Beaucoup d'entre vous l'ont souligné : ce texte s'est enrichi des réflexions des uns et des autres. Nous avons réalisé un travail de qualité avec les sénateurs, que je remercie pour leur esprit constructif. À plusieurs reprises depuis 2018, nos travaux sur ce sujet en ont montré la complexité.
La proposition de loi comporte des avancées historiques. L'âge seuil de quinze ans existe déjà dans la loi mais il qualifie l'atteinte sexuelle ; désormais, il qualifiera le viol et c'est une révolution. La complexité du dispositif tient à la nécessité de faire coexister deux régimes : celui qui s'applique aujourd'hui pour des procédures engagées avant la promulgation de la loi ou pour des faits commis avant celle-ci, et celui qui s'appliquera demain.
Il me semble utile de lever d'éventuelles confusions à propos de l'inceste. Nous avons enrichi, sans la modifier, la définition de la surqualification, en y ajoutant les grands-oncles et grand-tantes. En revanche, nous avons créé une nouvelle infraction de viol incestueux sur mineur, qui concerne tous les mineurs jusqu'à dix-huit ans, sans écart d'âge. L'établissement de l'autorité de droit ou de fait vise, non pas à qualifier l'inceste, mais à ne plus avoir à rechercher l'existence d'un consentement. Pour autant, même si un frère n'a pas autorité sur sa sœur, s'il commet un viol sur elle, bien évidemment, ce dernier sera qualifié comme tel. Pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, après en avoir longuement discuté avec des juristes et des magistrats, nous n'avions pas d'autre choix que de nous appuyer sur une telle disposition pour ne pas sanctionner la victime au lieu de l'auteur des faits.
L'écart d'âge a fait l'objet de longues discussions. Ma conviction profonde est qu'il est impossible d'adopter un seuil d'âge sans exception. Les exemples étrangers relèvent de régimes juridiques très différents. On ne peut pas comparer les seuils d'âge sans comparer les échelles des peines, qui ne sont pas du tout les mêmes. Le régime français est particulièrement répressif en matière d'infractions sexuelles. Même si nous souhaitons tous mieux protéger les victimes, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'enfants, il faut faire preuve de beaucoup de prudence. Le risque d'inconstitutionnalité n'est pas anodin. Notre système pénalise les adultes par rapport aux mineurs, ce qui n'est pas toujours le cas à l'étranger. Tous les juristes que nous avons auditionnés, comme le Conseil d'État à plusieurs reprises, nous ont alertés sur cette ligne de crête. Le Conseil d'État n'a d'ailleurs pas simplement émis des réserves, mais des objections, soulignant comme motif d'inconstitutionnalité la disproportion que constituerait le fait pour celui des deux mineurs entamant une relation qui atteindrait ses dix-huit ans avant l'autre de devenir passible de la cour d'assises.
Il faut, en effet, légiférer la main tremblante pour ne pas fragiliser ce texte d'un point de vue constitutionnel. Contrairement à ceux qui considèrent qu'on ne légifère pas pour des exceptions, j'assume de le faire : la vie judiciaire n'est faite que d'exceptions. Aucune affaire ne ressemble à une autre ; chaque dossier est particulier et toutes les personnes sont uniques. C'est le juge qui applique la loi et nous ne pouvons pas voter des dispositions en espérant que les magistrats ne les appliquent pas. Ce serait un non-sens ! Notre responsabilité, en tant que législateur, est d'adopter des textes clairs, précis, qui tiennent compte de la multiplicité des situations, même exceptionnelles.
La proposition de loi prévoit des évolutions dans le champ pénal mais, M. Dimitri Houbron l'a rappelé et je l'en remercie, le plus important des combats reste celui de la prévention et le chemin est encore long. Nous aurons besoin de toutes les forces. Je sais que tous les membres de la commission, sur tous les bancs, sont particulièrement concernés.
Je vous remercie de vos contributions à nos travaux, d'une richesse extraordinaire.