Intervention de Agnès Thill

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Thill, rapporteure :

Je suis très heureuse de vous présenter une proposition de loi visant à lutter contre la fraude à l'identité pour mieux protéger les mineurs non accompagnés. Elle vise à mieux distinguer les mineurs non accompagnés (MNA) des majeurs qui prétendent l'être pour bénéficier des protections de l'aide sociale à l'enfance ou des règles de la justice pénale des mineurs. C'est cette confusion entre majeurs et mineurs qui porte atteinte à notre capacité à bien prendre en charge ces enfants dont nous avons la responsabilité.

En matière civile, 60 % des mineurs non accompagnés sont en réalité des majeurs. Ce chiffre, établi par un rapport du Sénat en 2017, met en péril tout le système de la protection de l'enfance dont nos départements ont la charge, ce qui représente pour eux un surcoût considérable. Ils nous demandent de l'aide et nous ne pouvons pas faire comme si ce problème n'existait pas. À cause de cette situation, des mineurs dorment dans des chambres d'hôtel ou des studios tandis que d'autres côtoient des majeurs bien plus âgés qu'eux.

Le contexte n'est guère différent au pénal. Selon le récent rapport de la mission d'information menée par nos collègues Jean-François Eliaou et Antoine Savignat sur les problématiques de sécurité liées à la présence des MNA en France, certaines expérimentations, par exemple à Paris, ont montré un taux de majeurs parmi les MNA dépassant les 90 %. Ces faux mineurs détournent les protections légitimes accordées aux enfants délinquants.

Il est important, comme nous l'avions fait la semaine dernière, de distinguer deux catégories de MNA. La première catégorie, qui ne pose pas de difficultés, regroupe les mineurs pris en charge au titre de la protection de l'enfance. Ils sont souvent originaires d'Afrique subsaharienne et souhaitent travailler, car ils ont été missionnés par leur famille. La deuxième catégorie regroupe les MNA pris en charge au titre de l'enfance délinquante, impliqués dans des réseaux et souvent victimes d'addiction. Ces mineurs, très majoritairement originaires du Maghreb, refusent l'aide sociale à l'enfance et les magistrats sont souvent contraints de les placer en détention provisoire s'ils veulent pouvoir assurer une prise en charge, notamment sanitaire et scolaire, ce qui peut s'avérer difficile quand le mineur a en réalité plus de vingt ans.

Si nous voulons protéger les mineurs et nous mettre au service de l'intérêt supérieur de l'enfant, nous devons recentrer les dispositifs existants sur les enfants et mieux évaluer les jeunes qui se présentent comme des MNA. Personne ne trouve cette situation satisfaisante et il est urgent d'agir. Ma proposition de loi va en ce sens. Elle ne résoudra sûrement pas toutes les difficultés que je viens de décrire mais engagera un effort en ce sens. Je proposerai de la compléter, notamment en m'inspirant des recommandations de nos collègues Jean-François Eliaou et Antoine Savignat.

Au terme des auditions que j'ai menées, il m'a semblé utile d'encourager le recours au fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM), afin d'éviter qu'un même mineur déclare plusieurs identités dans différents départements ou à l'occasion de diverses interpellations. La plupart de nos voisins procèdent ainsi. Il est également urgent d'accélérer la coopération internationale sur ce sujet. D'autres pays, d'origine ou de passage, disposent d'informations utiles pour identifier ces mineurs et mieux comprendre leur parcours. Il faut inciter nos magistrats à les interroger.

L'article 1er de la proposition de loi répond à une difficulté récurrente : le refus de certains jeunes d'effectuer les examens radiologiques, aussi appelés tests osseux, afin que leur majorité ne soit pas reconnue. Cette stratégie est bien connue des réseaux criminels qui les embrigadent et utilisent cette méthode pour les rassurer. Je souhaite donc que l'on puisse, en cas de refus, présumer que l'intéressé est majeur.

