Intervention de Antoine Savignat

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Savignat :

Il nous est proposé, par ce texte, d'instaurer diverses mesures dérogatoires du droit commun en Corse afin de faire face à la hausse du coût foncier et de l'immobilier.

L'article 1er vise à expérimenter, conformément aux dispositions de l'article 37-1 de la Constitution, un droit de préemption spécifique à la Corse, qui pourrait s'exercer dans un délai de quatre mois pour toutes les transactions supérieures à 350 000 euros. Outre la question de la revente des biens préemptés et de la détermination de ceux qui pourraient prétendre à l'acquisition, le dispositif implique de distinguer entre la population corse et la population nationale, ce qui n'est pas possible. Le parallèle avec les dispositifs ultramarins ne saurait prospérer, la Corse n'entrant pas dans le champ de l'article 74 de la Constitution. Le droit de préemption d'une collectivité limitant la liberté du propriétaire de disposer de son bien n'est considéré comme conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel que s'il est justifié par un objectif d'intérêt général et s'il ne constitue pas, compte tenu de l'objectif qu'il poursuit, une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit de propriété. Or, les motifs d'intérêt général qui sous-tendent la justification du recours au droit de préemption, dans la rédaction proposée, présente deux difficultés : l'indétermination du motif d'intérêt général relatif à la préservation de l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population corse et l'absence de garantie de la fin poursuivie car rien n'impose à la collectivité de Corse d'utiliser le bien conformément à sa destination première. Par ailleurs, comment analyser cette disposition au regard du principe d'égalité devant la loi ? Il n'est pas établi qu'en matière de pression foncière, la Corse soit dans une situation qui justifie objectivement une différence de traitement et une expérimentation qui lui soit exclusivement réservée.

L'article 2 prévoit de créer une surtaxe spécifique sur les résidences secondaires. Elle serait perçue par la collectivité de Corse dans l'ensemble du territoire de l'île afin de corriger les inégalités sociales dans l'accès à la propriété ou à la location à l'année. Cet article semble contraire aux dispositions constitutionnelles pour quatre raisons. Tout d'abord, la Corse n'est pas dans une situation qui justifierait une différence de traitement et l'attribution d'un nouveau pouvoir fiscal. Dans certains départements, le taux de résidences secondaires est supérieur ou similaire à celui de la Corse. Cette disposition pourrait rompre l'égalité devant l'impôt. La taxe annuelle sur les résidences secondaires pourrait représenter une double imposition et revêtir un caractère confiscatoire. La modulation de taux que la collectivité de Corse pourrait appliquer à l'échelle de ces communes serait contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Le pouvoir d'exonération confié à la collectivité de Corse, de par son imprécision, pourrait placer le législateur dans une situation d'incompétence négative. Il serait plus efficient s'il était cantonné aux communes des zones tendues répertoriées dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, et si la taxe était allouée aux EPCI ou aux communes pour financer l'accession à la propriété des locaux et permettre l'exercice du droit de préemption.

L'article 3 prévoit que les PLU peuvent définir des zones dans lesquelles la construction de logements à des fins de résidences secondaires ou de locations saisonnières non professionnelles n'est pas permise. C'est déjà possible grâce aux programmes de logements communaux. Surtout, cette disposition pourrait poser des difficultés d'ordre constitutionnel au titre des principes de la non-tutelle et de la libre administration s'il était considéré que la définition de ces zones, tout comme leur caractère exclusif, empiétait sur les compétences des communes en matière d'aménagement et d'urbanisme.

L'article 4 prévoit d'introduire une réponse obligatoire du Premier ministre au pouvoir de proposition d'évolutions législatives et règlementaires. Il réintroduit les dispositions visant à octroyer un droit d'expérimentation législative, adopté dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, mais censurée par le Conseil constitutionnel le 17 janvier 2002. La création d'un nouveau type d'expérimentation en application du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution relève de la loi organique et non de la loi ordinaire. Elle est, qui plus est, inutile dès lors que la Corse, comme l'ensemble des collectivités de la République, peut recourir aux expérimentations prévues aux articles LO. 1113-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.

Rien ne saurait justifier, en comparaison avec d'autres territoires, une différence de traitement et les dispositions de ce texte sont de nature à induire des inégalités devant la loi, aussi notre groupe votera-t-il contre cette proposition de loi.

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