La réunion débute à 14 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et examine le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire (n° 4091) et le projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire (n° 4092) (M. Stéphane Mazars, rapporteur).
Mes chers collègues, nous auditionnons M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les projets de loi organique et ordinaire pour la confiance dans l'institution judiciaire dont le rapporteur est Stéphane Mazars. Adoptés en conseil des ministres le 14 avril dernier, ils seront examinés en séance publique à compter du lundi 17 mai.
J'ai l'honneur de vous présenter les projets de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, fruit d'une longue réflexion menée à la lumière de mes trente-six années de barreau mais également à celle de vos nombreux débats et travaux parlementaires, notamment issus de votre commission.
Depuis de trop longtemps, le fossé entre nos concitoyens et la justice se creuse. Les enquêtes d'opinion, mais également l'actualité récente, illustrent cette particulière défiance des Français envers l'autorité judiciaire.
Sans remettre en cause les grands principes de notre système judiciaire, les évolutions que je vous propose le rendent plus équilibré et plus conforme à ce qu'en attendent nos concitoyens.
Pour restaurer la confiance, il faut d'abord rapprocher l'institution judiciaire des citoyens. La justice est publique et elle est rendue au nom du peuple mais, malgré cela, son fonctionnement reste un mystère pour beaucoup de nos compatriotes.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit, dans une optique de transparence et de pédagogie, d'autoriser au cas par cas l'enregistrement et la diffusion d'audiences. Je veux être clair : il ne s'agit en aucun cas de verser dans la justice spectacle. Je souhaite au contraire que les Français puissent mieux comprendre l'action de nos cours et tribunaux en l'expliquant et en la contextualisant.
Cette réforme est d'autant plus importante que la désinformation sévit chaque jour davantage, notamment via les réseaux sociaux, ce que les polémiques et faits divers récents ont largement démontré. Les prétoires seront ainsi plus ouverts aux caméras, à condition bien sûr de respecter des règles précises dans le cadre d'un régime protecteur.
J'ai en effet conscience de la nécessité de préserver les principes fondamentaux que sont la présomption d'innocence, la sécurité des personnes, le droit à l'oubli, le respect de la vie privée, l'intérêt supérieur des mineurs ou encore la sérénité des débats.
Ainsi l'autorisation d'enregistrement sera subordonnée à la démonstration d'un motif d'intérêt public, et la diffusion de l'enregistrement ne pourra intervenir qu'après décision définitive, à l'exception du cas particulier des audiences devant la Cour de cassation et le Conseil d'État.
De surcroît, l'enregistrement des audiences non publiques ne pourra avoir lieu qu'avec l'accord des parties, tandis que le président de l'audience pourra toujours décider d'arrêter l'enregistrement.
Au stade de la diffusion, que l'audience soit publique ou non, les personnes enregistrées feront l'objet d'une anonymisation sauf leur consentement écrit. Je précise que les mineurs, les majeurs protégés et les membres des forces de l'ordre, dont les missions exigent pour des raisons de sécurité le respect de l'anonymat, seront quant à eux obligatoirement anonymisés, sans exception possible.
Vous le voyez, le régime que je vous propose est un régime équilibré qui renforcera le droit à l'information de nos concitoyens tout en préservant les principes fondamentaux de la justice.
Restaurer la confiance en la justice, c'est ensuite renforcer les droits de nos concitoyens au cours de l'enquête pénale. Cela passe d'abord par une amélioration du contrôle des enquêtes préliminaires par l'autorité judiciaire et par le renforcement de la protection de la présomption d'innocence.
La durée des enquêtes préliminaires de droit commun sera limitée à deux ans. Elle pourra être prolongée d'un an après autorisation du procureur de la République pour tenir compte de la complexité des investigations. Pour cette même raison, et au regard de la gravité des faits, les délais seront portés à trois ans, prolongeables de deux ans, en matière de délinquance organisée et de terrorisme.
Autre innovation qui me tient à cœur : l'enquête préliminaire pourra, en cas d'audition ou de perquisition, être ouverte au contradictoire. Cette nouvelle phase permettra ainsi aux parties d'avoir connaissance des investigations qui les concernent, notamment si elles sont accompagnées d'une mise en cause médiatique. Par cohérence, les sanctions encourues en cas de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction seront renforcées afin de mieux protéger la présomption d'innocence.
Ensuite, pour renforcer le droit des justiciables, il faut renforcer ce que j'ai souhaité appeler le secret de la défense, dont la protection sera consacrée dans le code de procédure pénale. Déclinaison de ce principe : les actes d'enquête diligentés à l'encontre d'un avocat, à savoir l'exploitation de ses données de connexion ou l'interception de ses communications téléphoniques, comme la perquisition de son lieu d'activité professionnelle, seront plus strictement encadrés et subordonnés à l'existence de raisons plausibles de son implication dans la commission de l'infraction à l'origine de l'enquête.
