Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • jurisprudence
  • logement
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La réunion

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La réunion débute à 9 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine la proposition de loi relative à l'évolution statutaire de la collectivité de Corse afin de lutter contre le phénomène de spéculations foncière et immobilière dans l'île (n° 3928) (M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur).

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La Corse est en proie à un phénomène de spéculation immobilière et foncière qui met en péril la possibilité, pour ses habitants, notamment les plus jeunes et les familles aux revenus médians, de s'y loger décemment, d'y vivre paisiblement et de s'y projeter durablement.

Je ne citerai que quelques chiffres : le taux de résidences secondaires en Corse, qui avoisine les 30 %, est trois fois supérieur à la moyenne nationale. Certaines villas, proches du littoral, peuvent se vendre jusqu'à 30 000 euros du mètre carré et se louent facilement 10 000 ou 20 000 euros par semaine, parfois bien plus, en haute saison. Quand on sait que le revenu médian en Corse approche les 20 000 euros annuels, ce qui est inférieur de 11 à 18 % à la moyenne nationale, on mesure l'indécence de telles transactions qui aggravent les inégalités au sein de la société insulaire.

En raison du déséquilibre entre l'offre et la demande de logements induit par cette situation et de la dynamique des prix qu'elle entretient, le coût des terrains à bâtir a connu une inflation trois fois supérieure à la moyenne nationale. Ainsi, le droit au logement est, dans les faits, largement remis en cause. Le prix des terrains n'est pas de nature à encourager la construction de logements sociaux et dans plusieurs zones, en particulier près du littoral, là où se trouvent les emplois, une grande partie des ménages ne peut accéder à la propriété pour des raisons financières.

La dynamique exponentielle à l'œuvre est mortifère et pousse dos au mur la majorité des habitants qui ont choisi de vivre toute l'année en Corse. Les résidences secondaires se vendent à prix d'or dans certains endroits très prisés, l'extrême sud, la Balagne, la rive sud d'Ajaccio, ce qui fait exploser les prix du foncier à bâtir, et par conséquent des résidences principales. La tendance gagne toutes les zones de l'île, jusqu'aux territoires ruraux et montagneux. Enfin, la viabilité économique des logements sociaux, du fait de prix du foncier de base exorbitants, est remise en question.

Enfin, la hausse des impôts de succession, touchés par la valeur spéculative des transactions, entraînera une dépossession massive des insulaires, surtout dans le contexte corse, marqué par un désordre foncier comparable à celui de la Martinique et non encore résolu. Des milliers de familles modestes ou à revenus moyens, qui régularisent leur succession afin de titrer des biens dont le dernier propriétaire connu est, très souvent, décédé avant 1900, devront vendre leur patrimoine hérité, faute de disposer des liquidités suffisantes pour payer l'impôt, lequel dépendra d'une valeur moyenne de transaction très nettement sublimée. Ce faisant, ils contribueront malgré eux à alimenter la bulle spéculative. Cette situation commande d'adopter rapidement les mesures prévues par cette proposition de loi mais aussi d'adapter la fiscalité afin qu'elle ne soit pas confiscatoire et permette d'éviter la dépossession annoncée. Ce débat, cependant, est de portée constitutionnelle et nécessite d'inscrire la Corse dans le texte suprême, ce qui ne se fera pas avant cinq ou dix ans. Or, il y a urgence. Nous devons agir hic et nunc, ici et maintenant. Les fractures économiques, sociales, territoriales et morales sont immenses. La rupture d'égalité est manifeste : les insulaires ont des difficultés pour accéder au logement, à la propriété et à l'emploi, mais aussi pour créer une activité économique du fait de l'absence de maîtrise foncière.

Le caractère d'île-montagne, en termes topographiques et géographiques, et la situation que je viens d'évoquer, accentuent la rupture d'égalité par la rareté foncière aiguë qui en découle. Ce constat est largement partagé. Il n'est l'apanage d'aucun clan et d'aucune majorité politique. Le Président de la République lui-même a reconnu, lors du discours qu'il a prononcé à Bastia le 7 février 2018, que le logement était devenu un problème endémique sur l'île, trop de personnes ne pouvant s'y loger décemment, notamment les jeunes.

Aucun des représentants des trois ministères que j'ai entendus dans le cadre de mes travaux, pas plus que les autres personnes auditionnées, n'ont remis en cause ce constat alarmant ni le grave péril qui menace la Corse, bien au contraire.

J'ai bien conscience que le chemin juridique dans lequel s'engage cette proposition de loi est étroit mais il convient d'agir vite, de manière proportionnée, à droit constitutionnel constant, tant la situation est urgente. Dans la Constitution, la Corse est encore considérée comme une simple collectivité à statut particulier au sens de l'article 72. C'est une situation peu cohérente, au regard de la spécificité géographique, historique, linguistique et culturelle de ce territoire au sein de la République mais aussi de l'organisation institutionnelle singulière dont elle bénéficie depuis 1982. Le projet de loi constitutionnelle qui devait être discuté en 2018 faisait entrer la Corse dans la Constitution. Son abandon, dans les circonstances que l'on connaît, ne facilite pas le développement de solutions appropriées et spécifiques aux problématiques de l'île, en particulier foncières. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter des outils de droit commun invoqués par le Président de la République, comme les documents d'urbanisme ou la simplification des procédures. Ils ne suffisent pas pour combattre les mécanismes en œuvre et les forces parfois occultes, qui ont intérêt à spéculer sur le terreau de cette île de beauté préservée en Méditerranée. Trois ans après le discours de Bastia, rien n'a changé. La situation est beaucoup trop grave pour que nous puissions attendre une hypothétique prochaine révision constitutionnelle.

Par cette proposition de loi, je vous propose de répondre, à droit constitutionnel constant, au problème du foncier, dans les articles 1er à 3, et à celui des compétences normatives de la collectivité de Corse, à l'article 4. J'ai eu à cœur de tenir compte des remarques qui m'ont été faites tout au long des nombreuses auditions que j'ai menées. Je défendrai donc des amendements pour réécrire les articles 1er et 2 afin d'en renforcer l'efficacité, la solidité juridique et l'opérationnalité.

L'article 1er prévoit d'instaurer à titre expérimental, pour cinq ans, un droit de préemption spécifique au profit de la collectivité de Corse, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution. Conformément à l'objet de la proposition de loi, ce droit ne concernerait que les aliénations à titre onéreux supérieures à un certain montant. Un décret en Conseil d'État, pris après avis de l'Assemblée de Corse, déterminerait le seuil, exprimé en prix au mètre carré, à partir duquel le droit de préemption pourrait s'appliquer dans les zones concernées. Pour couper court à d'éventuelles craintes, précisons que l'exercice de ce droit ne concurrencerait pas les droits de préemption qui existent pour les autres collectivités.

Cet article se justifie tout d'abord par le fait que la collectivité élabore le plan d'aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC) avec lequel les schémas de cohérence territoriale (SCOT), les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) doivent être compatibles. Par ailleurs, les communes et les intercommunalités n'ont pas du tout les moyens financiers, en Corse, de rendre efficace un droit de préemption urbain, si du moins elles le détenaient car 80 % ne peuvent l'exercer en l'absence de PLU approuvé. En effet, les valeurs immobilières sont exponentielles tandis que les budgets restent très étriqués, pour différentes raisons – communes de petite taille, très faible densité démographique, faiblesse des revenus de la population, poids surdimensionné du budget de la collecte et du traitement des déchets. Par ailleurs, la collectivité de Corse est la seule, de dimension régionale, dotée de la clause de compétence générale. Elle est, à ce titre, un acteur institutionnel incontournable, partenaire des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à travers ses fonds dédiés : règlements d'aides aux communes, fonds de territorialisation, fonds Montagne etc.

Il ne sert à rien de créer un droit de préemption si son titulaire n'a pas les moyens d'en user. Aussi l'article 2 permet-il à l'Assemblée de Corse de créer une taxe sur les résidences secondaires assise sur la valeur vénale réelle du bien considéré. Le produit de cette taxe lui reviendrait et plusieurs garde-fous sont prévus pour qu'elle ne frappe pas aveuglément les patrimoines familiaux ou les propriétaires modestes. Les résidences dont la valeur vénale est inférieure à un certain seuil ne seraient pas concernées. Par ailleurs, l'Assemblée de Corse pourra prévoir des exonérations sur critères sociaux ou des modulations au niveau communal à partir d'autres critères, fixés dans l'article. L'amendement de réécriture globale que je vous proposerai vise à ce qu'un décret soit pris en Conseil d'État, après avis de l'Assemblée de Corse, pour déterminer les modalités pratiques de la mise en œuvre de cette taxe, notamment le seuil, exprimé en prix au mètre carré, au-delà duquel celle-ci s'applique.

L'article 3 prévoit de créer, via le PADDUC, des zones sans activité de grande distribution et de location de meublés touristiques de type AirBnb. L'aménagement du territoire doit d'abord répondre aux besoins de la population locale, qu'il s'agisse de logements ou d'activité économique. Dès lors, il est important que les documents d'urbanisme permettent de répondre à ces besoins en excluant certaines activités de certaines zones. Le phénomène de résidentialisation secondaire tel qu'il s'est développé dans l'île altère non seulement le besoin impérieux de logement permanent mais aussi l'impératif de bonne gestion des deniers publics, au regard du surcoût lié au nécessaire dimensionnement des réseaux supportés par les communes et la collectivité de Corse – routes, eau, assainissement, électrification, dépenses de secours et d'incendie – proportionnés à l'accroissement saisonnier du nombre de touristes et au mitage provoqué par le phénomène.

Enfin, l'article 4 traite des compétences normatives de la collectivité de Corse, à laquelle il ouvre une faculté d'adaptation législative à titre expérimental. Lorsque des dispositions législatives présentent, pour l'exercice de ses compétences, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, la collectivité de Corse peut demander à expérimenter des mesures qui relèvent de ce champ.

L'article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales confère déjà à la collectivité de Corse la capacité de proposer la modification ou l'adaptation des dispositions réglementaires ou législative qui la concernent. Cependant, ces dispositions sont, dans la pratique, restées lettre morte même si vous me direz qu'au bout du compte, une loi n'est pas nécessaire pour écrire un courrier au Parlement ou au cabinet du Premier ministre. Le constat que je dresse ne donne pas lieu à polémique : il est partagé par de nombreux juristes. Je souhaite que cet article permette de mettre fin à la situation absurde qui veut que, quarante après le premier acte de la décentralisation, la Corse soit encore laissée à l'écart de la détermination des règles qui la concernent.

Cette proposition de loi, assurément, s'inscrit dans un certain contexte législatif. Dans quelques mois, notre assemblée examinera le projet de loi dit 4D dont l'un des D vaut pour « Différenciation ». Le moment est peut-être venu de reconnaître que l'égalité formelle, l'égalitarisme, est souvent la source des plus grandes inégalités et injustices.

Nous devons à tous les Corses, ceux d'origine et ceux d'adoption, qui choisissent d'y vivre toute l'année, de contrecarrer le scandale de la spéculation foncière et immobilière. Voulons-nous que les insulaires n'aient le choix qu'entre partir, être dépossédés ou devenir des indiens dans la réserve ? Voulons-nous vraiment envoyer le signal que la démocratie et le droit sont impuissants et sourds aux préoccupations légitimes des insulaires quand elles sont démocratiquement exprimées, à une large majorité, à intervalles réguliers, depuis des années ? Ce ne serait ni juste ni de très bon augure quand on connaît l'histoire de ce pays ainsi que le lien charnel et culturel profond qu'ont les insulaires à leur terre. Nous avons la responsabilité et le devoir d'agir. Je vous invite à passer de la parole aux actes. Tel est le sens du texte soumis à l'approbation de la commission des Lois. La Corse et les Corses nous regardent et espèrent : ne décevons pas leurs attentes.

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Cette proposition de loi tend à résoudre des problèmes identifiés depuis un certain temps en Corse. Nous analyserons au cas par cas chacun des quatre articles principaux de ce texte mais, d'ores et déjà, nous saluons le travail du rapporteur qui a tenu compte, au travers des amendements qu'il a déposés depuis nos auditions, des remarques des députés ou des personnes entendues.

L'article 1er vise à expérimenter un droit de préemption spécifique à la Corse. La spéculation foncière est un fléau pour l'île et nous devons en débattre. Les modifications apportées au dispositif initial semblent aller dans le bon sens et il est probable que nous les votions.

En revanche, nous ne pourrons suivre la position du rapporteur concernant la création d'une taxe sur les résidences inoccupées même si nous sommes conscients des problèmes que posent la spéculation et les agissements de certains investisseurs, qui avancent masqués dans certaines parties du territoire pour engranger des bénéfices incommensurables.

L'article 3, qui aborde les questions d'urbanisme, mérite toute notre attention. Nous avons proposé un amendement que le rapporteur souhaite sous-amender. Nous en discuterons dans un esprit constructif.

Quant au droit d'expérimentation législative, prévu à l'article 4, l'État doit reconnaître qu'il ne s'en est pas occupé depuis que le territoire et la collectivité territoriale sont dotés de ces spécificités. En effet, la collectivité territoriale, depuis plus de dix ans, n'a jamais obtenu la moindre réponse des pouvoirs publics.

C'est, en tout cas, dans un esprit bienveillant que nous aborderons l'examen des articles.

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Il nous est proposé, par ce texte, d'instaurer diverses mesures dérogatoires du droit commun en Corse afin de faire face à la hausse du coût foncier et de l'immobilier.

L'article 1er vise à expérimenter, conformément aux dispositions de l'article 37-1 de la Constitution, un droit de préemption spécifique à la Corse, qui pourrait s'exercer dans un délai de quatre mois pour toutes les transactions supérieures à 350 000 euros. Outre la question de la revente des biens préemptés et de la détermination de ceux qui pourraient prétendre à l'acquisition, le dispositif implique de distinguer entre la population corse et la population nationale, ce qui n'est pas possible. Le parallèle avec les dispositifs ultramarins ne saurait prospérer, la Corse n'entrant pas dans le champ de l'article 74 de la Constitution. Le droit de préemption d'une collectivité limitant la liberté du propriétaire de disposer de son bien n'est considéré comme conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel que s'il est justifié par un objectif d'intérêt général et s'il ne constitue pas, compte tenu de l'objectif qu'il poursuit, une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit de propriété. Or, les motifs d'intérêt général qui sous-tendent la justification du recours au droit de préemption, dans la rédaction proposée, présente deux difficultés : l'indétermination du motif d'intérêt général relatif à la préservation de l'appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population corse et l'absence de garantie de la fin poursuivie car rien n'impose à la collectivité de Corse d'utiliser le bien conformément à sa destination première. Par ailleurs, comment analyser cette disposition au regard du principe d'égalité devant la loi ? Il n'est pas établi qu'en matière de pression foncière, la Corse soit dans une situation qui justifie objectivement une différence de traitement et une expérimentation qui lui soit exclusivement réservée.

L'article 2 prévoit de créer une surtaxe spécifique sur les résidences secondaires. Elle serait perçue par la collectivité de Corse dans l'ensemble du territoire de l'île afin de corriger les inégalités sociales dans l'accès à la propriété ou à la location à l'année. Cet article semble contraire aux dispositions constitutionnelles pour quatre raisons. Tout d'abord, la Corse n'est pas dans une situation qui justifierait une différence de traitement et l'attribution d'un nouveau pouvoir fiscal. Dans certains départements, le taux de résidences secondaires est supérieur ou similaire à celui de la Corse. Cette disposition pourrait rompre l'égalité devant l'impôt. La taxe annuelle sur les résidences secondaires pourrait représenter une double imposition et revêtir un caractère confiscatoire. La modulation de taux que la collectivité de Corse pourrait appliquer à l'échelle de ces communes serait contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Le pouvoir d'exonération confié à la collectivité de Corse, de par son imprécision, pourrait placer le législateur dans une situation d'incompétence négative. Il serait plus efficient s'il était cantonné aux communes des zones tendues répertoriées dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, et si la taxe était allouée aux EPCI ou aux communes pour financer l'accession à la propriété des locaux et permettre l'exercice du droit de préemption.

L'article 3 prévoit que les PLU peuvent définir des zones dans lesquelles la construction de logements à des fins de résidences secondaires ou de locations saisonnières non professionnelles n'est pas permise. C'est déjà possible grâce aux programmes de logements communaux. Surtout, cette disposition pourrait poser des difficultés d'ordre constitutionnel au titre des principes de la non-tutelle et de la libre administration s'il était considéré que la définition de ces zones, tout comme leur caractère exclusif, empiétait sur les compétences des communes en matière d'aménagement et d'urbanisme.

L'article 4 prévoit d'introduire une réponse obligatoire du Premier ministre au pouvoir de proposition d'évolutions législatives et règlementaires. Il réintroduit les dispositions visant à octroyer un droit d'expérimentation législative, adopté dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, mais censurée par le Conseil constitutionnel le 17 janvier 2002. La création d'un nouveau type d'expérimentation en application du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution relève de la loi organique et non de la loi ordinaire. Elle est, qui plus est, inutile dès lors que la Corse, comme l'ensemble des collectivités de la République, peut recourir aux expérimentations prévues aux articles LO. 1113-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.

Rien ne saurait justifier, en comparaison avec d'autres territoires, une différence de traitement et les dispositions de ce texte sont de nature à induire des inégalités devant la loi, aussi notre groupe votera-t-il contre cette proposition de loi.

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Nous avons abordé ce texte avec une grande bienveillance, nous aussi.

Nous saluons la création, à titre expérimental, d'un droit de préemption spécifique à la Corse car, tel qu'il existe aujourd'hui, le droit de préemption ne permet pas aux collectivités locales de répondre à toutes les situations qui se présentent. Ce constat vaut pour d'autres territoires métropolitains. L'idée est de faire évoluer le droit de préemption pour permettre aux collectivités d'empêcher des désordres et des dérives d'ordre juridique.

Pour ce qui est de la taxe, je dirai à M. Savignat que son argument ne tient pas et je vais lui expliquer pourquoi il faut créer une taxe spécifique à la Corse. Connaissez-vous un autre État de l'Union européenne où il a été versé 30 à 40 % de la valeur d'un bien à des contribuables pour qu'ils construisent une résidence secondaire, la louent durant cinq ans quitte à concurrencer les hôtels voisins, et la revendent au terme de ce délai sans payer de taxe sur la plus-value immobilière ? Pour vous donner un exemple précis, un contribuable a construit, quelque part, une résidence secondaire à 3 millions d'euros. L'État lui a fait un chèque de 900 000 euros. Il a loué sa résidence secondaire entre 20 000 et 40 000 euros la semaine avant de la revendre, cinq ans plus tard, 9 millions d'euros, sans taxe sur la plus-value. Ce paradis fiscal, c'est la Corse. Les grands cabinets fiscalistes incitaient d'ailleurs à investir en Corse ! Heureusement, depuis deux ans, notre assemblée a mis un terme au dispositif de crédit d'impôt corse, pour ce qui concerne l'hôtellerie, mais ceux qui ont investi avant 2019 continuent à bénéficier de cet avantage fiscal. Il ne me paraît donc pas scandaleux que la puissance publique essaie de récupérer un peu d'argent sur l'exploitation du bien ou sur sa revente. En effet, revendre une résidence secondaire exonérée de taxation sur la plus-value et qui aura été financée à hauteur de 40 %, c'est de l'enrichissement sans cause. Arrêtons cette gabegie. La création d'une taxe spécifique me semble la moindre des choses.

Concernant les documents d'urbanisme, nous travaillerons avec le groupe La République en Marche (LaRem) qui a déposé un amendement. Quant à l'expérimentation législative, il serait temps, en effet, de tenir compte du statut juridique particulier de la Corse. Là encore, l'article 4 de ce texte recevra toute notre bienveillance.

