Intervention de Alexandra Louis

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure :

Permettez-moi tout d'abord de remercier celles et ceux qui travaillent sur ce sujet depuis de très nombreuses années. Je ne citerai pas toutes ces personnes, mais je crois qu'elles se reconnaîtront.

Avec l'examen de cette proposition de loi adoptée par le Sénat à l'initiative de Mme Annick Billon, l'Assemblée nationale aborde la question de la protection des mineurs victimes de violences sexuelles commises par des adultes. Ce débat fait suite aux discussions que nous avons eues en 2018 lors de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, aussi appelé « loi Schiappa ». En inscrivant cette proposition de loi à l'ordre du jour, le groupe majoritaire honore l'engagement pris, le mois dernier, lors de la journée d'ordre du jour réservé du groupe Socialistes et apparentés, de faire progresser au plus vite, dans la navette, le véhicule législatif le plus avancé. Nous nous rallions donc à ce texte qui émane de la délégation aux droits des femmes du Sénat. C'est une bonne chose.

L'examen de cette proposition de loi intervient après plusieurs travaux de contrôle menés par les deux assemblées. Je prie les auteurs de ces différents rapports de m'excuser de réserver par priorité mon salut à Mme Marie Mercier, très investie sur ces sujets, qui est mon homologue rapporteure au Sénat. Par ailleurs, j'ai eu l'honneur de mener pendant plusieurs mois une évaluation de la loi Schiappa, qui a permis d'identifier plusieurs voies d'amélioration de notre droit.

Sur le fond, il existe aujourd'hui un consensus pour franchir une nouvelle étape dans la protection des enfants par la création, dans le code pénal, de nouvelles infractions sexuelles sur mineur. À la différence du viol et de l'agression sexuelle, elles seraient constituées sans qu'il soit nécessaire de rechercher un élément de violence, contrainte, menace ou surprise. La preuve en est souvent difficile à rapporter pour l'accusation ; la recherche même est souvent difficile à supporter pour les victimes. Surtout, le dispositif existant présuppose qu'un mineur de moins de quinze ans dispose du discernement nécessaire pour donner son consentement à un acte sexuel avec un majeur, alors même que les sciences démontrent le contraire.

En 2018, le Parlement a débattu de l'opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol afin d'introduire une présomption de non-consentement au-dessous d'un certain âge. À l'époque, les deux assemblées avaient écarté ces perspectives du fait de doutes pesant sur leur constitutionnalité. Les consultations du Gouvernement auprès du Conseil d'État avaient suscité la prudence devant la possibilité d'une censure constitutionnelle. Nous avions simplement complété le code pénal par des dispositions interprétatives immédiatement applicables, qui précisaient les notions de contrainte morale et de surprise, éléments constitutifs de l'agression sexuelle et du viol. Nous donnions aux juridictions des moyens pour avancer à droit constant. Ces modifications ont reçu un accueil positif de la part des professionnels du droit.

Aujourd'hui, les réflexions ont suffisamment progressé pour permettre d'envisager un dispositif pénal plus innovant. J'en veux pour preuve le vote unanime de l'Assemblée nationale, le 18 février dernier, sur les principes du texte présenté par Mme Isabelle Santiago et nos collègues socialistes. J'en veux aussi pour preuve cette proposition de loi sénatoriale, déposée à la fin de l'année dernière. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur est construite sur le modèle du délit d'atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d'emprisonnement le majeur qui se commet avec un mineur de quinze ans. Elle porterait la répression à vingt ans de réclusion criminelle, comme le viol sur mineur.

Mais nous avons un désaccord fondamental avec les sénateurs sur un point. Je pense qu'il ne nous retiendra pas longtemps car je nous sais unanimes – ou presque –, et cette unanimité s'étend à l'exécutif : alors que le Sénat a limité la protection qu'il accorde à l'âge de treize ans, nous sommes convaincus que la bonne limite se situe à quinze ans.

Si le Sénat a retenu le seuil de treize ans, c'est en partie pour résoudre une difficulté soulevée par le Conseil d'État en 2018. Quand un jeune majeur est en rapport avec un mineur proche de l'âge du consentement sans y être tout à fait, peut-on criminaliser la relation ? Le Sénat a tranché le problème à la racine en fixant l'âge du consentement à treize ans, ce qui lui permet de répondre par l'affirmative à cette question. En effet, on peut considérer qu'une relation entre une personne de plus de dix-huit ans et une autre de moins de treize ans est anormale par nature.

Nous n'aurons pas cette échappatoire puisque nous retiendrons, sans trahir le suspense, un consentement à quinze ans. Nous reconnaissons tous qu'une relation entre une personne d'un peu plus de dix-huit ans et une autre d'un peu moins de quinze ans ne soulève pas du tout les mêmes objections morales, ni les mêmes craintes quant à son caractère consenti. Il nous faudra trouver un dispositif de gestion de ces cas à la limite – le Gouvernement nous exposera tout à l'heure la solution qui a ses faveurs.

