moment de sa conclusion. Alors que la Grande-Bretagne compte déjà plus d'1 million d'étrangers en situation irrégulière, du fait des conditions sanitaires et sans doute de la façon dont nous avons géré la transition avec les Britanniques, l'appel d'air n'a pas eu lieu. Au total, 3 081 étrangers en situation irrégulière ont été interceptés en janvier 2021, et 5 032, en décembre 2020. Durant ces deux mois la situation au regard du covid et l'état de la mer ont été sensiblement identiques ; les interceptions plus nombreuses en décembre qu'en janvier montrent donc que le Brexit n'a pas entraîné l'appel d'air migratoire annoncé.

La crainte concerne surtout la coopération qui existait au sein de l'Union européenne, notamment dans le cadre du règlement Dublin. Aujourd'hui, il n'y a plus de lien avec les Britanniques pour renvoyer des étrangers en situation irrégulière. Pour l'instant, nous n'avons pas souhaité signer d'accord sur ce plan – nous n'y voyons pas d'intérêt pour la France –, mais nous devons continuer nos relations avec le gouvernement britannique, si possible au nom de l'Union européenne. C'est ce que nous demandons à la Commission européenne, comme nous l'avons fait lors de notre rencontre avec la commissaire européenne aux affaires intérieures.

Le territoire britannique exerce une forte attractivité sur l'immigration clandestine. La ministre de l'Intérieur britannique la connaît : elle a récemment communiqué dans la presse sur un changement de législation du travail concernant les personnes immigrées, notamment celles qui demanderaient des documents sur le territoire britannique. C'est une bonne chose – chacun sait que les migrants ne restent pas à Calais pour le seul climat des Hauts-de-France. Mme Patel et M. Johnson modifient donc l'attractivité sociale que les gouvernements britanniques précédents avaient maintenue. Une autre difficulté est que les contrôles de pièce d'identité n'existent pas en Grande-Bretagne. Nous considérons que ces contrôles restent insuffisants, ce qui encourage une immigration clandestine de travail encore forte et les velléités de passages à la frontière maritime.

Enfin, la coopération en matière de sécurité entre les services britanniques et français, ainsi qu'entre les ministères est très bonne. Le Brexit n'a pas eu de conséquence, ni politique – c'était le souhait de la ministre et de moi-même –, ni dans le droit de l'Union. Reste que la coopération policière est rendue difficile par le refus, de la part des Britanniques, des règles qui auraient pu nous permettre de poursuivre l'utilisation du système d'information Schengen de chaque côté de la Manche – notamment, ils n'ont pas voulu appliquer certaines prescriptions du droit de l'Union sur les données personnelles. La déconnexion du Royaume-Uni du système d'information ne leur permet ni d'avoir accès à ces systèmes, ni de faire des signalements. La coopération est étroite entre nos services, mais il y a cette difficulté que nous essayons de résoudre avec nos collègues britanniques. Dès la fin de la pandémie, je me rendrai à Londres, à l'invitation de la ministre, pour discuter notamment de cette question.

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Le regroupement familial est autorisé dans le cadre du règlement Dublin III, qui ne s'applique plus au Royaume-Uni. En particulier, depuis janvier 2020, le droit britannique ne reconnaît plus de protection aux mineurs non accompagnés. Il n'assure la réunification familiale que si la personne est déjà sur le territoire britannique ou si elle bénéficie du statut de réfugié. Ce vide juridique concernant le respect des droits de l'enfant et du droit d'asile ne risque-t-il pas de faire le jeu des filières de passeurs ?

