Je salue le très bon travail du rapporteur. J'avoue m'être régalé en lisant l'exposé des motifs de cette proposition de loi organique, qui pourrait servir à de nombreux étudiants en droit de support de cours sur l'application de la loi dans le temps et la rétroactivité.
Toutefois, permettez-moi de formuler quelques remarques préalables.
S'agissant des sanctions fiscales, le contribuable est protégé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dans le cas d'une disposition fiscale rétroactive, aucune majoration, y compris les intérêts de retard, ne saurait être imposée à un contribuable devant régulariser sa situation – et c'est fort heureux.
Le principe de non-rétroactivité n'est affirmé qu'à l'article 2 du code civil. En théorie, ce que la loi fait, la loi peut le défaire. Mais en pratique la possibilité pour le législateur de recourir à la rétroactivité fiscale est fortement encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel comme par celle des deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire. Il me semble que ces instances juridictionnelles ont construit au cours des deux dernières décennies un ouvrage jurisprudentiel permettant de protéger le contribuable des excès dont peut parfois faire preuve le législateur en matière de rétroactivité fiscale.
Tout d'abord, dans les différents cas où le législateur souhaite recourir à ce que la doctrine désigne sous le nom de « grande rétroactivité » – la rétroactivité juridique –, la jurisprudence vient fortement encadrer son incursion. Si le Conseil constitutionnel considère qu'il est loisible au législateur d'adopter de telles dispositions, elles doivent être justifiées par un motif d'intérêt général qui est passé de « suffisant » à « impérieux » en 2014 – le Conseil renforçant encore son contrôle. Ce motif d'intérêt général ne peut être seulement financier ; il doit être conjugué avec un autre motif comme le bon fonctionnement de l'administration fiscale, pour les dispositions fiscales interprétatives, ou encore la lutte contre la fraude fiscale.
S'agissant de la « rétrospectivité » et de la rétroactivité économique, le contrôle juridictionnel est plus récent. Le contribuable dispose là encore de nombreuses garanties. La jurisprudence administrative évoque depuis 2012 la notion d'« espérance légitime », alors que le Conseil constitutionnel a consacré depuis 2015 celle d' « effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations légalement acquises. Inspiré des juridictions européennes, ce mouvement devrait continuer à se développer dans les prochaines années.
En matière de petite comme de grande rétroactivité, il apparaît que le contribuable dispose des garanties nécessaires ; le législateur doit quant à lui pouvoir continuer d'adopter des dispositions rétroactives, plus que nécessaires dans certains cas.
J'en viens aux articles.
L'article 1er souhaite reprendre dans la loi les limites fixées par le Conseil constitutionnel en matière de rétroactivité, celle-ci étant subordonnée à l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général.
L'article 2 prévoit la création d'une « clause du grand-père » pour les actes dont l'exécution a une durée comprise entre un et quinze ans, lorsque l'application de dispositions rétroactives porterait une atteinte sensible à leur équilibre financier. Je préfère la rédaction initiale à celle proposée par votre amendement CL5, notamment parce que la notion d'« atteinte sensible » à l'équilibre financier me semble moins précise que celle de « compromission » de ce dernier. Cette question, qui se posait avec une grande acuité lors de la rédaction du rapport Gibert, est de mieux en mieux prise en compte par la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel avec l'application du principe de confiance légitime. La même observation peut être formulée à propos de l'article 3.
L'article 4 concentre l'essentiel de nos critiques. Séduisant pour les praticiens du droit fiscal – et il l'était assez à mes yeux dans mon ancienne vie –, il est dangereux pour les parlementaires en restreignant considérablement le droit d'amendement garanti par l'article 44 de la Constitution. L'évaluation obligatoire des conséquences financières pour les contribuables, délicate mais possible pour le Gouvernement, est en l'état actuel hors de portée des parlementaires.
Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera contre cette proposition de loi organique.