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Il est très important de dénoncer la situation foncière et immobilière ainsi que la bulle spéculative qui entraînent la dépossession des insulaires. Je remercie le rapporteur de l'avoir fait. Cette proposition de loi est ambitieuse car le chemin juridique est complexe. On ne peut que regretter que ces questions n'aient pas été abordées dans le cadre d'un projet de loi, ce qui aurait imposé une étude d'impact qui, elle, n'aurait pas été réalisée par un cabinet privé.

Vous vous êtes donc attaqué, monsieur le rapporteur, à ces questions complexes après avoir constaté que rien n'avait changé depuis des années. Il est en effet utile d'en débattre, les citoyens corses le méritent, même si le risque constitutionnel existe. Nous adopterons, nous aussi, une approche article par article, d'autant plus que vos amendements modifient la rédaction initiale des articles 1er et 2.

Concernant le droit de préemption, vous arrivez presque à nous convaincre que ce droit spécifique à la Corse, s'il interroge la République une et indivisible que nous aimons tous, répond également à la particularité du statut de la Corse. C'est vrai, le droit de préemption actuel est très encadré et contraint : ce constat pourrait conduire à se pencher sur son application dans l'Hexagone.

Cette proposition de loi vise à garantir l'équilibre entre la liberté d'acquisition et la résorption de la dépossession foncière et immobilière.

Pour ce qui est de la logique de différenciation et d'expérimentation, elle me semble avoir toute sa place dans cette proposition de loi dès lors qu'il s'agit de traiter une rupture d'égalité. Nous devons prendre des mesures qui vont plus loin, non seulement pour la Corse mais pour le reste du territoire. Ce sujet, d'intérêt général, doit tous nous préoccuper. La Corse fait en effet partie de la République.

La population corse augmente deux fois plus rapidement que la moyenne française. Les conséquences sont nombreuses : sa langue et sa culture disparaissent progressivement, elle se sent dépossédée de son identité et a le sentiment d'avoir perdu son âme. Sur le plan écologique, la bétonisation de l'île pose un problème grave et, d'un point de vue économique, la précarité s'accentue.

Face à ces constats, un texte de compromis et préventif, débattu au Parlement, nous semble préférable à une réponse qui ne ferait qu'aggraver le repli communautaire et les tensions. Notre groupe accueille avec intérêt ce texte.

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Cette proposition de loi s'inscrit directement dans le besoin de différenciation singulièrement exprimé par la Corse dans la limite de ce qui est permis par la loi et la Constitution. Ce besoin de différenciation mérite des évolutions proportionnées. Ce texte aborde diverses problématiques relatives à la Corse. Selon un rapport de l'INSEE paru en octobre 2015, les touristes ont dépensé 2,5 milliards d'euros dans l'île, ce qui représente 31 % du produit intérieur brut régional. L'attractivité de l'île de beauté pousse de nombreux acheteurs fortunés à y investir pour des résidences secondaires ou dans un but locatif. Les chiffres pointés par une étude de l'agence corse d'urbanisme, en décembre 2019, en témoignent : à l'échelle de la France, le prix moyen au mètre carré d'un terrain à bâtir a augmenté en moyenne de 68 % entre 2006 et 2017. Durant la même période, dans l'île, la hausse s'élève à 138 %. De surcroît, tandis que le coût du foncier a augmenté en moyenne deux fois plus vite que celui du logement sur le continent, sa progression a été quatre fois plus rapide en Corse – 138 % contre 36 %. L'immobilier corse est un marché captif et hyper concentré. Par ailleurs, 20 % des Corses vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous devons apporter des réponses innovantes tout en trouvant des points d'équilibre. M. Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, l'a souligné durant les auditions : selon un proverbe corse, demander est toujours permis, et même s'il est peu probable que la réponse soit positive. Nous comprenons donc la détermination avec laquelle le groupe Libertés et territoires se bat pour cette proposition de loi. Pourtant, l'article 1er pose la question de l'atteinte portée à deux principes constitutionnels. D'une part, il ne s'appuie pas suffisamment sur un motif d'intérêt général et les garanties voisines à ce principe. D'autre part, en vertu du principe d'égalité devant la loi, la Corse a beau disposer d'un statut spécifique, il faudrait justifier qu'au regard des autres situations sur le continent, elle souffre de singularités exacerbées et manifestes.

Alors que l'article 2 prévoit de créer une taxe annuelle sur les résidences secondaires, des contraintes constitutionnelles demeurent. Il est impératif de prouver la spécificité corse. Or, la Corse n'est pas la seule concernée par un taux élevé de résidences secondaires – je pense notamment à la Côte d'Azur. Par ailleurs, cette taxe présenterait un caractère confiscatoire en s'ajoutant à d'autres impositions. Enfin, la modulation du taux, placée entre les mains de la collectivité de Corse, serait contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Si nous ne perdons pas de vue que les spécificités territoriales de la Corse méritent d'être prises en compte, nous estimons que les dispositions prévues par ce texte instaurent une différenciation disproportionnée. Je préfèrerais débattre de la différenciation corse dans le cadre du prochain projet de loi dit 4D. Par conséquent, à titre personnel, je m'abstiendrai sur ce texte.

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Cette proposition de loi vise à concrétiser une promesse du Président de la République qui, à ce jour, n'a toujours pas été tenue. Le statut particulier de la Corse devait être reconnu dans la Constitution, en 2018. C'était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron qu'il avait transformée en engagement une fois élu. Cette inscription dans la Constitution ouvrait la voie vers l'instauration de réponses législatives plus adaptées aux spécificités de la Corse, qu'il s'agisse de l'insularité, de la faible densité, de la pression foncière et immobilière, de la déperdition de la langue, de l'identité, de la culture qui font la richesse de cette île. Face à l'abandon brutal de cette réforme en juillet 2018, il me semble crucial que nous puissions faire évoluer le statut de la Corse à droit constitutionnel constant. L'article 4 prévoit ainsi d'octroyer un droit d''expérimentation à la collectivité de Corse. Cette mesure nous semble la plus adaptée pour faire évoluer le statut de la Corse dans le respect de la Constitution. Ainsi, nous sommes en phase avec la politique du Gouvernement qui souhaite favoriser le recours aux expérimentations. La ministre Jacqueline Gourault n'avait-elle pas déclaré que la solution résidait dans la différenciation ?

Cette proposition de loi vise également à répondre au problème le plus urgent, celui de la spéculation immobilière galopante : 37,2 % du parc de logements de l'île est déjà composé de résidences secondaires, soit quatre fois plus que sur le continent. Ces logements intermittents, souvent possédés par des personnes qui n'ont pas de lien avec l'île, font flamber les prix. Entre 2006 et 2019, le coût du logement a augmenté deux fois plus vite en Corse que sur le continent, et le coût du foncier, quatre fois plus vite. Se loger est devenu extrêmement difficile pour un Corse, d'autant plus qu'un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et que le revenu annuel y est plus faible que sur le continent. L'offre de logement social y est également plus réduite – 10 % contre 17 %.

Il est donc essentiel de prendre des mesures législatives spécifiques à même de répondre à la situation. On peut toujours parler de la Corse avec légèreté, en souriant, comme d'un folklore local, mais nous, nous en souffrons ! Chaque jour, nous voyons s'effondrer notre univers. C'est cela qu'il faut comprendre. Pour faire face à cette situation qui nous touche au plus profond de nous-mêmes, ce texte propose des mesures proportionnées. Vous parlez de rupture d'égalité mais, au quotidien, c'est notre communauté insulaire qui la subit. Cette communauté, rappelons-le, est ouverte. Elle repose sur un sentiment d'appartenance. Chaque jour, depuis l'empire romain, des hommes et des femmes de toutes origines sont venus s'y fondre. La population de la Corse a doublé depuis 1970, exclusivement du fait de l'excédent migratoire. Je vous laisse en imaginer la signification. Le mouvement s'accélère encore au point de ne plus pouvoir être contrôlé. Chaque jour, vingt et une personnes s'installent en Corse et sept en repartent.

Le rapporteur a fourni un travail considérable, à l'issue des nombreuses auditions qu'il a menées, pour parvenir à un terrain d'entente. Il nous est proposé un triptyque de mesures : un droit de préemption accordé à la collectivité de Corse, composée à 80 % de toutes petites communes, le financement de ce droit par une taxation juste qui respecte le principe d'égalité des citoyens devant l'impôt – le système d'une taxe sur les résidences secondaires les plus onéreuses existe déjà en Île-de-France, du reste –, enfin la collectivité de Corse doit pouvoir s'appuyer sur les documents d'urbanisme afin de favoriser l'accès au logement des habitants.

Il est temps de reconnaître les difficultés spécifiques de notre île, de prendre en compte la volonté exprimée à chaque élection par une majorité d'électeurs. En Corse, c'est également une grande majorité d'élus, en particulier des maires, qui soutiennent ce texte.

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Monsieur le rapporteur a fort bien décrit cette pression foncière et immobilière, dont les conséquences sont très importantes sur les prix au mètre carré au point de rendre parfois l'accès au logement très difficile pour les Corses. Il formule donc un certain nombre de propositions à droit constitutionnel constant, la réforme constitutionnelle de 2018 n'ayant hélas pas pu aboutir – le groupe UDI-I est favorable à l'inscription de la Corse dans la Constitution, au sein de la République, avec sa culture et son identité.

Cette proposition de loi formule trois axes.

S'agissant du droit de préemption spécifique et de son élargissement à titre expérimental, je m'associe aux propos de M. Pupponi : la Corse est en effet loin d'être le seul territoire à faire face à une très forte spéculation immobilière – que l'on songe aux départements qui bordent l'Île-de-France à la suite de la crise sanitaire ou qui ont des attraits touristiques particuliers. Il est difficile d'y assurer à la fois la présence d'un habitat principal et de résidences secondaires. Peut-être un élargissement de l'expérimentation envisagée serait-il donc précieux.

La taxation spécifique sur les résidences secondaires perçue par la collectivité de Corse peut quant à elle s'inscrire dans le cadre de la clause générale de compétence mais sans doute aurait-il été possible d'envisager une répartition différente de son produit, en en faisant bénéficier les communes ou les intercommunalités, celles-ci disposant d'un certain nombre de compétences, notamment, en matière de logement. Peut-être un système mixte pourrait-il être imaginé ?

Enfin, l'expérimentation législative fait écho à ce que nous avons voté récemment et nous ne pouvons qu'y être favorables, en souhaitant là encore que d'autres territoires comparables puissent éventuellement en bénéficier.

Notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.

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Nos collègues du groupe Libertés et Territoires proposent un texte visant à lutter contre le phénomène de spéculation foncière et immobilière en Corse. Notre groupe ne peut qu'approuver cette volonté de combattre la spéculation, l'accaparation par les riches, la destruction de tout par la marchandisation, l'exclusion des classes sociales les moins favorisées.

En effet, la spéculation foncière et immobilière fait des ravages en Corse comme ailleurs afin de tirer de juteux profits du tourisme de masse. Peu importe les conséquences sur les populations ! Or, elles sont terribles. Les achats à visée touristiques accaparent tous les logements disponibles, les lieux sont vidés de leur population, sur-occupés pendant les vacances d'été et fantomatiques l'hiver.

L'absence ou la faiblesse de régulation entraînent de graves problèmes d'accès au logement. Les logements disponibles sont donc accaparés, jamais loués à l'année, les habitants sont chassés au loin et les trajets pour aller travailler s'allongent.

Peu à peu, les lieux sont artificialisés, entièrement consacrés au tourisme, et les spécificités qui font leur charme sont folklorisées et muséifiées pour en tirer le plus d'argent possible. Même la beauté du paysage est mercantilisée !

Le problème de l'indisponibilité des logements s'aggrave d'année en année en Corse. Entre 2006 et 2019, les coûts du logement et du foncier ont respectivement augmenté deux et quatre fois plus vite sur l'île que sur le continent alors qu'un Corse sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En moyenne, les loyers sont très élevés ; on compte seulement 10 % de logements sociaux, ce qui est le taux le plus faible de la France métropolitaine ; enfin, 90 000 logements sont des résidences secondaires, soit, près de 30 % du parc de logements contre 9 % en France métropolitaine – ce phénomène se retrouve ailleurs, même s'il est particulièrement prégnant en Corse : selon les chiffres donnés par le rapporteur, seul le département des Hautes-Alpes a un taux supérieur. Certaines communes, comme Porto-Vecchio ou Bonifacio comptent d'ores et déjà une majorité de résidences secondaires ; 37 % sont détenues par des résidents corses, 55 % par des personnes résidantes en France continentale et 8 % à l'étranger. Ces différents facteurs expliquent la difficulté à se loger sur l'île, en particulier pour les classes populaires. Les personnes précaires, les jeunes ménages, les familles ont le plus grand mal pour trouver des logements à des prix raisonnables et à proximité de leur lieu de travail.

La combinaison de fortes inégalités de revenus et de la prédation spéculative sur les logements amplifie la crise. Des individus, seuls, ne peuvent rien faire contre la spéculation et sont incapables de surenchérir. Le coût du logement doit donc être maîtrisé par l'action publique et c'est à quoi tend cette proposition de loi, à laquelle La France insoumise est par principe favorable.

Nous sommes en effet favorables à l'élargissement du droit de préemption et à la création d'une taxe spécifique sur les résidences secondaires afin de dissuader les spéculateurs fonciers et immobiliers mais nous considérons que ce texte ne va pas assez loin. Nous avions proposé, par voie d'amendement, d'abaisser le seuil pour la surtaxe d'habitation qui existe déjà afin d'inclure un plus grand nombre de communes pouvant délibérer de cette surtaxe puisque les critères actuels ne concernent qu'Ajaccio ou Bastia alors que de nombreuses communes de zones touristiques, plus petites, en Corse mais aussi sur la Côte d'Azur ou sur la côte atlantique, sont également frappées par ce phénomène de spéculation foncière et pourraient bénéficier de ce dispositif. De plus, il ne faudrait pas que, suite à l'adoption de ce texte, la spéculation se déplace. Malheureusement, comme la majorité en a la sinistre habitude, l'irrecevabilité s'est appliquée et nous ne pouvons donc en débattre.

Enfin, nous sommes favorables à la planification écologique et, plus généralement, à la planification des activités. Ainsi, les plans locaux d'urbanisme doivent définir des zones dans lesquelles la construction de logements destinés à devenir des résidences secondaires ou des locations saisonnières non professionnelles ne serait plus permise afin d'éviter la création de villes fantômes.

Nous sommes en revanche réservés sur l'article 4. En effet, nous ne sommes pas favorables à la différenciation territoriale et au bricolage auxquels le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution voté il y a quinze jours conduiront inéluctablement. La mise en concurrence des territoires conduira immanquablement au moins-disant social et environnemental, à l'instauration de règles illisibles, variables selon les régions ou les départements.

La spécificité corse n'a pas besoin d'être démontrée en raison notamment de son insularité. Dès lors, nous sommes d'accord pour réfléchir à la place de l'île dans le système institutionnel, dans le cadre de l'article 74 de la Constitution, et nous regrettons en l'occurrence de ne pas pouvoir le faire.

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Nous portons sur cette proposition de loi un regard plutôt positif même si nous discuterons avec son rapporteur de l'opportunité de déposer des amendements en séance publique.

La question du patrimoine, en particulier foncier, est l'un des facteurs de l'accroissement des inégalités. Un grand résistant corse, Jean Nicoli, assassiné en 1943 par les Chemises noires, évoquait déjà les « spoliés de la terre ». L'Île-de-France et la Corse ont au moins un point commun : ce sont les deux régions où les inégalités de revenus entre les plus riches et les plus pauvres sont les plus importantes. De tels écarts, contrairement à ce que l'on pourrait penser, sont notamment liés à la question du patrimoine, comme le montrent les travaux de Thomas Piketty. Tous les mécanismes de défiscalisation instaurés par tous les gouvernements successifs ont plutôt accéléré le développement de ces inégalités et il est donc temps de les réorienter.

Il me paraîtrait intéressant d'adosser le droit de préemption à un intérêt anti spéculatif car la lutte contre la spéculation foncière et immobilière relève de l'intérêt public. Le droit de propriété est cependant placé si haut dans notre pays que toute tentative d'aller en ce sens a toujours échoué – je pense par exemple à la loi ALUR : la préemption suppose toujours la construction d'une école, d'une place publique ou d'une gare.

Cette proposition de loi pourrait d'ailleurs avoir des prolongements intéressants. Plus de quarante stations de métro vont être construites dans le cadre du Grand Paris Express. Les prix de certains terrains sont parfois multipliés par quinze mais exclusivement suite à cet investissement public. Or, il est anormal de pouvoir s'enrichir en dormant : l'intérêt public consisterait à préempter assez largement pour construire des logements et que les classes populaires puissent habiter près des réseaux de transport au lieu d'être reléguées toujours plus loin.

Sauf erreur de ma part, la question de la finalité de la préemption et de son utilité ou de son orientation sociale mérite d'être précisée dans ce texte. Même si je ne suis pas un inconditionnel des expérimentations, j'ai toujours pensé qu'il est des domaines où elles sont légitimes et c'est en l'occurrence le cas afin de pouvoir garantir aux Corses de pouvoir habiter chez eux.

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Je vous remercie pour toutes vos remarques, qui témoignent de l'intérêt que vous portez à la Corse et à ce texte.

Nous essayons de trouver un chemin à droit constitutionnel constant. Ce n'est pas simple mais nous ne pouvons plus attendre. Nous sommes prêts à cheminer avec le groupe La République en Marche, tout comme nous avons réécrit les articles 1er et 2 suite aux auditions afin que le chemin de crête que nous empruntons soit juridiquement et opérationnellement sûr, en particulier en ce qui concerne le droit de préemption. D'ici à la séance publique, nous pourrons donc avancer ensemble.

S'agissant de l'article 3, l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales dispose que le PADDUC « définit les principes de l'aménagement de l'espace qui en résultent et il détermine notamment les espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que les sites et paysages à protéger ou à préserver, l'implantation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements, la localisation préférentielle ou les principes de localisation des extensions urbaines, des activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, forestières, touristiques, culturelles et sportives. » PLU, PLUi et SCOT doivent être compatibles avec cette détermination des localisations préférentielles. Je donnerai un avis favorable à l'amendement CL7 du groupe La République en Marche, qui s'inscrit tout à fait dans le sens de la loi avec les directives territoriales d'aménagement.

Non, M. Savignat, l'article 1er ne vise pas à distinguer la population corse d'autres populations. Le droit de préemption s'appliquera quelle que soit l'origine du problème, « pour des motifs d'intérêt général » dont la caractérisation est renforcée dans la deuxième rédaction que nous proposerons : logement social, accession sociale à la propriété, maintien et extension des activités économiques, mixité sociale, etc.

De plus, de nouvelles garanties sont apportées au vendeur, notamment en matière de devoir d'affectation et de droit de rétrocession si le projet d'intérêt général n'est pas mené à bien après cinq ans. Il continuera à bénéficier de droits, en amont et en aval de l'exercice du droit de préemption.

En ce qui concerne la spécificité de la Corse, le taux de résidences secondaires n'est pas seul en cause – il est en effet plus élevé en Lozère ou dans les Hautes-Alpes. C'est le cumul d'un certain nombre de contraintes qui met les Corses dos au mur : en dix ans, le taux du foncier a augmenté de 138 % en Corse contre 68 % en France continentale, soit 200 % plus vite, et c'est sans équivalent ; le taux de logement social est inférieur à la moyenne nationale et sa viabilité économique est amoindrie compte tenu du coût du foncier non bâti ; le revenu médian est inférieur de 11 % à 18 % par rapport à la moyenne nationale. Il faut également compter avec les spécificités géographiques de cette île-montagne et avec la nécessaire préservation de l'environnement. Nous sommes néanmoins favorables à une extension de cette expérience car la spéculation ne se limite bien évidemment pas à l'île.

