Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

J'ai l'honneur de vous présenter les projets de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, fruit d'une longue réflexion menée à la lumière de mes trente-six années de barreau mais également à celle de vos nombreux débats et travaux parlementaires, notamment issus de votre commission.

Depuis de trop longtemps, le fossé entre nos concitoyens et la justice se creuse. Les enquêtes d'opinion, mais également l'actualité récente, illustrent cette particulière défiance des Français envers l'autorité judiciaire.

Sans remettre en cause les grands principes de notre système judiciaire, les évolutions que je vous propose le rendent plus équilibré et plus conforme à ce qu'en attendent nos concitoyens.

Pour restaurer la confiance, il faut d'abord rapprocher l'institution judiciaire des citoyens. La justice est publique et elle est rendue au nom du peuple mais, malgré cela, son fonctionnement reste un mystère pour beaucoup de nos compatriotes.

C'est pourquoi le projet de loi prévoit, dans une optique de transparence et de pédagogie, d'autoriser au cas par cas l'enregistrement et la diffusion d'audiences. Je veux être clair : il ne s'agit en aucun cas de verser dans la justice spectacle. Je souhaite au contraire que les Français puissent mieux comprendre l'action de nos cours et tribunaux en l'expliquant et en la contextualisant.

Cette réforme est d'autant plus importante que la désinformation sévit chaque jour davantage, notamment via les réseaux sociaux, ce que les polémiques et faits divers récents ont largement démontré. Les prétoires seront ainsi plus ouverts aux caméras, à condition bien sûr de respecter des règles précises dans le cadre d'un régime protecteur.

J'ai en effet conscience de la nécessité de préserver les principes fondamentaux que sont la présomption d'innocence, la sécurité des personnes, le droit à l'oubli, le respect de la vie privée, l'intérêt supérieur des mineurs ou encore la sérénité des débats.

Ainsi l'autorisation d'enregistrement sera subordonnée à la démonstration d'un motif d'intérêt public, et la diffusion de l'enregistrement ne pourra intervenir qu'après décision définitive, à l'exception du cas particulier des audiences devant la Cour de cassation et le Conseil d'État.

De surcroît, l'enregistrement des audiences non publiques ne pourra avoir lieu qu'avec l'accord des parties, tandis que le président de l'audience pourra toujours décider d'arrêter l'enregistrement.

Au stade de la diffusion, que l'audience soit publique ou non, les personnes enregistrées feront l'objet d'une anonymisation sauf leur consentement écrit. Je précise que les mineurs, les majeurs protégés et les membres des forces de l'ordre, dont les missions exigent pour des raisons de sécurité le respect de l'anonymat, seront quant à eux obligatoirement anonymisés, sans exception possible.

Vous le voyez, le régime que je vous propose est un régime équilibré qui renforcera le droit à l'information de nos concitoyens tout en préservant les principes fondamentaux de la justice.

Restaurer la confiance en la justice, c'est ensuite renforcer les droits de nos concitoyens au cours de l'enquête pénale. Cela passe d'abord par une amélioration du contrôle des enquêtes préliminaires par l'autorité judiciaire et par le renforcement de la protection de la présomption d'innocence.

La durée des enquêtes préliminaires de droit commun sera limitée à deux ans. Elle pourra être prolongée d'un an après autorisation du procureur de la République pour tenir compte de la complexité des investigations. Pour cette même raison, et au regard de la gravité des faits, les délais seront portés à trois ans, prolongeables de deux ans, en matière de délinquance organisée et de terrorisme.

Autre innovation qui me tient à cœur : l'enquête préliminaire pourra, en cas d'audition ou de perquisition, être ouverte au contradictoire. Cette nouvelle phase permettra ainsi aux parties d'avoir connaissance des investigations qui les concernent, notamment si elles sont accompagnées d'une mise en cause médiatique. Par cohérence, les sanctions encourues en cas de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction seront renforcées afin de mieux protéger la présomption d'innocence.

Ensuite, pour renforcer le droit des justiciables, il faut renforcer ce que j'ai souhaité appeler le secret de la défense, dont la protection sera consacrée dans le code de procédure pénale. Déclinaison de ce principe : les actes d'enquête diligentés à l'encontre d'un avocat, à savoir l'exploitation de ses données de connexion ou l'interception de ses communications téléphoniques, comme la perquisition de son lieu d'activité professionnelle, seront plus strictement encadrés et subordonnés à l'existence de raisons plausibles de son implication dans la commission de l'infraction à l'origine de l'enquête.

Enfin, il est indispensable que le peuple français joue un rôle majeur dans le jugement des crimes les plus graves. Pour cela, les cours d'assises seront revitalisées, et, pour donner tout son sens à l'expression « souveraineté populaire », une décision de culpabilité sera prise à la majorité des jurés.

Les cours criminelles départementales, dont tous les magistrats et avocats ont souligné la qualité, seront généralisées. Elles permettent en effet pour les crimes punis jusqu'à vingt ans de réclusion de restaurer la véritable qualification des faits en n'ayant plus besoin de recourir à la correctionnalisation, très fréquente pour les viols. C'est une avancée majeure qui permet également au débat judiciaire de se tenir dans un délai plus court puisque les délais d'audiencement sont de six à huit mois contre treize mois en moyenne pour un procès en cour d'assises.

