Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 3 mars 2021 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • abus
  • crime
  • délit
  • infraction
  • prescription
  • sexuel
  • sexuelle
  • violences sexuelles

La réunion

Source

La réunion débute à 14 heures30.

Présidence de M. Stéphane Mazars, vice-président.

La Commission poursuit l'examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 3796) (Mme Alexandra Louis, rapporteure).

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Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion des articles de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Nous en étions à l'examen des amendements sur l'article 1er bis B.

Article 1er bis B (suite) (art. 227‑27‑2‑1 du code pénal) : Renforcement de la sanction de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans

La Commission examine, en discussion commune, l'amendement CL77 du Gouvernement et l'amendement CL4 de Mme Emmanuelle Ménard, l'amendement CL77 faisant l'objet des sous-amendements CL111 de la rapporteure, CL99 de Mme Albane Gaillot, CL86 et CL91 de Mme Laetitia Avia, CL110 de la rapporteure, CL100 de Mme Albane Gaillot, ainsi que des sous-amendements identiques CL90 de Mme Laetitia Avia et CL135 de M. Philippe Dunoyer et des sous-amendements CL92 rectifié de Mme Laetitia Avia et CL101 de Mme Albane Gaillot.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

L'amendement CL77 tend à réécrire l'article 1er bis B de la proposition de loi, qui modifie les dispositions du code pénal relatives aux atteintes sexuelles sur les mineurs. Même si les définitions du viol et des agressions sexuelles commis sur les mineurs sont étendues et couvriront désormais, pour les faits postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente loi, des faits auparavant qualifiés d'atteintes sexuelles, ces dernières infractions doivent être maintenues pour continuer de s'appliquer aux faits passés et pour s'appliquer à des faits qui seront commis dans le futur mais qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles incriminations.

Il convient toutefois de modifier la dénomination de ces délits, qui n'a jamais été comprise par l'opinion publique, afin de les qualifier d'abus sexuels sur mineur, conformément à la terminologie de la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie.

En outre, les articles réprimant ces délits, désormais qualifiés d'abus sexuels, doivent être complétés, par coordination avec la création de nouvelles incriminations. L'abus sexuel aggravé sur un mineur de quinze ans, prévu par l'article 227-26 du code pénal, et l'abus sexuel sur un mineur de plus de quinze ans, prévu par l'article 227-27 du même code, ne doivent plus faire référence à la commission des faits par un ascendant : dans un tel cas, il s'agira désormais nécessairement d'un viol ou d'une agression sexuelle. Enfin, il convient d'augmenter de trois à cinq ans la peine d'emprisonnement prévue par l'article 227-27.

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Mes sous-amendements visent à revenir sur l'apparition dans notre droit pénal, du fait de l'amendement du Gouvernement, de la notion d'abus sexuel, en remplacement de celle d'atteinte sexuelle.

Certes, l'atteinte sexuelle réunit plusieurs catégories d'infractions. On peut se demander pourquoi l'on a retenu à l'époque ce terme pour qualifier des relations sexuelles consenties entre un adulte et un mineur de quinze ans ou un mineur plus âgé sur lequel il a autorité. Toutefois, il me semble que la notion d'abus sexuel n'est pas bienvenue.

J'ai pris note de l'argument fondé sur la directive européenne évoquée par M. le garde des sceaux. Il n'en demeure pas moins que le mot français « abus » n'a pas la signification du mot anglais « abuse », dont l'extension à la langue française semble tout à fait inadaptée. Les associations de victimes insistent régulièrement sur ce point : en français, la notion d'abus implique la constatation d'un droit, dont elle caractérise l'usage excessif. Au demeurant, cette définition figure dans le dictionnaire Larousse.

Je propose donc de nous en tenir à la notion d'atteinte sexuelle, tout en réfléchissant à une nouvelle dénomination de l'infraction correspondante. En tout état de cause, il me semble délicat d'inscrire dans le texte la notion d'abus sexuel.

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Cette notion d'abus sexuel est en effet contestée par les associations de victimes que j'ai rencontrées. Je propose, à travers mes sous-amendements, de lui substituer celle de « violence sexuelle ». L'abus désigne un usage mauvais ou excessif d'un droit. N'étant pas juriste, j'ai consulté le Dalloz sur ce point : l'abus de droit y est défini comme « le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d'exercice d'un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui ».

Cette proposition est soutenue par le Collectif pour l'enfance.

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Le sous-amendement CL86 vise à aligner les dispositions de l'amendement CL77 sur celles adoptées ce matin en matière d'écart d'âge entre le majeur et le mineur. Celles-ci s'appliquent aux viols et aux agressions sexuelles, mais pas aux atteintes sexuelles. Or, en matière pénale, la lisibilité est essentielle car elle permet de définir clairement l'interdit. Nos débats de ce matin ont démontré la difficulté à appréhender la question des amours adolescentes et à distinguer ce qui est interdit de ce qui est autorisé. Dès lors que les choses sont claires, la bonne application de la règle et l'acceptation de la peine prononcée sont assurées. En l'espèce, si nous disons comprendre et accepter l'existence des amours adolescentes, en affirmant qu'elles ne peuvent constituer un viol ou une agression sexuelle, mais que nous considérons qu'elles peuvent être constitutives d'une atteinte sexuelle, nous introduisons une difficulté en matière de lisibilité du droit et d'acceptation de la règle.

Je comprends que la notion d'atteinte sexuelle soit utilisée pour rassurer ceux qui craignent que certains auteurs passent à travers les mailles du filet en raison des dispositions relatives à l'écart d'âge que nous avons adoptées. Il n'en faut pas moins préserver les couples d'adolescents et, comme le souligne l'exposé sommaire de l'amendement CL76 que nous avons adopté ce matin, s'abstenir de les pénaliser. M. le garde des sceaux l'a rappelé : certains parents n'hésitent pas à instrumentaliser la justice au motif qu'ils désapprouvent les relations de leur enfant en raison de l'orientation sexuelle, de l'origine sociale ou de l'origine de son partenaire. Dire à un jeune âgé de dix-huit ans et un mois que même si la relation sexuelle est consentie, il est passible d'une peine de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende est d'une violence inouïe.

Monsieur le garde des sceaux, j'ai pris bonne note de la circulaire prévoyant l'ouverture d'une enquête préliminaire par le procureur. Certes, nous légiférons pour la deuxième fois sur ce sujet à deux semaines d'intervalle, mais nous ne le ferons pas, je l'espère, de façon récurrente. Même si nous avons confiance dans votre politique et dans les circulaires que vous diffuserez, nous votons la loi de façon pérenne. Il importe donc d'inscrire ces dispositions dans ce texte.

Au demeurant, vous avez fait adopter l'inscription, dans la présente proposition de loi et non dans une circulaire à venir, d'une disposition relative à la différence d'âge en matière de viol et d'agression sexuelle. Par ailleurs, les parents d'une victime présumée d'atteinte sexuelle peuvent agir par citation directe, auquel cas il n'y a pas d'intervention du procureur.

Autre source d'inquiétude : si l'on n'applique pas le critère de l'écart d'âge pour les faits d'atteinte sexuelle alors qu'on le retient pour les autres infractions sexuelles, on risque de créer un appel d'air. Dans le cas d'un couple présentant une faible différence d'âge, dès lors qu'il est toujours difficile de caractériser un viol ou une agression sexuelle, on sera enclin à recourir à la qualification d'atteinte sexuelle, plus facile à établir. Nous devons travailler sans relâche pour que les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles soient qualifiés pour ce qu'ils sont. Ce n'est pas parce qu'on ne parvient pas à caractériser un viol qu'il faut requalifier les faits en atteinte sexuelle. Nous ne devons pas favoriser un recours accru à cette qualification.

C'est pourquoi je propose d'aligner les dispositions relatives à la qualification de l'atteinte sexuelle sur celles de qualification du viol sur mineur. C'est une question de cohérence. Nous pourrons ainsi appréhender de façon globale la question des couples dont les membres présentent une faible différence d'âge. La règle doit être la même pour tous : si la relation sexuelle est consentie, elle ne relève pas du droit pénal ; si elle ne l'est pas, si le consentement n'est pas acquis, nous devons définir le délit adéquat permettant de poursuivre correctement les délinquants concernés.

Le sous-amendement CL91 est un amendement de cohérence visant à aligner les dispositions de l'article 227-26 du code pénal à la fois sur les dispositions adoptées ce matin et sur celles de l'article 227-27. Il s'agit de définir l'acte incestueux comme un viol commis par une personne majeure sur une personne mineure.

Le sous-amendement CL90 précise que les dispositions de l'article 227-27 du code pénal visent les abus sexuels d'ordre incestueux.

Le CL92 rectifié porte sur une particularité qui apparaît si l'on considère les dispositions proposées dans leur ensemble. L'abus sexuel incestueux fait l'objet de deux quanta de peine distincts : dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende si le mineur est âgé de moins de quinze ans, cinq ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende sinon. Or, en matière d'inceste, rien ne justifie d'établir une distinction entre mineurs en fonction de l'âge. Je propose de retenir uniquement le quantum de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

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L'amendement CL4 tend à réécrire l'article 1er bis B dans un souci de simplification, en reprenant certaines dispositions de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, déposée par Mme Isabelle Santiago et que nous avons adoptée en première lecture il y a une dizaine de jours. Pour les mineurs violés par un membre de leur famille, elles me semblent plus protectrices que celles dont nous sommes saisis aujourd'hui.

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La réécriture globale proposée doit répondre à de nombreuses injonctions : elle doit préserver les procédures en cours ; garantir un niveau de protection des mineurs au moins égal à l'existant ; être cohérente avec l'article 1er adopté ce matin ; être intelligible par tous. Cela fait beaucoup pour un seul amendement !

Monsieur le garde des sceaux, je dois vous faire part de mes doutes au sujet de l'intelligibilité des dispositions que vous proposez. Il y aurait désormais, à côté des viols et des agressions sexuelles, des atteintes sexuelles qui seraient des abus sexuels. Un tel niveau de subtilité est difficile à appréhender. De surcroît, il s'agit d'une importation, dans la langue française, d'une notion juridique anglaise qui n'a pas du tout le même sens que le mot français utilisé pour la transcrire. Cette évolution me semble donc peu judicieuse. Mes deux sous-amendements visent à maintenir l'existant.