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Il y a deux ans, j'ai participé à une réflexion organisée par l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) avec nos partenaires anglais, sur les enjeux de cybersécurité et de souveraineté numérique, notamment dans le cadre du sommet de Sandhurst et du traité de Lancaster House. Les annonces capitales du Président de la République sur la stratégie française en matière de cybersécurité et vos propos sur la question de l'échange des données me confirment que les enjeux ne sont pas seulement français et qu'une coopération est manifestement nécessaire, non seulement avec l'Union européenne, mais aussi, depuis le Brexit, avec le Royaume-Uni. J'imagine que les relations très étroites de partenariat qui existaient dans le cadre des accords de Lancaster House vont se poursuivre. Quels en seront les enjeux dans la période post-Brexit ?

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Gérald Darmanin, ministre

Nous ne souhaitons pas négocier un accord bilatéral sur les aspects d'immigration – il trouverait vite sa limite et ce serait une petite défaite pour l'Union européenne. Nos amis britanniques exercent une pression, sans doute nécessaire, pour obtenir un accord migratoire, mais nous répondons que la négociation doit se faire au niveau européen, quand bien même la France est géographiquement la première concernée. Nous pourrions imaginer un principe de réadmission, mais pas sans réciprocité ; celle-ci pourrait consister en l'accueil par la Grande-Bretagne des mineurs isolés qui souhaitent s'y rendre. Ce point est à négocier avec les Britanniques.

Nous présiderons l'Union européenne au début de l'année 2022. Puisque la présidence portugaise a commencé ce travail, nous pouvons espérer le conclure, et aboutir à cet accord sur l'immigration.

Les questions de sécurité en général ne font pas partie du droit de l'Union. En la matière, nous avons conservé une excellente collaboration avec les services britanniques, qu'il s'agisse du contre-terrorisme, de la lutte contre la grande délinquance ou encore de la lutte contre les stupéfiants – la surveillance des côtes antillaises en fait notamment partie. La cybersécurité, elle, figure dans l'accord, ce qui répond aux priorités énoncées par le Président de la République et à la conscience qu'ont les gouvernements de la nécessité d'une coopération dans ce domaine crucial. Nous devons renforcer notre cadre bilatéral pour lutter contre le terrorisme, les grands trafics et aussi la cybercriminalité. Ces enjeux seront à l'ordre du jour des discussions avec Mme Patel. Nous en avons déjà évoqué l'importance au cours de nos deux entretiens. Que la cybersécurité soit consignée dans l'accord n'empêche pas d'y travailler indépendamment du divorce qu'a représenté le Brexit.

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Le Brexit met fin à un cadre bien construit en matière de coopération policière et judiciaire entre le Royaume-Uni et les autres pays européens, en particulier pour lutter contre la criminalité transfrontalière et le terrorisme.

La menace terroriste reste très élevée aujourd'hui. Durant les deux dernières années, nos deux pays ont été alternativement concernés par des attaques sévères, et la question de la coopération future se pose. Avec le Brexit, les Britanniques quittent l'espace Schengen et n'ont plus accès aux systèmes d'information, tels que le fichier de police auquel le Royaume-Uni contribuait. En juin 2018, Michel Barnier avait souligné que le pays perdrait son accès aux bases de données policières européennes. Or le système d'information Schengen (SIS) est devenu un instrument précieux pour traquer les djihadistes entrés en Europe. La question de la continuité de cette collaboration devra donc être résolue lors de futures discussions. Quelles sont les actions menées durant la période transitoire ? Quelles sont celles qui sont prévues ultérieurement ?

De nombreux migrants, dont de jeunes mineurs non accompagnés, arrivent à Calais avec l'espoir de passer en Angleterre par des voies dangereuses comme la route et les bateaux. Des accords ont été passés pour l'accueil et le partage des frais inhérents à la surveillance des accès au tunnel. Qu'en est-il désormais ? Quelles solutions perdurent ou sont remises en cause, et dans quels délais ?