Les tests osseux ont été inscrits et encadrés par le législateur dans la loi relative à la protection de l'enfant du 14 mars 2016. En l'état du droit, trois conditions sont requises pour procéder aux tests osseux : l'absence de documents d'identité valables, une décision de l'autorité judiciaire et le consentement éclairé de l'intéressé. Cet examen, qui se pratique à partir d'une radiographie des os – poignet ou clavicule – ou des dents, intervient de manière subsidiaire lorsqu'un doute persiste au cours de l'évaluation d'une personne se présentant comme MNA, c'est-à-dire lorsque les autres informations recueillies ne suffisent pas à certifier la minorité. D'autres garanties protègent le mineur faisant l'objet d'un test osseux : les résultats doivent indiquer une marge d'erreur et ne peuvent suffire à déterminer la minorité. En cas de doute, celui-ci bénéficie à l'intéressé. Mon texte reprend ces garanties car, en aucun cas, un mineur ne doit être considéré comme majeur.

J'ai conscience des limites de la fiabilité des examens radiologiques. Les scientifiques estiment que la marge d'erreur pour ces tests osseux varie de douze à vingt-quatre mois. C'est à la fois peu et beaucoup, car cela signifie que toutes les personnes de plus de 20 ans pourraient être identifiées comme majeures. Pour ma part, je ne vois pas de difficulté à ce que certains très jeunes majeurs puissent intégrer un parcours en protection de l'enfance, à condition qu'ils en respectent aussi les obligations en matière d'éducation et de surveillance.

Au-delà de 20 ans, en revanche, l'écart d'âge au sein des établissements est trop important et pose des difficultés vis-à-vis des autres mineurs et des travailleurs sociaux. Je proposerai donc une rédaction globale de l'article 1er rétablissant la fixation de la marge d'erreur à vingt-quatre mois au maximum et indiquant que le test osseux ne permet pas à lui seul de définir la majorité. C'est un examen réalisé à titre complémentaire, et c'est bien ainsi que nous l'entendons.

Par ailleurs, le référentiel utilisé, qui date de 1940, est ancien et établi à partir d'une population américaine, ce qui explique également cette marge d'erreur. Je proposerai donc son actualisation tous les sept ans.

Je connais également les critiques faites à ce dispositif en raison de sa potentielle inconstitutionnalité. La présomption de majorité est une pratique contraire au droit existant mais elle n'est pas incompatible avec la Constitution. En effet, il semble que la position du Conseil constitutionnel sur le sujet soit moins radicale que certains l'affirment. À l'occasion d'une décision QPC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a admis le principe des tests osseux, sous réserve des garanties prévues par le législateur et que je viens de présenter. La proposition de loi les préserve et en précise un certain nombre, notamment concernant l'information du mineur et la qualité de l'examen effectué.

Le Conseil constitutionnel indique également que le refus de procéder à l'examen ne saurait entraîner une présomption de majorité. Toutefois, il faut se référer au commentaire de la décision pour mesurer la portée de cette affirmation. Le Conseil constate que ce n'était pas l'intention du législateur en 2016 et indique que ce rappel « vise à répondre à l'argumentation développée par certains intervenants selon laquelle il existerait des pratiques en sens contraire ». En effet, un magistrat ayant des doutes sur l'âge d'un mineur en raison de son apparence physique et faisant face au refus de ce dernier de procéder au test pourrait être tenté de le déclarer majeur. Certains magistrats, y compris des juges des enfants, le font par manque d'éléments fiables, mais cette pratique est contraire à la loi.

En tant que législateur, nous pouvons donc inverser cette présomption dès lors que les protections persistent. En outre, d'autres éléments peuvent compléter la décision et inverser cette présomption qui n'est en aucun cas irréfragable.

Telle est, chers collègues, la présentation que je souhaitais faire de cette proposition de loi et des amendements que j'ai déposés pour l'améliorer et répondre à vos objections. La finalité de ce texte est bien de protéger les mineurs non accompagnés. J'espère que nous aurons un débat constructif sur ce sujet à propos duquel nous sommes très attendus.

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