Enfin, il est indispensable que le peuple français joue un rôle majeur dans le jugement des crimes les plus graves. Pour cela, les cours d'assises seront revitalisées, et, pour donner tout son sens à l'expression « souveraineté populaire », une décision de culpabilité sera prise à la majorité des jurés.
Les cours criminelles départementales, dont tous les magistrats et avocats ont souligné la qualité, seront généralisées. Elles permettent en effet pour les crimes punis jusqu'à vingt ans de réclusion de restaurer la véritable qualification des faits en n'ayant plus besoin de recourir à la correctionnalisation, très fréquente pour les viols. C'est une avancée majeure qui permet également au débat judiciaire de se tenir dans un délai plus court puisque les délais d'audiencement sont de six à huit mois contre treize mois en moyenne pour un procès en cour d'assises.
Je souhaite également autoriser, à titre expérimental, la participation d'un avocat honoraire dans la composition de la cour d'assises ou de la cour criminelle. Un court projet de loi organique est adossé au présent texte afin de définir les contours statutaires de cette nouvelle catégorie de juges non professionnels.
Restaurer la confiance, c'est, troisièmement, redonner du sens à la peine et mieux lutter contre la récidive. Si je souhaite refonder le dispositif actuel des réductions de peine, c'est parce qu'il est devenu incompréhensible pour nos concitoyens et surtout parce qu'il n'est pas juste.
La réforme que je propose ne vise pas à réduire le quantum des réductions de peine auquel tout détenu peut prétendre ; elle vise à en supprimer le caractère automatique. Et parce qu'il ne s'agit pas de remplacer de l'automatique par de l'automatique, c'est bien au mérite, au fur et à mesure de l'exécution de la peine et en fonction de la bonne conduite des détenus et de leur effort de réinsertion, que seront attribuées ces remises de peine.
En effet, elles seront désormais toutes accordées par un juge de l'application des peines, éclairé par les personnels pénitentiaires dont les missions viennent d'être enrichies dans le cadre d'une charte que nous avons conclue avec les trois plus grandes organisations syndicales.
Oui, la prison est nécessaire pour assurer la sécurité des Français et mettre hors d'état de nuire des individus dangereux. Mais pour la délinquance de basse intensité, elle ne doit pas être pire que le mal.
Vous avez voté il y a quelques semaines la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Il faut poursuivre les efforts qui ont été accomplis en la matière dans le droit fil de la loi de programmation et de réforme de la justice qui favorise les alternatives à l'incarcération.
Le texte que je vous soumets vise à limiter la détention provisoire en matière correctionnelle en favorisant l'assignation à résidence sous surveillance électronique. Il vise également, au moment de la libération, à éviter les fins de peine sèches car toutes les études le démontrent : l'absence d'encadrement et de suivi en fin de peine multiplie par deux le risque de récidive.
La systématisation de la libération sous contrainte à trois mois de la fin de peine permettra de soumettre les condamnés à des obligations et à un suivi renforcés pour favoriser leur réinsertion.
Dans une même logique de prévention de la récidive, je vous propose de créer un contrat entre le détenu qui travaille, les entreprises et l'administration, et de l'assortir d'un certain nombre de droits sociaux dès la libération tels que l'assurance-chômage ou l'accès à l'assurance-vieillesse. Là encore, c'est une question de dignité, mais aussi d'efficacité.
Dans un souci de lisibilité et d'accessibilité, ce projet de loi autorise l'élaboration d'un code pénitentiaire. Les missions et l'organisation du service public pénitentiaire, les règles régissant la vie des détenus, ou encore le dispositif de contrôle des établissements seront ainsi plus lisibles et accessibles au bénéfice des professionnels de la prison, des magistrats, des personnels pénitentiaires mais également des avocats, des victimes et des détenus eux-mêmes.
Restaurer la confiance, c'est enfin s'assurer de la qualité de la relation que nos concitoyens ont avec ceux qui les accompagnent dans leurs démarches judiciaires : officiers ministériels et avocats. Pour cela, un renforcement de leur déontologie et de leur discipline est nécessaire : c'est le quatrième et dernier objectif que je souhaite atteindre par ce projet.
En effet, la diversité et la complexité des régimes disciplinaires des professions du droit ont conduit à un traitement insatisfaisant des réclamations des usagers et à un contrôle disciplinaire défaillant. Les instances disciplinaires actuelles prononcent assez peu de sanctions. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour 1 000 professionnels, deux à trois sanctions sont prononcées par profession et par an.