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Gérald Darmanin, ministre

La coopération policière et judiciaire ne figure pas dans l'accord qui lie à présent l'Union européenne et la Grande-Bretagne. Cependant, notre coopération policière et judiciaire continue – M. le garde des Sceaux a dû le préciser –, et elle continue bien. Les chefs d'État ont la ferme intention de la maintenir, car la sécurité est trop importante : vous l'avez dit, la Grande-Bretagne et la France ont été touchées hier par le terrorisme, elles le seront peut-être demain. Parce qu'ils ont des frontières en commun, nos États doivent continuer leur coopération en matière de voisinage et de renseignement. Il est hors de question de la remettre en cause. Au contraire, il faut la poursuivre et l'améliorer.

Pour l'instant, nos amis britanniques n'ont pas accepté les conditions qui leur permettraient d'accéder à certains fichiers. L'Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) permet certaines solutions de contournement, mais les échanges sont toutefois moins fluides. L'intelligence des services et du travail politique devrait nous aider à retrouver une situation normale. Il est bien compréhensible que l'Union européenne et la France conditionnent le maintien de l'accès à certains outils généraux, notamment de Schengen, à une utilisation des données conforme au droit de l'Union. Nous continuerons d'en discuter avec les Britanniques. Il ne s'agit pas pour nous de leur « faire payer » le Brexit à travers la coopération policière ou judiciaire.

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Le volet « coopération sécuritaire » de l'accord communautaire avec le Royaume-Uni suscite des inquiétudes. Outre qu'il laisse un vide juridique en matière d'enquêtes et de mandats d'arrêt, les agences européennes craignent de ne plus pouvoir bénéficier de la puissance des services de sécurité intérieure et extérieure britanniques pour démanteler les cellules djihadistes avant qu'elles ne passent à l'action. L'Union européenne pourrait également perdre sa facilité d'accès aux données américaines et canadiennes, un atout dont elle disposait grâce à la relation privilégiée du Royaume-Uni avec les services nord-américains. Il convient de gommer cette zone grise.

Cette période de transition est aussi source de difficultés au regard du fonctionnement du mandat d'arrêt européen. Peu d'éléments auraient été définis en matière d'arrestation et d'extradition, et plusieurs dossiers sont pendants. Concrètement, pour les demandes d'extradition avec le Royaume-Uni, les procédures désormais appliquées dépendent de chaque État.

S'agissant des demandes d'enquête, le Royaume-Uni n'y participant plus, les États européens doivent envoyer des demandes de commissions rogatoires classiques, ce qui prend plus de temps. Cela pourrait ralentir les enquêtes internationales portant, par exemple, sur un trafic d'armes ou le démantèlement d'une cellule terroriste.

La lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme semble être mieux définie, même si les échanges d'information peuvent perdre en efficacité et en fluidité.

Pouvez-vous apporter des éclairages sur l'avancement des négociations en vue de structurer notre coopération en matière de mandat d'arrêt et de demande d'enquête avec notre partenaire britannique ?

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Gérald Darmanin, ministre

En toute franchise, nous n'avons pas besoin des Britanniques pour coopérer avec les Canadiens et les Américains. Nous entretenons des liens directs de grande confiance, qu'il s'agisse de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou, plus globalement, du ministère de l'Intérieur. Il n'y a donc pas de problème de ce point de vue.

Indépendamment de Schengen, il y a toujours des coopérations sur les données relatives à l'ADN, aux empreintes ou aux dossiers passagers (PNR). Ces informations restent mutualisées et échangeables.

Il reste, en effet, un vide juridique sur la procédure de l'Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne (EUROJUST) et de l'Office européen de police (EUROPOL), mais nous pouvons continuer de fonctionner dans ces cadres, indépendamment des accords.

