Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars :

Pour sortir la France des rangs des plus mauvais élèves européens en matière de vie en détention, notre majorité a, au cours de cette législature, engagé de nombreuses réformes, notamment pour résorber la surpopulation carcérale. Ainsi il a été décidé de créer 7 000 nouvelles places de prison d'ici à 2022 et de lancer des opérations de prospection pour l'ouverture de 8 000 autres places. Sera ainsi tenu l'engagement d'Emmanuel Macron de créer au total 15 000 places de prison d'ici 2027, en disposant de divers types d'établissement pour mieux s'adapter aux différents profils de détenus.

Par ailleurs, nous avons adopté la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui organise la réforme de l'échelle des peines et qui pose le principe d'interdiction de peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure à un mois et l'aménagement ab initio des peines d'une durée comprise entre un et six mois d'emprisonnement ferme. Nous avons également ratifié l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

Enfin, le budget dédié à l'administration pénitentiaire est en constante augmentation depuis trois ans : 6 milliards d'euros y seront consacrés cette année, dont 556 millions alloués au programme immobilier pénitentiaire dont je viens de parler, ou encore 82 millions pour développer le programme des peines alternatives.

Malgré ces efforts sans précédent et ces réformes, la France continue d'être régulièrement pointée du doigt pour ses conditions de détention, qui, au-delà du phénomène de surpopulation, présentent dans certains cas des problèmes de vétusté, d'insalubrité, d'hygiène défaillante, d'absence d'intimité, de carences d'activités.

Le présent texte vise donc, au-delà des moyens et des réformes que je viens d'énumérer, à remédier à ces défaillances et carences de notre système pénitentiaire. Surtout, il tire les conséquences de décisions successives de la Cour européenne des droits de l'Homme du 30 janvier 2020, de la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 8 juillet 2020, du Conseil constitutionnel qui, le 2 octobre 2020, au terme de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), soulignait que le législateur, par incompétence négative, n'avait pas prévu de garanties légales suffisantes permettant au détenu de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin. Le Conseil a ainsi abrogé pour insuffisance, avec effet au 1er mars 2021 les dispositions de l'article 144‑1alinéa 2 du code de procédure pénale qui prévoit la possibilité de libération d'une personne en détention provisoire. C'est ce qui explique les conditions d'urgence dans lesquelles nous devons examiner la présente proposition de loi et que viennent de rappeler la présidente et la rapporteure.

Il convient par ailleurs de préciser que cette proposition de loi sénatoriale n'est que la reprise d'un amendement que le Gouvernement, en la personne du garde des sceaux, avait porté dès l'examen du projet de loi sur le Parquet européen et la justice pénale spécialisée, amendement qui avait été déclaré alors irrecevable car trop éloigné du texte initial.

Ainsi la proposition de loi crée dans le code de procédure pénale un nouvel article 803-8 qui permet au juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, d'être saisi par une personne détenue et d'apprécier in concreto les conditions de sa détention. Dans l'hypothèse où serait relevées des conditions dites indignes et en cas de carence de l'administration pour y mettre fin, le texte ouvre à ce même juge la possibilité de prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser les conditions indignes de cette détention. Ce nouveau recours effectif devant le juge judicaire s'ajoute aux recours administratifs déjà connus, notamment le référé‑liberté ou le référé­mesures utiles prévus aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du code de la justice administrative.

Cette nouvelle procédure devant le juge judiciaire permettra à toute personne placée en détention de dénoncer les conditions contraires au respect de la dignité humaine dans lesquelles elle vit, par une saisine du JLD ou du JAP selon qu'elle est en détention provisoire ou qu'elle exécute sa peine après condamnation ; au terme d'une requête motivée d'allégations circonstanciées, personnelles et actuelles ; par une appréciation par le juge de cette requête in concreto dans les dix jours de sa saisine avec possibilité de dmander des informations complémentaires à l'administration pénitentiaire.

Enfin, dans 1'hypothèse où le juge retient des éléments de nature à fonder l'indignité de la détention, un délai sera donné à l'administration pour prendre toutes les mesures qu'elle estime nécessaires pour rétablir des conditions de vie décentes et mettre fin aux conditions de détention indignes, tel le changement de cellule ou le transfèrement. Si l'administration pénitentiaire se trouve prise à défaut ou dans l'impossibilité de remédier à ces conditions de détention, alors le juge judiciaire intervient dans un second temps et statue par une décision motivée, en ordonnant soit le transfèrement de la personne détenue, soit la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence avec surveillance électronique, soit un aménagement de la peine si la personne est définitivement condamnée et si elle est éligible à une telle mesure.

J'ai à ce propos deux interrogations. Je me demande tout d'abord si le dispositif n'emporte pas un risque d'embolie de l'activité du JLD et du JAP, dans la mesure où nombre des personnes détenues vont s'emparer de ces nouvelles dispositions pour tenter de faire reconsidérer leurs conditions de détention.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque de chevauchement entre la possibilité de recours devant le juge judiciaire nouvellement ouverte, et le système actuel de saisine du juge administratif en cas de référé-liberté ou de référé­mesures utiles ? Cela ne pourrait-il pas nuire à la lisibilité des blocs de compétences judiciaire et administratif, voire aboutir à des décisions contradictoires ?

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