Le projet de loi intègre les principales recommandations de l'inspection générale de la justice et les réflexions menées par les professions sur cette thématique. Il renforce ainsi la déontologie et la discipline des professions du droit en dotant les professionnels d'un code de déontologie mais également en donnant une meilleure visibilité au traitement des réclamations reçues.
Cette refonte du système disciplinaire passe également par la modernisation de l'échelle des peines et par la création de nouvelles juridictions disciplinaires composées de manière échevinale pour une plus grande équité.
Enfin, ce projet de loi facilite l'exécution des accords trouvés lors des procédures de conciliation et de médiation en permettant à des actes d'avocats ayant trouvé un accord de devenir exécutoires après apposition de la formule exécutoire par les greffes, par exemple en matière de pensions alimentaires et de reconnaissances de dettes.
Parce qu'une démocratie sans justice en laquelle les citoyens ont confiance est une démocratie fragile, il est urgent de prendre les mesures fortes qui s'imposent. La justice est, je l'ai dit, au cœur de notre pacte social, un pacte social qui, en république, ne peut être fondé que sur la confiance de nos concitoyens en leurs institutions, en particulier en leur justice. C'est cette confiance que je veux raviver. C'est tout l'objet du texte ambitieux que je soumets à votre examen et que je sais que vous allez enrichir.
Le projet qui nous est soumis est ambitieux par son volume, par la diversité des sujets qu'il aborde et surtout par son intitulé qui sonne comme un programme : la confiance dans l'institution judiciaire.
Les travaux de notre commission nous ont permis, dans un délai pourtant contraint, de rencontrer l'ensemble des acteurs du monde judiciaire : les magistrats bien sûr, mais aussi les greffiers, les surveillants et les directeurs d'établissements pénitentiaires, les services pénitentiaires d'insertion et de probation, enfin les professions juridiques. Les avocats, notaires, huissiers, commissaires-priseurs judiciaires et greffiers des tribunaux de commerce ont également été entendus. Ces échanges, qui ont été riches, nous ont permis de recueillir leurs points de vue, parfois leurs satisfactions et leurs critiques.
Qu'il n'y ait pas de malentendu : parler de confiance dans la justice ne signifie ni qu'elle n'existerait pas, ni qu'elle pourrait simplement se décréter. La confiance dans la justice est un bien précieux mais fragile qui doit donc s'entretenir, se renouveler et s'adapter, ce qui exige des réformes pour répondre aux inquiétudes des professionnels et de nos concitoyens.
Ce texte vise avant tout à protéger la confiance dans l'institution judiciaire, trop souvent critiquée alors qu'elle œuvre dans des conditions que nous savons très difficiles. Si la question des moyens est lancinante, je la sais très présente dans votre esprit, monsieur le garde des Sceaux. J'ai d'ailleurs eu le plaisir de vous accompagner lundi au tribunal judiciaire de Bobigny.
C'est la première fois qu'une telle entorse est faite aux règles républicaines : ni ma collègue Marie-George Buffet ni moi-même, députés du département et commissaires aux lois, n'avons été invités !
Cher collègue, vous avez raison de vous en offusquer. Il faudra effectivement demander des explications au préfet qui est en charge du protocole républicain.
Les élus, ce n'est pas seulement la majorité. Nous tenons notre mandat du suffrage universel.
Monsieur le député, j'ai été surpris de ne pas vous voir parce que je sais votre engagement sur ces questions. Madame la présidente et M. Stéphane Mazars étaient présents, comme d'autres. Je pensais que vous aviez été retenu. Je peux vous garantir que je n'y suis absolument pour rien.
D'ailleurs, monsieur Peu, je venais pour annoncer le plan massif d'embauches qui doit bénéficier à la justice civile de proximité. Plus on est informé de cela, mieux c'est, car il s'agit d'une belle mesure : j'aurais donc été ravi de votre présence.
Ne nous prenez pas pour des imbéciles ! C'est au ministre de vérifier : c'est le rôle de son cabinet.
Je reviens à cette visite : j'ai eu l'honneur d'assister à l'annonce de la création de 1 000 emplois supplémentaires pour la justice civile de proximité, après les 1 000 emplois déjà créés au bénéfice de la justice pénale afin de faire face au stock important d'affaires à traiter. Pour reprendre votre expression, monsieur le ministre, c'est du sucre rapide pour revitaliser nos juridictions du quotidien. La confiance est une ambition qui demande des moyens qui n'ont jamais été aussi massifs dans notre pays.
Venons-en aux projets soumis à notre examen. La justice est rendue au nom du peuple français. Et pourtant, peu de nos concitoyens savent comment elle fonctionne, car un très faible nombre d'entre eux a l'occasion de se rendre dans les prétoires.