Au-delà de cette question importante, gardons à l'esprit que le texte pose un interdit clair, à la fois pour les agresseurs potentiels et pour les mineurs : un enfant de moins de quinze ans ne choisit pas ; c'est l'adulte qui supporte toute la responsabilité. La protection de l'enfance passe par des interdits, posés par la loi. Ce faisant, la loi protège l'enfant : elle refuse en son nom et ne lui demande pas de se gouverner lui-même. Gardons en tête ces mots d'Albert Camus, qui illustrent sans doute mieux que toutes nos phrases la responsabilité de l'adulte : « Un homme ça s'empêche. Voilà ce que c'est un homme … »

Le Sénat a également enrichi le texte dont il était saisi en divers points.

D'abord, il a tiré les conséquences d'un arrêt de la Cour de cassation se livrant à un raisonnement juridiquement imparable, mais dans ses effets tout à fait scabreux, sur la possibilité de qualifier de viol un cunnilingus subi sous la contrainte. Les juges ne sont pas à blâmer : la faute nous incombe, puisqu'ils n'ont fait qu'appliquer la loi dont nous sommes les auteurs. Le Sénat a pris acte de la responsabilité du Parlement en votant l'intégration de tous les actes bucco-génitaux à la définition du viol. C'est une avancée que je vous proposerai de soutenir.

Ensuite, le Sénat a souhaité faire évoluer les règles en matière de prescription. Ces règles ont déjà été modifiées en 2018 : nous avions alors voté un allongement important du délai de prescription, porté de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime. Ces changements successifs nuisent à l'intelligibilité du droit, ce qui m'a été rappelé à de multiples reprises pendant mes travaux. Je constate que le principe de la prescription pénale pour les crimes les plus odieux est de moins en moins compris et accepté, ce qui nous amène, par étapes, à l'amoindrir. C'est donc avec prudence que j'aborde cette question. J'ai examiné la position du Sénat avec attention car, si je suis profondément hostile à l'extension de l'imprescriptibilité au-delà du génocide et du crime contre l'humanité, je dois admettre que le dispositif imaginé, quoique perfectible, répond à une situation très mal vécue par les victimes en cas de crimes sériels dont les différentes victimes ne disposent pas toutes du statut de partie civile du fait de l'acquisition d'un délai de prescription pénale.

Le Sénat a également introduit un volet préventif en adoptant plusieurs amendements présentés par des sénateurs du groupe Les Républicains. Il a modifié les règles d'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV), un outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d'un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs. Sur ce point, je regrette que le contrôle de recevabilité des amendements nous empêche de prévenir la présence de tels individus dans le monde du sport, alors que la rédaction que je proposais fait l'unanimité des parties prenantes. C'est une occasion gâchée et il n'y en aura guère d'autre d'ici à la fin de la législature. Toujours est-il que le Sénat a complété la liste des infractions entraînant une inscription au FIJAISV et qu'il a prévu une inscription automatique des auteurs d'infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue. Il a également rendu obligatoire le prononcé par les juridictions de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.

Le Sénat a soulevé un dernier sujet particulièrement complexe en adoptant un amendement qui porte à dix ans d'emprisonnement la peine encourue pour toute atteinte sexuelle incestueuse commise sur un mineur, jusqu'à l'âge de dix-huit ans. En adoptant cet article 1er bis B, dont la rédaction me paraît défaillante, il a posé la question de la répression de l'inceste. La condamnation sociale de tels actes ne fait évidemment aucun doute, la volonté de chacun de réprimer les agresseurs est une certitude, et la gravité de l'acte est indiscutable. Si nous considérons qu'un mineur de quinze ans ne peut avoir à dire non à un adulte, comment soutenir qu'un mineur à peine plus âgé puisse avoir à dire non à son père, à son oncle, à son beau-père ? Sur ce point aussi, je laisserai le Gouvernement présenter la rédaction qui a ses faveurs. Cependant, le sujet est délicat et le temps m'a manqué pour en expertiser tous les effets : il faudra donc probablement y revenir en séance publique et lors des prochaines étapes de la navette parlementaire. La proportionnalité des peines encourues et l'architecture du dispositif, en plusieurs infractions, méritent un débat beaucoup plus approfondi que celui que nous aurons ce matin en examinant des sous-amendements.

Comme vous l'aurez constaté, j'ai fait le choix de ne pas amender cette proposition de loi en commission, si ce n'est pour y introduire l'infraction de « sextorsion » dont la création a été unanimement adoptée par l'Assemblée nationale il y a quinze jours. Pour le reste, j'ai pris acte de votre promesse faite il y a deux semaines, monsieur le garde des sceaux, de présenter à la commission des Lois les rédactions travaillées par le Gouvernement. Cette promesse est tenue et je vous en remercie. Les propositions du Gouvernement constituent une base de discussion qui répond aux principaux enjeux et sur laquelle nous pourrons agréger les bonnes volontés, qui sont nombreuses sur un tel sujet.

Dans l'attente, mes chers collègues, je vous demande d'adopter cette proposition de loi et de continuer le travail engagé dans la perspective de la séance publique.

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