Nous devons mener un travail en profondeur sur la notion d'atteinte sexuelle, qui, en raison des dispositions adoptées ce matin, n'est plus qu'une infraction croupion. En pratique, elle ne s'appliquera plus qu'aux majeurs ayant une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans à l'intérieur de la fameuse différence d'âge de cinq ans. Ils s'exposeront, en l'absence de circonstances aggravantes, à une peine d'emprisonnement de sept ans au lieu de dix. Un dispositif d'une telle subtilité paraît compliqué à appliquer ; à tout le moins, il ouvre la voie à la correctionnalisation de faits de nature criminelle, ce qui est plus inquiétant. Sur ce point, je rejoins l'argumentation de notre collègue Laetitia Avia.

Je suis très sensible à l'enjeu de lisibilité des dispositions que nous adoptons. Toute la difficulté résulte de la nécessité de concilier deux régimes juridiques, celui en vigueur et celui que nous créons, répondant à des logiques contraires. Dans le premier, on s'interroge d'abord sur l'existence du consentement avant de retenir une infraction par défaut ; en effet, l'atteinte sexuelle sanctionne des relations par essence consenties. Dans le second, le raisonnement est inversé : on exclut par principe la recherche du consentement et on applique par défaut l'infraction de viol ou d'agression sexuelle définie dans le droit en vigueur.

En outre, nous devons poser la question, comme notre collègue Avia, de ce que nous souhaitons faire. Voulons-nous ou non pénaliser les amours adolescentes ? Si nous désirons les préserver, on peut s'interroger sur cette infraction d'atteinte sexuelle. Le sujet est épineux. Je suis persuadée qu'il n'existe pas de réponse évidente.

Sans doute serait-il nécessaire de prendre un peu de recul et d'approfondir la réflexion d'ici à l'examen du texte en séance publique. Comme toujours, les débats au sein de notre commission sont riches. Si l'on se fie aux observations des uns et des autres, il est clair que nous devons retravailler la rédaction de l'article 1er bis B au cours des dix jours à venir.

J'émets un avis favorable à l'amendement du Gouvernement, sous réserve de l'adoption des sous-amendements CL111, CL110 et CL91. Avis de sagesse sur le CL86. Avis défavorable sur les autres sous-amendements et sur l'amendement CL4.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Je le répète : la notion d'abus sexuel est utilisée dans la directive européenne 2011/93/UE. Toutefois, je prends bonne note de la difficulté de traduction que vous soulevez, madame la rapporteure, ainsi que de l'argument relatif à la notion d'abus de droit. Je vous propose de retirer les sous-amendements CL111 et CL110 et de travailler ensemble d'ici à la séance publique sur ces questions de terminologie.

Avis défavorable sur le sous-amendement CL99 car il pose un problème juridique : on ne peut en effet qualifier une atteinte sexuelle de violence sexuelle dans la mesure où ce dernier terme renvoie nécessairement à un viol ou à une agression sexuelle. L'avis sera identique, pour les mêmes raisons, sur les sous-amendements CL100 et CL101.

S'agissant du sous-amendement CL86 de Mme Avia, les débats de la matinée ont permis d'illustrer deux situations diamétralement opposées. Il y a, d'un côté, le cas évoqué par Mme Santiago, celui de victimes d'abus sexuels sans qu'il y ait aucune possibilité de caractériser le crime, et cela mérite toute notre attention. Et puis il y a l'autre cas, que j'ai évoqué, où le parquet va décider de ne pas engager de poursuites. Il m'est rétorqué qu'il peut y avoir une saisine de la juridiction par citation directe, à l'initiative notamment des parents. Mais examinons les chiffres : en 2019, il y a eu 170 condamnations par le tribunal correctionnel pour des atteintes sexuelles et 220 décisions de classement sans suite. Cela montre que parfois l'infraction est constituée bien que l'on ne puisse apporter la preuve de la contrainte, de la violence, de la surprise ou de la menace, et l'on peut alors répondre à la demande des victimes, et que, dans d'autres cas, il s'agit d'une relation réellement consentie, amoureuse, et le procureur prend cela en considération. Voilà ce que permet notre droit positif. Votre position, madame Avia, a certes le mérite de la cohérence, mais j'ai moi-même beaucoup réfléchi à la question, et c'est pourquoi je vous propose de retirer ce sous-amendement afin que nous y retravaillions d'ici à la séance publique. En revanche, j'émettrai un avis favorable sur votre sous-amendement CL91, dont la précision me semble bienvenue.

Demande de retrait du sous-amendement CL90 : l'article 227-27 traite des abus sexuels commis sur des mineurs de dix-huit ans par des majeurs ayant une autorité de droit ou de fait sur le mineur ou abusant de l'autorité que leur confèrent leurs fonctions, dans un contexte pouvant fort bien ne pas être incestueux, par exemple si les faits sont commis par un éducateur. Ils ne seraient incestueux que s'ils étaient commis par un membre de la famille ou assimilé. Dans cette hypothèse, votre commission a décidé, en adoptant des sous-amendements en ce sens à l'amendement du Gouvernement réécrivant l'article 1er, qu'un fait incestueux commis par une personne ayant une autorité de fait ou de droit sera désormais considéré comme un viol ou une agression sexuelle. Il n'y a donc aucune raison de préciser que les abus sexuels traités à l'article 227-27 sont des abus sexuels incestueux.

De ce fait, la peine proposée par Mme Avia dans le sous-amendement CL92 rectifié peut paraître excessive, les faits visés n'étant pas nécessairement incestueux. Peut-être serait-il cependant envisageable de prévoir une aggravation de la peine lorsque l'abus sexuel est incestueux ; je ne suis pas opposé au fait d'y travailler d'ici à la séance.

Enfin, l'amendement CL4 de Mme Ménard est satisfait par l'adoption de l'amendement du Gouvernement réécrivant l'article 1er. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

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Je voudrais revenir sur le critère de l'écart d'âge, dont nous avons déjà débattu ce matin et que nous avons décidé de retenir parce qu'il paraît recouvrir une réalité. Il me semble important que nous fassions preuve de cohérence dans ce que nous votons. Vous mettez en avant, monsieur le garde des sceaux, le droit positif en matière d'atteinte sexuelle, mais le risque, par suite de notre décision de créer une nouvelle infraction, c'est que nous empilions des infractions répondant à des critères différents. Il serait bon, pour nos jeunes concitoyens, que la même règle s'applique dans chacun des cas.

Je rappelle que le champ des actes couverts par l'atteinte sexuelle est extrêmement large. Il ne s'agit pas uniquement de pénétration ; ce peut être un baiser ou une caresse. Imagine-t-on qu'un baiser échangé entre un très jeune majeur et un mineur qui approche de ses quinze ans relèverait de l'atteinte sexuelle ? Cela ferait courir le risque, déjà soulevé ce matin, d'une saisine de la justice parce que la relation ne plairait pas aux parents – ou à d'autres – et que cela provoque en retour un traumatisme pour des adolescents qui ont eu une relation qui n'est pas nécessairement sexuelle.

C'est pourquoi il serait important que nous allions, soit maintenant, soit en séance publique, dans le sens du sous-amendement CL86 : non seulement pour des raisons de cohérence, mais aussi parce que le droit actuel est trop dur envers ces situations. En tout cas, il faut impérativement que nous aboutissions à une rédaction qui respecte les amours entre adolescents.

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Étant cosignataire de ce sous-amendement, j'abonderai dans le même sens.

L'exigence de lisibilité vaut non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Comment expliquer à un parent la différence entre agression, atteinte et abus sexuel ? En l'état, n'étant, de surcroît, pas juriste, je serais bien incapable de le faire.

Ce qui me chagrine, c'est qu'un jeune adulte puisse se retrouver devant un agent de police ou un juge, même si l'affaire est classée sans suite, parce qu'il est tombé amoureux d'une personne un peu plus jeune que lui. Nous avons parfois de petites passes d'armes concernant la protection des mineurs parce qu'en la matière, je veux en général aller plus loin que les collègues. Or, j'ai au contraire l'impression que l'on va ici vers une moralisation de notre société, alors même que nous venons de renforcer la protection des mineurs grâce aux différents dispositifs adoptés. Je me suis trouvé dans cette situation étant plus jeune ; je me dis que la menace d'une poursuite pour atteinte sexuelle peut faire peur, surtout vu les peines encourues. Il faudrait vraiment parvenir à un accord pour que nous puissions expliquer le dispositif à nos concitoyens – ce qui, en l'état, relève de l'impossible.

Quant au sous-amendement CL92 rectifié, si nous l'avons déposé, c'est parce que nous avions compris que les dispositions de l'article concernaient les actes incestueux, et non ceux commis par tout adulte ayant une autorité sur un mineur. Là aussi, il faudrait trouver une solution pour que l'inceste soit reconnu comme une circonstance aggravante. Il serait inimaginable que ce ne soit pas le cas.

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Le Gouvernement et nous visons le même objectif : faire en sorte de ne pas pénaliser les amours adolescentes et de ne pas porter atteinte à la liberté sexuelle de jeunes gens dès lors qu'elle s'exerce réellement.

Ce qu'exprime ma collègue Avia à travers le sous-amendement CL86, c'est le souci du parallélisme des formes et de la cohérence. On ne comprendrait pas pourquoi un jeune majeur ne serait pas passible du crime de viol eu égard au faible écart d'âge avec le mineur, mais qu'il serait potentiellement coupable du délit d'atteinte sexuelle ! Vous nous répondez, monsieur le garde des sceaux, que le sous-amendement est en quelque sorte satisfait par le droit positif puisque le parquet remplit son office en appréciant, au vu des éléments du dossier, si l'atteinte sexuelle est ou non caractérisée. Vous en voyez pour preuve les 220 décisions de classement sans suite à mettre en regard avec les 170 condamnations. Si nous vous remercions pour ces données, il nous semble néanmoins qu'il y a là un point qui fait intellectuellement problème et nous vous remercions d'avoir pris l'engagement d'y travailler d'ici à la séance publique.

