Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je vais tout faire pour vous rassurer. Ce sujet étant infiniment compliqué, je vais retracer toutes les situations. Le droit futur viendra se superposer à l'existant : il ne l'abrogera pas. Ainsi donc, une relation entre deux adolescents de onze et seize ans, ou bien de douze et dix-sept ans, ne nous concerne pas : le droit positif s'applique et, compte tenu de l'âge du ou de la plus jeune, il peut y avoir viol.

Venons-en maintenant à cet écart d'âge que je vous propose de fixer à cinq ans, qui concerne le cas de deux jeunes de treize et dix-huit ans ou quatorze et dix-neuf ans. D'abord, le procureur saisi d'une plainte n'examinera sans doute pas de la même façon une gamine de treize ans qu'une adolescente de quinze ans. En tout état de cause, un interdit subsiste, même dans le cadre d'une relation consentie, et il se traduit par l'atteinte sexuelle, punie de sept ans. Les parquets saisis d'affaires de cette nature auront un rôle essentiel à jouer. Ils règlent cette question par le classement sans suite en opportunité ou par des poursuites. Or, une gamine qui ne sait pas et ne dit pas « non » peut subir un traumatisme terrifiant, sans aucune possibilité de démontrer la contrainte, la surprise, la menace ou la violence. Cela existe et ne doit pas rester lettre morte. Nous avons actuellement une centaine de dossiers de cette nature à traiter. Pour les dossiers à venir, vous aurez un choix cornélien à faire entre une protection totale des amours adolescentes ou une protection des mineurs en faisant attention aux amours adolescentes, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. En maintenant l'atteinte sexuelle, on peut prendre en considération des situations où le viol n'est pas démontrable mais où il y a un véritable traumatisme. C'est le droit actuel et il faut impérativement maintenir ce socle.

Je ne pourrai être plus clair que M. Pacôme Rupin dans sa démonstration sur l'écart d'âge et la nécessité d'y aller à raison des statistiques que, très légitimement, vous évoquez. C'est la vie de nos adolescents ! Vous avez rappelé que les filles avaient souvent leur première relation intime avec un garçon plus âgé – trois ans, mais parfois plus, on le sait bien. Il arrive même que ces amours perdurent : certains couples – j'en connais – se sont connus très jeunes, ont fondé une famille et sont toujours ensemble. Que faire avec cela ? Devons-nous, dans le parcours d'un tel couple, arrêter le jeune homme quand il a dix-huit ans et trois jours et lui dire « Vous, mon gaillard, vous allez devant la cour d'assises » ? Non, ce n'est pas possible ! C'est la raison pour laquelle il faut être, sur cette question, infiniment nuancé.

Nous devons toutefois veiller à laisser l'opportunité des poursuites au procureur. Il arrive que les autorités judiciaires reçoivent des plaintes de la part des parents – c'est une réalité que j'ai connue dans mon ancienne profession – parce que leur fille sort avec un Noir et que cela ne leur plaît pas. Parfois, un simple retard suffit à entrer dans un engrenage, les parents portant plainte parce qu'ils veulent se rassurer – leur gamine n'a pas pu coucher, ce n'est pas possible, c'est contraire à tout ce qu'on lui a appris ! On se rassure en instrumentalisant la procédure pénale. Mais quand le procureur est en présence de deux jeunes qui s'aiment et qui pensent que cela va durer toujours – parfois c'est vrai ! –, pensez-vous vraiment qu'il va poursuivre ? Ces situations, on les connaît : c'est la raison pour laquelle nous sommes allés sur ce terrain. Il est possible de trouver un parfait équilibre.

L'élargissement de l'inceste englobe bien toutes les personnes visées dans le code pénal qui exercent une autorité de droit ou de fait, ce qui comprend bien sûr les beaux-parents : cela va de soi mais cela va mieux en le disant.

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