Je souhaite également autoriser, à titre expérimental, la participation d'un avocat honoraire dans la composition de la cour d'assises ou de la cour criminelle. Un court projet de loi organique est adossé au présent texte afin de définir les contours statutaires de cette nouvelle catégorie de juges non professionnels.

Restaurer la confiance, c'est, troisièmement, redonner du sens à la peine et mieux lutter contre la récidive. Si je souhaite refonder le dispositif actuel des réductions de peine, c'est parce qu'il est devenu incompréhensible pour nos concitoyens et surtout parce qu'il n'est pas juste.

La réforme que je propose ne vise pas à réduire le quantum des réductions de peine auquel tout détenu peut prétendre ; elle vise à en supprimer le caractère automatique. Et parce qu'il ne s'agit pas de remplacer de l'automatique par de l'automatique, c'est bien au mérite, au fur et à mesure de l'exécution de la peine et en fonction de la bonne conduite des détenus et de leur effort de réinsertion, que seront attribuées ces remises de peine.

En effet, elles seront désormais toutes accordées par un juge de l'application des peines, éclairé par les personnels pénitentiaires dont les missions viennent d'être enrichies dans le cadre d'une charte que nous avons conclue avec les trois plus grandes organisations syndicales.

Oui, la prison est nécessaire pour assurer la sécurité des Français et mettre hors d'état de nuire des individus dangereux. Mais pour la délinquance de basse intensité, elle ne doit pas être pire que le mal.

Vous avez voté il y a quelques semaines la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Il faut poursuivre les efforts qui ont été accomplis en la matière dans le droit fil de la loi de programmation et de réforme de la justice qui favorise les alternatives à l'incarcération.

Le texte que je vous soumets vise à limiter la détention provisoire en matière correctionnelle en favorisant l'assignation à résidence sous surveillance électronique. Il vise également, au moment de la libération, à éviter les fins de peine sèches car toutes les études le démontrent : l'absence d'encadrement et de suivi en fin de peine multiplie par deux le risque de récidive.

La systématisation de la libération sous contrainte à trois mois de la fin de peine permettra de soumettre les condamnés à des obligations et à un suivi renforcés pour favoriser leur réinsertion.

Dans une même logique de prévention de la récidive, je vous propose de créer un contrat entre le détenu qui travaille, les entreprises et l'administration, et de l'assortir d'un certain nombre de droits sociaux dès la libération tels que l'assurance-chômage ou l'accès à l'assurance-vieillesse. Là encore, c'est une question de dignité, mais aussi d'efficacité.

Dans un souci de lisibilité et d'accessibilité, ce projet de loi autorise l'élaboration d'un code pénitentiaire. Les missions et l'organisation du service public pénitentiaire, les règles régissant la vie des détenus, ou encore le dispositif de contrôle des établissements seront ainsi plus lisibles et accessibles au bénéfice des professionnels de la prison, des magistrats, des personnels pénitentiaires mais également des avocats, des victimes et des détenus eux-mêmes.

Restaurer la confiance, c'est enfin s'assurer de la qualité de la relation que nos concitoyens ont avec ceux qui les accompagnent dans leurs démarches judiciaires : officiers ministériels et avocats. Pour cela, un renforcement de leur déontologie et de leur discipline est nécessaire : c'est le quatrième et dernier objectif que je souhaite atteindre par ce projet.

En effet, la diversité et la complexité des régimes disciplinaires des professions du droit ont conduit à un traitement insatisfaisant des réclamations des usagers et à un contrôle disciplinaire défaillant. Les instances disciplinaires actuelles prononcent assez peu de sanctions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour 1 000 professionnels, deux à trois sanctions sont prononcées par profession et par an.

Le projet de loi intègre les principales recommandations de l'inspection générale de la justice et les réflexions menées par les professions sur cette thématique. Il renforce ainsi la déontologie et la discipline des professions du droit en dotant les professionnels d'un code de déontologie mais également en donnant une meilleure visibilité au traitement des réclamations reçues.

Cette refonte du système disciplinaire passe également par la modernisation de l'échelle des peines et par la création de nouvelles juridictions disciplinaires composées de manière échevinale pour une plus grande équité.

Enfin, ce projet de loi facilite l'exécution des accords trouvés lors des procédures de conciliation et de médiation en permettant à des actes d'avocats ayant trouvé un accord de devenir exécutoires après apposition de la formule exécutoire par les greffes, par exemple en matière de pensions alimentaires et de reconnaissances de dettes.

Parce qu'une démocratie sans justice en laquelle les citoyens ont confiance est une démocratie fragile, il est urgent de prendre les mesures fortes qui s'imposent. La justice est, je l'ai dit, au cœur de notre pacte social, un pacte social qui, en république, ne peut être fondé que sur la confiance de nos concitoyens en leurs institutions, en particulier en leur justice. C'est cette confiance que je veux raviver. C'est tout l'objet du texte ambitieux que je soumets à votre examen et que je sais que vous allez enrichir.

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