La taxe que nous proposons n'a pas le même objet que la surtaxe sur les résidences secondaires, qui vise plutôt à financer les réseaux et les contributions publiques des communes. Elle vise la spéculation, de manière proportionnée, et à dégager une recette globale pour permettre le bon exercice du droit de préemption. Nous sommes toutefois ouverts, d'ici à la séance publique, à une adaptation de la surtaxe sur les résidences secondaires pour la Corse. Seules Bastia et Ajaccio sont en effet à ce jour concernées puisque seules les communautés urbaines de 50 000 habitants sont visées. Elle n'est pas donc applicable dans les endroits où la spéculation sévit le plus, comme l'extrême sud de l'île ou la Balagne, ce qui est une anomalie.

Le crédit d'impôt pour investissement en Corse pour les meublés de tourisme a été en effet détourné. Comme dirait notre collègue Charles de Courson, c'est « open bar ». Des promoteurs en usent et peuvent réaliser des plus-values très importantes alors qu'ils ont organisé une économie de rentes, à laquelle s'ajoutent des locations saisonnières de type Airbnb. L'État s'est ainsi fait le complice, volontaire ou non, de la spéculation, et nous en arrivons au point de rupture.

Le droit et la démocratie, Mme Untermaier, doivent permettre de trouver des solutions à une situation devenue intenable : certains territoires sont devenus de véritables zones d'exclusion pour les familles de la classe moyenne.

La collectivité de Corse dispose en effet d'un statut particulier : son exécutif doit rendre des comptes devant l'Assemblée de Corse, c'est la seule collectivité régionale disposant de la clause générale de compétence et, comme les outre-mer, elle dispose de taxes induites spécifiques en matière de transports ou sur le tabac, mais son droit à demander et le principe de courtoisie – certains constitutionnalistes évoquent plutôt, en l'occurrence, un principe de discourtoisie – n'ont jamais été respectés : sur cinquante demandes, quarante-huit non-réponses ou refus. Depuis la révision constitutionnelle de 2003, la réinsertion de l'extension du droit à l'expérimentation à partir d'un statut particulier est juridiquement défendable et, selon nous, s'impose.

Plusieurs intervenants ont insisté sur la question des écarts de revenus en Corse : les 1 % de personnes les plus riches cohabite avec les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, dont le nombre est 5 % supérieur à la moyenne nationale. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une économie du surprofit et de la rente dans certains secteurs – au premier chef, celui de l'immobilier, qui fait figure de poule aux yeux d'or.

Tout est lié, dans une petite société de 350 000 habitants.

La commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Instauration d'un droit de préemption spécifique à la Corse

La Commission est saisie de l'amendement CL10 du rapporteur.

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Conscients que, d'un point de vue juridique, nous étions sur un chemin de crête et suite aux auditions qui ont été menées, nous proposons de réécrire cet article 1er consacré à l'expérimentation d'un droit de préemption « urbain » mais étendu à l'ensemble de la collectivité.

La rédaction initiale a été modifiée : en matière de délais, pour les déclarations d'aliénations à titre onéreux, de façon à ce que le droit de préemption s'exerce de manière non concurrente avec les droits de préemption communaux, et en prévoyant un droit de rétrocession si le projet d'intérêt général n'est pas engagé dans les cinq ans.

Nous précisons également la procédure permettant de respecter le droit de propriété, conformément à nombre de droits de préemption urbains existants. Nous renforçons les motifs d'intérêt général pour lesquels ce droit de préemption peut être exercé. Il s'agit de garantir l'exercice effectif du droit au logement des Corses en privilégiant l'accession sociale à la propriété et en favorisant la mixité sociale mais, aussi, d'encourager la construction de logements sociaux, de préserver l'accès aux services publics, de développer les réseaux, les infrastructures, les équipements, de favoriser l'accueil, le maintien et l'extension des activités économiques.

Ce droit de préemption ne pourra être utilisé qu'à partir d'un certain montant au mètre carré, dont nous préconisons qu'il soit fixé par décret en Conseil d'État après avis de l'Assemblée de Corse.

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Le groupe La République en Marche votera cet amendement afin que le travail puisse se poursuivre avec le rapporteur et en séance publique sur cette question importante et complexe.

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À titre personnel, je suis plutôt favorable à la création de ce droit de préemption pour les motifs d'intérêt général qui ont été évoqués et pour prendre en compte la spécificité corse.

J'ai un doute, en revanche, sur la délégation des droits de préemption du II au président du conseil exécutif de Corse puis, éventuellement, à un office ou une agence de la collectivité. Une parfaite transparente supposerait que cela soit dévolu à l'Assemblée de Corse, avec le cas échéant une commission ad hoc, plurielle et représentative.

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Nous sommes favorables à cet article 1er, sur lequel il conviendra de travailler d'ici à la séance publique.

Autre spécificité corse : seules 20 % des communes disposent d'un droit de préemption puisque plus de 80 % d'entre elles n'ont pas de documents d'urbanisme. Sans doute aura-t-on intérêt à favoriser le droit de préemption pour la collectivité de Corse afin d'inciter les communes à s'en doter afin de promouvoir une véritable politique foncière.

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Cet amendement est intéressant mais je m'interroge.

Il n'est pas question d'apports en société alors que la loi donne la possibilité aux Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de disposer d'un droit de préemption.

Par ailleurs, la fixation d'un seuil est-elle pertinente, au risque, pour la collectivité, de ne pas pouvoir exercer son droit de préemption si le montant est inférieur au prix plancher ?

Enfin, l'amendement dispose que « À défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé selon les modalités prévues » par le code de l'urbanisme, ce qui mériterait sans doute d'être précisé.

Il n'en reste pas moins que cela va dans le bon sens dès lors, comme l'a rappelé M. Pupponi, que les communes soumises au Règlement national d'urbanisme (RNU) ne peuvent pas exercer leur droit de préemption. Vous confirmez en fait le droit de préemption existant pour les communes qui peuvent l'exercer et, subsidiairement, c'est le droit de préemption de la collectivité qui s'exercera.

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Cet amendement apporte un certain nombre de précisions, notamment sur le montant, déterminé au mètre carré plutôt qu'à partir de la valeur vénale, ce qui me paraît plus juste.

M. Mattei a raison : la question de la préemption ou d'une intervention sur les transferts de parts de sociétés civiles immobilières (SCI) est un véritable enjeu en Corse où des mécanismes assez astucieux d'investissement permettant d'échapper à l'impôt ainsi que d'autres mécanismes de défiscalisation s'appliquent parfois. Une inscription dans la loi serait bienvenue.

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Nous sommes ouverts à d'autres modifications d'ici à la séance publique, notamment sur la question des parts de sociétés et des délégations bien que, sur ce point, nous nous conformons au statut de la Corse, où le pouvoir du conseil exécutif est assez important.

J'entends l'interrogation de M. Mattei mais nous avons tenu à donner le la en matière de montant au mètre carré compte tenu du caractère territorial de ces questions, sans préjudice d'un droit de préemption des communes, si peu étendu soit-il. Si la plupart des communes restent soumises au RNU, outre la difficulté de réaliser des documents d'urbanisme pour 300 communes – sur les 365 que compte la Corse – qui n'excèdent pas 300 habitants, c'est aussi parce qu'une pression s'exerce sur les maires. Le maire de Sisco a ainsi reçu un appel anonyme à propos d'un couvent du XIVe siècle…

C'est donc l'ensemble du contexte qu'il convient d'appréhender. Nous sommes d'ailleurs soutenus par les associations des maires et présidents d'EPCI de Corse, qui voient dans ce texte non une concurrence qui leur serait faite mais une manière de se serrer les coudes et d'avancer ensemble.

La Commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2 : Création d'une taxe spécifique sur les résidences secondaires

La Commission examine l'amendement CL11 du rapporteur.

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Là encore, pour les raisons déjà évoquées, nous proposons une nouvelle rédaction de l'article : précision des taux de la taxe et des seuils d'application dans les zones déterminées en Conseil d'État, exclusion des biens indivis, souvent d'ailleurs très dégradés – dans la majorité des cas, en Corse, le dernier propriétaire connu est décédé avant 1900 et de nombreuse parcelles n'ont pas de « carte d'identité », ce qui interdit bien des choses ; inclusion des personnes morales ; encadrement des prérogatives de l'Assemblée de Corse ; renvoi au Conseil d'État de l'application de la taxe.

Il s'agit de fournir une recette proportionnée pour l'exercice du droit de préemption et d'être équitables grâce à une adaptation communale. Le statut particulier de la Corse nous invite à innover sur un plan institutionnel.

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Je regrette le choix de taxer les stocks plutôt que les flux et que vous ne vous soyez pas intéressés aux plus-values. Puisqu'il est question de spéculation, il aurait été intéressant de se pencher sur les profits dégagés suite à la vente des biens. Je suis étonné que vous n'ayez pas travaillé sur la taxe appliquée aux cessions de terrains classés en zone constructible depuis moins de 18 ans au moment de la cession dans les communes dotées de documents d'urbanisme car la « surtaxe » existe déjà par ailleurs pour les résidences secondaires et les logements vacants.

De la même manière, la question du Grand Paris Express évoquée par M. Peu devrait être discutée.

Sans doute aurait-on pu cibler une ressource permettant d'abonder un fonds pour acquérir des biens et favoriser le logement social en Corse.

Je ne suis pas sûr que ce vecteur soit le bon.

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Je comprends l'objectif de ce texte mais je trouve que le dispositif proposé est très dérogatoire au droit commun. Je suis partisan d'une meilleure insertion dans le droit commun des articles 1407 ter et 232 du code général des impôts concernant la surtaxe d'habitation pour les résidences secondaires, le droit actuel prévoyant qu'elle peut s'appliquer « dans les communes appartenant à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants ». Une extension du périmètre géographique pourrait être envisagée.

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Le groupe LaREM s'abstiendra sur cet amendement. D'une part, le risque d'inégalité devant la loi fiscale et de rupture d'égalité devant les charges publiques reste présent. D'autre part, le pouvoir d'exonération mérite d'être précisé. Je rejoins notre collègue Mattei sur le seuil de 1 % et la question des plus-values.

Un travail est donc nécessaire d'ici à la séance publique pour arriver le cas échéant à une rédaction conjointe, tenant également compte des observations de notre collègue Larrivé sur la nécessité d'éviter un mécanisme dérogatoire en s'appuyant sur les dispositions existantes.

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Le groupe MoDem s'abstiendra pour les mêmes raisons. Des solutions devraient pouvoir être trouvées d'ici à la séance.

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Le groupe Socialistes et apparentés votera pour cet amendement. Nous considérons qu'une proposition de loi ayant nécessité un tel travail mérite d'être discutée dans tous ses éléments en séance publique. Les aménagements qui viennent d'être évoqués pourront être abordés au travers d'amendements déposés à ce moment-là.

La Commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3 (art. L. 4424-9-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) : Définition par le plan d'aménagement et de développement durable de Corse de zones communales d'équilibre territorial et social

La Commission est saisie de l'amendement CL7 de M. Bruno Questel et du sous-amendement CL12 rectifié du rapporteur.

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Il s'agit d'adapter l'évolution du champ du PADDUC prévue par la proposition de loi, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales. Nous avons échangé à ce sujet avec le rapporteur et sommes favorables à son sous-amendement, qui complète à juste titre ce que nous proposons.

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La rédaction initiale permettait déjà selon nous de respecter les compétences communales et intercommunales. Néanmoins le fait de le mentionner expressément dans l'amendement n'est nullement dérangeant. Avis favorable.

Le sous-amendement vise à éviter un effet pervers, en excluant la grande distribution et les activités de location touristique de type AirBnb du champ des activités devant être favorisées au sein des zones communales d'équilibre territorial et social.

La Commission adopte le sous-amendement puis l'amendement ainsi sous-amendé.

En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé.

Article 4 (art. L. 4422‑16 du code général des collectivités territoriales) : Création d'un droit d'expérimentation législative pour la collectivité de Corse

La Commission est saisie de l'amendement CL9 du rapporteur.

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Cet amendement vise à concrétiser l'engagement du Gouvernement de renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités locales.

Le législateur avait adopté en 1991 une disposition enjoignant au Premier ministre d'accuser réception de la demande d'adaptation des règles sous quinze jours et de fixer le délai dans lequel il apportait sa réponse au fond. Le Conseil constitutionnel avait cependant censuré cette disposition de nature injonctive.

Au vu de la longue histoire d'absence discourtoise de réponse aux demandes, l'amendement propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel présentant les demandes qui lui ont été adressées ainsi que les réponses qui leur ont été apportées. Cela permettra de redonner du sens à des échanges sur des adaptations qui sont permises par le statut de la Corse.

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Le groupe LaREM s'abstiendra de manière bienveillante sur les amendements du rapporteur et sur cet article, car nous souhaitons nous inscrire dans une démarche de fond de réforme institutionnelle.

Nous regrettons la manière dont l'exécutif a traité depuis vingt ans les demandes effectuées par la collectivité de Corse en matière d'expérimentation. On voit bien qu'il s'agissait d'un leurre, d'un affichage non suivi d'effets.

Il appartient à l'exécutif de prendre ses responsabilités s'il souhaite à nouveau avancer dans la direction de l'expérimentation.

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Je tire des propos très positifs de notre collègue Questel la conclusion qu'il convient de voter pour l'amendement, ce que fera le groupe Socialistes et apparentés.

La Commission adopte l'amendement.

La Commission est saisie de l'amendement CL8 du rapporteur.

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Toujours dans l'esprit de tirer les enseignements de la longue histoire institutionnelle des trois statuts particuliers de la Corse, et tout particulièrement de celui de 2002, nous proposons la création d'une délégation parlementaire dans chaque assemblée, composée à la représentation proportionnelle des groupes. Elle serait chargée d'une évaluation continue de l'expérimentation et serait amenée à présenter des rapports d'évaluation qui peuvent conduire le législateur à mettre fin à l'expérimentation avant le terme prévu.

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Je ne voudrais pas parler en votre nom, madame la présidente, mais n'est-ce pas précisément un travail pour la commission des Lois ? Créer une délégation ad hoc ne me semble pas opportun.

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Je vois dans cet amendement la manifestation d'un attachement indéfectible des parlementaires insulaires à la République et à ses institutions, ce que je trouve plutôt positif. Mais je pense aussi que ce travail relève exclusivement de notre Commission, donc je souhaiterais le retrait de l'amendement. Je ne voudrais pas qu'une abstention, même malveillante, conduise à son adoption.

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Si la commission des Lois s'engage à faire de manière régulière des évaluations des expérimentations, je ne vois que des avantages à le retirer. C'est donc bien un engagement ?

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Vous connaissez notre attachement à nos missions constitutionnelles d'évaluation et de contrôle, que nous entendons bien accomplir le plus ardemment possible.

L'amendement est retiré.

La Commission adopte l'article 4 modifié.

Article 5 : Gage financier

La Commission adopte l'article 5 sans modification.

La Commission adopte l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

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Je vous remercie pour ce débat constructif sur un sujet qui n'était pas évident pour tous : la Corse. C'est un signe essentiel pour l'avenir, pour renouer les liens et construire quelque chose qui ait du sens, notamment au regard des fractures qui ont été évoquées. Tous les Corses vous remercient.

La Commission examine la proposition de loi organique limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive (n° 366) (M. Charles de Courson, rapporteur).

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À titre liminaire, je vous remercie de m'accueillir à la commission des Lois. Élu depuis vingt-huit ans, je suis un habitué de la commission des finances qui, par nature, est l'enceinte privilégiée des discussions budgétaires et fiscales, notamment lors de l'examen des projets de loi de finances. La proposition de loi que j'ai déposée il y a près de quatre ans et qui nous réunit ce matin relève du niveau organique, ce qui explique la compétence de votre commission.

Cette proposition de loi organique poursuit un objectif très clair : limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives. Avant de détailler le contenu de ce texte et les raisons qui m'ont poussé à le présenter dans le cadre de la journée réservée de mon groupe, je tiens à rappeler quelques éléments de définition de la rétroactivité fiscale, afin de préciser les trois réalités que recouvre cette notion.

Premièrement, la « petite rétroactivité », ou « rétrospectivité », correspond au principe selon lequel les dispositions fiscales prévues par la loi de finances pour l'année N+1 s'appliquent à l'ensemble des opérations réalisées au cours de l'année N. Concrètement, les modifications du taux ou de l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés prévues par la loi de finances promulguée à la fin de l'année N s'appliquent aux revenus et bénéfices intervenus au cours de l'année N, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de ces modifications. Il ne s'agit pas formellement d'une rétroactivité dans la mesure où l'entrée en vigueur de la loi de finances intervient en pratique quelques jours avant la date à laquelle est réalisé le fait générateur de l'impôt, qui correspond pour l'impôt sur le revenu au 31 décembre de l'année N, pour l'impôt sur les sociétés à la clôture de l'exercice annuel, et pour la taxe sur la valeur ajoutée à la date de livraison, s'il s'agit d'un bien, ou à la date de paiement, s'il s'agit d'un service.

Deuxièmement, la « grande rétroactivité » ou « rétroactivité juridique » se caractérise lorsque les dispositions fiscales s'appliquent à des faits générateurs d'imposition qui sont déjà intervenus au moment où elles entrent en vigueur.

Troisièmement, la « rétroactivité économique » – la plus subtile – correspond à la modification pour l'avenir des règles fiscales sous l'empire desquelles les contribuables ont fondé leurs décisions économiques, décisions qui sont donc antérieures à la modification de ces règles. Bien que ces mesures fiscales modificatives n'emportent pas d'effet rétroactif au sens strictement juridique, elles peuvent bouleverser les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles se sont appuyés les particuliers ou les entreprises afin de déterminer leur choix d'épargne, d'investissement ou de production. Ces évolutions font donc brutalement évoluer les règles applicables à des situations en cours.

Pour illustrer cette « rétroactivité économique », permettez-moi de prendre un exemple concret, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un contentieux devant le Conseil d'État. La loi de finances pour l'année 2000 a brutalement supprimé un crédit d'impôt en faveur des entreprises créatrices d'emplois, lequel avait été instauré pour une durée initiale de trois ans par la loi de finances pour 1998. Certes, cette abrogation ne valait que pour l'avenir, mais elle a complètement déstabilisé des entreprises qui avaient choisi de recruter du personnel en pensant de bonne foi pouvoir ainsi bénéficier d'un avantage fiscal sur une durée de trois ans, soit jusqu'au 1er janvier 2001. Le Conseil d'État, dans sa grande sagesse, a donné raison à l'entreprise requérante et tort au ministère des finances, en estimant à juste titre que cette abrogation anticipée avec effet immédiat avait méconnu les « effets légitimement attendus » par l'entreprise bénéficiaire au regard de la durée de vie prévisionnelle de trois ans de cet avantage fiscal.

Pour reprendre la belle formule du professeur de droit Maurice Cozian, cela revient à ce que l'État dise aux contribuables : « Jouez d'abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! »

La rétroactivité des dispositions fiscales doit donc être contrôlée et mieux encadrée.

Je ne pense pas qu'il soit possible ni même opportun de remettre en cause la première rétroactivité que j'ai mentionnée, c'est-à-dire le caractère « rétrospectif » de la loi de finances.

En revanche, s'agissant des deux autres, c'est-à-dire la « rétroactivité juridique » et la « rétroactivité économique », il me semble qu'il est nécessaire d'agir afin de renforcer la prévisibilité de la règle fiscale et donc la sécurité juridique.

Je suis convaincu que c'est le rôle du Parlement de fixer des principes dotés d'une force juridique véritablement contraignante. En l'état actuel du droit, seul l'article 2 du code civil énonce que « la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ». Cette règle n'a pas de valeur organique : elle peut donc être écartée par la loi fiscale, puisque le seul principe supra-législatif garanti par le juge constitutionnel est la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Certes, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État a fait œuvre utile ces dernières années en contrôlant plus efficacement les dispositions fiscales rétroactives. Mais il convient à présent d'ancrer au niveau organique les règles limitant le recours à ces dispositions, en confortant la jurisprudence existante et en allant même un peu plus loin. Il appartient donc aux législateurs que nous sommes de débattre de cette question et de fixer le cadre juridique applicable en la matière, sans s'en remettre exclusivement au juge ou à de simples déclarations d'intention politique.