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J'ai expliqué ce matin pourquoi je n'étais pas favorable au critère de l'écart d'âge – même si je comprends qu'on puisse avoir une appréciation différente. Cela crée à mon avis non seulement un statut moins protecteur pour les 13-15 ans, mais aussi un statut privilégié pour les 18-20 ans : en pratique, les jeunes majeurs seront plus protégés que les autres. Il me semble en tout cas que c'est la conséquence logique de ces dispositions.

D'autre part, pour revenir sur ce que disait M. Rupin, j'aimerais connaître le nombre de plaintes déposées par suite d'un simple baiser ou d'une caresse. Y en a-t-il beaucoup ?

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Nous sommes d'accord sur une chose : c'est que la loi pénale doit être claire, lisible, compréhensible. Or, que se passe-t-il ? Dans les rangs de la majorité, chacun cherche le cas de figure qui lui permettra de déposer un amendement venant créer une nouvelle exception !

(Protestations)

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On crée de nouveaux concepts, on les mélange avec d'anciens. L'inceste entre désormais dans la même case que l'acte commis en position d'autorité ; il sera désormais qualifié par les mêmes articles du code pénal que le fait pour un moniteur de colonie de vacances de dix-huit ans d'avoir noué pendant quelques jours une relation amoureuse avec un mineur de moins de quinze ans, alors que ce n'est pas du tout la même chose.

Votre objectif, en réalité, est de trouver sur le sujet un point d'équilibre au sein de la majorité et d'aboutir à un compromis politicien chez La République en marche. Résultat : le débat est parfaitement incompréhensible et nous allons voter une loi illisible !

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J'étais précisément en train de me dire que parfois, plus on discute, plus cela devient complexe…

Il me semble que l'idée qui doit guider ce texte – et qui avait guidé celui adopté à l'unanimité le 18 février, à l'issue de débats parfois un peu vifs –, c'est l'intérêt général. Les dispositions issues de nos discussions doivent être applicables par les juridictions et compréhensibles par tous les Français. À savoir : un seuil d'âge à quinze ans et un autre à dix-huit ans avec, si tel est le souhait de la majorité – bien que ce ne soit pas le mien – un critère d'écart d'âge de cinq ans. Il faut que les choses soient claires pour tout le monde, à commencer pour les jeunes. Ce n'est pas vraiment le cas pour l'instant, surtout si l'on n'est pas juriste. Nos débats sont publics et si les gens s'y retrouvent, chapeau !

Pour notre part, nous avions opté, à travers notre amendement de réécriture de l'article 1er, pour une autre solution. Le terme de « pérenne » n'était pas adéquat pour qualifier une relation entre adolescents, j'en conviens, mais tout le monde est d'accord sur le principe : il faut trouver une solution pour sécuriser les choses. Je l'ai dit ce matin : il existe des législations qui apportent certaines précisions, par exemple au Canada. Ne pourrait-on pas chercher de ce côté-là ?

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Merci, monsieur le ministre, de nous avoir éclairés. J'en profite pour vous demander si nous avons les chiffres des affaires d'atteinte sexuelle classées sans suite du fait de l'écart d'âge. Il serait intéressant de connaître la proportion de ces amours adolescentes.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Hélas non. Les statistiques nous renseignent sur le nombre d'infractions, les condamnations, les peines prononcées, les moyennes, mais pas sur l'identité des personnes concernées ni sur leur âge. On sait simplement si elles sont mineures ou majeures car les juridictions ne sont pas les mêmes dans l'un et l'autre cas. Je ne peux donc pas vous en dire davantage, même s'il serait intéressant de disposer de telles données.

En revanche, la plupart des affaires classées sans suite l'ont été parce que l'atteinte s'était résumée à un simple baiser, celui évoqué par M. Pacôme Rupin. Imaginez-vous un procureur, en France, poursuivre pour atteinte sexuelle dans le cas d'un baiser ?

La difficulté est énorme, nous n'avons pas encore la solution. Il est très difficile de traduire le cas des amours adolescentes dans la loi. Nous en avons déjà discuté à l'occasion de la réforme de la justice pénale des mineurs. D'abord, comment définir un adolescent ? Certains gamins sont plus mûrs que d'autres. Ensuite, la notion de pérennité est plus que compliquée à utiliser s'agissant d'adolescents – sans compter qu'une relation sexuelle peut très bien avoir été consentie dans un cadre qui n'avait rien de pérenne. C'est la vie ! Enfin, comment traduire dans la loi pénale le concept d'amours adolescentes ? C'est à se casser la tête. Il y a même des risques d'inconstitutionnalité.

Nous sommes ici pour renforcer les droits des mineurs, pas pour abroger la loi en vigueur. Bien sûr, nous nous posons des tas de questions de cohérence, de parallélisme, et c'est bien normal. Cela étant, depuis que la loi est entrée en vigueur, il y a longtemps maintenant, avez-vous eu connaissance de la moindre difficulté ? Non. Je me suis renseigné. D'un côté il y a la loi et les grands principes plus ou moins éthérés, de l'autre il y a la réalité : les services n'ont été confrontés à aucune difficulté.

La discussion est infinie car il y a des arguments légitimes de part et d'autre. Mais il y a tout de même un principe clair : l'interdit, pour un majeur, d'avoir une relation avec une gamine ou un gamin. La notion d'atteinte sexuelle permet de le rappeler.

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Vous aurez compris, monsieur le ministre, que nous partagions tous, pas seulement dans la majorité, la volonté d'avancer. Mme Santiago l'a dit : nous avons besoin de clarté. Nous devons réfléchir au moyen d'appréhender le plus clairement possible ces amours adolescentes. Ce sera tout l'enjeu de nos discussions dans les prochains jours. Compte tenu de votre invitation ferme et irrévocable à discuter avec nous de ces dispositions d'ici à la séance publique, monsieur le ministre, je retire le sous-amendement CL86.

Je retire également les sous-amendements CL90 et CL92. Honnêtement, j'ai beau être juriste, j'ai eu du mal à comprendre l'amendement du Gouvernement et j'ai cru qu'étaient visés les abus sexuels incestueux. Je vais approfondir la question.

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Une fois de plus, nous partageons la même exigence de lisibilité et de clarté. C'est dans cet esprit que nous devrons travailler. L'atteinte sexuelle relève d'un régime très ancien qui répondait à des impératifs sociétaux différents : historiquement, elle servait avant tout à préserver les bonnes mœurs. C'est pourquoi le délit d'atteinte sexuelle sanctionne les relations entre un adulte et un mineur de quinze ans lorsqu'elles sont consenties. Aujourd'hui, on ne recourt à cette infraction, en droit positif, que par défaut. C'est d'ailleurs le principal grief qu'on peut lui faire. En pratique, elle est trop souvent utilisée pour correctionnaliser l'affaire : le délit d'atteinte sexuelle permet d'ouvrir cette porte et, s'il est vrai que certaines correctionnalisations sont nécessaires, ce n'est pas toujours le cas.

Ce délit ancien va devoir perdurer dans un nouveau système, qui ne se base plus sur un interdit moral mais sur la protection des enfants, en partant du principe qu'un mineur de quinze ans n'a pas le discernement nécessaire pour accepter un rapport sexuel avec un majeur. Cependant, et c'est bien là toute la difficulté, nous avons aussi décidé de protéger les amours adolescentes. Les sénateurs se sont heurtés aux mêmes problèmes. Nous avons encore du travail devant nous pour permettre à ces deux systèmes de coexister, tout en garantissant la sécurité juridique nécessaire pour les affaires passées.

Nous devons être clairs. La loi pénale n'est pas faite que pour les juristes, les avocats, les magistrats : elle est faite pour tous les citoyens. Les infractions pénales, en particulier, doivent être définies avec précision car des millions de personnes peuvent être concernées.

Quant au sujet du classement sans suite, je partage l'avis de mes collègues. Le législateur doit prendre ses responsabilités, même s'il a pleinement confiance dans les magistrats, notamment les procureurs, de notre pays. Il est très difficile d'analyser les classements sans suite car on n'en connaît pas les motifs. Certaines affaires ont ainsi pu connaître ce sort parce que les faits étaient prescrits. Nous manquons des données nécessaires pour éclairer nos débats.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Précisons que les correctionnalisations ne sont aujourd'hui décidées qu'avec l'aval de toutes les parties. Certaines victimes, j'insiste sur ce point, ne veulent pas subir un procès criminel, dont elles redoutent la lourdeur et le rituel. Elles préfèrent que leur affaire soit jugée devant un tribunal correctionnel, plus rapidement et plus discrètement. Même si des précautions peuvent être prises devant la cour d'assises, comme le huis-clos, le rituel demeure lourd.

Par ailleurs, que deviennent les dossiers en cours ? J'ai évoqué le nombre des condamnations. Imaginons que des affaires ne soient pas définitivement jugées et que des appels soient interjetés, ou bien qu'il y ait d'autres victimes : que ferions-nous ? Cette préoccupation n'entrave en rien la liberté du législateur, mais elle est à prendre en considération.

Bref, nous avons, à ce stade, plus de difficultés que de réponses précises, mais j'ai bien compris les arguments de Mme Avia.

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Je retire mes sous-amendements. J'ai bien compris que le terme de violence n'est pas juridiquement solide, mais il faudra revoir la notion d'abus.

Les sous-amendements CL111, CL99, CL86, CL110, CL100, CL90, CL92 rectifié et CL101 sont retirés.

La Commission adopte le sous-amendement CL91.

Elle rejette le sous-amendement CL135.

Elle adopte l'amendement du Gouvernement ainsi sous-amendé.

En conséquence, l'article 1er bis B est ainsi rédigé et l'amendement CL4 tombe, ainsi que les amendements CL14 et CL15 de Mme Emmanuelle Anthoine et l'amendement CL25 de Mme Marie-France Lorho.

