Intervention de Dimitri Houbron

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron :

L'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure permet d'interdire administrativement une manifestation, mais pas à des individus de manifester. C'est le juge judiciaire qui peut, en vertu de l'article 131-32-1 du code pénal, prononcer une interdiction individuelle de manifester pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans, dans le cadre d'un jugement faisant suite à des violences en manifestation.

Il nous est proposé ici de créer une interdiction administrative individuelle pour les personnes violentes de participer aux manifestations, en dehors de tout jugement judiciaire. Cette mesure serait prononcée par le préfet du département ou le préfet de police. Au regard des précédentes interventions, cette proposition de loi fait naître un débat sur sa constitutionnalité.

L'exposé des motifs fait explicitement référence à la décision du Conseil constitutionnel censurant l'article 3 de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre lors des manifestations, pour préciser que la proposition de loi en tient compte. Les sages avaient en effet estimé que cette mesure portait atteinte au droit d'expression collective des idées et des opinions, et violait ainsi l'article 11 sur la liberté d'expression de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel écrit : « le législateur n'a pas imposé que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l'intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l'occasion de cette manifestation ». En définitive, les dispositions contestées laissent à l'autorité administrative une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier l'interdiction. Autrement dit, les atteintes aux libertés publiques prises au nom du maintien de l'ordre n'étaient ici ni proportionnées ni suffisamment encadrées.

À la lumière de cette décision, ce n'est pas tant, semble-t-il, le principe d'une interdiction individuelle de manifester décidée par le préfet qui est jugé inconstitutionnel, mais les modalités de cette interdiction. C'est l'interprétation que semble faire le rapporteur, analysant – à tort ou à raison – que le Conseil constitutionnel pourrait juger l'interdiction constitutionnelle si les modalités en étaient adaptées. La proposition de loi est la traduction de cette interprétation.

Il est toujours délicat d'anticiper une décision du Conseil constitutionnel, sauf quand les mesures sont manifestement inconstitutionnelles. Nous ne sommes pas à l'abri de mauvaises surprises. Nous en avons déjà fait l'amère expérience, d'autant plus que nous nous appuyons sur une décision déjà rendue, et que chacune et chacun se livre à sa propre interprétation. Toutefois, à titre personnel, il ne me paraît pas opportun de rejeter le texte de M. Brindeau au seul motif d'une supposée contrariété à la Constitution.

S'agissant de la philosophie de ce texte, nous partageons toutes et tous la volonté de lutter contre les individus qui confisquent aux manifestants la défense de la cause pour laquelle ils ont choisi de se réunir. Néanmoins, je voterai contre cette proposition de loi, pour deux raisons.

D'une part, notre Constitution prévoit, en son article 66, que c'est bien le juge judiciaire, indépendant, qui est le seul garant des libertés individuelles. Il ne faut déroger à ce grand principe que dans des cas très spécifiques et encadrés, par exemple par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.

D'autre part, l'effectivité de la mesure pose des difficultés. Pour reprendre de nouveau l'exposé des motifs, « ces interdictions administratives très encadrées permettront de toucher les individus violents que nos forces de l'ordre n'ont pas réussi à appréhender. » Il est compliqué d'imaginer la faisabilité concrète et matérielle d'une interdiction frappant une personne qui a réussi à ne pas être appréhendée. C'est au regard de ce point, et non du supposé caractère inconstitutionnel de la proposition, que je voterai contre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.