Je précise que cette démarche n'est pas inédite. Ma proposition de loi organique vient à la suite d'une dizaine de propositions de loi déposées depuis trente ans sur ce sujet. Aucune d'entre elle n'a abouti. Je pense notamment à celles présentées devant la commission des Lois en 1999 par l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy et en 2013 par notre défunt collègue Olivier Dassault, dont je tiens ici à saluer la mémoire. Je pense également aux très nombreux travaux qui ont préconisé de mieux encadrer la rétroactivité fiscale, à l'image des rapports remis en 2004 par Bruno Gibert, président de la branche française de l'International Fiscal Association (IFA), et en 2008 par Olivier Fouquet, président de section honoraire du Conseil d'État, que j'ai d'ailleurs longuement auditionnés en tant que rapporteur.

L'objet de cette proposition de loi organique vise donc à renforcer la sécurité juridique dont les contribuables, entreprises comme particuliers, doivent pouvoir se prévaloir. La rétroactivité fiscale, si elle est parfois nécessaire et peut, dans certains cas, se justifier, entraîne cependant une instabilité normative aux conséquences néfastes.

D'une part, elle déstabilise l'environnement dans lequel les contribuables, particuliers et entreprises, fondent leurs choix économiques. Elle complexifie leurs anticipations puisque les règles fiscales peuvent varier brutalement d'une année sur l'autre, provoquant aussi bien des effets dans le passé que dans le présent ou le futur. Ce caractère évolutif rend difficile voire impossible toute prévision économique à court ou moyen terme.

D'autre part, la rétroactivité fragilise la confiance des contribuables envers l'État. Elle nuit d'ailleurs à la crédibilité des règles fiscales instaurant de nouveaux régimes fiscaux spéciaux, dans la mesure où l'instabilité de ces dispositifs peut dissuader les investisseurs d'y recourir.

Face à ce constat, il est donc indispensable d'apporter de la sécurité et de restaurer la confiance, en protégeant les droits et les intérêts des contribuables tout en parvenant à un équilibre afin de préserver l'efficacité de la politique fiscale – « la productivité fiscale » diraient certains au ministère des finances – et la bonne gestion des finances publiques.

Venons-en au contenu de cette proposition de loi organique.

Dans sa rédaction initiale, l'article 1er revêt une portée essentiellement principielle, en élevant la règle de non-rétroactivité prévue par l'article 2 du code civil au niveau organique pour le seul domaine fiscal. Par exception, l'article 1er autorise, d'une part, la « rétrospectivité » des lois de finances, et d'autre part, la rétroactivité des dispositions fiscales plus favorables aux contribuables ou justifiées par un motif d'intérêt général suffisant, conformément à la jurisprudence constitutionnelle. En d'autres termes, l'article 1er inscrit dans une loi organique la jurisprudence existante.

Dans le prolongement des préconisations du rapport remis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie par Bruno Gibert en 2004, l'article 2 prévoit l'intangibilité du régime fiscal sous l'empire duquel des contrats dont l'exécution s'étend sur plus d'une année et moins de quinze ans ont été conclus, dès lors que l'application de dispositions modificatives compromettrait leur équilibre financier. J'ai déposé un amendement rédactionnel afin de substituer la notion « d'actes » à celle de « contrats ».

Partageant un même souci de prévisibilité, l'article 3 prohibe la remise en cause d'un régime fiscal incitatif avant son échéance. C'est probablement l'un des articles les plus importants de cette proposition de loi organique, qui permettra au Parlement de donner à un produit d'épargne une durée limitée et de garantir le maintien du régime fiscal existant au moment où l'on y souscrit. Tel n'est pas le cas actuellement : on ne peut pas garantir le maintien des dispositions fiscales sur une durée au cours de laquelle plusieurs gouvernements successifs sont susceptibles d'apporter des modifications. Certains ont interprété ma proposition comme une impossibilité de modifier la loi ; elle pourrait bien entendu l'être, mais pour le futur, par exemple en mettant fin à un dispositif sans affecter la situation de ceux qui en bénéficient déjà.

Dans le sillage de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les articles 2 et 3 renforcent considérablement le contrôle de la rétroactivité économique des dispositions fiscales, en favorisant une stabilité normative gage de sécurité juridique.

Enfin, l'article 4 précise que l'adoption de dispositions fiscales relevant des exceptions prévues par l'article 1er doit être motivée par une justification de leur caractère rétroactif et une évaluation de leurs conséquences financières pour les contribuables.

Les fins juristes de cette Commission m'objecteront que cela existe déjà au travers de l'obligation de joindre une étude d'impact lors du dépôt des projets de loi. Mais faire figurer cette précision dans la loi organique donnerait au Conseil constitutionnel la possibilité d'annuler une disposition s'il considérait que le Parlement a été amené à la voter sans disposer de suffisamment d'éléments justifiant son caractère rétroactif.

À la suite des différentes auditions que j'ai menées la semaine dernière, j'ai déposé plusieurs amendements afin de corriger, préciser et même compléter l'ensemble de ces dispositions. J'aurais l'occasion de développer les modifications et ajouts que je vous proposerai d'adopter.

Permettez-moi, pour conclure, de citer devant vous, membres de la commission des Lois, les paroles du grand juriste Paul Roubier, qui considérait, au milieu du XXe siècle, que « le principe de la non-rétroactivité des lois est entré dans le patrimoine commun des peuples civilisés ». La question est donc de savoir si nous sommes civilisés ou partiellement civilisés.

Cette proposition de loi organique s'inscrit pleinement dans cette perspective. Elle constitue ainsi un engagement juridique sans ambiguïté, clair et solide, au bénéfice de l'ensemble de nos concitoyens.

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La question posée par le rapporteur dans son exposé est ancienne et fondamentale, puisqu'en l'état actuel du droit aucun principe général de non-rétroactivité ne s'impose au législateur en matière fiscale. Cette question a été soumise à de nombreuses reprises au Parlement, sous une forme ou sous une autre, en 1991, en 1999, en 2001, en 2012 et en 2018. Et comme l'a indiqué le rapporteur, la proposition de loi organique dont nous discutons aujourd'hui est relativement similaire à celle que le sénateur Philippe Marini avait déposée en 1999.

Cela dit, il est important de noter que la réponse à apporter à cette question a beaucoup changé depuis lors, notamment en raison de l'évolution considérable de la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a rendu des décisions sur ce sujet en 1997, en 1998, en 2005, en 2012, en 2013 et en 2014. Nous ne sommes donc plus dans la même situation qu'en 1999 : la jurisprudence a évolué dans le sens d'une bien moindre tolérance en matière de rétroactivité fiscale. Aujourd'hui, celle-ci est contraire par principe à la Constitution, sauf si elle répond à un motif d'intérêt général – suffisant dans une première jurisprudence, impérieux désormais – ou si elle ne porte pas atteinte à une situation juridique acquise.

Parallèlement, le juge administratif et le juge judiciaire ont adapté leur jurisprudence dans le sens d'un durcissement. La Cour de cassation refuse de reconnaître une portée rétroactive s'il existe un doute sur la volonté du législateur.

Pour toutes ces raisons, le groupe LaREM rejettera cette proposition de loi organique. Même si la rétroactivité fiscale est une inélégance profonde, de façon parfaitement exceptionnelle elle peut être utile et doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général.

Pour prolonger votre conclusion sur les pays civilisés, il est toujours intéressant de regarder ce qui se fait autour de nous. La direction de la législation fiscale (DLF) a réalisé une étude comparative avec sept de nos pays partenaires et dans aucun d'entre eux n'existe au niveau organique un principe de prohibition de la rétroactivité fiscale. L'Italie le prévoit seulement par une loi ordinaire et les Pays-Bas dans le cadre d'un accord entre le Parlement et le Gouvernement, pouvant par nature être remis en question à l'occasion d'un changement de ce dernier. L'Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Espagne et la Belgique n'en disposent pas et font partie, comme la France, des pays les plus attractifs en matière d'investissements directs. On peut donc en tirer la conclusion qu'il ne s'agit pas d'une condition essentielle pour l'attractivité de la France, tant qu'existe une jurisprudence claire dont on a vu qu'elle s'était durcie depuis la fin des années 1990.

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Nous savons que ce texte est le résultat d'un combat de longue date et reconnu du rapporteur.

La non-rétroactivité constitue une préoccupation constante pour le législateur, comme en témoigne le principe figurant à l'article 2 du code civil : la loi ne dispose que pour l'avenir. Malheureusement, du fait de son inscription dans le seul code civil, ce principe n'a pas de valeur constitutionnelle et ne s'applique pas en matière fiscale. Il ne s'impose donc pas au législateur.

Dans sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel attache une grande importance à la non-rétroactivité. On peut à cet égard rappeler sa décision du 18 décembre 1998 qui considère que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle […] qu'en matière répressive [et] que […] si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».

Ce critère subjectif ouvre la voie à de nombreuses interprétations, et donc à de nombreux abus. C'est la raison pour laquelle les exemptions à cette règle de non-rétroactivité sont très fréquentes en matière fiscale. L'exemple le plus connu remonte à 1984, lorsque le gouvernement Mauroy a réduit de vingt-cinq à quinze ans la durée d'exonération de la taxe foncière pour les immeubles construits avant le 1er janvier 1973. Néanmoins, le recours abusif à des dispositions fiscales rétroactives, source d'inquiétude pour le contribuable, s'est accru ces dix dernières années. Dans les faits, le législateur justifie ces cas de rétroactivité par la volonté d'empêcher les effets d'aubaine entre l'annonce d'une mesure et son adoption, ou par la nécessité de corriger un dispositif techniquement défectueux. Mais ces pratiques suscitent chez nos concitoyens un sentiment d'insécurité juridique légitime, qui affecte durablement leur confiance dans la parole publique.

L'instabilité juridique récurrente est devenue, avec le poids démesuré des prélèvements obligatoires, l'un des deux grands fléaux de notre fiscalité, expliquant hélas le manque d'attractivité structurel de la France et le retard de nos entreprises en termes de compétitivité mondiale. Or cette instabilité fiscale, qui mine profondément la confiance des ménages et des entreprises, est encore plus handicapante quand les règles du jeu changent de manière rétroactive, ce qui fausse les anticipations et prévisions d'investissement des Français et des entreprises.

Qui accepterait que l'on change les règles du jeu en cours de match ? C'est pourtant bien ce que l'on fait quasi systématiquement dans les lois fiscales. En 2014, par exemple, le gouvernement socialiste avait modifié l'imposition des plus-values sur les terrains à bâtir avant même que ce changement ne soit inscrit dans la loi. C'est une façon très risquée de légiférer, car si les parlementaires avaient décidé d'amender le texte, tous les Français qui avaient profité de cette nouvelle fiscalité avant le vote de la loi auraient pu être lésés. Par ailleurs les lois de finances récentes ont souvent eu un caractère rétroactif lorsqu'elles ont changé les règles fiscales pour des revenus engrangés lors de l'année en cours et jusqu'alors non imposés. Les ménages concernés se retrouvaient donc dans l'incapacité de prendre leurs dispositions pour limiter la portée de ces mesures.

Cette proposition de loi organique, qui fait suite à un combat mené depuis plus de vingt ans par le rapporteur, vise à remédier à cette dérive en rendant notre fiscalité plus transparente et plus stable, contribuant ainsi à rétablir la confiance entre le contribuable et l'État. Elle n'est pas hostile à toute rétroactivité, ce qui aurait pour conséquence de lier complétement les mains du législateur, mais l'encadre strictement. Il s'agit de donner plus de visibilité et plus de liberté au contribuable.

Ayant toujours poursuivi cet idéal, le groupe LR votera cette proposition de loi organique.

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Je salue le très bon travail du rapporteur. J'avoue m'être régalé en lisant l'exposé des motifs de cette proposition de loi organique, qui pourrait servir à de nombreux étudiants en droit de support de cours sur l'application de la loi dans le temps et la rétroactivité.

Toutefois, permettez-moi de formuler quelques remarques préalables.

S'agissant des sanctions fiscales, le contribuable est protégé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dans le cas d'une disposition fiscale rétroactive, aucune majoration, y compris les intérêts de retard, ne saurait être imposée à un contribuable devant régulariser sa situation – et c'est fort heureux.

Le principe de non-rétroactivité n'est affirmé qu'à l'article 2 du code civil. En théorie, ce que la loi fait, la loi peut le défaire. Mais en pratique la possibilité pour le législateur de recourir à la rétroactivité fiscale est fortement encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme par celle des deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire. Il me semble que ces instances juridictionnelles ont construit au cours des deux dernières décennies un ouvrage jurisprudentiel permettant de protéger le contribuable des excès dont peut parfois faire preuve le législateur en matière de rétroactivité fiscale.

Tout d'abord, dans les différents cas où le législateur souhaite recourir à ce que la doctrine désigne sous le nom de « grande rétroactivité » – la rétroactivité juridique –, la jurisprudence vient fortement encadrer son incursion. Si le Conseil constitutionnel considère qu'il est loisible au législateur d'adopter de telles dispositions, elles doivent être justifiées par un motif d'intérêt général qui est passé de « suffisant » à « impérieux » en 2014 – le Conseil renforçant encore son contrôle. Ce motif d'intérêt général ne peut être seulement financier ; il doit être conjugué avec un autre motif comme le bon fonctionnement de l'administration fiscale, pour les dispositions fiscales interprétatives, ou encore la lutte contre la fraude fiscale.

S'agissant de la « rétrospectivité » et de la rétroactivité économique, le contrôle juridictionnel est plus récent. Le contribuable dispose là encore de nombreuses garanties. La jurisprudence administrative évoque depuis 2012 la notion d'« espérance légitime », alors que le Conseil constitutionnel a consacré depuis 2015 celle d' « effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations légalement acquises. Inspiré des juridictions européennes, ce mouvement devrait continuer à se développer dans les prochaines années.

En matière de petite comme de grande rétroactivité, il apparaît que le contribuable dispose des garanties nécessaires ; le législateur doit quant à lui pouvoir continuer d'adopter des dispositions rétroactives, plus que nécessaires dans certains cas.

J'en viens aux articles.

L'article 1er souhaite reprendre dans la loi les limites fixées par le Conseil constitutionnel en matière de rétroactivité, celle-ci étant subordonnée à l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général.

L'article 2 prévoit la création d'une « clause du grand-père » pour les actes dont l'exécution a une durée comprise entre un et quinze ans, lorsque l'application de dispositions rétroactives porterait une atteinte sensible à leur équilibre financier. Je préfère la rédaction initiale à celle proposée par votre amendement CL5, notamment parce que la notion d'« atteinte sensible » à l'équilibre financier me semble moins précise que celle de « compromission » de ce dernier. Cette question, qui se posait avec une grande acuité lors de la rédaction du rapport Gibert, est de mieux en mieux prise en compte par la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel avec l'application du principe de confiance légitime. La même observation peut être formulée à propos de l'article 3.

L'article 4 concentre l'essentiel de nos critiques. Séduisant pour les praticiens du droit fiscal – et il l'était assez à mes yeux dans mon ancienne vie –, il est dangereux pour les parlementaires en restreignant considérablement le droit d'amendement garanti par l'article 44 de la Constitution. L'évaluation obligatoire des conséquences financières pour les contribuables, délicate mais possible pour le Gouvernement, est en l'état actuel hors de portée des parlementaires.

Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera contre cette proposition de loi organique.

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Je ne doute pas du tout de la très grande compétence de notre rapporteur. Je ferai preuve d'humilité : je ne suis pas une fiscaliste. J'interviens essentiellement pour le compte de notre collègue Jean-Louis Bricout, qui aurait voulu s'exprimer mais qui est à la commission des finances.

Cette proposition de loi organique tendant à limiter le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive s'inscrit dans le cadre du durcissement de la tolérance envers les mesures fiscales ayant une telle portée. Dans ce domaine, les exceptions sont fréquentes – trop, selon le rapporteur…

Je suis d'accord avec l'idée que cette pratique suscite une insécurité juridique alors que nous sommes tous soucieux d'avoir une fiscalité aussi stable que possible, tant pour les citoyens que pour les entreprises. Néanmoins, nous souhaitons faire observer que la rétroactivité est très encadrée et que c'est un outil utile, à la main de l'exécutif et du Parlement. Sans cela, nous n'aurions pas été en mesure de mettre en place la contribution exceptionnelle des banques qui a vu le jour il y a quelques années ou la contribution des assurances qui a été créée par la loi de finances initiale pour 2021.

Par ailleurs, et on l'a déjà dit avant moi, le présent texte dessaisirait les législatures suivantes. Que fera-t-on demain ? Il faudra bâtir rapidement une sortie de crise et nous devons avoir à notre disposition tous les outils possibles, compte tenu de l'encadrement qui existe déjà.

Si les dispositions fiscales ne sont pas rétroactives sauf en cas de baisse d'impôt, la proposition de loi organique profitera mécaniquement à ceux qui en paient le plus parce qu'ils disposent des plus gros revenus. Cela nous paraît contraire à l'idéal redistributif de la justice sociale, surtout en temps de crise et face à l'aggravation des inégalités économiques, sanitaires, sociales et éducatives que nous connaissons. La rétroactivité que vous proposez serait à géométrie variable mais univoque. Nous ne pourrons pas vous suivre sur ce chemin.

Encadrer davantage les possibilités de légiférer d'une manière rétroactive en matière fiscale porterait atteinte à la capacité d'initiative des parlementaires, à laquelle vous êtes, comme nous, je le sais, très attaché. Cette capacité, qui est déjà très limitée, serait encore davantage menacée par ce texte.

Voilà, succinctement, les raisons pour lesquelles nous ne pourrons pas, en l'état, voter en faveur du texte. Nous espérons que la navette permettra d'apporter les modifications possibles en la matière.

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Je dois confesser que je ne suis pas, moi non plus, un spécialiste de la fiscalité. En tant que juriste, je perçois néanmoins tout l'intérêt de la question de la rétroactivité de la loi, en particulier fiscale, sur le plan intellectuel. Il y a eu des débats doctrinaux importants depuis une trentaine d'années.

Dans les faits, il me semble que le cadre juridique actuel est suffisamment protecteur pour les contribuables et qu'il permet également de laisser au législateur de la souplesse pour adopter une disposition rétroactive lorsque c'est nécessaire.

L'application rétroactive de la loi fiscale peut être utile et protectrice pour le contribuable dans certains cas, par exemple s'il s'agit de remédier à un manque de clarté de certaines dispositions législatives et de préciser l'intention initiale. Cela peut également permettre de corriger un dispositif juridiquement valide mais inopérant, du point de vue de son application.

Cela fait plus de trente ans que les parlementaires se sont emparés de ce thème. Nous partageons évidemment la philosophie qui inspire ce texte, dont le but est d'assurer aux contribuables une plus grande sécurité juridique. Toutefois, si la jurisprudence du Conseil constitutionnel pouvait être incomplète il y a quelques années, il est clair que ce n'est désormais plus le cas. Les jurisprudences administrative, judiciaire, constitutionnelle et européenne offrent désormais un cadre protecteur qui nous paraît satisfaisant.

L'usage de la rétroactivité en matière de législation fiscale est contrôlé par le Conseil constitutionnel. En l'état de sa jurisprudence, une disposition fiscale rétroactive est en principe contraire à la Constitution, sauf si une telle mesure ne porte pas atteinte à une situation juridique acquise ou à une attente légitime du contribuable ou si c'est justifié par un motif impérieux d'intérêt général.

J'ai une question concernant l'article 2, qui tend à insérer dans le droit interne français une grandfather rule pour tous les contrats dont la durée d'exécution varie entre un et quinze ans. Pouvez-vous nous préciser à partir de quel moment on constatera que des dispositions législatives entravent l'équilibre financier des contrats ? Existe-t-il des critères objectifs ?