Après l'article 1er bis B

La Commission examine les amendements CL72 et CL73 de Mme Florence Provendier.

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La rédaction actuelle du code pénal limite le périmètre de l'inceste et n'y intègre ni les demi-frères et demi-sœurs, ni les personnes ou services suppléant au rôle des parents dans le cadre d'un placement par le juge, ce qui pose la question des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance – en famille d'accueil ou en foyer. Ces deux amendements, auxquels Mme Provendier tient beaucoup, visent à compléter le périmètre.

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L'amendement CL72 est légitime mais satisfait. En effet, même si la langue courante a pu l'oublier, le langage juridique continue de désigner comme frères, en l'absence de précision, les demi-frères, et comme sœurs les demi-sœurs. On appelle frères germains ceux qui ont les mêmes père et mère, frères utérins ceux qui ont la même mère mais des pères différents, et frères consanguins ceux qui ont le même père mais pas la même mère. Je vous invite à retirer l'amendement, sinon avis défavorable.

L'amendement CL73 pose la lourde question du périmètre de l'inceste, non dans le domaine biologique mais dans la sphère sociale. Les parents d'accueil et les éducateurs des foyers sont des personnes qui, dans les faits, ont autorité. À ce titre, ils sont soumis à un régime plus sévère dans le cadre de la répression des infractions sexuelles sur mineur, comme les professeurs, les policiers ou les élus. L'âge du consentement qui leur est opposable est ainsi de dix-huit ans, et non de quinze ans comme en droit commun. Outrepasser cette limite est un délit.

Faut-il en faire un crime ? La question est délicate. Je ne nie pas que ces faits doivent être interdits mais ils sont déjà punis par la loi. Nous devons, posément, définir l'inceste avant de franchir le pas que vous proposez. Je vous invite à retirer cet amendement, sans quoi je lui donnerai un avis défavorable.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Avis défavorable pour les mêmes raisons.

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La définition de l'inceste est un vrai sujet. Il ne me semble pas judicieux de vouloir en élargir le périmètre à toutes les personnes ayant autorité, quelle que soit la nature de cette autorité. L'inceste doit se limiter au champ familial, ce qui nécessite de le définir, mais il ne doit pas être élargi à l'ensemble des personnes ayant autorité sous peine de fragiliser le dispositif. Les nouvelles rédactions sèment le flou en traitant de ces infractions dans les mêmes articles.

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Cet amendement m'a surprise. Le périmètre de l'inceste doit se limiter au champ familial, dans son acception actuelle évidemment – beau-père, cousin… Si l'atteinte est commise par une personne ayant autorité, par un instituteur, un policier, ou dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, des dispositions particulières sont prévues par la loi. Ce n'est ni le garde des sceaux ni M. le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles qui diront le contraire.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l'amendement CL7 de Mme Emmanuelle Ménard.

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C'est un amendement de simplification et d'harmonisation entre les textes déjà votés. Je vous propose de fixer l'âge à dix-huit ans pour définir les infractions sexuelles lorsque l'auteur est un ascendant ou une personne ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

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Il est déjà satisfait par ce que nous avons voté tout à l'heure à l'article 1er. Demande de retrait, ou avis défavorable.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Même avis pour les mêmes raisons.

L'amendement est retiré.

Article 1er bis (art. 222‑22‑1 du code pénal) : Notion de contrainte et de surprise pour un mineur de quinze ans

La Commission est saisie des amendements de suppression CL8 de Mme Emmanuelle Ménard, CL24 de Mme Marie-France Lorho, CL47 de Mme Albane Gaillot et CL60 de Mme Marie-George Buffet.

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J'ai peur que vous considériez également que ces amendements sont satisfaits, mais je pense qu'il faut réitérer un interdit clair dans le cas de relations sexuelles entre un mineur de quinze ans et une personne majeure. Cet article 1er bis précise que la contrainte ou la surprise peuvent résulter de ce que la victime était âgée de moins de quinze ans. Il me paraît redondant.

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Il me semble également que ces amendements sont satisfaits.

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Pourtant, mon avis est favorable ! Comme l'a expliqué la rapporteure du Sénat Mme Marie Mercier, l'article 1er bis avait pour raison d'être d'éviter une interprétation jurisprudentielle néfaste de la fixation de l'âge du consentement à treize ans. Dès lors que le Gouvernement a proposé et que la Commission a accepté de porter cet âge à quinze ans, la logique nous commande de supprimer cet article.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Sagesse.

La commission adopte les amendements identiques et l'article 1er bis est supprimé. En conséquence, l'amendement CL53 de M. Pascal Brindeau tombe.

Après l'article 1er bis

La Commission examine quatre amendements en discussion commune : les amendements identiques CL83 de Mme la rapporteure et CL42 rectifié de Mme Isabelle Santiago, et les amendements CL65 et CL66 de M. Ludovic Mendes.

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Nous arrivons au délit réprimant les pratiques sexuelles extorquées en ligne, que nous surnommons « sextorsion », dont les enquêteurs de la brigade des mineurs ont montré toute l'importance aux membres de la commission l'an dernier, lorsque nous sommes allés visiter le « Bastion ».

De véritables prédateurs utilisent les réseaux sociaux pour manipuler des enfants, les convaincre de leur livrer des images compromettantes et ensuite exiger le pire sous la menace. On imagine facilement les dégâts que peut produire sur un enfant le fait de se retrouver entre les griffes d'un maître chanteur, avec le sentiment de culpabilité attaché au fait d'avoir donné les premiers éléments de plein gré, même si c'est par ruse. On sait aussi que ces photos et vidéos ne disparaîtront jamais d'internet et que des pervers continueront à se les échanger. C'est une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des victimes.

En échangeant avec des professeurs de droit et des associations, j'ai voulu imaginer une infraction claire qui vienne suppléer les carences de la vieille incrimination de corruption de mineurs, que certains magistrats refusent de solliciter. De façon générale en effet, on constate que les différentes juridictions ne recourent pas aux mêmes infractions pour les mêmes cas : cela peut être la violence, la corruption de mineurs ou d'autres.

L'Assemblée nationale a soutenu cette démarche il y a quinze jours, dans l'exacte rédaction de l'amendement CL83. J'aimerais avoir votre sentiment, monsieur le ministre, sur ce dispositif. Je précise que, si vous le jugez imparfait, je suis tout à fait disposée à le retravailler pour qu'il soit le plus protecteur possible. Les violences en ligne sont trop souvent considérées comme moins graves parce qu'il n'y a pas de contact physique direct. Je suis certaine que c'est faux, comme de nombreux psychologues et scientifiques l'affirment.

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Cet amendement a déjà été voté, le 18 février, lors de l'adoption de la proposition de loi du groupe socialiste ! Nous devrions tous être d'accord pour le voter de nouveau afin d'enrichir la présente proposition de loi.

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Il ne s'agit vraiment pas d'un épiphénomène. J'avais du mal à croire que ce soit si généralisé avant de créer moi-même un faux compte d'adolescente de quinze ans. En une heure, j'ai reçu une cinquantaine de demandes de photos dénudées, une trentaine de photos de sexes masculins et plusieurs propositions tout à fait particulières. L'objet des amendements CL65 et CL66 est de protéger les enfants de cela et de l'idée, de surcroît, que c'est leur plastique qui les fera réussir dans la vie – car on leur propose aussi de l'argent pour leurs photos ou leurs petites culottes !

La loi ne peut plus rester en l'état. Il existe déjà une réponse juridique, mais qui n'est pas suffisante face à la réalité. On ne peut plus laisser nos adolescents face à ces prédateurs qui se servent des réseaux sociaux pour obtenir des photos pédopornographiques.

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Je suis favorable à toutes ces démarches mais j'aimerais avoir l'avis du Gouvernement sur cette question. C'est vrai, le phénomène prend des proportions inquiétantes. Pour reprendre les mots d'un responsable associatif, il y a une génération sacrifiée sur internet.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Pour ma part, je demande le retrait de ces amendements pour les travailler encore un peu d'un point de vue juridique et sur le terrain de la cohérence de la répression. Oui, il y a un vide juridique, mais nous avons avancé récemment sur la haine en ligne et il n'y a pas de raison que la situation dont nous parlons continue de filer à vau-l'eau. Nous devons trouver une solution, et si vous le voulez bien nous allons le faire ensemble.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles

La période du confinement a donné lieu à une explosion des comportements délictuels et criminels en ligne. La plateforme Net Ecoute, dont je rappelle le numéro, 0800 200 000, a recensé une hausse de 57 % des cyberviolences en 2020, de tout type mais avec une explosion de ce qui concerne la « sextorsion ». Cela représente 80 % des signalements faits aux différentes plateformes. C'est donc bien un phénomène majeur face auquel nous devons renforcer notre arsenal juridique. Nous saisissons la proposition de la rapporteure d'avancer d'ici à la séance publique sur ce point.

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Je remercie Mme la rapporteure et Mme Santiago d'avoir mis en avant ce sujet dès la proposition de loi du groupe socialiste. J'étais l'année dernière à la brigade des mineurs, et interpellée comme vous par la multiplication des cas et aussi par le manque de moyens criant dont on nous a fait part. Nous devons avancer pour l'intérêt général mais surtout pour ces mineurs et leurs familles. Et il ne faut pas se limiter à la France, car il arrive que ces photos et vidéos se retrouvent sur les réseaux internationaux. Comme nous avons déjà commencé à le faire pour la haine en ligne, nous devons agir de façon concertée à un niveau plus large, européen et international.

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Cette partie des cyberviolences reste en effet à appréhender. Pour ce qui est de l'échelon européen, les trilogues ont enfin abouti sur la question de faire retirer en une heure les contenus à caractère pédopornographique. Ce sont de tels contenus qui sont récupérés sur des plateformes comme TikTok, qui a vu exploser son nombre d'abonnés durant le premier confinement. TikTok, qui était sous les radars concernant cette question, compte maintenant énormément de mineurs en proie à des prédateurs sexuels.

