Je n'y étais pas, cher collègue, mais vous, vous y étiez, et vous avez applaudi ! Le Président, disais-je, a déclaré : « La représentativité reste toutefois un combat inachevé dans notre pays. Je souhaite le mener avec vous résolument. Je proposerai ainsi que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle » – applaudissements nourris de M. Sacha Houlié (Sourires) – « pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées » – applaudissements encore plus enthousiastes de M. Sacha Houlié, et de quelques autres…
Cette réflexion a été relancée il y a quelques semaines par plusieurs responsables de formations politiques, dont le président Jean-Luc Mélenchon. Si nous partageons le constat du chef de l'État, nous nous distinguons fondamentalement de la position présidentielle en ce que nous estimons que l'application d'une simple mesure cosmétique, qui consisterait à favoriser l'entrée de deux ou trois élus d'opposition en plus au Parlement, ne permettrait pas de résoudre la profonde crise de confiance qui fragilise l'action publique. Nous considérons qu'il faut aller au-delà d'une simple dose de proportionnelle et en revenir au système électoral de 1986, et donc instaurer un scrutin proportionnel intégral à la plus forte moyenne. Tel est l'objet du texte soumis au débat ce matin.
En votant cette proposition de loi, vous adresseriez un premier signal fort aux électeurs, de plus en plus nombreux – nous venons d'en parler – à se détourner des urnes, alors que le recours au scrutin proportionnel s'est traduit, en 1986, par une forte augmentation de la participation. L'abstention aux élections législatives augmente à chaque nouveau scrutin depuis 1988, à l'exception d'un léger rebond en 1993. Je rappelle qu'en 1988, 30 % des électeurs s'étaient abstenus au second tour des législatives ; ils étaient plus de 57 % en 2017. Au second tour des élections législatives partielles organisées dans cinq circonscriptions, en septembre dernier, ce taux avoisinait, voire dépassait 80 %.
Cette abstention massive, symptôme d'institutions à bout de souffle, appelle une réponse commune du législateur : proposer un scrutin qui garantisse à chaque électeur la juste représentation ou la meilleure représentation de ses idées, et non leur écrasement au profit d'une logique majoritaire que je qualifierais d'anachronique, d'ultra-présidentialiste et dans laquelle nous voyons parfois l'expression de cette monarchie présidentielle que nous combattons. C'est la condition pour que l'expression du peuple souverain soit pleinement respectée.
Nous n'avons plus beaucoup de temps : aux termes de l'article L. 567-1 A du code électoral, cette proposition de loi doit en effet être adoptée au moins un an avant le premier tour des élections législatives de 2022. Alors que le rééquilibrage des pouvoirs publics constitutionnels est un impératif démocratique et que ce texte reprend clés en main le dispositif qui a été adopté en 1985 et appliqué l'année suivante, je m'étonne, avec les autres députés de mon groupe, que le Gouvernement n'ait pas souhaité avoir recours à la procédure accélérée, comme il le fait pourtant si souvent, afin de garantir l'adoption de la proposition de loi dans les meilleurs délais. Le groupe parlementaire La France insoumise reste optimiste : cette proposition de loi peut encore être discutée dans le délai imparti, et ses dispositions peuvent être promulguées dans quelques semaines, si la majorité et le Gouvernement s'en saisissent.
Il s'agit sans doute de la dernière occasion sous cette législature d'appliquer une réforme voulue par de nombreux citoyens et élus et, pour le groupe majoritaire, de garantir le respect de la parole du chef de l'État. Ce cher Sacha Houlié y sera certainement sensible ! (Sourires.) Je ne voudrais pas être le seul à défendre la proposition d'Emmanuel Macron – ce serait fâcheux ! –, qui s'était solennellement engagé devant les parlementaires à réformer ce mode de scrutin. Je vous sais conscients de l'urgence démocratique dans laquelle s'inscrit cette proposition de loi, et des attentes fortes des électeurs. J'espère que vous saisirez cette main tendue et voterez le texte afin d'éviter une nouvelle déception, et pour ne pas transformer nos échanges en une dernière occasion manquée.
Chers collègues, je pense sincèrement qu'il s'agit d'un enjeu fondamental. Ce sujet ne peut demeurer dans l'angle mort de notre réflexion ni de notre action. Nous aimons notre pays et, quels que soient nos programmes, nous ne pouvons pas accepter qu'une grande majorité de nos concitoyens ne se déplacent plus pour voter et ne se sentent pas représentés. C'est l'idée même de la République qui est en jeu.