Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, rapporteur :

Les crises protéiformes que les démocraties occidentales traversent depuis plusieurs années constituent autant de défis qui lui sont posés. De ce point de vue, l'augmentation constante du taux d'abstention nous préoccupe tous, car elle constitue un bon indicateur de la désaffectation des citoyens à l'égard des élus. Elle doit nous inciter à nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie, en particulier sur celui du suffrage universel.

La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen a été déposée par notre collègue, que chacun reconnaîtra à la passion qu'il met à défendre ses combats, Jean Lassalle. Elle a pour ambition d'apporter une réponse forte à la crise démocratique que nous connaissons, en prenant en compte le vote blanc lors des élections présidentielles.

En droit électoral, le vote blanc a longtemps été rendu invisible. Le Conseil d'État a précisé dès 1806 dans un avis public que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis et assimilés aux votes nuls. Ce double principe d'exclusion des votes blancs des suffrages exprimés et d'assimilation du vote blanc et du vote nul a été confirmé par un décret de 1852, puis par une loi électorale du 29 juillet 1913.

Ces dispositions s'inscrivent dans une tradition historique : celle d'une conception utilitariste du droit de vote. Dans ce cadre, le suffrage a pour unique finalité d'arrêter une désignation en cas d'élection, ou une décision en cas de référendum. Dans cette optique, la prise en compte du vote blanc est perçue comme dangereuse.

Une première rupture avec cette tradition historique est apparue avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, qui avait pour objet de distinguer le vote blanc du vote nul. Désormais, les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés aux procès-verbaux des élections. Une précision a également été apportée à la définition du vote blanc : constitue dorénavant un vote blanc, en plus d'une enveloppe contenant un bulletin blanc, une enveloppe ne contenant aucun bulletin.

Cette évolution législative a créé un premier degré de reconnaissance juridique du vote blanc, en permettant de le mesurer et en accroissant sa visibilité. Par exemple, lors du second tour de l'élection présidentielle de 2017, nous savons désormais que plus de 3 millions d'électeurs ont fait le choix d'un bulletin blanc, soit 6,4 % des inscrits et 8,5 % des votants.

L'avancée permise par la loi de 2014 est toutefois avant tout symbolique : le vote blanc est mieux reconnu, mais il reste sans incidence sur le scrutin.

La présente proposition de loi constitutionnelle suggère en conséquence d'aller plus loin. En rupture avec la conception strictement utilitariste du droit de vote, elle trouve son origine dans la conviction que le suffrage universel peut, et doit, permettre aux citoyens d'exprimer leurs opinions, fussent-elles contestataires.

Son premier article a pour objet d'intégrer les votes blancs dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle. Il s'agit d'une avancée importante. Cette question est en effet un serpent de mer de notre vie politique. Dans notre assemblée, elle a fait l'objet de pas moins de 35 propositions de loi déposées depuis 1993. Elle figurait également dans le programme des trois quarts des candidats à l'élection présidentielle de 2017. Enfin, et surtout, elle bénéficie d'une adhésion très forte de la part des Français : en 2017, ils étaient 86 % à se dire favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle, y compris si cela pouvait mener à une invalidation de l'élection dans l'hypothèse où aucun candidat ne parviendrait à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.

En plus de correspondre à une volonté des Français, l'évolution ici proposée permettra de lutter contre l'abstention. Au premier tour de l'élection présidentielle, celle-ci représentait 16,2 % des inscrits en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017. Au second tour, elle s'élevait à 16 % des inscrits en 2007, 19,7 % en 2012 et 25,4 % en 2017. Ces chiffres doivent nous alerter.

Reconnaître que le vote blanc a une véritable signification politique et donner à ce type de bulletin le pouvoir de changer le cours de l'élection constitue le plus sûr moyen de réconcilier les citoyens avec la démocratie représentative. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu'ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue.

Intégrer les bulletins blancs dans les suffrages exprimés n'est pas sans conséquence sur le scrutin présidentiel. Le second article de la proposition de loi constitutionnelle anticipe donc la situation dans laquelle aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour. Il instaure un dispositif permettant d'éviter tout blocage institutionnel.

Selon le dispositif de la proposition de loi, le Conseil constitutionnel invalide l'élection si aucun candidat n'obtient la majorité absolue des suffrages exprimés et il est procédé à un second scrutin. Par amendement, je propose de préciser que, lors de ce second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour est élu. Soutenu par Jean Lassalle, auteur de la proposition de loi constitutionnelle, ce dispositif amendé permettrait de trouver un juste équilibre entre, d'une part, la nécessité démocratique de permettre d'avoir une incidence sur le scrutin à ceux qui souhaitent manifester leur refus de faire un choix parmi l'offre politique, et, d'autre part, l'impératif de stabilité institutionnelle, en limitant à deux le nombre maximal de scrutins.

Cette proposition de loi constitutionnelle est circonscrite par son objet, mais ambitieuse par la vision de notre démocratie et du suffrage universel dont elle est porteuse. J'espère qu'elle bénéficiera de votre soutien.

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