Il est important que nous évoquions l'amnésie traumatique, un fait médical bien décrit par les scientifiques, moins connu, et je le regrette, des magistrats et des avocats. Un effort considérable de formation doit être fait en la matière, comme je l'ai souligné dans mon rapport d'évaluation de la loi Schiappa.
Il s'agit ici d'intégrer la notion d'amnésie traumatique dans le champ de la prescription. Je tiens à rappeler que, dans ce domaine, nous suivons un mouvement continu d'allongement des délais, voire de remise en cause du principe. Mais cela ne doit pas nous faire oublier notre combat et l'enjeu principal de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : donner les moyens à la société de réagir.
Je sais que le phénomène de l'amnésie traumatique est très développé, que de nombreuses victimes souffrent de ce syndrome et que lorsqu'il se révèle, plusieurs décennies parfois après les faits, la douleur est double. J'en ai beaucoup discuté, notamment avec le docteur Muriel Salmona. C'est une question à laquelle je suis très sensible et qui figure dans tous mes travaux.
Je tiens à rappeler que lorsque nous avons allongé la durée de prescription en 2018, en la portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, c'est principalement sur le fondement de l'amnésie traumatique. C'est dire combien ce syndrome est reconnu. Le mécanisme de prescription glissante, que nous venons d'adopter, aboutit pratiquement à une imprescriptibilité de fait, dès lors qu'un même auteur a commis plusieurs infractions. En cumulant ce mécanisme et l'allongement des délais de prescription, nous devrions pouvoir couvrir un grand nombre de situations.
Je connais la demande de nombreuses associations et de professionnels du droit – mais tous ne partagent pas le même avis. Intégrer la notion d'amnésie traumatique dans l'arsenal de la prescription constitue un défi. Je n'ai rencontré à ce jour que très peu de juristes qui considèrent possible de l'objectiver dans le temps. La proposition que vous faites figurait dans mon rapport d'évaluation, elle consiste à supprimer la notion de « cas de force majeure ».
Vous aurez compris que je fais preuve d'une extrême prudence. Nous tentons de répondre aux demandes de la société, mais ma conviction est que les allongements des délais de prescription, voire la remise en cause du principe, sont un peu des miroirs aux alouettes.
Si nous devions intégrer la notion d'amnésie traumatique, pourquoi alors ignorer d'autres phénomènes tout autant à même de retarder le témoignage des victimes ? Ainsi, dans le cas d'incestes, l'emprise peut durer des années, parfois des décennies.
J'insiste aussi, et je l'ai écrit dans mon rapport, sur le fait que chaque situation doit pouvoir déclencher des actes d'enquête. Un magistrat est incapable de dire si les faits sont prescrits ou non lorsqu'un dossier arrive sur son bureau. Il doit pour cela mener des actes d'enquête. Je rappelle, et il faut faire passer le message, que la prescription ne s'impose pas au dépôt de plainte, mais à l'action publique. C'est une différence fondamentale ! Même lorsque les faits sont prescrits, certaines victimes ont besoin de manifester leur vérité : elles doivent être accompagnées et respectées dans ce cheminement.
Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.