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Le principe de sécurité juridique est une condition essentielle au bon fonctionnement des sociétés. Il faut que chaque citoyen puisse connaître à l'avance et d'une manière précise les avantages et les inconvénients de ses actes eu égard aux règles juridiques qui s'imposent. Mon groupe se veut le défenseur de la simplification. La loi peut devenir à bien des égards, difficile à appréhender et impraticable pour le citoyen.

La sécurité juridique implique, autant que faire se peut, que la norme juridique soit à la fois accessible, claire et prévisible. Or la multiplication, au cours des dernières années, des dispositions fiscales rétroactives ou rétrospectives a contribué à développer un fort sentiment d'insécurité parmi les contribuables.

Cette situation produit deux effets pervers. D'une part, elle a un impact direct sur l'investissement. Si l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités, à créer et à pérenniser les emplois, ce qui pour nous doit être central. D'autre part, l'utilisation de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale, qui doit être la plus juste et la plus équitable possible. Les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l'État dès lors qu'elles peuvent être effacées ou remises en cause quelques années plus tard.

La proposition de loi organique de notre collègue Charles de Courson a pour objectif d'améliorer l'encadrement de la rétroactivité des lois fiscales. Néanmoins, le texte ne prévoit pas, afin de consacrer le principe de sécurité juridique, une interdiction pure et simple des lois rétroactives. Nous pensons que la rétroactivité est parfois utile voire nécessaire, notamment pour des dispositifs défectueux ou peu clairs.

Si le législateur doit pouvoir rectifier des erreurs ou des mésinterprétations, l'équilibre actuel n'est pas satisfaisant. Les jurisprudences de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la Cour européenne des droits de l'homme ne paraissent pas suffisantes. Elles ne donnent pas un cadre clair à la rétroactivité. En 2014, le ministre des finances socialiste Michel Sapin avait rendu publique une charte de non-rétroactivité fiscale visant à rassurer les entreprises qui investissent en France. Nous avons besoin d'une loi claire et lisible qui limite la rétroactivité fiscale pour renforcer notre attractivité. La présente proposition de loi organique nous permettra de le faire.

Parmi les partenaires de la France, les pays qui font confiance aux entrepreneurs, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, ont tous adopté des règles encadrant strictement le principe de la rétroactivité fiscale. L'Italie et les Pays-Bas ont même interdit toute loi fiscale rétroactive dès lors que celle-ci serait défavorable aux contribuables. Nous nous devons d'aller dans ce sens. C'est pourquoi mon groupe soutiendra le texte.

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La jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État encadre la rétroactivité des lois fiscales mais nous sommes confrontés, sur le plan de l'efficience, à certaines limites. Même si le Conseil constitutionnel s'est efforcé de fixer des limites à la rétroactivité en matière fiscale, aucune norme constitutionnelle ne fait référence au principe de non-rétroactivité.

Il faut également rappeler, comme le rapporteur et de nombreux collègues l'ont fait, qu'il ne s'agit pas du premier texte portant sur ce sujet. Le sénateur Jean-Claude Carle avait déjà déposé une proposition de loi organique, en 2001, de même que notre regretté collègue Olivier Dassault, en 2013. La majorité socialiste de l'époque avait rejeté le précédent texte, mais elle avait rendu publique une charte de non-rétroactivité fiscale dont le but était de rassurer les entreprises qui investissent en France.

Est-ce assez ? Nous ne le pensons pas, car il existe de nombreux problèmes. En droit français, la sécurité juridique n'est pas garantie, comme le souligne très justement l'exposé des motifs de la présente proposition de loi organique. Les dispositions fiscales rétroactives abîment le droit de propriété, nuisent à l'attractivité de la France et engendrent une instabilité juridique néfaste pour nos concitoyens et nos entreprises.

L'insécurité juridique produit, en effet, deux effets pervers. D'une part, elle a un impact direct sur l'investissement. Si l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités. D'autre part, l'utilisation de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale. Les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l'État dès lors qu'elles peuvent être effacées ou remises en cause quelques années plus tard.

Un des apports intéressants du texte est que le Parlement sera mieux associé, grâce à un renforcement de son information et de son pouvoir de contrôle, lors de la création de toute disposition fiscale rétroactive – il faut en évaluer les conséquences financières pour les contribuables. Nous saluons particulièrement cette disposition.

Alors que notre pays va s'engager activement dans la relance de son tissu économique et industriel, cette proposition de loi organique nous semble bienvenue. Elle offrira un terreau stable sur lequel l'investissement pourra se développer d'une manière pérenne. Il est primordial, dans le contexte actuel, d'assurer la stabilité de notre fiscalité, en associant le Parlement, afin de renforcer la confiance des contribuables envers l'État.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera pour cette proposition de loi organique.

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Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir remis l'ouvrage sur le métier, après plusieurs tentatives. Nous connaissons tous votre expertise en matière financière et fiscale. Cette proposition de loi organique est utile, voire indispensable.

J'aimerais savoir si l'article 2 permettra de traiter un problème auquel nous avons été confrontés cette année lors du vote de la loi de finances : la révision des contrats concernant certains dispositifs de production d'énergie photovoltaïque, quelques années après leur conclusion, met en difficulté les opérateurs, en particulier des exploitants agricoles dont l'investissement reposait sur un modèle économique désormais obsolète.

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Merci, monsieur le rapporteur, de nous avoir soumis ce texte d'une très grande portée et d'une très grande clarté, qui est rédigé dans une langue cristalline et qui concerne un sujet compliqué qu'il nous revient de traiter.

Je regrette que le groupe majoritaire ait annoncé, par la voix d'Alexandre Holroyd, qu'il ne voterait pas cette proposition de loi organique. Je pense que les deux séries d'arguments qui ont été donnés ne tiennent pas.

L'argument selon lequel les jurisprudences de nos diverses cours suprêmes – le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État – ont évolué s'entend, mais il nous appartient, comme législateurs organiques, de reprendre la main et de préciser les choses. Nous sommes tout à fait fondés à le faire, sans être subordonnés à des évolutions de jurisprudence.

Quant au second argument, qui consiste à dire qu'aucun autre pays n'a adopté un dispositif législatif similaire, j'y vois au contraire une incitation puissante à aller dans ce sens pour défendre l'attractivité de la France. Le texte de Charles de Courson donnera une plus grande sécurité juridique aux acteurs économiques au moment où nous devons tout faire pour retrouver des leviers de croissance et sortir notre pays de la dépression profonde dans laquelle il est plongé depuis le choc de la covid. Nous avons tout à fait intérêt, y compris et surtout sur le plan économique, à nous donner des outils juridiques permettant d'envoyer des signaux de confiance aux investisseurs et aux acteurs économiques.

Pour ces deux séries de raisons, juridiques et économiques, je pense que le moment est venu d'adopter le texte proposé par notre collègue.

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Je remercie de nouveau le rapporteur d'avoir remis cette question sur la table, car c'est l'occasion d'avoir un débat très important, j'en conviens.

L'article 2 réduirait considérablement les marges de manœuvre du législateur actuel et des suivants : il y aurait une contrainte pour les quinze prochaines années et potentiellement trois législatures. Démocratiquement, cela pose des questions considérables.

Y a-t-il suffisamment de lisibilité et de crédibilité de la parole de l'État en France ? La réponse donnée par tous les classements réalisés au cours des dernières années est positive. Des investisseurs étrangers viennent s'installer en France. Comme dans tous les pays, il existe des risques qui sont inhérents aux changements démocratiques et avec lesquels tout investisseur doit composer. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et des différents ordres juridiques donne aux investisseurs une lisibilité et une certitude suffisantes.

S'agissant du photovoltaïque, il se trouve que des contrats signés au milieu des années 2000, lorsque vous étiez dans la majorité, cher collègue, rémunéraient d'une façon éhontée certains producteurs d'électricité. Le Conseil constitutionnel, qui a regardé la disposition dont vous parlez, a été très clair il y a quelques semaines. Il a considéré que « le législateur a entendu remédier à la situation de déséquilibre contractuel entre les producteurs et les distributeurs d'électricité et ainsi mettre un terme aux effets d'aubaine dont bénéficiaient certains producteurs, au détriment du bon usage des deniers publics et des intérêts financiers de l'État ». Il est de notre responsabilité de législateurs de veiller sur les deniers publics, et c'est ce que nous avons fait. Il est regrettable que l'on n'ait pas suivi cette leçon dans les années 2000.

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La question du photovoltaïque n'entre pas dans le champ de la proposition de loi organique : la disposition en cause n'était pas fiscale. Le Conseil constitutionnel ne l'a pas annulée parce que nous avions complété le texte pour permettre de négocier un prix intermédiaire évitant un déséquilibre financier majeur dans le cadre du contrat.

Nous sommes les législateurs, monsieur Holroyd. Devons-nous attendre les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel ou du Conseil d'État pour définir les règles ? Certaines jurisprudences peuvent nous satisfaire et d'autres non : c'est à nous de voir.

Ce que je vous propose est conforme à l'évolution jurisprudentielle. Votre argument est le même que celui du directeur de la législation fiscale, qui m'a demandé à quoi serviraient l'article 1er et une bonne partie de l'article 2, compte tenu de la jurisprudence. Or celle-ci peut évoluer et c'est au Parlement de se prononcer. Les juridictions n'ont fait que pallier une absence. Notre droit ne comporte même pas de définition de la rétroactivité. L'article 1er en propose une qui est claire et très précise. Légiférer en la matière a un véritable intérêt, même si on se cale sur la jurisprudence actuelle.

Les articles 2 et 3, dont je vous proposerai d'adopter une nouvelle rédaction, vont plus loin : ils permettront aux législateurs que nous sommes de garantir qu'un régime fiscal instauré parce qu'on veut inciter, dans le cadre d'une politique publique, à aller dans tel sens ne sera pas remis en cause par un nouveau gouvernement. On pourra supprimer un régime fiscal, mais pour l'avenir. Cela respecte donc totalement les droits du Parlement. Presque chaque ministre du logement est, par exemple, à l'origine d'un dispositif fiscal, le dernier en date étant le « Denormandie ». Si on veut apporter des modifications, pas de problème, mais c'est pour l'avenir : si on met fin au « Pinel », on ne dit pas à ceux qui se sont engagés dans ce cadre pour douze ans que c'est fini pour eux au bout de neuf ans.

C'est à nous, je l'ai dit, de voir si nous sommes d'accord avec la jurisprudence. Ce n'est pas elle qui s'impose au législateur. Par ailleurs, le texte a pour intérêt de porter ce qu'elle prévoit au niveau organique.

N'y a-t-il plus de problème d'attractivité ? Permettez-moi de vous dire que les investisseurs étrangers qui viennent en France répondent, quand on les interroge, qu'ils ont toujours peur. C'est un des freins, les questions fiscales n'étant qu'un élément parmi d'autres. Nous donnerons davantage de garanties : si on investit dans tel cadre, on bénéficiera d'une stabilité du dispositif, quels que soient les gouvernements suivants. Si le Parlement change la règle, ce sera pour de nouveaux investissements. Le prévoir dans une loi organique, et non dans une loi ordinaire, que l'on peut changer à tout moment, permettra d'assurer une sécurisation.

Vous avez dit que nous serions quasiment les seuls à adopter ce dispositif en Europe. Pourquoi les Allemands n'en ont-ils pas besoin ? Vous connaissez le droit allemand : il est beaucoup plus stable. Nos voisins se mettent d'accord dans le cadre d'un large consensus. La France se caractérise – ce n'est pas moi qui le dis, mais tous ceux qui suivent ces questions sur le plan international – par une grande instabilité. On a tendance à changer les règles tout le temps. Si on veut le faire, ce sera possible, mais pas pour ceux qui ont pris des engagements à la suite d'une incitation du Parlement français.

Je voudrais dire à mon bon ami Mattei que ses propos concernant l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme ne sont que partiellement exacts : cet article vise les sanctions et non les intérêts de retard. C'est pourquoi un de mes amendements fait référence à ces derniers. J'ai découvert cette question lors des auditions : lorsqu'une disposition rétroactive s'applique, pour un motif d'intérêt général, il n'est pas normal de faire payer des intérêts de retard, comme si les malheureux contribuables concernés avaient commis une faute – ce n'est pas le cas.

J'ai déposé à l'article 4 un amendement qui permettra de régler la question soulevée par notre collègue. Si nous légiférons au niveau organique, c'est pour permettre au Conseil constitutionnel d'annuler une disposition rétroactive lorsqu'il n'existe pas de motif impérieux d'intérêt général ou lorsqu'un déséquilibre est causé. J'ai déposé un autre amendement, complémentaire, qui vise à renforcer les pouvoirs du Parlement, en particulier ceux du président de la commission des finances.

Je remercie Les Républicains pour leur appui .

Je voudrais dire à ma chère collègue Cécile Untermaier que ses arguments sont discutables. On pourra parfaitement modifier les règles, mais pour l'avenir. Il n'est pas vrai que cela réduira les pouvoirs du Parlement. Par ailleurs, j'ai prévu une disposition permettant une rétroactivité en matière de baisse d'impôt. Ce sera à nous de décider si c'est légitime ou non. De la même façon, le droit pénal s'applique rétroactivement s'il est plus favorable, sinon ce n'est pas le cas. Ce que je propose est une transposition en matière fiscale, sauf que ce ne sera qu'une possibilité : il n'y aura pas du tout d'automaticité.

Un de mes amendements, déposé à l'article 2, répond aux questions de notre collègue du groupe Agir Ensemble.

Je remercie le porte-parole du groupe Libertés et Territoires pour son intervention, ainsi que celui du groupe UDI-I. Demander de la stabilité dans ce domaine est une vieille tradition de ce courant politique – les centristes et la droite modérée.

La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Principe et exceptions à la non-rétroactivité de la loi fiscale

Amendement CL3 du rapporteur.

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Mon amendement maintiendra la première phrase de l'article 1er : « Les dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ne disposent que pour l'avenir. » Cela revient à appliquer en matière fiscale un principe qui est certes inscrit dans le code civil mais qui n'a pas de portée juridique puisqu'il n'est prévu qu'à un niveau législatif.

La deuxième phrase de l'amendement tend à définir, pour la première fois, ce qu'est la rétroactivité : « Constitue une disposition rétroactive celle qui s'applique à un fait générateur de l'impôt antérieur à la date de son entrée en vigueur. » En ce qui concerne l'impôt sur le revenu (IR), le fait générateur se situe le 31 décembre. Comme la loi de finances est adoptée les 28 ou 29 décembre de l'année N-1, il n'y a pas de rétroactivité. Pour l'impôt sur les sociétés, c'est la date de bouclage des comptes, qui est en général le 31 décembre, mais beaucoup d'entreprises clôturent leurs comptes à un autre moment, par exemple le 31 octobre, parce qu'elles ont des cycles différents. Une mesure est rétroactive par rapport au fait générateur.

Le troisième alinéa, qui est plutôt utile à mon avis – nous en avons parlé lors des auditions –, vise à couvrir les cas un peu particuliers que sont les prélèvements forfaitaires. Par exemple, quelques revenus sont imposés forfaitairement dans le cadre de l'IR.

Guillaume Larrivé a parlé d'écriture cristalline. Nous avons beaucoup travaillé sur ce texte, avec des spécialistes, afin d'essayer d'améliorer encore la rédaction initiale.

Cet article ne sera pas une reprise de la jurisprudence : il vise à définir très précisément les concepts.

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Ceux qui suivent l'actualité fiscale scrutent les réunions du conseil des ministres du mois d'octobre dans l'attente de l'annonce de dispositions fiscales. Celles-ci sont souvent applicables – on l'a vu notamment en matière d'assurance vie – à compter du mois d'octobre : la loi peut le prévoir. Ce que vous proposez nous lierait en la matière : comment pourrons-nous faire si nous voulons éviter des effets d'aubaine ?

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J'aimerais revenir sur les réponses du rapporteur.

Une proposition de loi organique a été déposée en 1999 parce qu'on considérait qu'il y avait un vrai problème. La jurisprudence a évolué dans un sens avec lequel nous sommes, grosso modo, d'accord : elle s'est durcie et est devenue satisfaisante. Vous voulez donc légiférer alors que la jurisprudence a évolué depuis vingt ans dans le sens que vous souhaitez. Elle répond à la majorité des angoisses que chacun peut avoir dans ce domaine.

La jurisprudence peut évoluer dans l'autre sens : c'est possible. La question de savoir s'il faut légiférer se posera alors, comme elle se posait au début des années 2000 – c'est à ce moment-là qu'il aurait fallu adopter un texte. Je ne vois pas en quoi la possibilité d'une évolution de la jurisprudence nous imposerait d'adopter un texte maintenant.

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Le premier alinéa de l'amendement CL4 prévoit ceci, monsieur Mattei : « À titre exceptionnel, des dispositions modifiant l'assiette, le taux ou les modalités de recouvrement des impositions de toute nature peuvent s'appliquer de manière rétroactive en considération d'un motif impérieux d'intérêt général, et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. » Cela pourra concerner, par exemple, la TVA : en cas de baisse ou de hausse de taux, il est en général prévu que les dispositions prises s'appliquent à la date à laquelle elles ont été annoncées par le Gouvernement, ce qui est tout à fait logique. Le premier alinéa de l'amendement CL4 permettra de le faire.

Devons-nous rester passifs, monsieur Holroyd, face aux évolutions jurisprudentielles ? Certaines d'entre elles peuvent être positives, compte tenu de ce que la majorité d'entre nous pense, mais il y a aussi quelques cas au sujet desquels de bons juristes estiment que la cohérence jurisprudentielle n'est pas assurée. C'est à nous, en tant que parlementaires, de voir si nous voulons stabiliser la jurisprudence sur certains points ou si nous ne sommes pas d'accord. Le juge ne fait que pallier nos insuffisances, soit par abstention, parce que nous n'avons pas légiféré dans un domaine, soit parce que nous l'avons fait d'une façon trop approximative et qu'on ne sait pas très bien ce qui s'applique.

Le texte permettra de réaliser une cristallisation et d'aller un peu plus loin, en nous dotant d'un outil très intéressant. La direction de la législation fiscale ne conteste pas qu'on ne peut pas sécuriser un produit aujourd'hui. Ce sera désormais possible – mais j'anticipe sur l'article 3.

La Commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article 1er.

Après l'article 1er

Amendement CL4 du rapporteur.

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J'ai déjà abordé cet amendement qui vise à clarifier les exceptions au principe de non-rétroactivité.

Je propose d'intégrer les solutions dégagées par les jurisprudences européenne, constitutionnelle et administrative en ce qui concerne la protection des garanties découlant des exigences constitutionnelles, des situations légalement acquises et des effets pouvant être légitimement attendus de telles situations. Le but est d'encadrer les conséquences de la « rétroactivité économique » de dispositions fiscales qui, tout en n'étant pas rétroactives sur le plan strictement juridique, peuvent conduire à remettre en cause les bases de calcul microéconomiques sur lesquelles les contribuables ont fondé leurs décisions d'épargne ou d'investissement.

J'ai déjà présenté par anticipation le premier alinéa et le deuxième, qui concerne les sanctions et les intérêts de retard – ce dernier point n'est pas couvert par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme.

La seconde phrase du deuxième alinéa, selon laquelle les dispositions visées « ne peuvent pas porter atteinte à une décision de justice passée en force de chose jugée ni s'appliquer aux instances en cours », est très importante. Dans l'état actuel du droit, nous, législateur, ne pouvons remettre en cause une décision de justice ayant force de chose jugée, mais nous pouvons faire tomber les contentieux en cours ; c'est très choquant. Depuis vingt-huit ans que je siège en commission des finances, je l'ai vu faire plusieurs fois à la suite d'une décision de justice qui ne nous plaisait pas. Cette phrase permet aux contentieux en cours de prospérer : c'est un progrès pour la stabilité juridique.

Le troisième alinéa – « Elles ne sauraient davantage porter atteinte aux situations légalement acquises ou aux effets qui peuvent être légitimement attendus de telles situations » – correspond à la jurisprudence actuelle.

