Voilà qu'est enfin organisé un débat parlementaire sur l'introduction de la proportionnelle aux élections législatives. Je dis « enfin » car, comme l'a dit notre excellent rapporteur, cette question est posée dans le débat public depuis longtemps. Avant l'élection présidentielle, on promet toujours de tout changer – on promet même un nouveau monde –, et on promet donc l'instauration de la proportionnelle comme gage de démocratisation de la Ve République, un régime qui s'éloigne, réforme après réforme, de l'idée de souveraineté populaire sur laquelle il est pourtant fondé.
La promesse de la proportionnelle fonctionne comme un piège à mouche pour ceux qui veulent un régime démocratique : oui, mais toujours plus tard. Les promesses des candidats Nicolas Sarkozy et François Hollande n'ont jamais été tenues. Quant au candidat Macron, le 4 octobre 2016, lors de son premier grand meeting à Strasbourg après sa démission du gouvernement, il présentait la réforme de notre mode de scrutin comme une « nécessité » – un « risque », peut-être, mais « il faut aller vers ce risque, parce qu'il est démocratique ». Voilà ce qu'il disait et, pour une fois, je l'approuve totalement. Le candidat Macron avait fait une proposition raisonnable – insuffisante, certes, mais qui allait dans le bon sens –, en promettant d'introduire « une dose de proportionnelle ». Aujourd'hui, nous n'avons plus le temps de redécouper des circonscriptions, et cette dose était, de toute manière, insuffisante : il faut donc instaurer la proportionnelle intégrale. C'est une proposition raisonnable. D'ailleurs, le président du groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés a déposé une proposition de loi relative au scrutin législatif à la proportionnelle intégrale, que j'approuve.
Notre système institutionnel est ainsi fait qu'un groupe parlementaire peut obtenir la majorité absolue des sièges en réunissant à peine 30 % des voix. En revanche, comme l'a dit notre rapporteur, le mouvement auquel j'appartiens a obtenu 11 % des voix mais moins de 3 % des sièges. Les majorités hégémoniques nuisent au débat parlementaire. Elles abaissent le Parlement, puisque le Gouvernement ne doit composer avec personne : le groupe majoritaire obéit, et l'Assemblée nationale se transforme en chambre d'enregistrement. L'inversion du calendrier électoral a achevé de subordonner l'Assemblée nationale au pouvoir exécutif. Un tel abaissement est dangereux pour la démocratie, puisque notre contre-pouvoir ne peut plus s'exercer – et comme il n'y en a quasiment pas d'autre dans notre pays, le monarque républicain règne en maître absolu, sinon de droit, du moins de fait.
En conséquence, personne ne croit plus vraiment que les élections législatives changent quelque chose. Plus grand monde ne sait à quoi sert, au juste, un député. Aussi, pourquoi se déplacer pour l'élire ? Le débat est asphyxié par l'injonction de donner une majorité au président tout juste élu. Les électeurs boudent les urnes : on tombe dans des abîmes d'abstention. La légitimité des élus est entamée d'autant. Moins de légitimité, moins de contre-pouvoirs : tout cela arrange fortement le Gouvernement.
Vous n'avez de cesse de vouloir lutter contre l'abstention. Le groupe La France insoumise vous donne une excellente occasion de le faire, en conférant au peuple le pouvoir de décider. Le scrutin proportionnel permettra d'avoir à l'Assemblée nationale une représentation plus fidèle du peuple politique, notre souverain ; cela forcera le Gouvernement à débattre, à convaincre, puisque les propositions qui ne reçoivent pas l'approbation du peuple pourront être rejetées par ses représentants. Notre République est malade de l'éloignement du peuple des décisions qui le concernent. La pratique du pouvoir donne à voir les caractéristiques d'une république bananière qui nous font honte.
Pour permettre le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, et tenir la promesse démocratique, la proportionnelle intégrale ne suffira évidemment pas, car l'équilibre de nos institutions a été rompu. Il faut refonder le peuple politique par la convocation d'une assemblée constituante. Seule la conclusion d'un nouveau contrat social sera à même de ramener véritablement aux urnes le peuple souverain. Sans cela, nous en sommes réduits à proposer d'améliorer des institutions mourantes et sclérosées. Depuis trois ans, le Président de la République contourne le Parlement par le recours aux ordonnances. Cela concerne près de 51 % des textes : jamais nous n'avions connu cela depuis la guerre d'Algérie, a déclaré Gérard Larcher. À lui aussi, je donne raison. C'est un signe qui ne trompe pas. La Ve République est venue de la guerre d'Algérie ; elle finira là où elle a commencé. Le contournement du Parlement par l'exécutif ne peut pas durer. Nous devons reprendre en main la dignité démocratique, en commençant par restaurer un Parlement digne de ce nom grâce à la proportionnelle intégrale. Ensuite, il faudra commencer à écrire une nouvelle Constitution pour une VIe République.