Intervention de Christophe Euzet

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Euzet :

Je précise tout d'abord que les propos que je vais tenir reflètent l'opinion de la majorité du groupe Agir ensemble, qui n'est pas unanime sur ce sujet.

Je remercie les initiateurs du texte, et en particulier M. le rapporteur, de nous permettre d'aborder cette question récurrente dans le cadre des institutions de la Ve République. Ce serpent de mer représente, pour le constitutionnaliste que je suis, le prototype du faux ami.

On nous explique que prendre en considération le vote blanc pour déterminer les suffrages exprimés ferait reculer l'abstention et réconcilierait nos concitoyens avec la démocratie : personnellement, je ne vois pas du tout le lien entre la proposition juridique et une telle affirmation.

Le mode de scrutin est un ensemble de règles et de modalités de calcul qui permettent de déterminer, en fonction des voix émises, les personnes élues. Comment ces règles pourraient-elles aboutir au fait qu'il n'y ait pas d'élu ? Le vote blanc constitue déjà une expression politique à laquelle il m'est arrivé, plus jeune, de recourir de même qu'au vote nul, manifestant ainsi mon mécontentement de ne pas trouver chaussure à mon pied. Il est d'ailleurs déjà pris en compte au titre de la participation.

J'ai le sentiment qu'une telle disposition aurait pour effet d'affaiblir de façon démesurée la personne finalement élue à la magistrature suprême.

Petite remarque de forme : en vertu de l'article 89 de la Constitution, cette proposition de loi constitutionnelle aurait vocation à être soumise au peuple par la voie du référendum. On solliciterait ainsi les Français pour savoir s'ils veulent que désormais, lors de l'élection présidentielle, les votes blancs soient enfin pris en considération comme des suffrages exprimés. La dernière fois que l'on a procédé de la sorte à propos du quinquennat, le taux d'abstention s'était élevée à 72 %. En l'occurrence, on devrait battre des records et atteindre 85 % ou 90 % d'abstention. Je ne suis pas sûr en effet que la population reviendrait aux urnes à cette occasion.

Sur le fond, nous nous heurtons à une difficulté : au terme du second tour, dans les conditions actuelles de la répartition des votes, il n'y aurait pas d'élu. Doit-on vraiment se réjouir d'aboutir à un système qui aurait un tel résultat ?

Je ne comprends pas l'objet de cette proposition de loi. S'il s'agit de prouver que le système constitutionnel est actuellement défaillant, peut-être aurait-il fallu y introduire le vote obligatoire ou l'élection au second tour à la majorité relative. Je ne comprends pas ces mesures isolées et exclusives, à l'instar de celle, également, relative à la proportionnelle. Toutes ces thématiques méritent des réflexions d'ensemble.

Cela me fait penser à l'Internationale situationniste incarnée par Guy Debord. Pour ne pas contraindre les spectateurs, il avait imaginé, dans la seconde moitié des années soixante‑dix, un théâtre sans décor, puis sans scénario, sans texte, puis, en définitive, sans comédiens. Je ne sais pas quel aurait été l'avenir du théâtre si nous avions été exposés pendant des décennies à des scènes vierges.

La politique n'est pas le choix de la table rase mais au contraire celui de ceux qui sont appelés à gouverner. Le groupe Agir ensemble sera donc, comme je le suis à titre personnel, opposé à la proposition de loi.

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