S'agissant des mandats d'arrêt, le Royaume-Uni a effectivement des accords avec les pays d'Europe continentale. Le lien juridique que nous avons avec nos partenaires britanniques est désormais moins étroit que celui qui nous lie à un État dans l'Union européenne, mais il l'est bien davantage qu'avec tout autre pays tiers. C'est désormais la spécificité de notre relation avec nos voisins britanniques. En tout cas, en matière de lutte contre le terrorisme ou la grande criminalité, il ne s'agit pas de poser des conditions excessives de droit ; il faut fluidifier l'information pour pouvoir répondre aux demandes de renseignement, d'un côté comme de l'autre. Le partage d'informations entre services de renseignement – qui se fait quasiment quotidiennement – et la coopération doivent continuer, indépendamment des relations économiques et douanières. C'était le cas avant le droit de l'Union ; ce sera évidemment le cas après.

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Nous en venons aux mesures prises par le ministère de l'Intérieur en matière de gestion de l'épidémie de covid-19.

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Gérald Darmanin, ministre

Le ministère de l'Intérieur est chargé de l'application des mesures, en particulier de restriction, prises par le Gouvernement et le Parlement pour assurer de bonnes conditions sanitaires et éviter un nouveau confinement.

Entre le 16 janvier, date de l'instauration du couvre-feu à 18 heures sur tout le territoire, et le 14 février, les fonctionnaires de police nationale et de gendarmerie nationale placés sous mon autorité – nous n'avons pas tous les chiffres de la police municipale – ont effectué 1 577 000 contrôles qui ont donné lieu à 160 000 verbalisations, soit environ 10 %. Nous avons constaté une baisse des verbalisations qui montre une meilleure acceptation des Français, par exemple du port du masque.

Nous avons fortement renforcé les contrôles au moment de la reprise de l'épidémie et de l'apparition des variants, c'est-à-dire au cours des quinze derniers jours. Après un léger fléchissement le week-end dernier, avec un nombre de contrôles en baisse de 7 %, j'ai redonné des consignes pour ce week-end – il devrait faire beau, ce qui pourrait encourager les sorties. Les policiers, les gendarmes et les préfets ont reçu aujourd'hui ces consignes de fermeté. Le couvre-feu à 18 heures est la contrepartie de la décision de ne pas reconfiner le pays. Chacun doit le respecter, malgré les difficultés personnelles que ces restrictions peuvent entraîner.

Les rassemblements clandestins sont certainement l'un des sujets les plus médiatiques et compliqués à gérer, en raison même de leur nature. Entre le 15 décembre et la Saint-Valentin, 214 rassemblements festifs clandestins ont été recensés par les forces de l'ordre : 31 % d'entre eux se sont déroulés dans des domiciles privés et 35 % sur la voie publique, où il est plus facile pour les forces de l'ordre d'intervenir. Pour les fêtes dans les domiciles, la police et la gendarmerie respectent la loi de la République, et ne peuvent agir qu'en arrivant à prouver, notamment par l'intermédiaire des réseaux sociaux ou de témoignages, qu'une entrée payante est demandée, ce qui leur permet de requalifier le domicile en établissement recevant du public (ERP). Évidemment, cela demande un travail d'enquête et de constatation plus approfondi. Ces 214 interventions ont donné lieu à 228 interpellations, dont 162 ont débouché sur des poursuites pénales pour mise en danger de la vie d'autrui. Les forces de l'ordre concentrent désormais leur action sur les restaurants et les débits de boissons clandestins : les contrôles ont augmenté de 20 % en quinze jours ; ils ont porté sur 3 468 établissements sur la seule semaine dernière. Tout le monde a vu, avec la free party en Ille-et-Vilaine, quelle difficulté d'intervention posent ces rassemblements clandestins, mais aussi la fermeté qui s'y attache : il n'y a jamais eu autant de saisies, de verbalisations et de poursuites judiciaires, avec peines de privation de liberté. Tous les jours ou presque, nous empêchons ces fêtes sauvages, pour lutter non pas contre les fêtes, mais contre les clusters dont nous avons vu, avec les variants, à quel point ils pouvaient être dangereux.