M. le garde des sceaux l'a dit : nous avons voté il y a un quinze jours un nouveau délit, le délit de mise en danger de la vie d'autrui par la divulgation d'informations personnelles. Cette avancée très importante permet de lutter contre ce doxing. Si l'on arrive à une rédaction aboutie, on pourra aller à la source de ces pratiques, là où certains recherchent, sollicitent, récupèrent des images à caractère pornographique et incitent des mineurs à se livrer à des actes sexuels à distance. J'encourage fortement à faire ce travail d'ici à la séance publique.

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Je retire mes deux amendements dans cette logique de travail collectif. Je signale que ces pratiques sont de moins en moins visibles : ce qui se faisait auparavant sur des plateformes publiques passe maintenant sur des messageries privées. Les pratiques des adultes prédateurs sur ces réseaux laissent à penser à une bonne partie de notre jeunesse que la société réagit selon leur plastique, selon l'acceptation ou non de faveurs sexuelles. Nous devons donc absolument mener ce combat. La loi en vigueur est assez mal faite. Nous allons la réécrire certes, mais il faudra aller encore un peu plus loin sur la question de l'accès des mineurs aux échanges sur certaines plateformes numériques. Les algorithmes développés par certaines entités comme TikTok mettent en avant des choses qui ne devraient pas être vues par les enfants, et il n'existe pas de protection. Il faut aussi travailler sur le droit à l'oubli : une image peut ressortir dix ans plus tard, parce qu'une personne malintentionnée l'aura mise sur des plateformes publiques. Il faut que cette action-là, dix ans plus tard, soit condamnable aussi.

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Je retire l'amendement 42 rectifié, tout en rappelant qu'il a déjà été voté dans un autre texte. Je participerai avec plaisir au travail sur sa réécriture. Cela fait des années que les spécialistes de l'enfance en danger, à commencer par la brigade des mineurs ou la protection judiciaire de la jeunesse, alertent sur ces problématiques et je suis heureuse que le cadre légal évolue. Par ailleurs, je compte sur M. Adrien Taquet pour que le sujet devienne international, puisque les plateformes ne s'arrêtent évidemment pas aux frontières. Le texte ne contient pas de proposition sur les actions d'information à mener auprès des jeunes, mais il est important d'organiser un grand plan de communication sur ces sujets pour mieux leur montrer les dangers du net, qu'ils ne comprennent pas suffisamment bien.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

Je pourrai détailler dans un autre cadre l'ensemble des actions que nous menons au niveau européen et aux Nations unies sur cette question. S'agissant de la prévention, on parle souvent de ces générations des enfants du numérique comme des « digital natives », mais pour moi ce sont surtout des « digital naïfs » : ils maîtrisent les réseaux sociaux mais ils sont extrêmement naïfs dans l'usage qu'ils en font. J'avais été frappé l'année dernière, en accompagnant M. Cédric O dans une classe d'enfants de 9 ou 10 ans à l'occasion du Safer internet day, de constater qu'ils n'avaient aucune réticence à envoyer des photos d'eux, voire leur adresse, à des inconnus. Une jeune fille avait même vu débarquer chez elle quatre filles à peine plus âgées, qui avaient commencé à tout voler. Parler de prévention et de sensibilisation des enfants fait toujours tarte à la crème, mais, au-delà du renforcement de la loi pénale, il y a un vrai chantier à mener.

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J'abonde dans ce sens. Ce n'est pas une tarte à la crème, c'est une nécessité absolue. C'est bien pour cela qu'il y a quelques semaines, notre majorité, soutenue par un bon nombre d'autres députés, a généralisé dans le projet de loi renforçant les principes républicains la formation des jeunes dès le CM2 et au collège. La maîtrise technique de ces outils, ils l'ont en cinq minutes, mais la compréhension de ce qui se passe derrière et des risques encourus nécessite tous nos efforts.

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Je suis complètement d'accord. L'éducation est la clef de beaucoup de choses. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement après l'article 8 qui permet d'envisager la prévention de manière plus globale. Les jeunes ne sont pas conscients de la persistance des contenus sur internet. La pérennité d'une relation amoureuse est déjà une notion compliquée pour eux, mais ils n'ont aucune conscience du fait que les images restent sur les réseaux sociaux. Il faut faire passer un message clair là-dessus.

Les quatre amendements sont retirés.

Article 2 (art. 227‑25 du code pénal) : Articulation avec le délit d'atteinte sexuelle sur mineur

La commission examine les amendements de suppression CL79 du Gouvernement et CL9 de Mme Emmanuelle Ménard.

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éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice

Il s'agit d'un amendement de coordination : les modifications prévues par cet article ne sont plus nécessaires du fait du nouveau dispositif proposé pour améliorer la répression des infractions sexuelles commises sur des mineurs.

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Le vote des premiers articles rend en effet l'article 2 superflu.

Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements et l'article 2 est supprimé. En conséquence, l'amendement CL64 de Mme Laetitia Avia tombe.

Article 3 (art. 222‑24 du code pénal) : Articulation avec le crime de viol

La commission examine l'amendement de suppression CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.

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Je retire l'amendement car je vois que le Gouvernement compte présenter une rédaction utile.

L'amendement CL10 est retiré.

La commission examine l'amendement CL80 du Gouvernement.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Nouvel amendement de coordination : les modifications prévues à l'article 3 ne sont plus nécessaires du fait du nouveau dispositif, mais elles doivent être remplacées par d'autres coordinations portant sur les articles 222-24, 222-25 et 222-26 du code pénal.

Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l'amendement et l'article 3 est ainsi rédigé.

Article 4 (art. 227‑27‑2‑1 et 227‑28‑3 du code pénal) : Coordinations

Suivant l'avis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements de suppression CL81 du Gouvernement et CL11 de Mme Emmanuelle Ménard. L'article 4 est supprimé.

Article 4 bis (art. 222‑23 du code pénal) : Élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux

La commission adopte l'article 4 bis sans modification.

Article 4 ter (art. 8 du code de procédure pénale) : Règles de prescription du délit de non-dénonciation d'infraction sur mineur

La commission examine l'amendement CL59 de M. Dimitri Houbron.

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Le fait d'avoir connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur et de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n'ont pas cessé, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

La loi du 3 août 2018 visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a fait évoluer notre procédure pénale sur les questions qui nous intéressent aujourd'hui : tout d'abord, les infractions sexuelles criminelles commises à l'encontre des mineurs se prescrivent désormais jusqu'à trente ans après la majorité de la victime.

En modifiant la lettre de l'article 434-3 du code pénal, elle a également permis de faire du délit de non-dénonciation une infraction continue et non plus instantanée. Ainsi, tant que les sévices sexuels durent sans que la personne ne les dénonce, la prescription ne court pas.

Pourtant, il semble que le délai de prescription applicable à ce délit ne corresponde pas à ses enjeux. En effet, il se prescrit conformément aux règles de droit commun, soit six ans révolus à compter du jour de la commission de l'infraction.

Ceux qui savent et se taisent doivent prendre conscience de la gravité d'un tel silence, puisqu'en ne prenant pas leurs responsabilités ils autorisent la perpétuation de sévices aux conséquences irréversibles. L'amendement vise donc à calquer les délais de prescription de l'action publique du délit de non-dénonciation sur celui du crime ou du délit qui n'est pas dénoncé.

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Je comprends la préoccupation visant à donner à chacun les moyens de prendre ses responsabilités en cas de suspicion de violences : au moindre doute, chacun doit évidemment – avec le soutien, par exemple, du numéro d'appel 119 ou de la plate-forme arretonslesviolences.gouv.fr – les signaler.

Puisque nous abordons le sujet de la prescription pénale, sujet extrêmement compliqué, je veux faire état de ma grande circonspection à l'égard de la multiplication, à un rythme qui me semble beaucoup trop rapide, des changements de règles dans cette matière. Nous devons faire preuve de beaucoup de prudence. Les juristes savent qu'il est difficile de calculer une prescription et que l'empilement des réformes dans ce domaine est dommageable.

Je surmonterai cependant mon sentiment pour tendre la main au Sénat et accepter sa rédaction, qui accroît considérablement le temps de la prescription du délit de non-dénonciation.

L'adoption de cet amendement aboutirait en revanche à donner à ce qui reste un simple délit une durée de prescription pouvant atteindre près d'un demi-siècle, dans le cas où un nourrisson ferait l'objet de mauvais traitements. En effet, la durée serait de trente ans à compter de sa majorité. Cela me semble très excessif. Je vous invite donc à retirer l'amendement et à suivre la rédaction du Sénat, qui entraînera les effets que vous recherchez sans les inconvénients de cet allongement trop important de la prescription.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Même avis. Vous proposez de calquer les délais de prescription de l'action publique du délit de non-dénonciation sur celui du crime ou du délit concerné. Si j'entends qu'une réflexion puisse être conduite sur ce sujet, je ne pense pas que ceux qui ne dénoncent pas doivent obéir au même régime de prescription que ceux qui commettent. En outre, la prescription d'une infraction d'abstention ne peut décemment pas être plus longue que celle applicable à des infractions infiniment plus graves, comme le meurtre ou l'assassinat.

L'amendement est retiré.

La commission adopte l'article 4 ter sans modification.

Article 4 quater (art. 9‑2 du code de procédure pénale) : Prescription glissante des crimes sexuels sur mineur

La commission examine, en discussion commune, l'amendement CL78 du Gouvernement, qui fait l'objet de deux sous-amendements identiques CL121 de Mme Isabelle Florennes et CL132 de M. Dimitri Houbron, et l'amendement CL54 de M. Pascal Brindeau.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

L'amendement vise à réécrire l'article adopté par le Sénat afin d'instituer un mécanisme de prescription prolongée des viols commis sur des mineurs.

Le mécanisme précédemment adopté prévoit que la commission d'un nouveau crime constitue une cause d'interruption de la prescription, ce qui signifie que celle du précédent crime repart pour trente ans : la prescription applicable au premier durera par conséquent plus longtemps, puisque le délai de trente ans ne commencera à courir qu'à compter de la majorité de la nouvelle victime. Si celle-ci est âgée de huit ans, le délai de prescription sera de quarante ans, non de trente ans. Dès lors, si la deuxième victime révèle les faits à l'âge de quarante-cinq ans, soit trente-sept ans après leur commission, le premier crime aura été prescrit depuis trois ans et ne pourra être ni poursuivi ni jugé.

