Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du mercredi 7 avril 2021 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago :

Je commencerai par saluer la célérité de cette navette parlementaire qui prouve qu'il est possible, lorsque nous partageons l'intérêt supérieur de l'enfant, de légiférer dans des délais contraints. La proposition de loi de Mme Annick Billon s'est retrouvée au cœur de nombreuses controverses, depuis sa première lecture au Sénat, en janvier dernier. Je le regrette car je ne doute pas du sérieux du travail de Mme Marie Mercier et de mes amis sénateurs dont de nombreux amendements ont été repris.

Cette proposition de loi, soutenue par le Gouvernement désormais, reprend largement le texte que j'avais déposé en février dernier, y compris les amendements qui avaient été adoptés. La principale différence réside dans le fait que la proposition de loi que j'ai rapportée, qui a marqué l'histoire en fixant, conformément aux attentes de la société, un seuil d'âge à quinze ans et à dix-huit ans en cas d'inceste, a envoyé un message clair et intelligible pour tous : un enfant ne consent jamais à l'inceste ni à une relation avec un adulte. En mêlant la proposition de loi de Mme Annick Billon et la philosophie de ma proposition de loi, vous avez modifié le texte du Sénat. Ce qui en ressort est porteur de progrès mais nous regrettons divers reculs dans la protection des mineurs.

Il convient, tout d'abord, de supprimer la condition de l'écart d'âge. Les associations de la protection de l'enfance sont vent debout contre ce qu'elles qualifient, à juste titre, d'un grave recul qui fragilise la protection des mineurs de treize et quatorze ans. La loi doit être claire : à quinze ans, c'est interdit ! La France n'avait pas fixé de seuil d'âge et nous faisions partie des rares pays à ne pas avoir légiféré. Désormais, nous aurions un seuil d'âge mais nous serions le seul pays à avoir prévu cet écart de cinq ans.

Faisons un peu de droit comparé. En Autriche, le seuil est fixé à quatorze ans et l'écart d'âge est de trois ans. En Espagne, le seuil est à seize ans et il n'y a pas d'écart d'âge mais l'âge de l'auteur est pris en compte s'il est proche de celui du plaignant. En Italie, le seuil d'âge est à quatorze ans et l'écart d'âge est de deux ans. En Suède, le seuil d'âge est de quinze ans et la faible différence d'âge peut être prise en compte. En Suisse, le seuil d'âge est de seize ans et l'écart d'âge est de trois ans maximum. En Belgique, avant quatorze ans, toute relation sexuelle est interdite. En Tunisie, avant seize ans, toute relation sexuelle est interdite. En Allemagne, est puni tout acte de nature sexuelle commis à l'encontre d'un mineur de quatorze ans. Au Portugal, c'est interdit avant quatorze ans. Au Royaume-Uni, tout acte de caractère sexuel avec un mineur de seize ans constitue une infraction pénale.

Vous le voyez, les amours adolescentes ne sont pas, en Europe et ailleurs, une situation qui a retenu l'attention des législateurs alors qu'elles doivent bien exister là-bas aussi ! Aucun pays n'autorise une relation entre un mineur de treize ou quatorze ans et un adulte. Dans cet esprit, la France ne peut en aucun cas faire figure d'exception et moins bien protéger les mineurs de treize et quatorze ans. Je vous le demande une nouvelle fois : nous avons encore le temps de modifier l'écart d'âge pour le rendre compatible avec nos attentes, à savoir la protection de nos mineurs, en interdisant clairement toute relation entre un majeur et un mineur en dessous du seuil d'âge fixé. Si un écart d'âge existe dans plusieurs législations étrangères, il ne dépasse pas les trois ans. Si l'on s'en tient à la rédaction actuelle, la France serait le pays le moins protecteur pour les mineurs victimes de violences sexuelles. C'est tout le contraire de ce que nous espérions.

J'en viens à la condition absurde et incohérente qui impose que l'inceste ne soit constitué que lorsque l'auteur a une autorité de droit ou de fait sur la victime. Quand un frère de vingt-et-un ans viole sa sœur de seize ans, il ne s'agirait donc pas d'un viol incestueux ! Soyons sérieux : il n'existe pas d'inceste consenti ou heureux. Il s'agit toujours d'un calvaire qui hante les victimes, parfois tout au long de leur vie.

Enfin, il faut, au-delà de l'inceste, porter le seuil d'âge à dix-huit ans pour les victimes de la prostitution, qui reste un fléau en France car le mineur, qu'il ait quinze ou seize ans, doit être protégé. Il le faut aussi pour les enfants porteurs d'une vulnérabilité particulière, notamment d'un handicap.

L'actualité récente nous oblige à faire preuve d'humilité mais aussi de célérité. Comment un homme de vingt-sept ans peut-il être jugé en appel pour atteintes sexuelles lorsque la victime est une enfant de douze ans, qui est tombée enceinte ! Je m'interroge quant au message envoyé à la société et je suis révoltée, car j'ai vu trop d'enfants dans des situations comparables durant toutes les années où j'ai travaillé pour la protection de l'enfance. Il reste beaucoup de chemin. J'ai confiance en nous pour faire évoluer la législation. Il est encore temps.

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