Le débat relatif au mode de scrutin – majoritaire ou proportionnel – est ancien, et peut-être aussi vieux que la République, comme l'a rappelé monsieur le rapporteur. Pour notre part, nous en parlons depuis le début de la législature. En 2017, le Président de la République Emmanuel Macron nous a fait part, lors de la réunion du Congrès à Versailles, de sa volonté de garantir une meilleure efficacité et une représentativité accrue du Parlement. Conformément à l'engagement présidentiel, le Premier ministre de l'époque Édouard Philippe a présenté, au début de l'été 2018, un projet de réforme institutionnelle contenant trois mesures fortes, plébiscitées par les Français : la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps, tant pour les parlementaires que pour les élus locaux, et l'élection de 15 % des députés au scrutin proportionnel, sur des listes nationales. L'élection de soixante-et-un députés à la représentation proportionnelle devait assurer une meilleure représentation parlementaire des différentes sensibilités politiques de notre pays. Nous estimons en effet que ce n'est pas en empêchant une formation politique d'extrême-droite de constituer un groupe à l'Assemblée nationale que nous lutterons durablement contre la montée de l'extrémisme et du populisme en France, mais plutôt en déconstruisant son idéologie par la force du débat dans l'hémicycle.
Malheureusement, cette réforme ne put être débattue, et encore moins votée, car, à la suite de ce qu'on a appelé « l'affaire Benalla », l'ensemble des oppositions parlementaires se sont livrées à une obstruction massive et quasiment sans précédent, obligeant le Gouvernement à retirer son projet de loi. En 2019, ce fut au tour du Sénat de refuser d'avancer sur la réforme institutionnelle.
Plus récemment, nous avons évoqué la question de la proportionnelle au sein de notre commission avec M. Jean-Louis Debré, ancien président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel. Très défavorable à la proportionnelle, Jean-Louis Debré a considéré que l'objet d'un mode de scrutin n'est pas de donner une photographie de l'opinion publique. Si c'était le cas, a-t-il ajouté, la proportionnelle serait tout indiquée, mais il faudrait alors tenir des élections chaque année pour suivre la tendance de l'opinion publique. Il a dénoncé le risque d'instabilité, en prenant pour exemples les crises parlementaires et gouvernementales qui se sont succédé sous la IVe République. En se référant à l'esprit qui a caractérisé l'action de rénovation de nos institutions entreprise par le général de Gaulle en 1958 et consacrée par la promulgation de la Constitution de la Ve République, il a estimé qu'il fallait un scrutin majoritaire pour dégager une majorité stable, qui apporte son soutien à un gouvernement et lui permet de gouverner. Le politologue Maurice Duverger affirmait, lui aussi, qu'un bon système électoral n'est pas un appareil photographique, mais plutôt un transformateur qui doit changer en décisions politiques les préférences énoncées par les bulletins de vote. L'objet d'un mode de scrutin n'est pas d'assurer une stricte représentation des diverses tendances politiques, mais de permettre la constitution d'une majorité capable de s'entendre pour permettre à un gouvernement d'agir.
La proportionnelle intégrale, telle que vous la présentez, monsieur le rapporteur, c'est le scrutin de l'instabilité. Regardons l'Italie, avec son système mixte, où 61 % des députés sont élus au scrutin proportionnel, quand les autres le sont au scrutin uninominal majoritaire à un tour. La constitution d'une majorité forte y est, à chaque scrutin, une gageure. En découle l'instabilité gouvernementale, constante dans ce pays depuis des décennies, illustrée ces dernières années par l'alternance entre gouvernements populistes et techniques. Et encore s'agit-il d'un système mixte, et non de la proportionnelle intégrale telle que la proposent les députés de La France insoumise.
Par ailleurs, le scrutin majoritaire uninominal permet d'avoir des députés ancrés dans un territoire, y vivant, y travaillant et devant rendre compte à leurs administrés. L'électeur est plus enclin à rencontrer, questionner le candidat auquel il accorde son suffrage. Ce n'est pas le cas avec la proportionnelle. La proportionnelle intégrale consacrerait un rôle excessif des partis, et la constitution des listes serait décidée par les états-majors dans les antichambres du pouvoir. Ce serait la prime aux apparatchiks. En 1986, Dominique Strauss-Kahn, imposé par la direction nationale du Parti socialiste (PS) contre l'avis des militants locaux, était élu député de Haute-Savoie à la proportionnelle. Deux ans plus tard, il deviendra député du Val-d'Oise, bien loin des alpages savoyards.
Le scrutin majoritaire permet de dégager une majorité claire, élue dès le soir du second tour, tandis que, dans le cadre de la proportionnelle, si aucun parti n'obtient la majorité des sièges – objectif quasi irréalisable –, le jeu des alliances et des combinazione en tout genre se déploie. Raymond Barre affirmait, en 1977 : « Je ne crois pas qu'il faille faire du mode de scrutin un élément fondamental des institutions de la Ve République » – je le rappelle en particulier à l'attention de nos amis centristes, M. Barre ayant longtemps siégé au sein du groupe UDF, au côté de François Bayrou.
En cette période difficile, les Français ont d'autres préoccupations que la modification du mode de scrutin ; ils attendent autre chose de leurs représentants dans les derniers mois de la législature. Je serais, pour ma part, très mal à l'aise de voter cette réforme alors que nous vivons une crise exceptionnelle, à la fois sanitaire, sociale et économique.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche est défavorable à cette proposition de loi. Cela étant, nous reviendrons devant les Français, comme l'ont indiqué les présidents des groupes de la majorité parlementaire, le 17 mars dernier, avec une réforme institutionnelle prévoyant l'introduction d'une part de proportionnelle, mais aussi la limitation du cumul des mandats dans le temps et le renforcement du poids des parlementaires, grâce au rééquilibrage des pouvoirs exécutif et législatif.