Le dispositif de l'amendement précise enfin que « les dispositions présentant un caractère plus favorable peuvent s'appliquer rétroactivement », ce qui ne veut pas dire qu'elles s'appliquent nécessairement de manière rétroactive : c'est nous qui en décidons.

Cet amendement est important pour la sécurité juridique de nos concitoyens.

La Commission rejette l'amendement.

Article 2 : Stabilité des régimes fiscaux spéciaux d'une durée comprise entre un et quinze ans

Amendement CL5 du rapporteur

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Il apporte plusieurs précisions rédactionnelles à l'article 2. Celui-ci consacre, dans sa rédaction initiale, l'intangibilité des régimes fiscaux auxquels sont soumis les actes d'une durée comprise entre un et quinze ans, dès lors que les modifications apportées à ces derniers porteraient une atteinte sensible à leur équilibre financier. L'article renforce ainsi la stabilité des règles fiscales et réduit les risques de rétroactivité économique en protégeant le principe d'espérance légitime des contribuables, consacré par la jurisprudence.

Afin de circonscrire le champ d'application de l'article 2, l'amendement propose substituer la notion d'« actes » à celle de « contrats ».

Cette véritable innovation permettrait au Parlement de garantir un régime fiscal durable, dans la limite de quinze ans. À l'intérieur de cette limite, à nous de calibrer la durée – le dispositif Pinel, par exemple, propose trois possibilités d'engagement, pour six, neuf ou douze ans. Une fois cela fait, le mécanisme est stabilisé pour cette durée au profit de ceux qui l'ont utilisé. Nous nous doterions ainsi d'un outil fiscal inédit.

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L'idée est séduisante, mais dangereuse.

Prenons un bail commercial pour des locaux soumis à un taux donné de TVA. Selon la situation de chacun – redevable ou non de la TVA, pouvant ou non la récupérer –, en modifiant le taux de TVA, on ferait de ce bail une sorte de paradis fiscal, soumis à un taux différent de celui fixé par le législateur. D'ailleurs, les contrats incluent souvent la précision « sauf modification du taux de TVA ».

Prenons une société civile constituée pour cinquante ans et ayant opté pour le régime de l'impôt sur le revenu ; pendant quinze ans, elle ne pourrait pas changer de régime fiscal puisqu'elle repose sur un contrat qui engage les personnes.

L'amendement limite ainsi la capacité de légiférer et entraînerait la création d'îlots de fiscalité favorable, voire d'effets d'aubaine.

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Je suis d'accord. Une certitude absolue, l'impossibilité de tout changement pendant quinze ans sont très séduisantes, mais l'amendement se heurte aux mêmes objections que les autres propositions visant à fixer le dispositif dans le temps.

Pour en revenir à l'attractivité, ce que les investisseurs étrangers critiquent le plus en France, c'est l'absence de lisibilité de la fiscalité. Or vous créez ici différents dispositifs parallèles qui seraient applicables aux mêmes sujets : deux, trois, quatre ou cinq mécanismes, votés par des majorités qui se succèdent ou qui auront changé d'avis, pourraient coexister. À raison d'un projet de loi de finances par an, en quinze ans, ce sont quinze régimes fiscaux applicables au même domaine qui seraient susceptibles de cohabiter – je conviens que ce serait un cas extrême, supposant trois majorités successives qui changeraient d'avis très souvent. Cela entraînerait en tout cas une complexité fiscale abyssale et fausserait les relations concurrentielles.

Outre que la démarche contraint le législateur pour une longue durée, elle décuple ainsi ce qui est déjà l'une de nos plus grandes faiblesses.

Le groupe La République en Marche votera donc contre ce qui est proposé à l'article 2 comme à l'article 3.

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Monsieur Mattei aurait raison si mon amendement ne remplaçait pas le terme de « contrats » par celui d'« actes ». C'est au moment où l'acte est établi que la sécurité juridique est acquise, quoi que vous fassiez par la suite – le législateur peut avoir changé entre-temps.

Monsieur Holroyd, c'est nous qui définissons ces régimes, et nous ne sommes pas tenus de les sécuriser pour une durée aussi longue que quinze ans. Nous avons choisi cette limite après avoir constaté avec les spécialistes qu'elle correspondait à la durée maximale des dispositifs fiscaux en vigueur. En effet, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements sociaux, qui pouvait durer vingt-cinq ans, a été abrogée et remplacée – rétroactivement ! – par un dispositif d'une durée de quinze ans, sans compensation pour les collectivités locales, soit dit en passant, ce qui est très choquant. C'est notre responsabilité de parlementaires que d'assumer la clarté et la stabilité de la fiscalité.

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Qu'est-ce qu'un acte, monsieur le rapporteur ?

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C'est une décision que vous prenez à un instant donné. Le contrat tombait sous le coup de l'argument de notre collègue Mattei. L'introduction de la notion d'acte détermine mieux le champ de la possibilité que nous ouvrons au Parlement – et que celui-ci n'utilisera que s'il le souhaite.

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Tous les actes ne sont pas des contrats, certes, mais tous les contrats ne sont-ils pas des actes ?

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Je comprends la dimension déclarative de la démarche. Je songe à l'inapplicabilité de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, qui exonérait d'imposition sur les plus-values les cessions de titres détenus depuis plus de huit ans.

L'amendement parle d'acte et de durée comprise entre un et quinze ans : on y retrouve bien la notion d'application d'un engagement dans le temps ; autrement dit, on n'est pas loin du contrat.

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Je partage l'inquiétude exprimée en filigrane par M. Larrivé. Ce qui distingue un contrat d'un acte est la présence de deux parties dans le premier, et non nécessairement dans le second. Mais, comme l'a dit M. Larrivé, tout contrat est un acte. Le texte ne restreint donc pas le dispositif, mais l'étend, pour inclure tous les contrats ainsi que les actes qui ne sont pas des contrats.

Concernant la responsabilité du Parlement, je partage entièrement votre point de vue, monsieur le rapporteur. Aux Pays-Bas, je l'ai dit, la question ne fait pas l'objet d'une disposition à valeur constitutionnelle, mais d'un accord de responsabilité entre le gouvernement et le Parlement. Vous avez raison de dire que le Parlement est responsable de ses actions. Du coup, le texte n'a pas lieu d'être, puisque les parlementaires sont tenus par les engagements hérités de leurs prédécesseurs et par la nécessité de préserver la sécurité juridique des investisseurs. La responsabilité parlementaire que vous invoquez s'exprime par la liberté parlementaire – que votre proposition de loi tente de contraindre.

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La liberté du Parlement est totale : s'il ne veut pas utiliser le dispositif, il ne le fera pas. Simplement, s'il l'utilise, aucune autre majorité ne pourra, pendant la durée de l'engagement, en modifier les termes. C'est une sécurité pour l'investisseur. On ne peut pas modifier au bout de deux, trois ou cinq ans le cadre dans lequel on a permis à une personne physique ou morale de s'engager et sur lequel elle a fondé ses calculs – sauf exception prévue par le texte, comme un motif impérieux d'intérêt général.

Il est ressorti de nos longues discussions avec les spécialistes que la notion de « contrat » devait être écartée au profit de celle « d'acte ».

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S'il faut aller vérifier dans le Dalloz les définitions du contrat et de l'acte, nous ne nous en sortirons pas avant la semaine prochaine… Il faudra clarifier ce point en vue de la séance.

La question que vous soulevez, monsieur le rapporteur, est essentielle. Dans le cas du photovoltaïque, des personnes se sont engagées et endettées compte tenu de l'équilibre d'investissement qui avait été prévu, mais qui a été entièrement remis en cause par des mesures votées ici même. Nous le payons très cher : des dispositifs alléchants inspirent désormais la méfiance parce qu'ils risquent d'être modifiés par le législateur.

En l'occurrence, la modification se fondait sur de bonnes raisons, car le calcul initial n'était pas juste. Mais le résultat est désastreux. Il faut garantir de la stabilité à ceux qui investissent conformément à une orientation politique que nous soutenons – quitte à prévoir des clauses de revoyure au bout de cinq ou six ans. Si nous incitons quelqu'un à s'engager sur une voie, il doit connaître son trajet et son point d'aboutissement.

Voilà pourquoi j'ai finalement soutenu vos propositions : il sera très intéressant d'en débattre en séance, notamment pour obtenir des éclaircissements de nos collègues commissaires aux finances quant à notre passif concernant le photovoltaïque. Dans ma circonscription, les gens sont très inquiets ; des entreprises qui s'étaient installées ont dû mettre la clé sous la porte à cause d'une modification apportée au montant du contrat. La stabilité juridique leur aurait été très profitable.

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J'ai moi aussi été choqué par cette affaire dans laquelle on revient sur la parole donnée, sur le contrat, et j'ai moi-même déclaré dans l'hémicycle que je n'y étais pas favorable. Mais le texte qui nous est soumis n'aurait pas résolu ce problème, qui relève d'une relation contractuelle entre un entrepreneur et l'État, ou des organismes dépendant de lui.

En droit des sociétés, nous débattons très souvent de la question de savoir si, quand la réglementation évolue, c'est le contrat ou la loi qui s'applique. Mais ici, en matière fiscale, on bride le législateur, on entrave sa capacité à légiférer et à faire évoluer le droit. Parce qu'un acte – ou un contrat – a été établi, il ne serait plus possible d'y toucher. Cela me trouble.

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Ce n'est pas ce que dit le texte ! Il ne s'agit pas d'une obligation, mais d'une ouverture donnée au législateur. Au contraire, l'outil renforcerait le Parlement et sa crédibilité.

Ma proposition de loi ne s'applique pas à l'affaire du photovoltaïque, mais traite, en matière fiscale, le même problème : à force de modifier, même pour des motifs impérieux, ce qui est juridiquement possible au vu de la jurisprudence, on n'est plus crédible vis-à-vis des acteurs économiques.

Le texte nous permettrait, si nous le souhaitons, d'instaurer des dispositifs qui resteront stables pendant une certaine durée ; nous les modifierons si nous le voulons, mais pour l'avenir, non pour le passé.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l'article 2.

Article 3 : Stabilité des règles relatives à des avantages fiscaux créés pour une durée déterminée

Amendement CL6 du rapporteur

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Premièrement, l'amendement fixe à cinq ans la durée maximale en deçà de laquelle un avantage fiscal créé pour une durée égale ou inférieure ne peut être modifié avant son terme, sauf dans un sens plus favorable aux contribuables, si le Parlement en décide ainsi. Ce plafond de cinq ans, raisonnable compte tenu de la périodicité du consentement parlementaire, serait de nature à conforter la confiance des particuliers et des entreprises dans la stabilité des régimes fiscaux incitatifs ayant pour objectif d'orienter leurs choix d'épargne et d'investissement.

Deuxièmement, l'amendement étend l'exigence de stabilité quinquennale des règles des avantages fiscaux aux régimes fiscaux applicables sur option ou agrément, avant l'expiration de l'option ou de l'agrément. Cette disposition entérine la solution dégagée par le Conseil d'État dans sa décision dite Vivendi d'octobre 2017 relative aux conditions d'application du régime du bénéfice mondial consolidé, lequel avait été créé pour cinq ans mais supprimé au bout de trois ans. Il s'agit de garantir le maintien des règles fiscales applicables pendant la période couverte par l'agrément, sans que celui-ci puisse être remis en cause avant son terme, dans la limite de cinq ans.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l'article 3.

Article 4 : Justification des dispositions fiscales rétroactives et mesures transitoires

Amendement CL7 du rapporteur

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Je propose de supprimer la seconde phrase de l'article, qui oblige à assortir toutes les dispositions fiscales à caractère rétroactif de mesures transitoires, d'accompagnement ou de compensation dès lors que ces dispositions empêchent l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une liberté publique. Elle risquerait en effet de créer de la rigidité et apparaît peu opérationnelle et relativement complexe à mettre en œuvre, compte tenu de la difficulté à appréhender les cas concrets dans lesquels l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une liberté publique serait empêché.

Pourquoi, en revanche, introduire et maintenir dans une loi organique la mesure contenue dans la première phrase de cet article, selon laquelle « l'adoption de dispositions fiscales rétroactives dans les conditions prévues à l'article 1er doit être motivée par un exposé justifiant leur caractère rétroactif et par une évaluation des conséquences financières pour les contribuables » ? Pour donner aux juridictions, particulièrement au Conseil constitutionnel, un motif d'annulation des mesures prises si l'évaluation révèle que celles-ci ne respectent pas les grands principes précédemment évoqués. Jusqu'à présent, aucune décision du Conseil constitutionnel ne s'est appuyée sur une défaillance complète de l'étude d'impact, ce qui est regrettable. C'est la jurisprudence actuelle ; elle peut changer, comme toute jurisprudence. Le texte incite à aller plus loin, du moins dans le domaine de la rétroactivité.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l'article 4.

Après l'article 4

La Commission examine l'amendement CL8 du rapporteur.

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Cet amendement permet de renforcer les pouvoirs du Parlement, particulièrement des présidents de commission, en précisant que « les règlements des assemblées déterminent les conditions dans lesquelles les amendements non conformes aux dispositions de la présente loi organique sont irrecevables ».

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Dans la mesure où les articles de la proposition de loi ont tous été rejetés, cet amendement n'a plus beaucoup de sens.

La Commission rejette l'amendement.

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Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial.

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À ceux de mes collègues qui n'ont pas soutenu le texte, je veux dire ceci : vous êtes des conservateurs, à la remorque des décisions de justice, c'est-à-dire que vous avez renoncé à être parlementaires. C'est votre grand crime ! Vous êtes aussi à la remorque de la direction de la législation fiscale, qui ne veut surtout pas que le Parlement se mêle de ces sujets, trop sérieux pour lui !

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J'espère que vous aurez des mots plus aimables la prochaine fois que vous viendrez en commission des Lois !

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J'aurai grand plaisir à revenir vous voir, madame la présidente : vous savez combien j'apprécie votre indépendance d'esprit !

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle relative à la reconnaissance du vote blanc pour l'élection présidentielle (n° 3896) (M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur).

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Les crises protéiformes que les démocraties occidentales traversent depuis plusieurs années constituent autant de défis qui lui sont posés. De ce point de vue, l'augmentation constante du taux d'abstention nous préoccupe tous, car elle constitue un bon indicateur de la désaffectation des citoyens à l'égard des élus. Elle doit nous inciter à nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie, en particulier sur celui du suffrage universel.

La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen a été déposée par notre collègue, que chacun reconnaîtra à la passion qu'il met à défendre ses combats, Jean Lassalle. Elle a pour ambition d'apporter une réponse forte à la crise démocratique que nous connaissons, en prenant en compte le vote blanc lors des élections présidentielles.

En droit électoral, le vote blanc a longtemps été rendu invisible. Le Conseil d'État a précisé dès 1806 dans un avis public que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis et assimilés aux votes nuls. Ce double principe d'exclusion des votes blancs des suffrages exprimés et d'assimilation du vote blanc et du vote nul a été confirmé par un décret de 1852, puis par une loi électorale du 29 juillet 1913.

Ces dispositions s'inscrivent dans une tradition historique : celle d'une conception utilitariste du droit de vote. Dans ce cadre, le suffrage a pour unique finalité d'arrêter une désignation en cas d'élection, ou une décision en cas de référendum. Dans cette optique, la prise en compte du vote blanc est perçue comme dangereuse.

Une première rupture avec cette tradition historique est apparue avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, qui avait pour objet de distinguer le vote blanc du vote nul. Désormais, les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés aux procès-verbaux des élections. Une précision a également été apportée à la définition du vote blanc : constitue dorénavant un vote blanc, en plus d'une enveloppe contenant un bulletin blanc, une enveloppe ne contenant aucun bulletin.

Cette évolution législative a créé un premier degré de reconnaissance juridique du vote blanc, en permettant de le mesurer et en accroissant sa visibilité. Par exemple, lors du second tour de l'élection présidentielle de 2017, nous savons désormais que plus de 3 millions d'électeurs ont fait le choix d'un bulletin blanc, soit 6,4 % des inscrits et 8,5 % des votants.

L'avancée permise par la loi de 2014 est toutefois avant tout symbolique : le vote blanc est mieux reconnu, mais il reste sans incidence sur le scrutin.

La présente proposition de loi constitutionnelle suggère en conséquence d'aller plus loin. En rupture avec la conception strictement utilitariste du droit de vote, elle trouve son origine dans la conviction que le suffrage universel peut, et doit, permettre aux citoyens d'exprimer leurs opinions, fussent-elles contestataires.

Son premier article a pour objet d'intégrer les votes blancs dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle. Il s'agit d'une avancée importante. Cette question est en effet un serpent de mer de notre vie politique. Dans notre assemblée, elle a fait l'objet de pas moins de 35 propositions de loi déposées depuis 1993. Elle figurait également dans le programme des trois quarts des candidats à l'élection présidentielle de 2017. Enfin, et surtout, elle bénéficie d'une adhésion très forte de la part des Français : en 2017, ils étaient 86 % à se dire favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle, y compris si cela pouvait mener à une invalidation de l'élection dans l'hypothèse où aucun candidat ne parviendrait à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.

En plus de correspondre à une volonté des Français, l'évolution ici proposée permettra de lutter contre l'abstention. Au premier tour de l'élection présidentielle, celle-ci représentait 16,2 % des inscrits en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017. Au second tour, elle s'élevait à 16 % des inscrits en 2007, 19,7 % en 2012 et 25,4 % en 2017. Ces chiffres doivent nous alerter.

Reconnaître que le vote blanc a une véritable signification politique et donner à ce type de bulletin le pouvoir de changer le cours de l'élection constitue le plus sûr moyen de réconcilier les citoyens avec la démocratie représentative. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu'ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue.

Intégrer les bulletins blancs dans les suffrages exprimés n'est pas sans conséquence sur le scrutin présidentiel. Le second article de la proposition de loi constitutionnelle anticipe donc la situation dans laquelle aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour. Il instaure un dispositif permettant d'éviter tout blocage institutionnel.

Selon le dispositif de la proposition de loi, le Conseil constitutionnel invalide l'élection si aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés et il est procédé à un second scrutin. Par amendement, je propose de préciser que, lors de ce second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour est élu. Soutenu par Jean Lassalle, auteur de la proposition de loi constitutionnelle, ce dispositif amendé permettrait de trouver un juste équilibre entre, d'une part, la nécessité démocratique de permettre d'avoir une incidence sur le scrutin à ceux qui souhaitent manifester leur refus de faire un choix parmi l'offre politique, et, d'autre part, l'impératif de stabilité institutionnelle, en limitant à deux le nombre maximal de scrutins.

Cette proposition de loi constitutionnelle est circonscrite par son objet, mais ambitieuse par la vision de notre démocratie et du suffrage universel dont elle est porteuse. J'espère qu'elle bénéficiera de votre soutien.

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La reconnaissance du vote blanc est une demande dont nos concitoyens nous font régulièrement part et constitue à mes yeux un impératif démocratique.

Pour un citoyen, la démarche consistant à aller voter, mais en choisissant de voter blanc, est lourde de sens. Ce vote doit donc être distingué d'une abstention ou d'un vote nul. En effet, par son vote blanc, le citoyen témoigne non d'un désintérêt pour la chose publique ou pour les enjeux de l'élection concernée, mais d'un mécontentement, d'un désaccord, d'un rejet des candidats et programmes présentés ou, tout simplement, de son absence de préférence entre deux ou plusieurs candidats. Il s'agit donc d'un vote au même titre qu'un autre, qu'il faut prendre en compte et reconnaître comme tel.

Depuis 2014, la loi dispose d'ailleurs que les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal de l'élection, et qu'il en est fait spécialement mention dans les résultats du scrutin. C'est un progrès : le vote blanc est reconnu et distingué des bulletins nuls comme de l'abstention. Toutefois, les bulletins blancs n'entrent pas en compte dans la détermination des suffrages exprimés.