S\'agissant des commerces, entre le 16 janvier et le 14 février, 27 366 ERP ont été contrôlés, dont 1 419 ont été verbalisés pour non-respect du couvre-feu à 18 heures. La police et la gendarmerie mettent beaucoup d'application à faire respecter cette mesure, qui garantit la concurrence la plus parfaite possible. Les contrôles des commerces donnent proportionnellement les mêmes résultats que ceux des particuliers. Nous pouvons remercier les commerçants de France de leur grand sens civique. Ils comptent sur la police et la gendarmerie pour intervenir lorsque quelques-uns d'entre eux ne respectent pas les mesures.

En cette période de vacances, tout en regrettant que nos massifs alpins et pyrénéens ne connaissent pas le tourisme habituel, nous avons maintenu la fermeture des remontées mécaniques. Certains parmi les plus riches de nos concitoyens ayant imaginé la contourner en se faisant déposer en haut des pistes de ski par hélicoptère, j'ai pris une instruction demandant aux préfets concernés d'empêcher ces pratiques, et de poursuivre systématiquement les personnes qui auraient pris part à un tel détournement de l'esprit du règlement et de la loi.

S'agissant des contrôles aux frontières annoncés par M. le Premier ministre, nous travaillons avec le ministre délégué chargé des transports. Sur 1,1 million de contrôles effectués du 1er au 14 février, plus de 5 100 se sont soldés par la non-admission de personnes sur le territoire national, 3 200 par des refus de sortie du territoire national, 221 par le prononcé de mesures de quarantaine et 4 700 par des verbalisations pour défaut de présentation du résultat d'un test PCR. Des milliers de policiers et de gendarmes effectuent ce travail très important, eu égard à la géographie de notre pays et à la multitude des points d'entrée sur le territoire national. Ils procèdent aux contrôles dans des conditions peu simples puisque les frontaliers, auxquels nous sommes très attentifs, ainsi que les routiers ne sont pas concernés par ces mesures : il faut savoir distinguer les frontaliers de ceux qui ne le sont pas, ce qui n'est pas toujours évident.

Dans les aéroports, nous avons constaté depuis février une baisse de 37 % du nombre de départs vers des pays extérieurs à l'Union européenne et une baisse de 32 % du nombre d'arrivées en provenance de ces pays. Cette évolution est particulièrement marquée s'agissant du trafic entre le territoire métropolitain et les collectivités ultramarines, qui a subi une baisse de 83 % du nombre de départs vers les outre-mer, notamment en ces périodes de vacances, et une baisse de 48 % du nombre d'arrivées en provenance de ces collectivités. Ces chiffres montrent bien la grande contraction des déplacements. On peut penser que les contrôles, effectués d'abord par les compagnies aériennes puis par la police aux frontières, n'y sont pas pour rien.

Entre 6 000 et 7 000 agents sont mobilisés chaque jour aux frontières terrestres, notamment dans les gares routières et ferroviaires, qui sont d'importants lieux d'échanges. Nous y avons multiplié par cinq les refus d'admission d'individus non frontaliers ne pouvant pas présenter le résultat d'un test PCR.

La police nationale et la gendarmerie ne renoncent pas pour autant à leurs autres missions : elles assurent des opérations de maintien de l'ordre presque chaque semaine, sont chargées de veiller au transport et à la garde des vaccins dans tous les centres français – la gendarmerie assure cette tâche dans plus de 130 centres, ce qui mobilise une partie de ses effectifs – et poursuivent évidemment leur travail de lutte contre le terrorisme, l'insécurité et le trafic de stupéfiants. Je tiens donc à saluer les forces de l'ordre qui, en plus de leurs missions habituelles, procèdent à ces contrôles afin de garantir la plus grande sécurité sanitaire possible.

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Nous pouvons vérifier tous les jours l'efficacité de ces contrôles et la présence des forces de l'ordre partout sur le territoire. Les confinements, déconfinements progressifs et couvre-feu que nous connaissons depuis près d'un an ont-ils une incidence forte sur les types de délinquance et les chiffres de cette dernière ?

