Merci à tous pour cet échange d'arguments. Les différents courants d'opinion s'expriment de façon chimiquement pure dans chacune de vos interventions, et c'est tant mieux.
Ce texte n'est qu'une pièce dans une réflexion plus générale, critique à l'égard des institutions de la Ve République. La tâche que nous nous sommes assignée est de réformer les institutions, et ce n'est pas avec cette proposition de loi que nous pourrons le faire : il nous faut d'abord remporter la présidentielle ! Ne voyez donc pas dans cette proposition de loi la marque d'un présidentialisme, mais plutôt une première étape. La concentration extrême du pouvoir dans un personnage, le Président de la République, étouffe la démocratie et surplombe toute réflexion, à commencer par les deux textes que nous vous soumettons ce matin.
La question majeure, c'est celle de la souveraineté populaire. Qu'est-ce que la République, sinon le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ? Elle doit demeurer le fil conducteur de toutes nos réflexions ; pourtant, peu d'entre vous ont évoqué le grand danger que représente l'abstention de masse. Nul système démocratique, a fortiori une république, ne peut laisser dans l'angle mort le fait que la majorité de ses citoyens ne veuillent plus voter, que ses élus locaux, dont je respecte le travail, ne représentent que 20 % du corps électoral. Moi-même qui vous parle et qui ai été élu avec 60 % des voix au second tour, je ne représente que 20 % des électeurs inscrits – 80 % des électeurs n'ont pas voté pour moi –, et comme beaucoup d'habitants n'ont pas le droit de vote dans ma circonscription, lorsque je marche dans la rue, je sais que neuf personnes sur dix que je croise ne m'ont pas donné leur suffrage. Et pourtant, je les représente. Chacun d'entre vous peut faire ce calcul, c'est un problème de fond qui nous concerne tous : huit personnes sur dix ne sont pas venues voter ou n'ont pas donné leur voix à celui ou celle qui les représente à l'Assemblée nationale. Cela ébranle toute notre vie démocratique, au point que nous devrions en être obsédés et ne cesser de nous demander comment fonder nos décisions, et nos institutions, sur une assise démocratique.
Certains ont parlé de candidatures « fantaisistes ». Qui sommes-nous pour décider qu'un candidat est fantaisiste ? J'ai entendu les noms de Jérôme Rodriguez, de Didier Raoult, de Cyril Hanouna : des études d'opinion montrent qu'ils obtiendraient beaucoup de voix, peut-être même plus que vous, qui les qualifiez de « fantaisistes ». Comment sortir de ça ? Non pas en usant de qualificatifs qui ne mènent à rien mais en s'attachant à ce que pense le peuple, aux raisons qui font que des gens se sentent représentés par telle ou telle personne. Cela ne nous empêche pas de trouver choquant qu'un candidat recueille autant de suffrages, de critiquer ses propositions, de penser qu'elles sont mauvaises pour le pays.
Sauf le respect que j'ai pour vous, nombre de propositions que j'entends ici me semblent parfois fantaisistes, tout comme je trouve fantaisistes les conditions dans lesquelles le chef de l'État a été élu ! Je rappelle que six mois ou un an avant le scrutin, il était quasiment inconnu. On peut s'interroger sur une telle trajectoire, sur la façon dont une personne apparaît ainsi dans le paysage politique. N'employons donc pas ce vocabulaire antirépublicain. Seul le peuple décide de ce qui est sérieux ou pas. À nous de faire en sorte que les débats concernent bien l'intérêt général.
Adrien Quatennens a eu raison de citer l'article 28 de la Constitution de 1793 : une génération ne peut obliger les générations suivantes à avoir la même Constitution, cela doit faire l'objet d'un débat permanent. Rien ne peut avoir lieu sans le peuple, seul lui doit décider : ce principe guidera les réponses que je vais vous faire.
Si, par malheur, vous ne reteniez pas ce texte, il constituera au moins un pas supplémentaire sur le long chemin du changement. Qu'on le veuille ou non, celui-ci aura lieu. Peut-être même se produira-t-il dans un esprit moins républicain que nous le souhaiterions. Le système électoral est en train de craquer, nos institutions sont de moins en moins représentatives. Les refonder, avec l'adhésion du peuple, est un enjeu majeur.
J'ai trouvé assez piquant que, par la voix de Pacôme Rupin, le groupe majoritaire critique le fait que cette proposition de loi arrive trop tard, alors qu'il aurait pu, s'il avait estimé ce sujet important, suggérer suffisamment tôt au Gouvernement un texte de même nature. De grâce, évitons de tels arguments ! Vous savez que nous faisons ce que nous pouvons, dans les limites imposées aux groupes de l'opposition.
J'ai noté la « gentillesse » avec laquelle notre camarade républicain a expliqué qu'il considérait ce texte inutilement clivant et détaché de la vie quotidienne des Français. Peut-être celui qui ne s'interroge pas sur le taux d'abstention et reste focalisé sur la minorité des concitoyens qui se déplacent dans les bureaux de vote est-il lui-même déconnecté du quotidien de nos concitoyens ? Quant au qualificatif de « populiste », je comprends bien l'aspect flétrissant qu'il peut revêtir, mais je m'enorgueillis par moments de me le voir attribuer car il a pour racine le mot « peuple » : s'il s'agit de faire entendre une volonté populaire, alors j'accepte de me faire traiter de « populiste » !
