Intervention de Alexis Corbière

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière, rapporteur suppléant :

La présente proposition de loi organique vise à instaurer, en plus du dispositif actuel de parrainage des candidats à l'élection présidentielle par des élus, un système de parrainage reposant sur les citoyens.

« Le système actuel des parrainages a vécu », comme l'a mis en évidence, dès 2008, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par Édouard Balladur. Ce constat a ensuite été partagé par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin qui a affirmé, à nouveau, en 2012 : « Le système actuel de parrainage des candidats par des élus ne correspond plus aux exigences d'une démocratie moderne ».

Considérant qu'il devait désormais revenir aux citoyens eux-mêmes d'habiliter ceux qui pourront concourir à l'élection présidentielle, car il y avait là « un enjeu important pour la rénovation de notre vie publique », cette Commission a proposé de confier la responsabilité de présenter un candidat à l'élection présidentielle à au moins 150 000 citoyens inscrits sur les listes électorales.

L'objet de la proposition de loi organique est d'inscrire cette préconisation dans la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel. En l'état actuel du droit, la sélection des candidats est un privilège des élus, chaque candidat à la présidentielle devant recueillir auprès d'eux 500 signatures pour se présenter, ce qui n'est pas sans soulever de lourdes difficultés.

Le principe du parrainage citoyen que nous défendons entend remédier aux failles du dispositif actuel. Pour certains candidats populaires, ou issus de courants significatifs de la vie politique, la quête de ces signatures s'apparente en effet le plus souvent à un parcours du combattant, fondé sur l'incertitude permanente de pouvoir participer ou non à l'élection présidentielle. La toile de fond de ce système de filtrage est entachée de risques de pressions auprès des maires, notamment ceux de petites communes, souvent tributaires d'élus ou d'assemblées dominés par des partis politiques installés.

La procédure n'est donc pas neutre et se trouve sujette à une instrumentalisation qui dessert l'égalité entre candidats et entrave, en conséquence, une juste représentation des opinions politiques à l'élection présidentielle. Le système du parrainage citoyen entend surtout créer les conditions d'une plus grande intervention populaire dans sa préparation : ce serait un droit démocratique supplémentaire conquis pour les citoyens, dans un contexte où nul ne peut contester la progression massive de l'abstention.

Nous partageons tous ce constat : la grande masse du peuple français est dans une forme de « grève civique ». Le niveau de l'abstention se situe en moyenne autour de 50 %, sauf lors de l'élection présidentielle, où elle concerne tout de même un électeur sur quatre. C'est une tendance fondamentale que nulle conscience républicaine ne peut ignorer. Aussi nous faut-il y apporter les réponses adéquates. En effet, cette sorte d'insurrection froide contre les institutions de la Ve République ne doit rien au hasard : elle est pour nous symptomatique d'un système de mise à l'écart des citoyens de la décision publique.

De grands changements sont donc nécessaires. Vous le savez, au-delà de ce texte, nous sommes favorables au passage à une VIe République. En l'occurrence, notre proposition de parrainage citoyen apparaît comme l'un des moyens d'associer davantage les citoyens à la préparation de l'élection du Président – ou de la Présidente – de la République et de renouer avec l'esprit du recours au suffrage universel direct.

Aussi l'article unique de la proposition de loi organique prévoit-il d'ajouter au dispositif actuel de parrainage un dispositif alternatif qui reposerait sur au moins 150 000 citoyens. Ce seuil, qui correspond à 0,33 % des électeurs, est conforme à la moyenne observée dans les États européens ayant institué un mécanisme de parrainage citoyen pour l'élection présidentielle, soit à titre exclusif, comme au Portugal ou en Pologne, soit parallèlement à un autre système de qualification préalable, comme en Autriche ou en Finlande.

Ce nombre ne doit rien au hasard. Il n'est ni trop élevé, ni trop faible : il suffit à limiter les risques de candidatures non représentatives et garantit à chaque candidat se réclamant d'un courant politique représentatif de pouvoir se présenter devant les électeurs.

Notons également que plusieurs candidats représentant des courants ne pouvant être tenus pour négligeables obtiennent à chaque scrutin présidentiel entre 200 000 et 600 000 suffrages au premier tour.

En complément de ce seuil de 150 000 présentations, notre proposition reprend la préconisation du rapport de 2012 en intégrant une clause de représentativité nationale. L'objectif poursuivi est de permettre une assise nationale des candidats par la représentation d'un certain nombre de départements et de collectivités d'outre-mer. Je tiens à préciser que si notre proposition de loi organique initiale prévoit un seuil de trente départements ou collectivités, nous avons déposé un amendement visant à le porter à cinquante, conformément à la proposition de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique.

Ainsi les présentations devront-elles provenir d'au moins cinquante départements ou collectivités d'outre-mer, sans que l'un d'entre eux ne puisse fournir plus de 5 % des parrainages, soit 7 500 signatures. Ces conditions sont renforcées par rapport à celles relatives au dispositif actuel de parrainage qui a retenu un seuil de trente départements.

Enfin, un électeur ne pourra parrainer qu'un candidat et cette présentation ne fera l'objet d'aucune publicité. Pourquoi avoir opté pour un tel anonymat ? Tout simplement pour traduire le secret, fondement de l'expression d'un suffrage qui se rapproche d'un parrainage citoyen. Tel n'est pas le cas de la présentation d'un candidat à l'élection présidentielle par un élu, qui est un acte de responsabilité politique devant être connu des électeurs même s'il participe, selon nous, à une forme de pression que connaissent certains élus.

J'en viens aux aspects plus pratiques : les présentations, rédigées sur des formulaires, revêtues de la signature de leur auteur et accompagnées d'une copie de sa pièce d'identité, devront parvenir au Conseil constitutionnel dans les mêmes délais que les parrainages des élus.

L'envoi des présentations au Conseil pourra être réalisé selon deux modalités : par voie postale, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, ou par voie électronique, par l'intermédiaire, par exemple, d'un site officiel spécifique, chaque électeur ayant reçu au préalable des codes d'accès personnalisés, sur le modèle de ce qui est pratiqué aujourd'hui par l'administration fiscale pour la déclaration des revenus en ligne. Il reviendra au Conseil constitutionnel, gardien des règles de parrainage, de vérifier la conformité des présentations.

Mes chers collègues, je tiens à le redire avec force : nous devons tirer des enseignements significatifs de cette « grève civique » massive qui s'aggrave chaque année un peu plus dans notre pays. Cette colère froide a pris la forme de plusieurs élans populaires, du mouvement des Gilets jaunes jusqu'à la mobilisation citoyenne pour le climat. Aussi nous faut-il redonner au peuple une pleine capacité d'intervention dans une élection qui, même si je le déplore, conditionne pour les cinq années suivantes la vie politique de notre pays.

Cette proposition de loi permettra, selon nous, une première réappropriation citoyenne de l'élection présidentielle, même s'il reste à s'interroger sur le rôle et les pouvoirs du Président de la République. Je vous invite donc à l'adopter afin qu'elle soit applicable dès l'élection de 2022.

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