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Dans la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, nous avions prévu un système à étages concernant la récidive. Beaucoup de verbalisations ont-elles été dressées aux deuxième et troisième niveaux, c'est-à-dire en première et deuxième récidives ? Il est question de raccourcir ou de supprimer l'un de ces niveaux ; pouvez-vous nous donner quelques éléments factuels à ce sujet ?

Parmi les rassemblements clandestins qui ont donné lieu à verbalisation, vous avez indiqué que 31 % avaient eu lieu dans des domiciles. D'aucuns contestent la possibilité de verbaliser dans ce cadre, au motif que la base légale sur laquelle s'appuient les policiers – la mise en danger de la vie d'autrui – serait fragile et que les forces de l'ordre n'auraient pas le droit de pénétrer dans des domiciles privés. Pouvez-vous nous préciser les bases juridiques sur lesquelles ces contrôles sont exercés ? J'ai bien noté que les lieux pouvaient être requalifiés en ERP lorsque des éléments tendent à prouver que l'entrée était payante, ce qui me semble tout à fait judicieux. Dans le cas contraire, comment faites-vous pour respecter le droit ?

Enfin, combien de policiers et de gendarmes sont-ils mobilisés pour exercer ces contrôles, que ce soit dans les rassemblements clandestins, dans les commerces ou sur la voie publique ? Vous avez indiqué que vous souhaitiez renforcer les contrôles le week-end prochain : qu'est-ce que cela signifie, concrètement, en termes de mobilisation des forces de l'ordre ?

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Gérald Darmanin, ministre

Quelque 1 000 récidives ont été verbalisées. À la troisième infraction constatée, des poursuites pénales sont engagées – sur ce point, je ne dispose pas des chiffres aujourd'hui, mais je les transmettrai à votre commission.

Les rassemblements clandestins à domicile posent certaines difficultés. Le ministère de l'Intérieur n'a jamais demandé une modification de la législation relative à la propriété privée pour permettre aux forces de l'ordre d'intervenir dans les domiciles. Il est possible de requalifier ces derniers en ERP. Nous pouvons aussi invoquer, dans le cadre prévu par la loi, les troubles à la tranquillité publique, les nuisances et le tapage que suscitent souvent des rassemblements très importants dans un appartement ou une maison. Si elles n'ont pas la possibilité d'intervenir, les forces de l'ordre peuvent enfin se positionner devant le domicile, le restaurant, le café-tabac ou la salle associative qui a fermé ses volets, et constater les entrées et les sorties : elles peuvent alors verbaliser les contrevenants pour non-respect du couvre-feu et signaler les faits au procureur de la République, à qui il appartient d'engager ou non des poursuites. Souvent, des poursuites sont engagées et les individus sont convoqués pour essayer de comprendre pourquoi les policiers ont observé, à 23 heures, la sortie de plusieurs dizaines de personnes d'un restaurant censé être fermé. Bien évidemment, les policiers n'interviennent jamais dans un domicile privé à l'occasion d'un simple rassemblement familial. Si ce cadre légal, qui limite l'action de la police, est parfois mal compris par nos concitoyens, il constitue cependant une garantie du respect du domicile personnel.

Nous considérions que certains quantums de peines étaient insuffisants. Si l'amende de 135 euros encourue pour non-port du masque dans la rue ou non-respect du couvre-feu représente évidemment beaucoup d'argent pour bon nombre de personnes, les sanctions prévues à l'encontre d'individus mettant en danger la vie d'autrui, si j'ose dire, en laissant leur établissement ouvert ou en organisant des fêtes clandestines n'étaient pas assez dissuasives, notamment si les entrées à ces rassemblements étaient payantes. Nous avons étudié la réglementation applicable dans les pays voisins, notamment au Royaume-Uni : cela a amené le Premier ministre à décider ce matin d'augmenter le montant de certaines amendes administratives, ce qui ne manquera pas de décourager les contrevenants. S'agissant des poursuites judiciaires, il appartiendra au garde des Sceaux de préciser les choses.