Faut-il donc aller plus loin ? Personnellement, je le crois : décompter les bulletins blancs séparément, sans que ce décompte n'ait d'impact sur les suffrages exprimés, n'est pas suffisant. Dans cette situation, le poids effectif d'un vote blanc restera toujours marginal. Peu de nos concitoyens ont en tête le nombre de bulletins blancs ou le pourcentage des suffrages que ceux-ci représentaient lors des dernières élections présidentielles, alors que ces chiffres sont en hausse. M. le rapporteur l'a relevé, le vote blanc a occupé une place importante lors de ces élections. S'il avait été reconnu de la façon dont le texte qui nous est soumis le propose, en 2012, François Hollande n'aurait obtenu qu'une majorité relative des suffrages exprimés et l'élection aurait été annulée. En 2017, au second tour, plus de 3 millions de votes blancs, soit 8,52 % des votants, ont été officiellement comptabilisés, ce qui est considérable.

Toutefois, sans une réelle reconnaissance du vote blanc et s'il continue de n'être suivi d'aucun effet, les électeurs seront toujours plus tentés par l'abstention et une partie d'entre eux risque de se détourner du processus démocratique, ce que nous devons à tout prix éviter. À moins qu'ils ne votent pour un candidat aux idées duquel ils n'adhèrent pas nécessairement, pour signifier un vote de rejet, ce qui n'est pas préférable.

Comment aller plus loin ? Tout l'enjeu est de déterminer le bon niveau de reconnaissance qu'il convient d'accorder au vote blanc et les effets à lui attribuer. Sur ce dernier point, nous ne pouvons pas nous satisfaire des dispositions contenues dans la proposition de loi constitutionnelle. En effet, le cas de figure où aucun des candidats présents au second tour de l'élection présidentielle ne remporterait une majorité absolue des suffrages est un scénario assez probable s'agissant d'une élection où les scores des candidats présents au second tour sont souvent très serrés. Un tel résultat ne devrait pas avoir pour effet d'obliger à recommencer l'élection, pour les raisons suivantes.

En premier lieu, il ne me semble pas démocratique d'annuler l'élection d'un candidat arrivé en tête au motif qu'il n'aurait pas la majorité absolue si trois options sont en réalité proposées au suffrage des électeurs – deux candidats et le vote blanc.

En deuxième lieu, le dispositif ne ferait que créer de l'instabilité, quand le système actuel a précisément pour principal avantage de stabiliser le pouvoir et d'éviter des crises politiques à répétition.

Enfin, répéter l'élection jusqu'à ce que l'un des candidats obtienne la majorité absolue ne satisferait personne : soit le processus serait sans fin, soit les électeurs, pour mettre fin à l'instabilité, se résoudraient à voter pour l'un des deux candidats, ce qui reviendrait peu ou prou à la situation actuelle que critiquent les auteurs du texte. Ce n'est donc pas une solution.

Nous devons par conséquent réfléchir collectivement à la manière de donner davantage de poids au vote blanc et de le reconnaître. Cette question complexe ne peut être tranchée par une proposition de loi constitutionnelle un an avant l'élection présidentielle, structurante pour notre démocratie et dont nous modifierions ainsi profondément les règles. Cela nous serait d'ailleurs reproché, comme lors de récentes tentatives de modification importante des règles électorales, notamment dans le cadre du projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République – la proposition du Gouvernement au Sénat avait fait polémique, on s'en souvient.

Dans un premier temps, il nous paraîtrait essentiel de mener de premières expérimentations tendant à une meilleure reconnaissance du vote blanc à l'occasion d'autres scrutins que l'élection présidentielle.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe La République en Marche votera contre la proposition de loi constitutionnelle, tout en reconnaissant son intérêt.

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Je remercie le rapporteur et le groupe Libertés et Territoires de nous donner l'occasion de débattre de la reconnaissance complète du vote blanc. Il s'agit d'une question importante sur laquelle nous avons besoin d'avancer : j'avais d'ailleurs proposé au bureau de la commission la création d'une mission d'information, qu'il avait malheureusement refusée.

Traditionnellement, le groupe Les Républicains est plutôt contre une telle reconnaissance complète mais, comme sur toutes les questions de société, de nombreuses sensibilités s'expriment, chacun ayant sa lecture de la Constitution de la Ve République. À titre personnel, j'ai évolué sur ce sujet. Au départ, j'étais plutôt contre, considérant qu'il était nécessaire de conserver le symbole des 50 % – cette frontière qui donne la légitimité –, le dimanche soir du second tour de l'élection présidentielle, lorsqu'apparaît à l'écran le visage du candidat élu.

Mais on assiste à une montée de l'abstention, dont les chiffres doivent nous interroger, et même nous inquiéter. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à ne pas être satisfaits par l'offre politique, la meilleure preuve étant que 80 % d'entre eux ne souhaitent pas assister en 2022 à un remake du duel de 2017 entre le président sortant et Marine Le Pen. La dissémination de cette offre entre différents courants et partis, à l'image des nombreux groupes de notre assemblée, interroge également.

Ayant, donc, évolué, je suis aujourd'hui plutôt favorable à cette reconnaissance du vote blanc. L'article 1er de la proposition de loi me convient donc. Je suis en revanche opposé à l'article 2, qui conduirait à une invalidation et serait dangereux pour les institutions.

Enfin, il faut, selon moi, lier le vote blanc au vote obligatoire, puisqu'on ne pourra plus dire qu'on ne se reconnaît pas dans l'offre politique proposée.

Même si une telle réforme engendrerait de nombreux changements dans nos institutions, elle est sans aucun doute opportune. La question mérite en tout cas d'être posée.

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Notre groupe est de longue date engagé en faveur de la reconnaissance pleine et entière du vote blanc. Nous venons d'ailleurs de publier un petit livre blanc intitulé Agir contre l'abstention, dans lequel figure cette proposition.

Un sondage de 2017 a révélé que 86 % des Français – soit une large majorité – sont favorables à ce que ce vote soit considéré comme un suffrage exprimé.

La loi du 21 février 2014, issue de l'adoption d'une proposition de loi du groupe UDI, n'a pas été le grand pas espéré s'agissant de la reconnaissance de ce vote : au cours des débats, on avait ainsi parlé d'un vote blanc inoffensif. Certes, par son décompte, on peut constater le désaveu des électeurs pour les candidats en lice mais c'est une reconnaissance platonique, puisque l'on ne peut en tirer aucune conclusion pratique, les bulletins blancs ne pesant pas sur le résultat du scrutin et n'empêchant pas une élection. Voter blanc reste nul, en quelque sorte, même si depuis 2014 voter blanc ou voter nul n'est pas censé avoir la même signification.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés considère qu'il faut en finir avec cette politique des petits pas, qui favorise l'abstention, et ne pas craindre la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés, une telle évolution ne compliquant en rien le processus de désignation des élus et ne modifiant pas l'équilibre de nos institutions. Il est donc favorable à cette proposition de loi constitutionnelle.

Si l'élection présidentielle demeure le scrutin le plus mobilisateur, le taux d'abstention augmente néanmoins depuis quelques années : au second tour de 2017, il a ainsi battu un record depuis 1969 et le duel Pompidou-Poher.

Nous croyons que la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé sera un signe fort en faveur de la vitalité démocratique de notre pays. Le prendre en compte est tout à fait légitime alors que certains Français ne se retrouvent pas dans le choix électoral qui leur est proposé. Ils pourront ainsi faire leur devoir de citoyen même s'ils ne reconnaissent aucun des candidats en lice comme porteur de leurs idées et de leur conviction. Peut-être une telle évolution encouragera-t-elle également de nouvelles candidatures et un nouvel investissement politique ?

Nous devons donner envie aux Français de retourner aux urnes et pensons que la reconnaissance pleine et entière du vote blanc serait une bonne voie pour y parvenir.

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Notre groupe juge intéressante cette proposition de loi qui vise à reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé à partir de la prochaine élection présidentielle.

Le vote blanc consiste à déposer dans l'urne une enveloppe vide ou contenant un bulletin dépourvu de tout nom de candidat ou, dans le cas d'un référendum, de toute indication : un tel type de vote implique donc une volonté de se démarquer du choix proposé.

Nous le savons, l'offre politique est considérée par une partie importante et croissante de nos concitoyens comme insuffisante en termes de diversité. Dans ces conditions, une telle réforme constituerait une avancée démocratique.

Appliquée à l'élection présidentielle, sa pertinence serait cependant interrogée par l'article 7 de la Constitution qui dispose que « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. […] » Or le second tour de 2022 pourrait ne pas être décisif si une telle majorité n'était pas atteinte. Imaginons en effet qu'un candidat ou qu'une candidate l'emporte alors par 45 % des voix contre 35 % pour son adversaire, avec 20 % de votes blancs : il – ou elle – serait élue à la majorité relative, ce qui n'est pas conforme avec l'article 7.

Le vote blanc risque donc d'avoir de graves effets indésirables et non évalués. Sa reconnaissance pourrait entraîner son succès électoral mais fragiliserait l'ensemble du système politique français.

Par ailleurs, si l'incidence des votes blancs sur le résultat du scrutin variait selon la nature de celui-ci, elle serait de nature à rendre moins clair encore le choix du vote blanc pour une part non négligeable des électrices et des électeurs. Le groupe Socialistes et apparentés ne pourra donc pas soutenir la proposition de loi, malgré l'intérêt que présente le vote blanc, notamment en raison du risque induit par son article 2.

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Je précise tout d'abord que les propos que je vais tenir reflètent l'opinion de la majorité du groupe Agir ensemble, qui n'est pas unanime sur ce sujet.

Je remercie les initiateurs du texte, et en particulier M. le rapporteur, de nous permettre d'aborder cette question récurrente dans le cadre des institutions de la Ve République. Ce serpent de mer représente, pour le constitutionnaliste que je suis, le prototype du faux ami.

On nous explique que prendre en considération le vote blanc pour déterminer les suffrages exprimés ferait reculer l'abstention et réconcilierait nos concitoyens avec la démocratie : personnellement, je ne vois pas du tout le lien entre la proposition juridique et une telle affirmation.

Le mode de scrutin est un ensemble de règles et de modalités de calcul qui permettent de déterminer, en fonction des voix émises, les personnes élues. Comment ces règles pourraient-elles aboutir au fait qu'il n'y ait pas d'élu ? Le vote blanc constitue déjà une expression politique à laquelle il m'est arrivé, plus jeune, de recourir de même qu'au vote nul, manifestant ainsi mon mécontentement de ne pas trouver chaussure à mon pied. Il est d'ailleurs déjà pris en compte au titre de la participation.

J'ai le sentiment qu'une telle disposition aurait pour effet d'affaiblir de façon démesurée la personne finalement élue à la magistrature suprême.

Petite remarque de forme : en vertu de l'article 89 de la Constitution, cette proposition de loi constitutionnelle aurait vocation à être soumise au peuple par la voie du référendum. On solliciterait ainsi les Français pour savoir s'ils veulent que désormais, lors de l'élection présidentielle, les votes blancs soient enfin pris en considération comme des suffrages exprimés. La dernière fois que l'on a procédé de la sorte à propos du quinquennat, le taux d'abstention s'était élevée à 72 %. En l'occurrence, on devrait battre des records et atteindre 85 % ou 90 % d'abstention. Je ne suis pas sûr en effet que la population reviendrait aux urnes à cette occasion.

Sur le fond, nous nous heurtons à une difficulté : au terme du second tour, dans les conditions actuelles de la répartition des votes, il n'y aurait pas d'élu. Doit-on vraiment se réjouir d'aboutir à un système qui aurait un tel résultat ?

Je ne comprends pas l'objet de cette proposition de loi. S'il s'agit de prouver que le système constitutionnel est actuellement défaillant, peut-être aurait-il fallu y introduire le vote obligatoire ou l'élection au second tour à la majorité relative. Je ne comprends pas ces mesures isolées et exclusives, à l'instar de celle, également, relative à la proportionnelle. Toutes ces thématiques méritent des réflexions d'ensemble.

Cela me fait penser à l'Internationale situationniste incarnée par Guy Debord. Pour ne pas contraindre les spectateurs, il avait imaginé, dans la seconde moitié des années soixante‑dix, un théâtre sans décor, puis sans scénario, sans texte, puis, en définitive, sans comédiens. Je ne sais pas quel aurait été l'avenir du théâtre si nous avions été exposés pendant des décennies à des scènes vierges.

La politique n'est pas le choix de la table rase mais au contraire celui de ceux qui sont appelés à gouverner. Le groupe Agir ensemble sera donc, comme je le suis à titre personnel, opposé à la proposition de loi.

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Ayant suivi vos travaux à la télévision, je peux dire, madame la présidente, que vous présidez très bien, avec une once d'humour, ce qui n'est jamais préjudiciable – à condition de ne pas en abuser. Ayant en quatre ans de mandat plutôt siégé aux finances, puis fait un tout petit tour aux affaires étrangères avant d'être désormais à la défense, je constate aussi que la commission des Lois est très attentive.

Je remercie mon ami Jean-Félix Acquaviva qui a bien voulu rapporter, avec beaucoup de sérieux et de travail en commun avec mon équipe, la proposition de loi dont je suis l'auteur, ainsi que le groupe Libertés et Territoires pour son expertise. J'ai bien entendu les arguments échangés : leur caractère tantôt solennel, tantôt passionné montre qu'elle ne laisse personne totalement indifférent. Cela ne m'étonne pas compte tenu du caractère de notre pays, très attaché à la politique, et de celui de ses représentants, qui ne le sont pas moins.

On peut tourner le problème dans tous les sens : nous avons atteint un taux d'abstention tel que bientôt il y aura forcément du rejet à l'égard de notre système. Étant très attaché à la Ve République, je ne tiens nullement à la voir partir en vrille ; je voudrais au contraire contribuer, passionnément, à la faire perdurer. Or la défiance à l'égard des élus, et plus encore à l'égard des partis politiques, illustre le fossé qui existe entre les représentants et le peuple. La démocratie représentative, à laquelle nous sommes tous si attachés, n'a pas fini d'en voir.

Pendant des décennies, la République a pu s'appuyer sur un socle électoral solide, marqué par une forte participation des électeurs qui assurait la stabilité et la légitimité de nos institutions. Cette puissante dynamique reposait sur la conviction des électeurs citoyens que le peuple était souverain. Deux courants de pensée, deux projets, deux visions au moins leur étaient proposés. La gauche incarnait le progressisme, un message fort de partage et d'égalité des chances, et plusieurs familles – socialistes, communistes, radicaux de gauche, Verts, France insoumise – présentaient la plupart du temps des offres différentes à l'occasion du premier tour. La droite et le centre incarnaient, avec des nuances tout aussi marquées – si ce n'est plus –la liberté d'entreprendre et le sentiment de sécurité.

Les bouleversements intervenus dans le monde, ainsi que les changements opérés dans le mode d'organisation des scrutins en France – remplacement du septennat par le quinquennat, concomitance des élections présidentielles et législatives – ont totalement changé la donne. Ainsi, un référendum auquel le peuple avait fortement participé, et sur lequel il s'était prononcé pratiquement à 55 % en faveur du non s'est vu ratifier quelques mois plus tard à Versailles par les représentants du peuple.

Ce matin, je propose un texte qui je le sais n'est pas définitif, peut-être pour le construire et pour y réfléchir ensemble. Les différents arguments échangés me renforcent dans cette idée. Je préfère que nous le fassions de notre propre initiative avant d'y être contraints, ce qui serait très différent des habitudes de la Ve République.

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La rédaction actuelle de cette proposition de loi constitutionnelle constitue une réponse inadaptée à une vraie question posée à notre démocratie. Personne ne se satisfait du fait que d'élection en élection – le phénomène touchant cependant moins l'élection présidentielle, peut-être aurait-il fallu un texte de portée plus globale –, un nombre grandissant de nos concitoyens rejette le processus électoral et choisisse de ne pas se rendre aux urnes. L'expression de ce non-choix, qui affaiblit effectivement la légitimité démocratique des élus, nous conduit à nous interroger sur cette distance de plus en plus importante entre nos concitoyens et leurs représentants politiques, qu'ils soient locaux ou nationaux.

On réfléchit donc depuis longtemps à distinguer l'abstention, le vote nul et le vote blanc, ce dernier étant l'expression d'un non-choix entre deux candidats présents au second tour.

Proposer de reconnaître le vote blanc pour faire progresser la démocratie peut s'entendre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une proposition de loi émanant de notre groupe et visant à distinguer vote nul et vote blanc et à comptabiliser celui-ci avait été adoptée en 2014. Nous n'avions pas été à l'époque jusqu'à intégrer ce vote blanc dans le calcul de la majorité absolue.

Si ce pas supplémentaire devait être franchi demain, il ne le serait qu'à certaines conditions. Or la rédaction actuelle, notamment de l'article 2, n'est pas acceptable pour nous dans la mesure où elle remet en cause non seulement le second tour de l'élection présidentielle – le président n'étant pas élu à la majorité absolue, selon la règle constitutionnelle, une nouvelle élection doit être organisée – mais également les résultats du premier. Nous en rediscuterons puisque des amendements ont été déposés sur cet article.

La solution préconisée me paraît contraire aux valeurs démocratiques puisque l'expression de 3 %, 4 %, 6 % ou peut-être 8 % d'électeurs remettrait en question l'équilibre issu du choix de 50 %, 60 % ou 70 % du corps électoral, ce qui n'est pas acceptable du point de vue de l'équilibre démocratique et donc de nos institutions.

Certes, on peut imaginer que le second tour de l'élection présidentielle doive être réorganisé – il faut en débattre. Pour ma part, je préconise plutôt de déclarer élu à la majorité relative le candidat arrivé en tête, qui aura donc besoin de conquérir au cours de son mandat une légitimité dans l'opinion publique. Se poserait alors la question de l'exercice du pouvoir. En tout cas, remettre en question la totalité du processus électoral ne nous semble pas en l'état conforme aux valeurs démocratiques.

Nous nous prononcerons sur ce texte à l'issue du débat en commission et dans l'hémicycle. En l'état, nous ne pouvons nous y rallier, bien que nous soyons favorables à la prise en compte du vote blanc de manière plus importante qu'aujourd'hui.

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Enfin le vote blanc, qui signifie que l'offre présentée par les candidats ne convient pas à l'électeur et qu'il refuse de trancher entre différentes options qu'il considère – et c'est son droit – comme mauvaises, pourrait être véritablement comptabilisé comme un vote exprimé !

Pour qu'il soit réellement pris en compte, il faut que l'accumulation de votes blancs ait une conséquence sur l'élection et qu'à partir d'un certain seuil, ils entraînent l'annulation de l'élection, les autres suffrages cumulés n'étant pas considérés comme suffisamment représentatifs de l'expression de la volonté générale pour emporter la décision. Actuellement, les votes blancs sont comptés mais ne servent à rien : même dans l'hypothèse où il y aurait 50 % de votes blancs, ils ne produiraient aucune conséquence particulière.

Ainsi, pour être entendus, les citoyens se réfugient dans l'abstention, car ils ont compris qu'elle était la seule façon de s'exprimer qui intéresse un peu. Ils n'ont cependant guère droit qu'aux débuts des soirées électorales où l'on se lamente en cadence sur les plateaux télévisés à propos de la faiblesse de la participation, sans jamais se demander pourquoi les citoyennes et les citoyens ne se rendent plus aux urnes. On y roucoule en cadence de bons sentiments pour dire qu'il est important de voter, comme si faire la morale avait déjà ramené quelqu'un aux urnes.

L'abstention est haute. D'innombrables citoyens sont dégoûtés du système politique de la Ve et refusent de participer à ce qu'ils savent être une mascarade. La véritable reconnaissance du vote blanc, qui est l'objet de cette proposition de loi que j'ai cosignée et que je soutiens, est un outil du dégagisme populaire.