Pour l'éviter, il suffit que la prescription du premier crime soit prolongée jusqu'à la date de prescription du nouveau crime, et non qu'elle soit interrompue. Ainsi, il est certain que si la personne commet à plusieurs reprises des viols sur des mineurs, et si le précédent crime n'est pas encore prescrit alors que le nouveau est commis, tous ces crimes se prescriront à la même date, à savoir trente ans à compter de la majorité de la dernière victime : ils pourront donc être jugés en même temps par la juridiction criminelle.

L'amendement répond ainsi totalement aux objectifs que nous recherchons tous.

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Le sous-amendement vise à ce que le dispositif soit également applicable en matière délictuelle, notamment en cas d'agression sexuelle. Il prévoit donc d'insérer à l'article 8 du code de procédure pénale une disposition similaire à celle insérée à l'article 7.

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Nous poursuivons le même objectif, en proposant, avec l'amendement CL54, de rédiger ainsi l'article : « Les crimes et délits sexuels commis sur des mineurs par le même auteur sont connexes. »

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Je suis favorable à l'amendement CL78 du Gouvernement, ainsi qu'aux sous-amendements CL121 et CL132. Je demande le retrait de l'amendement CL54.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Les sous-amendements, de façon cohérente et justifiée, visent à étendre le mécanisme de prescription prolongée aux délits d'agression et d'abus sexuels – sous réserve de leur nouvelle dénomination. Le Gouvernement y est favorable.

En revanche, je proposerai à M. Pascal Brindeau de retirer son amendement, car la connexité, dans la jurisprudence et dans le texte, est quelque chose de différent.

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Nous approuvons et soutenons le dispositif proposé par le Gouvernement.

Cependant, je me pose les questions suivantes : le second crime, qui rouvre le délai de prescription du premier, permettra d'engager des poursuites contre l'auteur au titre des deux, et de le renvoyer ainsi devant une cour d'assises. Que se passera-t-il en cas d'acquittement pour le second crime ? Cela aura-t-il une incidence sur la prescription du premier ?

Par ailleurs, rouvrir le délai de prescription du premier crime et décider de poursuivre implique que l'auteur ne soit pas présumé innocent. J'avoue que je suis là un raisonnement tortueux, mais je suis curieux d'entendre votre réponse.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Je dois vous confier que je n'avais pas songé à une telle hypothèse, particulièrement alambiquée – j'y vois presque de votre part une forme d'humour !

Comment cela se passe-t-il lorsque deux infractions sont connexes ? Elles sont jugées ensemble, même lorsque les faits sont prescrits dans un des cas, et s'il y a acquittement, vous connaissez la réponse jurisprudentielle – claire, nette, précise.

Vous faites preuve d'imagination, c'est le dernier refuge de la liberté ; mais la jurisprudence est le refuge de notre raisonnement. D'une part, les prescriptions ne sont pas acquises aux assises. D'autre part, en cas d'acquittement, il ne fait pas de doute que l'autre infraction sera quand même poursuivie.

Au-delà de ces échanges quelque peu « juridicistes », je voudrais expliquer pourquoi j'ai été amené à évoluer vers ce mécanisme de prescription. Je me souviens d'un procès aux assises pour viol : une vingtaine de femmes y assistaient, mais seulement en qualité de témoin de moralité, puisque les faits les concernant étaient prescrits. Elles ne pouvaient s'exprimer à la barre que sur les faits faisant l'objet de la saisine de la cour ou sur la personnalité de l'accusé – dont elles ne connaissaient rien, hormis ce qu'il leur avait fait subir. Une fois qu'elles avaient regagné leur place, elles n'étaient plus rien, en proie à une immense frustration. C'est ce que nous devons changer. Certains s'inquiéteront du sort de l'accusé. Je rappelle que nous disposons en France d'un système de cumul d'infractions : que l'on commette un viol ou que l'on en commette vingt, on encourt la même peine.

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Gageons que la doctrine s'emparera de cette question fort intéressante soulevée par M. Antoine Savignat !

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Elle ne pourrait se poser que si deux juridictions étaient saisies.

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Je suis à 200 % d'accord avec vous sur l'opportunité d'une telle disposition : il n'est ni normal ni admissible qu'une personne que l'on sait victime ne puisse se rendre au procès de l'auteur des faits qu'en tant que témoin.

Je n'ai pas voulu faire de l'humour, mais soulever ce qui me paraît un problème constitutionnel. Avec un tel mécanisme, la simple dénonciation d'un délit par une personne aura une conséquence juridique immédiate sur une autre personne, victime de faits prescrits, puisqu'elle conduira à des poursuites et à un renvoi devant une juridiction, avant tout prononcé au fond. Je me demande s'il faut juger les faits de façon antéchronologique. Si le juge est persuadé de la réalité des faits les plus anciens, aura-t-il un autre choix que de prononcer une condamnation pour les faits les plus récents, afin de pouvoir juger la première infraction ? En outre, à partir du moment où les faits auront été dénoncés, la personne sera potentiellement présumée coupable du crime le plus récent afin de pouvoir faire sauter la prescription acquise du crime le plus ancien. Encore une fois, je ne pense pas que mon raisonnement soit alambiqué. Je ne critique pas ce dispositif – je pense qu'il correspond à un besoin de notre société – mais je suggère que nous fassions preuve de prudence dans la rédaction.

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Cette rédaction reprend l'idée portée par les sénateurs, que nous avions aussi défendue il y a quelques semaines. Mais elle ne réinvente pas le droit, ce qui est sans doute une bonne chose.

Le point de départ de la prescription ne repose plus, en quelque sorte, sur la victime, mais sur l'auteur, puisque c'est le dernier acte de celui-ci qui ouvre le délai de prescription, non l'acte subi par la victime. Mais dans la mesure où ce délai a pour début des faits restant encore à qualifier, je crains une forme d'instabilité. Je redoute que cette incertitude ne soit au détriment de la victime.

Certes, cette nouvelle rédaction nous fait progresser. Elle n'est cependant pas idéale et nous devons encore y travailler avant la séance publique.

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Je suis tout à fait d'accord avec la proposition du Gouvernement. Il existe un certain consensus autour de la prescription glissante, un mécanisme opportun dans un certain nombre de procédures et qui permet de répondre – partiellement – à la problématique de l'amnésie traumatique, un syndrome qui peut se révéler lorsque la personne prend connaissance de l'existence d'autres victimes.

En revanche, j'aurai de sérieuses difficultés à accepter les sous-amendements qui étendent ce mécanisme aux atteintes et agressions sexuelles. En effet, la prescription glissante ne s'appliquera plus à des infractions de même nature – de viol à viol –, mais à des infractions de nature différente – de viol à atteinte, par exemple. Le délai de prescription du viol s'appliquera ainsi à un délit correctionnel. Ce mélange des genres soulève une vraie difficulté.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Je répondrai à M. Savignat que l'on ne peut confondre prescription et preuve. C'est là tout l'enjeu. En matière de connexité, c'est exactement la même chose qui se passe.

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Je pense qu'il y a matière à question prioritaire de constitutionnalité. Mais encore une fois, ce mécanisme répond à une demande et nous le voterons sans difficulté.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Je l'ai dit tout à l'heure, la constitutionnalité m'importe beaucoup. Si vous pensez qu'il existe un risque d'inconstitutionnalité et que vous avez une autre rédaction à proposer, je suis preneur. Je l'ai dit dès mon arrivée à la Chancellerie : la porte est ouverte.

L'amendement CL54 est retiré.

La commission adopte les sous-amendements.

Puis elle adopte l'amendement CL40 sous-amendé et l'article 4 quater est ainsi rédigé.

Après l'article 4 quater

La commission examine les amendements CL30 et CL31 de M. Philippe Dunoyer.

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La notion d'amnésie post-traumatique n'est pas aussi complexe et instable qu'on veut bien l'expliquer. Dans la mesure où le syndrome peut être médicalement constaté, nous proposons, à l'amendement CL30, de prendre ce constat comme point de départ de la prescription. L'amendement CL31 vise à reconnaitre l'amnésie traumatique comme un obstacle insurmontable, mais pas forcément caractéristique d'un cas de force majeure.

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Il est important que nous évoquions l'amnésie traumatique, un fait médical bien décrit par les scientifiques, moins connu, et je le regrette, des magistrats et des avocats. Un effort considérable de formation doit être fait en la matière, comme je l'ai souligné dans mon rapport d'évaluation de la loi Schiappa.

Il s'agit ici d'intégrer la notion d'amnésie traumatique dans le champ de la prescription. Je tiens à rappeler que, dans ce domaine, nous suivons un mouvement continu d'allongement des délais, voire de remise en cause du principe. Mais cela ne doit pas nous faire oublier notre combat et l'enjeu principal de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : donner les moyens à la société de réagir.

Je sais que le phénomène de l'amnésie traumatique est très développé, que de nombreuses victimes souffrent de ce syndrome et que lorsqu'il se révèle, plusieurs décennies parfois après les faits, la douleur est double. J'en ai beaucoup discuté, notamment avec le docteur Muriel Salmona. C'est une question à laquelle je suis très sensible et qui figure dans tous mes travaux.

Je tiens à rappeler que lorsque nous avons allongé la durée de prescription en 2018, en la portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, c'est principalement sur le fondement de l'amnésie traumatique. C'est dire combien ce syndrome est reconnu. Le mécanisme de prescription glissante, que nous venons d'adopter, aboutit pratiquement à une imprescriptibilité de fait, dès lors qu'un même auteur a commis plusieurs infractions. En cumulant ce mécanisme et l'allongement des délais de prescription, nous devrions pouvoir couvrir un grand nombre de situations.