Avec le ministre de l'Économie, des finances et de la relance, nous avons également décidé que les restaurants ayant ouvert leurs portes ne pourraient pas bénéficier des fonds de solidarité – nous constatons d'ailleurs la grande efficacité de cette mesure, qui va au-delà de l'amende. À ce propos, le préfet de police travaille à une accélération des fermetures administratives à Paris : si cette procédure est quelque peu absurde, dans la mesure où les établissements concernés sont déjà officiellement fermés, elle permet d'engager un certain nombre d'actions publiques, notamment de ne pas verser d'aides à ceux qui en ont fait l'objet.

Nous constatons une baisse générale de la délinquance, mais encore faudrait-il distinguer ce qui relève de la situation sanitaire de ce qui relève de l'évolution de la société. Nous observons notamment une baisse très importante des atteintes aux biens, des vols et, pour la première fois en 2020 après plusieurs années d'augmentation, des homicides, hors faits de terrorisme. Nous déplorons en revanche une hausse des violences à l'encontre des personnes, notamment des agressions à caractère sexuel ou intrafamilial.

Nous constatons une baisse des saisies de stupéfiants, mais il y a aussi manifestement une baisse du trafic – je ne dispose évidemment pas de statistiques fiables, puisque ces agissements sont cachés. Les saisies restent cependant très importantes, atteignant plusieurs tonnes par semaine – je communique chaque mois sur ces chiffres. Nous observons, par ailleurs, que le trafic s'adapte aux mesures de couvre-feu ; j'ai demandé au préfet de police et au directeur général de la police nationale de s'intéresser particulièrement à la « livraison à domicile » de stupéfiants et aux commandes passées sur les réseaux sociaux, par le biais d'applications comme Snapchat, qui fait malheureusement la part belle à ce genre de trafic.

S'agissant de la délinquance de voie publique, la situation était satisfaisante mais nous constatons depuis plusieurs jours, malgré le mauvais temps qui n'encourage généralement pas les sorties et ne cause habituellement pas de difficultés d'ordre public, une augmentation de certains faits que nous ne pouvons passer sous silence – le préfet de Seine-Saint-Denis et des élus du département en témoignaient encore ce matin. Ces actes, qui peuvent être qualifiés de véniels, ne nous inquiéteraient pas s'ils n'étaient pas commis et répétés, en pleine nuit, par de très jeunes enfants, souvent âgés de 12, 13 ou 14 ans.

Dans l'ensemble, le couvre-feu est tout de même respecté, et les actes de délinquance s'en trouvent diminués. Cependant, je l'ai déjà dit, ils augmentent au sein du foyer familial. Si cette hausse est en partie liée à la libération de la parole et aux moyens très importants consacrés par le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice à l'écoute des victimes et à la transformation de leurs signalements en plaintes, l'enfermement dans un cadre familial n'est sans doute pas pour rien dans l'augmentation de ces violences. Avec la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, nous sommes très attentifs à cette situation.

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Comment les propos de la Défenseure des droits concernant les contrôles d'identité ont-ils été accueillis, sur le terrain, par les forces de l'ordre, particulièrement mobilisées en ce moment pour assurer le respect du couvre-feu et lutter contre la délinquance ?

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Gérald Darmanin, ministre

Je ne dispose pas d'enquête d'opinion à ce sujet, mais il me semble que les forces de l'ordre n'ont pas très bien compris, voire ont mal pris, les déclarations de Mme la Défenseure des droits. J'ai d'ailleurs entendu qu'elle avait corrigé une partie de ses propos, que je ne voudrais pas contribuer à caricaturer.

