Intervention de Raphaël Schellenberger

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

Nous savons que ce texte est le résultat d'un combat de longue date et reconnu du rapporteur.

La non-rétroactivité constitue une préoccupation constante pour le législateur, comme en témoigne le principe figurant à l'article 2 du code civil : la loi ne dispose que pour l'avenir. Malheureusement, du fait de son inscription dans le seul code civil, ce principe n'a pas de valeur constitutionnelle et ne s'applique pas en matière fiscale. Il ne s'impose donc pas au législateur.

Dans sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel attache une grande importance à la non-rétroactivité. On peut à cet égard rappeler sa décision du 18 décembre 1998 qui considère que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle […] qu'en matière répressive [et] que […] si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».

Ce critère subjectif ouvre la voie à de nombreuses interprétations, et donc à de nombreux abus. C'est la raison pour laquelle les exemptions à cette règle de non-rétroactivité sont très fréquentes en matière fiscale. L'exemple le plus connu remonte à 1984, lorsque le gouvernement Mauroy a réduit de vingt-cinq à quinze ans la durée d'exonération de la taxe foncière pour les immeubles construits avant le 1er janvier 1973. Néanmoins, le recours abusif à des dispositions fiscales rétroactives, source d'inquiétude pour le contribuable, s'est accru ces dix dernières années. Dans les faits, le législateur justifie ces cas de rétroactivité par la volonté d'empêcher les effets d'aubaine entre l'annonce d'une mesure et son adoption, ou par la nécessité de corriger un dispositif techniquement défectueux. Mais ces pratiques suscitent chez nos concitoyens un sentiment d'insécurité juridique légitime, qui affecte durablement leur confiance dans la parole publique.

L'instabilité juridique récurrente est devenue, avec le poids démesuré des prélèvements obligatoires, l'un des deux grands fléaux de notre fiscalité, expliquant hélas le manque d'attractivité structurel de la France et le retard de nos entreprises en termes de compétitivité mondiale. Or cette instabilité fiscale, qui mine profondément la confiance des ménages et des entreprises, est encore plus handicapante quand les règles du jeu changent de manière rétroactive, ce qui fausse les anticipations et prévisions d'investissement des Français et des entreprises.

Qui accepterait que l'on change les règles du jeu en cours de match ? C'est pourtant bien ce que l'on fait quasi systématiquement dans les lois fiscales. En 2014, par exemple, le gouvernement socialiste avait modifié l'imposition des plus-values sur les terrains à bâtir avant même que ce changement ne soit inscrit dans la loi. C'est une façon très risquée de légiférer, car si les parlementaires avaient décidé d'amender le texte, tous les Français qui avaient profité de cette nouvelle fiscalité avant le vote de la loi auraient pu être lésés. Par ailleurs les lois de finances récentes ont souvent eu un caractère rétroactif lorsqu'elles ont changé les règles fiscales pour des revenus engrangés lors de l'année en cours et jusqu'alors non imposés. Les ménages concernés se retrouvaient donc dans l'incapacité de prendre leurs dispositions pour limiter la portée de ces mesures.

Cette proposition de loi organique, qui fait suite à un combat mené depuis plus de vingt ans par le rapporteur, vise à remédier à cette dérive en rendant notre fiscalité plus transparente et plus stable, contribuant ainsi à rétablir la confiance entre le contribuable et l'État. Elle n'est pas hostile à toute rétroactivité, ce qui aurait pour conséquence de lier complétement les mains du législateur, mais l'encadre strictement. Il s'agit de donner plus de visibilité et plus de liberté au contribuable.

Ayant toujours poursuivi cet idéal, le groupe LR votera cette proposition de loi organique.

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