Je connais la demande de nombreuses associations et de professionnels du droit – mais tous ne partagent pas le même avis. Intégrer la notion d'amnésie traumatique dans l'arsenal de la prescription constitue un défi. Je n'ai rencontré à ce jour que très peu de juristes qui considèrent possible de l'objectiver dans le temps. La proposition que vous faites figurait dans mon rapport d'évaluation, elle consiste à supprimer la notion de « cas de force majeure ».

Vous aurez compris que je fais preuve d'une extrême prudence. Nous tentons de répondre aux demandes de la société, mais ma conviction est que les allongements des délais de prescription, voire la remise en cause du principe, sont un peu des miroirs aux alouettes.

Si nous devions intégrer la notion d'amnésie traumatique, pourquoi alors ignorer d'autres phénomènes tout autant à même de retarder le témoignage des victimes ? Ainsi, dans le cas d'incestes, l'emprise peut durer des années, parfois des décennies.

J'insiste aussi, et je l'ai écrit dans mon rapport, sur le fait que chaque situation doit pouvoir déclencher des actes d'enquête. Un magistrat est incapable de dire si les faits sont prescrits ou non lorsqu'un dossier arrive sur son bureau. Il doit pour cela mener des actes d'enquête. Je rappelle, et il faut faire passer le message, que la prescription ne s'impose pas au dépôt de plainte, mais à l'action publique. C'est une différence fondamentale ! Même lorsque les faits sont prescrits, certaines victimes ont besoin de manifester leur vérité : elles doivent être accompagnées et respectées dans ce cheminement.

Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.

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éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Nous avons aussi auditionné, réuni les associations et entendu, notamment, le Dr Salmona, qui défend avec passion la prise en compte du syndrome d'amnésie post-traumatique. Je vous sais aussi convaincus qu'elle. Mais il existe des divergences au sein de la communauté scientifique. Or, je ne veux pas d'un texte qui ne reposerait pas sur un constat unanime.

J'estime que vos propositions se heurtent au principe de légalité criminelle. La notion d'amnésie traumatique n'est pas, en outre, une notion juridique ; elle est susceptible d'imprécisions et d'incertitude. Elle pourrait introduire une forme de rupture d'égalité entre les différentes victimes, selon que le syndrome serait constaté ou non, et selon la date de ce constat. Tout cela est bien trop imprécis pour être du droit.

Je ne doute pas que ce syndrome existe et explique, sur le plan psychologique ou psychiatrique, un certain nombre de situations. Du reste, il est reconnu par la société. Aujourd'hui, plus personne ne dit, comme on l'entendait autrefois dans les prétoires, que si la victime n'a pas dénoncé immédiatement les faits, c'est qu'elle y a consenti. On sait désormais à quel point il est difficile de libérer la parole et que des faits que l'on ne peut regarder en face sont très profondément refoulés. On le dit. Mais en droit, ce n'est pas possible. La loi pénale, ce n'est pas cela. C'est donc presque contre ma conscience que j'émets un avis défavorable.

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Il est vrai qu'il n'existe pas de consensus autour de cette question, y compris dans la communauté scientifique. Mais tous les pédopsychiatres le diront : l'amnésie traumatique est un mécanisme de protection qui se déclenche au niveau du cerveau des enfants et des victimes de violences sexuelles.

Il est important que nous ayons ce débat. Si l'on ne parvient pas à une formulation juridique, ce doit être au moins l'occasion de bousculer les choses dans les juridictions. Il n'est plus possible de voir prononcer des ordonnances de placement au motif d'une carence éducative alors qu'elles sont suscitées par des faits d'inceste ! Tout doit être mis en œuvre pour aider la mémoire traumatique des enfants violentés à cheminer. Au-delà du débat que nous aurons en séance publique, il y a tout un travail à faire pour accompagner ces futurs adultes qui souffrent de traumatismes bien décrits par le corps médical et pour former le milieu judiciaire à cette problématique.

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D'autres notions non juridiques sont utilisées en droit pénal. Elles font l'objet d'interprétations médicales ou scientifiques qui peuvent être contradictoires. Elles remettent parfois en question la responsabilité de la personne mise en cause – tel est le cas, par exemple, de l'état psychique ou psychiatrique.

La Commission rejette successivement les amendements.

Article 5 (art. 706‑47 du code de procédure pénale) : Infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles et violentes

La Commission adopte l'article 5 sans modification.

Après l'article 5

La Commission examine l'amendement CL61 de M. Mustapha Laabid.

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La prostitution est une autre forme de violence sexuelle faite aux mineurs. Le droit actuel prévoit une peine de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende pour les personnes ayant des relations sexuelles avec un mineur de moins de quinze ans se prostituant. Si le législateur considère qu'un mineur de cet âge ne saurait consentir à une relation sexuelle avec un adulte, il apparaît nécessaire que le même principe s'applique aux mineurs livrés à la prostitution. L'amendement prévoit donc d'harmoniser les peines en portant à vingt ans de prison celle qui est encourue dans ce cas.

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Nous sommes nombreux à être préoccupés par le phénomène de la prostitution des mineurs, qui a pris une ampleur considérable au cours des dernières années. Par ailleurs, l'article 1er devra en effet avoir des conséquences sur l'infraction consistant à solliciter des relations sexuelles avec un prostitué mineur de moins de quinze ans. Toutefois, je réservais ce travail de mise en cohérence pour la séance publique. Je vous propose donc de retirer l'amendement à ce stade, tout en m'engageant à ce que nous étudiions en commun une nouvelle rédaction.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

La prostitution des mineurs est un phénomène en constante augmentation. Elle concernerait entre 6 000 et 10 000 jeunes. C'est la raison pour laquelle, parmi les toutes premières mesures du plan de lutte contre les violences faites aux enfants du 20 novembre 2019, figurent des actions contre la prostitution.

Premièrement, nous avons financé un projet de recherche-action car le phénomène est en réalité mal connu de tous – responsables politiques, pouvoirs publics, associations et acteurs de terrain. Ce projet est mené par la sociologue Hélène Pohu, la psychologue Mélanie Dupont, présidente de l'association Centre de victimologie pour mineurs, et le docteur Charlotte Gorgiard.

Deuxièmement, nous avons chargé une équipe de formuler des propositions destinées à améliorer la prévention, le traitement judiciaire et l'accompagnement éducatif, ainsi qu'à renforcer la formation des professionnels et la protection des mineurs sur internet. Elle rassemble toutes les administrations concernées – éducation nationale, justice et intérieur –, les départements et plusieurs associations : le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, Agir contre la prostitution des enfants, Hors la rue et le Mouvement du nid. J'en ai confié la présidence à Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris, qui connaît bien ces questions. Les travaux se termineront fin mai.

Je partage donc l'objectif poursuivi à travers l'amendement, mais je préfère, comme Mme la rapporteure, que nous améliorions les dispositions concernant la prostitution infantile en séance publique. Je demande donc le retrait de l'amendement.

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La répression du tourisme sexuel sera-t-elle couverte par le dispositif ? On sait très bien que de telles pratiques existent et l'on connaît les pays concernés – je pense en particulier à la Thaïlande et à Madagascar.

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Je partage l'intention des auteurs de l'amendement. Nous allons travailler à la question d'ici à la séance publique. Dans ce cadre, ne serait-il pas envisageable de créer une circonstance aggravante pour les clients de prostitués mineurs ? On sait que ces personnes recherchent précisément des enfants. Il convient d'être très ferme pénalement avec ces clients, à l'image de ce qui est prévu pour le délit de proxénétisme dont la Commission à l'encontre d'une personne mineure est une circonstance aggravante.

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Créer une circonstance aggravante serait une excellente idée, monsieur Mendes.

M. Laabid prend note du fait que le travail est en cours et qu'une réécriture est possible, mais il ne souhaite pas retirer son amendement.

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Je n'écarte pas votre idée, monsieur Mendes, mais je ne suis pas en mesure de vous répondre à cet instant. Il nous reste du temps d'ici à la séance publique pour l'étudier. Mettons-nous donc au travail collectivement pour apporter la meilleure protection possible aux mineurs. La prévention est indispensable mais, en la matière, la loi pénale doit également marquer un interdit extrêmement ferme.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

Dans la mesure où M. le garde des sceaux n'est plus parmi nous, je ne m'engagerai pas sur cette question. Quoi qu'il en soit, votre suggestion sera étudiée.

En ce qui concerne la lutte contre le tourisme sexuel, le dispositif pénal a déjà été renforcé par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, issue d'une proposition de loi de Mme Bérangère Couillard. Ce texte réprime le fait d'acheter la commission d'un viol ou d'une agression sexuelle, y compris hors du territoire national. Il permet de s'attaquer à une pratique nouvelle sur internet, consistant à commander pour quelques dollars un viol sur mineur filmé en direct. Une première condamnation d'un Français est intervenue sur ce fondement récemment. Trois personnes ont également été condamnées aux Philippines pour de tels agissement, grâce notamment à l'action du groupe central des mineurs victimes, dirigé par la commandante de police Véronique Béchu.

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Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour ces informations qui montrent que nous avons fait œuvre utile.

La Commission rejette l'amendement.

Article 6 (art. 706‑53‑2 du code de procédure pénale) : Inscription automatique dans le fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles et violentes lorsque la victime est mineure

La Commission adopte l'article 6 sans modification.

Article 7 (art. 222‑48‑4 et 227‑31‑1 [nouveaux] du code pénal) : Peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité au contact des mineurs

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL56 et CL57 de Mme Karine Lebon.

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Lorsqu'une personne a été reconnue coupable de violences sexuelles envers un mineur, elle devrait être écartée définitivement et sans dérogation possible des activités, professionnelles ou bénévoles, impliquant un contact habituel avec des mineurs. Or, le texte prévoit des dérogations. Cela me gêne. Quelles sont les raisons juridiques qui vous ont conduit à choisir cette rédaction ?