En tant que ministre de l'Intérieur, je ne dis pas que tout se passe bien, tout le temps, partout. Il se peut que des policiers et des gendarmes, de même que des journalistes, des boulangers, des ministres, des parlementaires ou des gardiens de phare, fassent mal leur travail. S'ils ne respectent pas le code de déontologie et abusent de leur pouvoir pour opérer des contrôles discriminatoires, ils doivent évidemment être sanctionnés. Mais je reste persuadé que la quasi-totalité des policiers et des gendarmes, qui sont souvent des jeunes issus de tous les territoires de la République et de toutes les catégories sociales, font leur travail tout à fait correctement, en respectant le code de déontologie et en faisant preuve de discernement dans l'utilisation des moyens mis à leur disposition. Parmi ces moyens figurent les contrôles d'identité, qui ne sont pas effectués n'importe comment mais dans un cadre prévu par le droit, soit sur réquisition du procureur de la République, soit à la demande d'un officier de police judiciaire qui, par nature, répond à l'autorité judiciaire, soit lorsqu'un crime ou un délit a été commis à proximité immédiate du lieu du contrôle. Je rappelle, d'ailleurs, que la possession d'une carte d'identité n'est pas obligatoire en France. Critiquer ces vérifications d'identité, c'est mal connaître le fonctionnement de cette procédure. Je ne dis pas que la loi ne doit pas évoluer sur certains points, mais je considère que ces contrôles sont nécessaires, par exemple lorsque des policiers constatent qu'un enfant de 13 ou 14 ans se trouve seul dans la rue : sans donner lieu à l'engagement d'une procédure pénale, une vérification d'identité permet de savoir qui est cet enfant et de le présenter à ses parents ou aux services sociaux. Qui pourrait dire que ce contrôle n'est pas efficace ?

Le chiffre de 95 % de contrôles qui ne donneraient rien, cité par la Défenseure des droits, ne s'appuie pas, à ma connaissance, sur une étude exhaustive. Au début des années 2010, alors que l'on débattait des récépissés de contrôles d'identité, la direction générale de la police nationale a tenté de collecter des statistiques dans quelques départements, mais elles ne sont ni complètes ni exploitables. Par ailleurs, qu'est-ce qu'une suite donnée à ces contrôles ? Nous pourrions en discuter – c'est un travail pour lequel le ministère de l'Intérieur se tient à la disposition du Parlement.

La solution adoptée par le ministère de l'Intérieur est celle proposée par le Président de la République, dont je me suis déjà expliqué devant vous, madame la présidente : à partir du 1er juillet, les caméras-piétons seront généralisées dans l'ensemble des brigades de gendarmerie et des commissariats de police. Ces outils permettront de filmer et d'entendre à la fois la personne contrôlée, qui ne se trouve pas forcément dans de bonnes dispositions vis-à-vis des forces de l'ordre, et le policier ou le gendarme qui effectue ce contrôle – il est tout à fait normal qu'il soit également contrôlé lorsqu'il fait usage de l'autorité administrative ou judiciaire. L'équipement des forces de l'ordre en caméras-piétons sera une bonne chose et permettra sans doute de résoudre bien des problèmes.

Je respecte évidemment toutes les opinions. Je vous mentirais si je vous disais que les déclarations de Mme la Défenseure des droits ont été applaudies par les policiers et les gendarmes – elles ont plutôt été mal comprises. Nous prenons acte qu'elle a corrigé une partie de ses propos. Nous l'avions invitée, ainsi que la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), à participer au Beauvau de la sécurité pour échanger en toute franchise avec les organisations syndicales de la police et les représentants de la gendarmerie. L'idée n'est pas de monter les uns contre les autres. J'ai d'ailleurs tendance à dire que le premier défenseur des droits, c'est le policier ou le gendarme, qui est le premier à défendre les droits des personnes victimes d'une agression et à appliquer le droit de la République. Je suis sûr qu'entre défenseurs des droits, nous allons bien nous entendre !

La réunion se termine à 14 heures 55.

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.