Monsieur Schellenberger, vous avez suggéré que les difficultés rencontrées lors du recueil des signatures ne sont que supposées et qu'elles sont surtout mises en scène. N'y voyez pas une astuce, c'est pourtant la réalité. Il m'est arrivé de travailler à réunir ces parrainages pour Jean-Luc Mélenchon ; notre collègue Emmanuelle Ménard, qui l'a sans doute fait pour madame Le Pen, peut aussi en témoigner : c'est une tâche très difficile, qui monopolise des forces militantes durant des mois et des mois. De ce point de vue, il est injuste que certains partis n'aient pas à se préoccuper de cette question, réglée immédiatement, quand d'autres doivent mobiliser durablement leurs militants.
J'ai pris ma voiture, j'ai rencontré des maires ruraux : comme l'a dit Éric Diard, il y a là des démocrates qui m'ont dit : « je ne suis pas d'accord avec vous, mais je veux que votre candidat puisse se présenter ». Heureusement, ils existent, mais pour combien de temps encore ? Les grands élus, les présidents des communautés d'agglomération aujourd'hui, font pression. Bien naïf celui qui pense que son soutien à un candidat ne risque pas de coûter à sa ville un conservatoire ou un gymnase ! Les mêmes élus qui permettent cette respiration démocratique vivent au quotidien la pression financière sur leurs faibles budgets. Alors j'ai aussi entendu des maires s'excuser, évoquer les problèmes qu'ils rencontreraient s'ils donnaient leur signature. Leur cœur leur dit de nous soutenir, mais ils ont peur des conséquences. Pour parler vulgairement, ça leur prend la tête !
Le respect que nous leur devons ne consisterait-il pas plutôt à les soulager de cette pression ? D'autant qu'ils n'ont pas été élus pour cela : personne ne s'est présenté devant les habitants de sa ville en annonçant à l'avance à qui il donnerait sa signature !
Je reviens à l'argument de Pacôme Rupin selon lequel ce texte arrive trop tard. À deux reprises déjà, la loi a été modifiée peu de temps avant le scrutin : je pense à la loi organique du 25 avril 2016, qui organisait la publicité des parrainages des élus locaux, et à la loi organique du 28 février 2012, relative au remboursement des dépenses de campagne – rien moins que secondaire.
Blandine Brocard a expliqué que jusqu'en 1976, les candidats devaient réunir seulement 100 parrainages d'élus. Le système a donc été changé et la barre relevée, ce qui a renforcé selon moi les difficultés. Les collègues qui s'indignent de ce que, grâce au système que nous proposons, certains candidats puissent désormais se présenter, devraient prendre l'affaire avec plus de sérieux.
Je veux répondre ici à Christophe Euzet qui, dans un style haut en couleurs, a tenu à adresser quelques gentillesses à Jean-Luc Mélenchon. Je ne doute pas qu'en retour, il vous salue avec la même chaleur, cher collègue… Vous avez souligné sa longévité, je le prends comme un hommage à son endroit car c'est une qualité en politique – ne vaut-il pas mieux faire confiance à des gens qui mènent des combats depuis des années plutôt qu'à des personnages tout juste apparus sur la scène politique ?
Si vous connaissiez bien le parcours de Jean-Luc Mélenchon, vous sauriez qu'alors que vous étiez encore étudiant, il avait déjà déposé un texte pour en finir avec la Ve République. Sans doute étiez-vous encore inattentif à son combat, vous pouvez aujourd'hui le rejoindre. Nous ne sommes pas dans des postures politiques, nous continuons de creuser un sillon. Ce texte est une pièce supplémentaire à la critique que nous dressons de ce système ultra-présidentiel.
Pascal Brindeau m'a peut-être mal compris et je m'excuse de ne pas avoir été suffisamment clair : le parrainage citoyen ne vient pas concurrencer le filtre des 500 signatures, lesquelles ont leur valeur, leur représentativité. Il s'agit d'un droit nouveau, qui permettrait aux citoyens de soutenir ceux qui ne se reconnaissent pas dans les partis traditionnels et dont ils considèrent qu'ils sont davantage en harmonie avec leurs convictions politiques. Les deux systèmes peuvent parfaitement coexister.
Comme Paul Molac, je trouve souhaitable qu'un homme tel que Jean Lassalle puisse continuer de représenter une certaine sensibilité politique et qu'à l'instar du patrimoine, des fromages ou des vins qu'il convient de préserver, il puisse encore figurer à la grande table démocratique qu'est la présidentielle, en y apportant la saveur particulière qui est la sienne.
C'est un droit nouveau que nous voulons donner au peuple. Il ne permettra pas de régler l'ensemble des problèmes, j'en suis bien conscient. Mais grâce au parrainage citoyen, des millions de concitoyens qui, à tort ou à raison – ce n'est pas à nous d'en juger –, ne se sentent pas représentés par les forces politiques dont nous émanons, estimeront que leur sensibilité est présente dans le débat démocratique. Cela invitera le peuple souverain à s'exprimer, plus nombreux, lors d'une élection aux incidences majeures sur son quotidien.