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Vos amendements procèdent d'une intention tout à fait louable, à savoir protéger les mineurs contre d'éventuels prédateurs. Toutefois, je vous rappelle que l'individualisation des peines est un principe constitutionnel. Les peines automatiques sont proscrites. Il importe de laisser une marge d'appréciation aux juges, lesquels sont d'ailleurs très précautionneux en matière d'infractions sexuelles, surtout depuis quelques années : il ne faut pas craindre de leur faire confiance. Le Sénat est allé aussi loin que possible ; aller au-delà, ce serait prendre le risque que le texte soit déclaré contraire à la Constitution. Le dispositif renforce déjà considérablement le cadre légal en la matière. Je vous invite donc à retirer ces amendements.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

Je partage l'analyse de Mme la rapporteure.

J'en profite pour rappeler le travail effectué par le Gouvernement, les administrations et les parlementaires pour améliorer le contrôle des antécédents judiciaires de tous les adultes qui travaillent au contact des enfants. La loi du 30 juillet 2020 a permis de porter de deux à cinq ans de prison la peine encourue pour consultation de sites pédopornographiques. L'un des objectifs était de rendre automatique l'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) des condamnés à ce titre. Auparavant, cette mesure était laissée à l'appréciation du juge. Or, sur les 1 000 personnes environ condamnées chaque année sur le fondement de cette incrimination, seule la moitié était inscrite dans le fichier. Autrement dit, les autres pouvaient continuer de travailler au contact de mineurs.

Dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, le ministère de la justice conduit avec l'ensemble des autres ministères concernés un audit de tous les organismes dont ils ont la tutelle, en partenariat avec l'Assemblée des départements de France et l'Association des maires de France. Il s'agit de vérifier que tous les professionnels ont bien connaissance de l'obligation légale de consultation du FIJAIS, de s'assurer que le système fonctionne bien et que les délais de réponse ne sont pas trop longs. Lorsqu'un établissement de l'aide sociale à l'enfance demande si un éducateur spécialisé est inscrit dans ce fichier, la réponse peut prendre six mois. Le Gouvernement travaille donc à généraliser l'automatisation des réponses, comme c'est déjà le cas pour le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

L'ensemble de ce travail répond à l'objectif poursuivi par vos amendements, madame Lebon.

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Je les retire. Toutefois, je souhaiterais vous faire part d'un entretien que j'ai eu avec une personne travaillant dans le service des ressources humaines d'un rectorat. Celle-ci m'a indiqué que certains enseignants continuaient à exercer même après avoir été reconnus coupables d'attouchements sur des mineurs, au motif que les victimes n'étaient pas des élèves de l'établissement. Je trouve cela alarmant.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

La loi du 14 avril 2016 relative à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs, dite « loi Villefontaine », prévoit que le procureur de la République peut prévenir l'administration en cas de mise en cause, de poursuites ou de condamnation d'une personne qu'elle emploie. La mise en place de référents dans les ministères de la justice et de l'éducation nationale fait que ces informations transitent plutôt bien, même si je le dis avec prudence. Il convient de généraliser cette démarche, y compris d'ailleurs pour les collectivités locales.

Les amendements sont retirés.

La Commission adopte l'article 7 sans modification.

Article 8 (art. 706‑47 du code de procédure pénale) : Procédure applicable à la nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur

La Commission examine l'amendement de suppression CL75 du Gouvernement.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

Il s'agit en réalité d'un amendement de coordination, les modifications prévues par cet article n'étant plus nécessaires du fait du nouveau dispositif, résultant des amendements précédents, destiné à améliorer la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs.

Suivant l'avis de la rapporteure, la Commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 8 est supprimé.

Après l'article 8

La Commission examine l'amendement CL32 de M. Philippe Dunoyer.

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L'amendement permet que le texte s'applique aux territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna.

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Je salue cet amendement et remercie M. Dunoyer pour son concours lors de ma mission d'évaluation : de nombreuses auditions ont alors été consacrées à l'outre-mer. Je suis tout à fait favorable à cet amendement, car la loi doit valoir pour tous les mineurs et sur l'ensemble du territoire national.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

Avis favorable. La loi doit effectivement valoir pour l'ensemble des territoires de la République. Cela dit, l'outre-mer présente en la matière des problèmes spécifiques, sur lesquels il faudra se pencher – ce que j'ai demandé de faire à la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles. M. Sébastien Boueilh, président de l'association Colosse aux pieds d'argile, s'est rendu à plusieurs reprises dans certains de ces territoires, notamment en Polynésie française.

La Commission adopte l'amendement. L'article 9 est ainsi rédigé.

Elle en arrive à l'amendement CL1 de M. Aurélien Pradié et à l'amendement CL58 de Mme Karine Lebon.

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Une fois n'est pas coutume, le groupe Les Républicains demande la remise d'un rapport par le Gouvernement. Cela me semble particulièrement important en l'espèce : le texte est porteur de belles intentions mais il convient de s'assurer que, sur le terrain, les moyens adéquats seront affectés dans les prochains mois pour permettre de les concrétiser.

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Nous demandons quant à nous la remise d'un rapport consacré à la prévention et à la sensibilisation.

En matière de lutte contre les violences sexuelles sur mineur, la prévention doit être la première arme. Plus tôt l'enfant est averti de ces dangers, plus il est en mesure d'alerter, de se protéger ou de demander une protection. À cet égard, les interventions dans le cadre scolaire sont capitales et devraient être généralisées à travers l'inscription de la lutte contre les violences sexuelles sur mineur dans le code de l'éducation.

La sensibilisation est tout aussi essentielle. Elle peut prendre plusieurs formes, telles que des actions de formation à destination des professionnels, ou encore une plus grande visibilité des journées relatives aux droits et à la protection des enfants – le 18 novembre, qui est depuis 2015 la journée européenne pour la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, le 19 novembre, qui est depuis 2000 la journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants, et le 20 novembre, qui est la journée pour les droits de l'enfant. Malheureusement, aucune de ces journées ne bénéficie d'un statut officiel en France.

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Chers collègues, vous connaissez la règle que nous appliquons s'agissant des demandes de rapport. En tant que parlementaires, nous sommes en mesure d'enquêter seuls et de mener des missions d'information : nous n'avons pas à demander à l'exécutif de bien vouloir se contrôler lui-même.

Je partage votre souhait de développer la prévention. Les soixante-dix-sept propositions contenues dans mon rapport d'évaluation accordent d'ailleurs une large place à la question ; c'est avec plaisir que j'en discuterai avec vous. Peut-être mon rapport n'est-il pas exhaustif, mais il aborde un certain nombre d'enjeux. M. le secrétaire d'État mène également de nombreuses actions en la matière. Je le laisserai donc répondre plus précisément à votre demande. Pour ma part, je sollicite le retrait de ces amendements.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État

J'ai déjà eu l'occasion de répondre à des demandes similaires dans l'hémicycle à l'occasion des débats sur la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago.

S'agissant des moyens, le travail que vous proposez sera conduit, de manière bien plus large d'ailleurs et pendant les deux prochaines années au moins, par la commission indépendante dont j'ai confié la présidence au juge Édouard Durand et à Mme Nathalie Mathieu. Le financement des travaux de cet organe est assuré ; son indépendance est garantie. Les membres de cette commission auront probablement l'occasion de partager avec vous leurs constats à propos des moyens et des dispositifs mis en œuvre par les pouvoirs publics pour mieux protéger les enfants.

Nous partageons évidemment l'objectif consistant à renforcer la prévention. Notre ambition en la matière se traduit par au moins deux éléments.

D'abord, le Président de la République s'est engagé à ce que, à la rentrée prochaine, l'ensemble des élèves, à l'école élémentaire puis au collège, bénéficie d'actions de sensibilisation et de détection de violences sexuelles potentielles. Nous avons installé la semaine dernière, avec M. Jean-Michel Blanquer, un groupe de travail rassemblant les diverses administrations concernées et les associations, pour étudier la manière de rendre effectif cet engagement.

Ensuite, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, nous avons engagé, pour la première fois dans notre pays, une politique de prévention en direction des auteurs. La Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui regroupe notamment des psychiatres allant à la rencontre des détenus, et plus largement des personnes condamnées à la suite d'actes de pédophilie, y compris celles faisant l'objet d'injonctions de soins, a pris l'initiative de créer un service téléphonique permettant aux pédophiles de trouver à qui se confier. Je dis bien les pédophiles, c'est-à-dire les adultes ayant des pulsions sexuelles en direction des enfants mais qui ne sont pas passés à l'acte, et non les pédocriminels – mais je n'entrerai pas, sur ce point, dans un débat sémantique dont je connais parfaitement les tenants et les aboutissants. Nous avons soutenu cette initiative, que nous avons nationalisée il y a trois semaines. Certains de ces pédophiles sont dans une très grande souffrance. J'ai eu l'occasion d'échanger longuement avec l'un d'entre eux à ce propos. Le dispositif, qui existe en Allemagne depuis quinze ans et a également été mis en œuvre au Royaume-Uni, permet aux personnes qui composent le numéro de bénéficier d'une première évaluation et d'être redirigées vers un parcours de soins auprès de psychiatres pour éviter le passage à l'acte. La situation est telle qu'il faut actionner l'ensemble des leviers à notre disposition ; cette mesure innovante en fait partie.

Pour ces raisons, je demande le retrait des amendements ; à défaut, avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

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Je remercie M. le garde des sceaux et M. le secrétaire d'État pour leur présence parmi nous, et je salue le travail remarquable de Mme Louis. Il est vrai que plusieurs textes consacrés à la question se télescopent, mais je pense que, grâce au travail de synthèse et d'arbitrage que notre rapporteure mène de main de maître, nous réussirons à trouver un consensus.

La réunion se termine à 17 heures.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

- Mme Caroline Abadie, rapporteure sur la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention – n° Sénat 362 (2020-2021) ;

- M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur sur la proposition de loi relative aux contrôles d'identité (n° 3845) ;

- Mme Agnès Thill, rapporteure sur la proposition de loi visant à mieux lutter contre la fraude à l'identité dans le cadre des mineurs non accompagnés (n° 3443) ;

- M. Pascal Brindeau, rapporteur sur la proposition de loi visant à lutter contre les individus violents lors de manifestations (n° 3848).

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.