Intervention de Jean Terlier

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

Depuis quelques mois, les révélations de crimes et délits et les témoignages sur une vie de silence se multiplient. Derrière les mots-dièse #MeToo et #MeTooInceste, derrière une toile symbole d'un anonymat et d'un secret bien gardés, plusieurs dizaines d'hommes et de femmes osent avec courage dénoncer les blessures et les traumatismes d'une minorité violentée et volée. Ce n'est pas seulement un phénomène de société, emboîtant le pas de personnalités qui rompent leur silence, mais bien la manifestation libérée d'une réalité difficile à faire accepter, celle d'une violence sexuelle souvent confidentielle commise sur des mineurs mutiques dont plus d'un Français sur dix aurait été victime et plus de trois Français sur dix informés. Régulièrement, des affaires médiatiques relancent le débat sur le consentement, la répression et la prescription des crimes sexuels sur mineurs.

Certains diront que le Parlement est taiseux sur ces sujets. Ils auront tort. La loi Schiappa du 3 août 2018 a incrit dans le droit une disposition interprétative sur ce qu'est la contrainte morale quand un mineur de quinze ans est en cause. Notre rapporteure Alexandra Louis a publié un excellent rapport d'évaluation sur ce sujet. Enfin, en l'espace de quelques mois, le Parlement a été saisi de trois textes présentés par trois groupes différents et issus de chacune des deux chambres. Moins de deux mois plus tard, nous discutons d'une nouvelle proposition de loi visant à faire des crimes sexuels sur mineurs une infraction autonome. Nous poursuivons unanimement le double objectif d'incriminer et de réprimer ces faits de façon efficiente et de reconnaître pleinement les victimes mineures.

S'agissant des moyens et des dispositifs à mettre en œuvre, certains choix importants sont partagés par un grand nombre d'entre nous.

Je pense tout d'abord à la création d'infractions autonomes permettant de protéger la victime mineure. Cette mesure est essentielle car elle reconnaît la particulière vulnérabilité du mineur, considérant la minorité comme une singularité et non plus comme une circonstance aggravante. Nous posons un interdit clair en deçà de quinze ans.

Un autre choix partagé et essentiel porte sur la qualification de l'inceste. Cette disposition vise à montrer que l'inceste n'est pas une atteinte sexuelle comme les autres. Elle réaffirme clairement l'interdit. Bien plus, elle reconnaît et relève la gravité spécifique de cette atteinte sexuelle, à l'aune de la rupture d'un lien familial – celui de la victime avec un parent ou un allié – qui aurait dû être un lien de confiance permettant au mineur de construire sa personnalité.

Tout aussi partagé et important est le choix de maintenir l'infraction d'atteinte sexuelle, quelles que soient les précisions données à cette dénomination. Ce choix souligne une nouvelle fois clairement notre volonté de protéger les mineurs, en particulier les plus jeunes, de toute atteinte psychique ou physique dans les situations où leur minorité les fragilise – je pense à toutes les situations où leur âge, leur subordination de fait ou de droit ou leur soumission, qu'elle résulte d'actes actifs ou passifs, se traduit irrémédiablement par une mise en péril.

L'aménagement de la prescription – l'introduction d'une prescription dite « glissante » – est également un choix partagé et un mieux-disant. La prescription ne sera plus enfermée dans un délai de trente ans à compter de la majorité : il s'agit là d'une avancée qui permettra à la victime d'un crime antérieur à sa majorité de bénéficier d'un délai supplémentaire correspondant à la durée de prescription restant à courir au titre du nouveau crime commis par le même auteur.

C'est la volonté d'inscrire dans la loi, de manière claire et intelligible, l'interdiction pour un majeur de commettre, de tenter de commettre ou d'inciter à commettre sur un mineur tout acte de nature sexuelle, quel qu'il soit et de quelque manière que ce soit, qui nous réunit. Cette même volonté devra nous inciter à faire converger nos positions car il s'agit bien de réaffirmer sans équivoque l'interdiction des relations sexuelles entre un majeur et un mineur, en se gardant bien entendu de s'immiscer dans la liberté sexuelle des mineurs ou de préjuger de cette dernière. Parce que nous n'ignorons pas que chaque situation doit être appréhendée singulièrement, nous devons également envisager l'instauration d'un fait justificatif tel que l'écart d'âge afin de ne pas pénaliser les amours adolescentes.

Le Sénat a donc adopté la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, tandis que l'Assemblée nationale a déjà adopté une autre proposition de loi. Deux textes pour un même objectif, deux chambres qui partagent la même volonté ! Il serait bien futile de se disputer la paternité de la loi. Il nous revient plutôt de concentrer nos efforts sur la rédaction d'un texte équilibré, clair, lisible, issu de débats sérieux et des travaux de qualité que chacun de nos collègues parlementaires a menés.

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