Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars, rapporteur :

Les expérimentations menées par les collectivités territoriales sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution ont été permises par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.

Dix-huit ans après l'acte II de la décentralisation, le constat est sans appel : les possibilités ouvertes en la matière sont restées largement inexploitées. Quatre expérimentations seulement ont eu lieu dans ce cadre ; deux ont été généralisées avant leur évaluation finale, une a été abandonnée et une autre a été prolongée. Ces expérimentations portaient sur le revenu de solidarité active (RSA), sur la tarification sociale de l'eau ainsi que sur la taxe d'apprentissage et l'accès à ce dispositif. Ce sont des sujets essentiels et concrets, et il aurait dû y avoir d'autres expérimentations.

Le constat relatif aux causes d'une telle désaffection est largement partagé. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et le Conseil d'État ont produit en 2018 et 2019 un important travail qui a mis en évidence des problèmes spécifiques.

La procédure prévue par la loi organique du 1er août 2003 est trop lourde, ce qui allonge excessivement les délais. À l'évidence, la portée des possibilités ouvertes par la révision constitutionnelle a été restreinte par la loi organique. Il faut franchir pas moins de sept étapes pour mettre en œuvre une expérimentation, et tous les observateurs s'accordent à dire que les délais sont bien trop longs.

S'agissant des quatre expérimentations qui ont été réalisées, un délai moyen d'un an a été constaté entre la loi ou le décret autorisant le lancement de l'expérimentation et la publication du décret arrêtant la liste des collectivités territoriales autorisées à y prendre part.

Par ailleurs, le caractère binaire de l'issue de l'expérimentation – abandon ou généralisation – s'est avéré peu incitatif pour les collectivités.

L'évolution de la loi organique du 1er août 2003, souhaitée par le Gouvernement, doit être envisagée à cadre constitutionnel constant. Je ne puis que regretter que la perspective d'une adoption prochaine de la révision constitutionnelle qui aurait permis d'offrir plus de responsabilités et de libertés à nos territoires se soit éloignée, mais je constate que cette contrainte n'a pas empêché le Gouvernement de présenter un projet de loi organique opérationnel et utile, qui permettra de simplifier et de faciliter les expérimentations, au plus près du terrain.

À cette fin, les articles 1er, 2, 4 et 7 du projet de loi organique faciliteront l'entrée des collectivités territoriales dans l'expérimentation et allégeront le contrôle exercé en la matière. L'article 2 mettra ainsi un terme au régime d'autorisation préalable pour l'entrée des collectivités territoriales dans une expérimentation.

L'article 3 prévoit que les actes dérogatoires entrent en vigueur dans les conditions du droit commun.

L'article 5, que le Sénat a profondément remanié, enrichira le processus d'évaluation grâce à la remise d'un rapport intermédiaire au cours de l'expérimentation.

L'article 6 consacre deux options supplémentaires à l'issue de l'expérimentation : d'une part, le maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales participantes, ou seulement dans certaines d'entre elles, et la possibilité d'une extension à d'autres collectivités ; d'autre part, la modification des dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation. Je ne doute pas que cet article permettra d'adopter une approche plus fine et plus intelligente de la mise en œuvre des politiques publiques, afin de répondre aux problématiques de chaque territoire.

Le principe d'égalité, auquel nous sommes tous très attachés, contraindra la pérennisation différenciée des expérimentations, ce qui est une bonne chose. Le Sénat a fait en sorte que cette contrainte positive soit inscrite noir sur blanc dans le texte. Cependant, le principe d'égalité ne doit pas recevoir une interprétation monolithique. Comme tout principe, il peut faire l'objet d'adaptations dès lors que celles-ci sont justifiées, en l'espèce par une situation objectivement différente ou par un motif d'intérêt général. Madame la ministre, pouvez-vous répondre aux craintes portant sur la préservation du principe d'égalité ?

Cette interrogation mise à part, le présent projet de loi organique s'inscrit dans une démarche collective et consensuelle qu'il convient de saluer. Il se fonde sur des travaux préparatoires de grande qualité ; il est soutenu par l'ensemble des associations d'élus locaux que nous avons auditionnées ; le Sénat, saisi du texte en premier lieu, a enrichi ses dispositions de manière constructive. Nous pouvons espérer une adoption définitive rapide et une entrée en vigueur dans les délais les plus brefs.

Toutefois, ce projet de loi organique ne saurait se suffire à lui-même. L'ambition ne se décrète pas, elle se suscite. Pour développer une démarche expérimentale dans nos territoires, il faudra indiscutablement tenir compte de deux aspects.

Tout d'abord, il faut se pencher sur la question de l'offre. Rien ne sert de simplifier la procédure d'adhésion si le nombre des expérimentations proposées est trop faible – en l'occurrence, quatre en dix-huit ans, c'est trop peu. S'il existe aussi d'autres expérimentations, par exemple sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, il est nécessaire de donner un nouvel élan à celles relevant de l'article 72. Il ne s'agit pas d'un slogan ou d'une mode. J'ai la conviction que l'expérimentation peut apporter des réponses pertinentes à la recherche d'efficience pour les politiques publiques et au besoin de proximité exprimé par bon nombre de nos concitoyens.

La question de la demande se pose aussi, à l'échelon territorial. Il est nécessaire d'encourager les expérimentations, ce qui suppose d'assurer un véritable accompagnement des collectivités par les services de l'État afin qu'elles puissent s'emparer concrètement de la réforme. Il ne suffit pas de simplifier : il faudra aussi encourager et accompagner les collectivités dans la durée.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement sur ces deux points, afin que la réforme utile et bienvenue qui nous est proposée se traduise, cette fois, par des actes concrets ?

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