La réforme de 2014 est un couteau sans lame ni manche : elle ne sert à rien. Beaucoup plus ambitieux, le texte proposé aujourd'hui répond à une demande populaire : selon un sondage, 86 % des Français se déclarent en effet favorables à ce que le vote blanc soit considéré comme un suffrage exprimé et qu'il soit pris en compte lors du calcul du résultat des élections présidentielles. En ayant conscience que cela pourrait invalider l'élection faute de majorité absolue, les Français sont même à 60 % tout à fait favorables à la mesure.

Nous proposons, en complément de la reconnaissance du vote blanc, d'instaurer le vote obligatoire. En effet, les élections permettent de faire un choix grâce à l'expression de la volonté générale. Si le vote blanc était considéré comme un suffrage exprimé et pouvait entraîner l'annulation de l'élection, il faudrait donc rendre le vote obligatoire pour permettre une telle expression.

Nous proposons également un élargissement du corps électoral en accordant le droit de vote dès l'âge de seize ans, la jeunesse devant pouvoir participer aux décisions qui l'engagent. Il s'agit d'une mise en cohérence : si à cet âge l'on peut voter aux élections professionnelles, exercer l'autorité parentale et payer des cotisations sociales, pourquoi ne pourrait-on participer à l'élection du Président de la République, choix ô combien fondamental ? Le dérèglement climatique le montre clairement : ce sont les jeunes générations qui, plus que les autres, auront à vivre avec les conséquences des décisions qui sont prises maintenant. Elles doivent donc pouvoir y prendre part.

Nous ne pouvons toutefois en rester là. Si cette proposition de loi va dans le bon sens, elle ne peut suffire à résoudre la crise démocratique que connaît notre pays. Tel serait le cas de toute réforme partielle : il ne s'agirait que d'arrangements avec un système mauvais, autrement dit un pansement, certes nécessaire, mais sur une jambe de bois. Par le moyen d'une assemblée constituante, il faut que le peuple reprenne le pouvoir qui est le sien et décide d'une nouvelle constitution pour une VIe République. Il faut une refonte totale de nos institutions par et pour le peuple.

Cette crise démocratique avait été parfaitement exprimée par le mouvement des gilets jaunes en 2018 puisqu'ils avaient exigé l'instauration de référendums d'initiative citoyenne pour que le peuple décide. La seule véritable manière de changer la Constitution est précisément de réunir une telle constituante.

La crise sanitaire advenue depuis n'a rien changé à cette exigence. Elle l'a simplement rendue plus aiguë et plus impérieuse, car si elle nous frappe si durement, c'est aussi parce que le peuple n'a pas eu les moyens de s'opposer à la destruction des services publics, notamment hospitaliers. On ne lui a pas demandé son avis, celui qu'il a pu donner n'a pas été entendu et c'est lui qui en paye le prix aujourd'hui.

Il faut opérer une bifurcation écologique, régler la crise sociale et construire un avenir pour nos enfants. Seul le peuple peut en décider ; lui seul est légitime pour le faire car l'avenir doit être que ce qu'il décidera. Pour cela, il faut qu'il reprenne en main ses institutions : nous avons donc besoin d'une assemblée constituante pour une VIe République.

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Nous sommes également satisfaits d'examiner cette proposition de loi, conscients que l'avancée de 2014 était insuffisante puisque si les bulletins blancs sont désormais reconnus et comptés, ils ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés.

Or le vote blanc est une expression, puisqu'on se déplace pour exercer son droit de vote, au moyen d'une enveloppe vide ou d'un bulletin blanc. Il doit donc à ce titre être compté dans les suffrages exprimés. Nous sommes favorables à la disposition proposée à ce titre.

L'article 2, qui pose plus de problèmes, nous fait toucher du doigt le paradoxe de la Ve République, à savoir l'hypertrophie du Président de la République, clé de voûte des institutions, et la dérive monarchique de la présidence de la République constatée depuis plusieurs mandats et qui a été renforcée par l'inversion du calendrier électoral. On ne peut pas à la fois se satisfaire d'une constitution et d'une Ve République à l'origine d'une telle hypertrophie et ne pas souhaiter à tout prix que la légitimité du chef de l'État soit indiscutable.

Notre groupe avait, par l'intermédiaire d'Alain Bocquet, déposé au cours de la précédente mandature une proposition de loi visant à ce que le second tour de l'élection présidentielle n'oppose pas forcément les deux premiers candidats, mais plutôt tous ceux ayant atteint un certain seuil, de façon à ouvrir le choix.

La logique selon laquelle au premier tour, on choisit, et au second, on élimine, est en effet de moins en moins vraie. Attention aux réveils douloureux ! Nous risquons de plus en plus de connaître des seconds tours où les gens auront envie d'éliminer les deux candidats. Or, affaiblir la représentativité, et donc la légitimité du président élu dans le cadre de la Ve République, est dangereux pour la démocratie elle-même. Par conséquent, balayer d'un revers de main des propositions de loi comme celle-ci peut signifier fabriquer la délégitimation du Président de la République, avec tous les risques démocratiques que cela suppose.

Ce mercredi illustre parfaitement cette hypertrophie présidentielle, source d'affaiblissement démocratique : nous avons appris en entrant dans cette salle que le Président de la République s'exprimerait ce soir à la télévision et que l'Assemblée nationale était convoquée demain matin pour se prononcer – en réalité pour entériner – sur les mesures qu'il présentera à cette occasion. Il n'y aura donc pas de débat, même si chacun pourra alors s'exprimer. Or ces dérives monarchiques pèsent négativement tant sur l'acceptation des mesures sanitaires que sur le fonctionnement démocratique.

Nous sommes favorables à cette proposition de loi avec une alternative pour l'article 2, qui reprendrait la mesure prévue dans celle d'Alain Bocquet visant à disposer d'une offre politique plus large lors du second tour. Veillons à ne pas tourner la proposition de loi et l'article 2 en ridicule, car il s'agit d'un sujet majeur pour le fonctionnement démocratique de notre pays.

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Le mot légitimité n'a été prononcé qu'une ou deux fois, alors qu'il s'agit de la question majeure que pose en filigrane la proposition de loi. Je m'inquiète moi aussi du fait qu'un certain nombre de nos concitoyens choisissent aujourd'hui soit l'abstention, soit le vote blanc, soit la non-participation, qui sont difficiles à interpréter.

Je m'inquiète également beaucoup du fait que l'un des groupes politiques de notre assemblée parle, en évoquant un processus électoral, de mascarade. Considérer que l'expression de citoyens dans une démocratie est une mascarade revient en effet à délégitimer les élus que nous sommes. Faisons un peu de politique-fiction : je ne suis pas sûr que, si M. Mélenchon avait été élu Président de la République lors de la dernière élection présidentielle, on aurait fait son procès en illégitimité.

Il se trouve cependant que certains ici, depuis le processus électoral de 2017, passent leur temps à faire un tel procès à ceux qui sont sortis victorieux des urnes. Oui, un processus politique est toujours relatif. Comme le disait Winston Churchill, la démocratie est sans doute le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres.

Alors qu'au sein même de la vie politique, des gens s'amusent à remettre en cause la légitimité des élus du peuple, le moment n'est vraiment pas le bon – hélas ! – pour examiner ce texte. Je souhaiterais que cela puisse l'être, mais dans le cadre d'un débat apaisé où l'on réfléchirait également au vote obligatoire et à la participation aux scrutins. Du fait de tels comportements, l'urgence est au contraire de consolider la légitimité de nos élus.

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Je constate, chers collègues, que vos esprits sont autant en recherche que le mien. Nous avons voulu que ce texte soit ouvert pour qu'il puisse évoluer et permettre peut-être une transformation salutaire de notre République.

Je suis opposé au vote obligatoire pour la simple raison que nous sommes des Gaulois – un peu réfractaires. Une obligation risquerait de le disqualifier encore davantage. Il pourrait en outre engendrer des injustices, certains ayant de quoi payer l'amende, d'autres pas.

Bien sûr, c'est l'ensemble des scrutins, et pas la seule élection présidentielle, qu'il faudrait considérer. J'ai choisi de partir d'un symbole très fort qui nous interpelle tous dès le premier instant.

Enfin, il pourrait y avoir un réveil plus douloureux que de constater un jour, très prochain peut-être, que « M. Blanc » est arrivé en tête. Les Républiques sont mortes de n'avoir pas su se réformer ou s'adapter quand il le fallait. Celle-ci, la Ve, était basée sur l'honneur, que je pense essentiel en politique car c'est un art, certainement l'un des plus sublimes, ainsi que sur une certaine idée de la France, du monde, de l'humanité et de la civilisation. Hélas, nos aînés se sont permis de la changer beaucoup sans d'ailleurs jamais y associer, hormis pour la fin du septennat, nos concitoyens. Si nous avions la force de proposer ensemble un texte sur lequel nous puissions nous accorder, ce serait un très grand et beau signe à l'égard du peuple. C'est l'une des dernières chances que nous avons de le faire.

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Je suis désolé si le mot « mascarade » a choqué mais une élection législative, au cours de laquelle plus de 40 % des électeurs se sont abstenus, qui offre une majorité absolue à un Président de la République élu avec 23 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle, donne bel et bien l'impression d'une mascarade. Les gens sont découragés d'aller voter car ils ont bien compris qu'une seule élection compte, celle de la présidentielle, et que toutes les autres ne servent à rien. Quant aux calendrier des réformes institutionnelles, je voudrais que l'on me cite une seule Constitution qui n'ait pas été rédigée dans une période de crise car c'est justement dans ces moments-là que des régimes s'effondrent pour laisser place à d'autres. Nous sommes en crise aujourd'hui et c'est pour cette raison que nous avons besoin d'une VIe République.

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Je m'associe aux remerciements de Jean Lassalle car ce débat fort nourri nous permet d'explorer toutes les pistes pour répondre à un problème qui n'est pas nouveau puisqu'il revient à intervalles réguliers comme un serpent de mer : la crise de confiance dans nos institutions politiques. Nous sommes au moins d'accord sur ce point. L'écart se creuse entre nos concitoyens et les groupes politiques, envers lesquels la défiance s'accentue, toutes tendances confondues. La montée de l'abstention, du vote blanc, du populisme, est une réalité. Selon un proverbe corse, les honneurs donnent plus de charges et de devoirs que de droits. L'un des devoirs des élus est, précisément, de reconnaître cet écart et cette défiance, et d'accepter de prendre en compte, d'une manière ou d'une autre, le vote blanc. Si l'on considère que le vote blanc est un choix conscient et non par défaut, oubli ou erreur, il est alors un choix démocratique que l'on doit prendre en compte. Nous ne pouvons pas, surtout en période de crise, nous récrier « Cachez ce sein que je ne saurais voir ! ». Il y aurait une contradiction majeure, voire mortelle pour la stabilité institutionnelle en temps de crise, à ne pas reconnaître le choix conscient du peuple. En démocratie, le peuple a toujours raison. Si ses choix nous conduisent dans certaines situations difficiles, c'est parce que ses représentants ont eu tort. Cette logique imparable s'impose à nous tous. La question du sens est essentielle. Sinon, nous resterons dans l'alibi ou le leurre.

En l'espèce, cette proposition de loi concerne l'élection présidentielle. Elle pose le problème de la place du Président de la République dans le contexte actuel. La question, au second tour du scrutin, de la légitimité, au sens de la majorité absolue, ou non en raison de la reconnaissance du vote blanc, n'est pas neutre, bien au contraire. C'est un homme ou une femme qui rencontre le peuple et la Nation. Nous parlons de l'élection présidentielle et non d'autres types d'élections pour lesquelles la question du seuil pourrait se poser, par exemple des scrutins de listes ou des élections à la représentation proportionnelle pour lesquels il faudrait franchir une barre afin d'accéder au second tour. C'est pour cette raison que l'article 2 a du sens.

Quel niveau de contrainte veut-on imposer à la représentation démocratique pour l'obliger à trouver des solutions face à la crise politique que nous traversons ? On peut, en effet, considérer que l'abstention témoigne d'une crise importante qui pourrait nous conduire à une crise profonde. La reconnaissance du vote blanc n'est sans doute pas la seule réponse possible. Je suis, à titre personnel, très décentralisateur et autonomiste pour la Corse car il me semble que c'est en élaborant des règles au plus près du terrain, avec les élus locaux, que l'on restaure la confiance dans les politiques publiques. Quoi qu'il en soit, nous sommes favorables à ce que la contrainte soit telle qu'elle puisse entraîner l'annulation de l'élection. Cette rupture permettra sans doute d'avancer, en favorisant le consensus, en affinant les projets de société, en témoignant de la volonté de se rapprocher du peuple, quitte à ce que, lors du second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour soit élu si aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour – c'est l'objet de mon amendement. Ainsi, la reconnaissance du vote blanc aura servi l'intérêt général alors qu'aujourd'hui, l'écart grandissant entre les citoyens et les élus sert d'abord l'intérêt des extrêmes. C'est tout le sens de notre débat. L'amendement CL5 permettrait de garantir la stabilité institutionnelle du système.

La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.

Avant l'article 1er

La Commission examine les amendements CL2 et CL1 de M. Bastien Lachaud.

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Le premier de ces amendements tend à insérer le mot « obligatoire » après « universel », afin de réaffirmer le caractère obligatoire du vote. Cette proposition n'est pas aussi exotique que certains pourraient le penser puisqu'elle a déjà été adoptée en Belgique, au Luxembourg, en Grèce, en Australie, en Argentine, au Brésil. En Argentine, cette disposition aurait permis d'augmenter la participation de près de 18 points. Le vote obligatoire n'a de sens que s'il est couplé à la reconnaissance du vote blanc pour que les gens puissent s'exprimer en conscience, choisir un candidat ou faire comprendre qu'aucun n'est digne de leur suffrage.

Le second amendement vise à abaisser l'âge légal du droit de vote à seize ans. L'Autriche, l'Écosse, le Brésil, l'Équateur et certains Länder allemands appliquent cette mesure. C'est un amendement de cohérence. Si, à seize ans, on peut travailler, saisir les prud'hommes, détenir l'autorité parentale, être émancipé, pourquoi ne pourrait-on pas choisir celui qui fixe les règles pour la nation ?

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Avis défavorable à ces amendements, même si nous reconnaissons que le débat doit faire son chemin.

Voter est un droit et un devoir mais nous ne sommes pas favorables à une obligation pour plusieurs raisons. Tout d'abord, elle attenterait trop à la liberté de chacun, que la reconnaissance du vote blanc, en revanche, accroît – certains voteraient uniquement pour éviter une amende. Les représentants du Parti du vote blanc, lors de leur audition, ont d'ailleurs dit qu'ils étaient opposés à une telle obligation. J'ajoute que, compte tenu des différences de revenus, la sanction financière accentuerait les inégalités. Enfin, la légitimité des élus pourrait en pâtir : l'absence d'abstention laisserait accroire que « tout va bien, madame la marquise ! ».

Une proposition de loi instaurant le vote dès seize ans a été examinée et rejetée à l'automne dernier. Nous considérons en effet que le vote doit rester corrélé à la majorité. Il va de soi que les jeunes de quinze ou seize ans ont des idées pertinentes et que certains d'entre eux s'engagent de bonne heure en politique mais cette question ne saurait être traitée isolément puisque la majorité civile et pénale devrait être dès lors abaissée, ce qui emporterait des conséquences possiblement terribles. De plus, selon certains pédopsychiatres, les jeunes ont besoin de rites de passage dans la vie adulte – entrée au collège, baccalauréat, permis de conduire. Il nous paraît donc nécessaire d'en rester là. J'ajoute que, selon certains sondages, les jeunes ne sont pas forcément favorables à une telle mesure.

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Je partage l'avis du rapporteur. Il s'agit d'une fausse bonne idée, d'un remède qui pourrait être pire que le mal.

La reconnaissance du vote blanc est plébiscitée parce que les électeurs ont le sentiment qu'ils pourraient manifester ainsi leur mécontentement mais je ne suis pas du tout certain de leur enthousiasme à propos du vote obligatoire pour deux raisons. Tout d'abord, la France a choisi depuis longtemps l'« électorat-droit » et non l'« électorat-fonction ». Ensuite, la sanction pénaliserait au premier chef les plus précaires de nos concitoyens et les plus fortunés pourraient s'offrir le luxe de ne pas voter.

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Il est vrai que l'abstention peut être considérée comme la manifestation d'un choix parmi d'autres et que le vote obligatoire serait difficile à appliquer. Néanmoins, comme je l'ai dit, la reconnaissance du vote blanc implique logiquement le vote obligatoire puisque l'argument selon lequel l'électeur ne se reconnaîtrait pas dans l'offre politique ne serait plus valable. Cela impliquerait aussi de passer du « droit » au « devoir » de vote, ce qui me paraît envisageable dans notre démocratie, où la cohésion est menacée – et les devoirs me semblent plus propices pour remédier à cette situation que l'octroi de nouveaux droits.

Je suis donc assez ouvert sur le premier amendement de notre collègue, dont je constate qu'il profite du second, contre lequel je voterai, pour supprimer de notre Constitution les mots « majeurs des deux sexes » !

(Sourires)

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Je rappelle que nous avons abaissé le seuil à seize ans pour pouvoir signer des pétitions adressées au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Nous nous inscrivons dans une logique de promotion de l'engagement des jeunes et nous ne sommes pas « binaires » !

La Commission rejette successivement les amendements.

Article 1er (art. 7 de la Constitution) : Comptabilisation des bulletins blancs dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle

La Commission rejette l'article 1er.

Article 2 (art. 7 de la Constitution) : Mise en place d'un dispositif permettant au Conseil constitutionnel de déclarer qu'il doit être procédé à une nouvelle élection présidentielle si aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés lors du second tour du scrutin

La Commission examine m'amendement CL4 de Mme Emmanuelle Ménard.

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Avis défavorable à cet amendement qui ne correspond pas à l'esprit de la proposition de loi. Il nous importe en effet de maintenir la règle de la majorité absolue dans un premier temps : dans l'esprit de nos institutions, de notre histoire et de notre vie politique, le Président de la République doit rassembler l'ensemble des Français et, donc, disposer d'un socle électoral large et solide. Dans le cas contraire, le vote blanc serait reconnu comme suffrage exprimé mais sans effet réel, or, le changement doit être à la hauteur de l'urgence et de la crise de défiance que nous traversons.

La nécessité d'obtenir la majorité absolue lors du premier tour de scrutin avec la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé rendrait nécessaire l'évolution de nos partis, de nos pratiques politiques, de la recherche du consensus et ouvrirait la voie vers davantage d'alliances et de débats pour un projet de société cohérent.

La Commission rejette l'amendement.

La Commission est saisie de l'amendement CL5 du rapporteur.

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Pour que cet amendement soit opérationnel, il conviendrait de supprimer la mention du premier tour de l'élection à l'alinéa 2 de cet article. Selon votre amendement, lors de la deuxième organisation d'un second tour, c'est en effet la majorité relative qui s'applique. Pourquoi, dès lors, maintenir une telle mention ?

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C'est le serpent qui se mord la queue ! Un garde-fou est en effet nécessaire car la disposition initiale bloquera le fonctionnement des institutions. Les candidats du premier tour auront été délégitimés, on reviendra sur ce dernier alors qu'il aura été entériné pour tout recommencer avec des seconds couteaux qui ne seront pas en mesure d'obtenir une majorité absolue. Tout cela me semble contre-productif.

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J'admire la faculté de M. Euzet à voir des problèmes où il n'y en a pas ! Les deux tours seront réorganisés et, à l'issue du second, c'est le candidat qui remporte le plus de suffrages qui est élu. Il n'y a là aucune usine à gaz : c'est un choix politique.

La Commission rejette l'amendement.

Elle rejette l'article 2.

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Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial.

La réunion se termine à 13 heures 50.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

- M. Jean-Luc Mélenchon, rapporteur sur la proposition de loi organique instaurant une procédure de parrainages citoyens pour la candidature à l'élection présidentielle (nº 3478) ;

- M. Jean-Luc Mélenchon, rapporteur sur la proposition de loi visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif (n° 4013).

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.