Je n'irai pas jusqu'à faire mienne la fameuse phrase d'Audiard : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. » Mais il y a un peu de ça. C'est la raison pour laquelle l'article 1er du projet de loi prévoit l'enregistrement et la diffusion d'audiences administratives et judiciaires, dans des conditions qui respectent la vie privée et la sérénité des débats.
Je trouve que c'est une excellente idée du moment que l'occultation des éléments d'identification des personnes, tout particulièrement des mineurs, est correctement réalisée. Les Français ont besoin de voir fonctionner la justice, sinon certains continueront d'appeler le juge « votre honneur » et demanderont un mandat au policier qui perquisitionne. Craindre de montrer la réalité, c'est laisser libre cours à l'imaginaire, voire à la suspicion, et nous savons que cela n'est jamais favorable à nos institutions démocratiques. Je n'entre pas dans les détails procéduraux, car ils sont nombreux, mais nous pourrons bien évidemment y revenir.
La confiance dans l'institution judiciaire, c'est aussi une justice qui vous donne le droit de vous défendre quand elle suspecte, peut-être d'ailleurs à raison, que vous avez commis une infraction. Or nous avons vu des enquêtes se perpétuer pendant des années sans que les justiciables puissent accéder au dossier et apporter des éléments à décharge. C'est une situation à laquelle vous avez souhaité mettre un terme, monsieur le ministre, et c'est une chose heureuse, pour laquelle vous aurez tout le soutien de la commission des Lois.
La confiance dans l'institution judiciaire, c'est encore une justice qui ne truque pas les cartes avant de les distribuer. Il y a eu, au cours des dernières années, des affaires retentissantes dans lesquelles des confidentialités que protège la loi, et même la Constitution, ont été traitées avec la pire des désinvoltures.
C'était le cas avec la presse, et plus récemment avec les avocats. Nous allons réaffirmer que la défense est quelque chose de sacré et que le procureur n'a pas à écouter derrière la porte de la salle où l'avocat et son client s'entretiennent.
La confiance dans l'institution judiciaire, c'est, je l'ai dit, une justice qui se montre, mais pas une justice qui s'exhibe. Vous avez montré votre irritation devant les violations répétées du secret de l'enquête et de l'instruction. On n'a pas à lire des éléments d'enquête non vérifiés, non jugés, non contestés sur les réseaux sociaux ou dans les feuilles de chou. Les sanctions seront durcies. Je ne sais pas si ce sera suffisant, mais c'est bien évidemment nécessaire.
En ce qui concerne la justice criminelle, nous faisons face à un défi : le stock d'affaires criminelles n'a jamais été aussi élevé – il faudrait plus d'un an pour l'écouler –, les audiences n'ont jamais été aussi longues et, surtout, les délais d'audiencement sont excessifs.
C'est insupportable pour les victimes comme pour les accusés, notamment lorsqu'ils sont en détention provisoire. Si ce n'est pas l'institution qui est en tort, le législateur doit agir avec pragmatisme si nous voulons que nos concitoyens gardent confiance dans notre capacité à juger et punir les actes les plus graves.
Pour améliorer l'organisation des sessions de cour d'assises, je proposerai de rendre obligatoire la tenue de l'audience criminelle préparatoire. Certaines cours d'appel ont pris cette initiative pour améliorer la qualité des débats, notamment dans le cadre de l'expérimentation des cours criminelles, et sa généralisation est une excellente chose. Je suggèrerai également que les magistrats à titre temporaire puissent aussi siéger comme assesseurs dans les cours d'assises, comme nous l'avions fait en 2019 pour les magistrats honoraires.
Concernant la généralisation des cours criminelles, je tiens d'abord à souligner que recourir à l'expérimentation dans un domaine aussi sensible que le jugement des crimes était une nouveauté.
Nous avons fait confiance aux acteurs pour utiliser ce dispositif, et ils s'en sont emparés : c'est un succès unanimement reconnu par tous ceux qui l'ont pratiqué, au point d'ailleurs de faire changer d'avis notre garde des Sceaux, mais pas que lui. J'en profite pour saluer Antoine Savignat avec lequel j'ai mené la mission flash d'évaluation de la cour criminelle départementale.
Il a été reproché au Gouvernement de ne pas aller au bout de l'expérimentation, mais il n'était pas souhaitable de maintenir ainsi deux manières de juger les mêmes crimes sur le territoire national. Les premières évaluations, dont celle que je viens de citer, sont encourageantes : les délais sont plus courts, l'oralité des débats est préservée et ces cours permettent de mieux juger certains crimes si l'on se réfère au taux d'appel.
À terme, et cela a toujours été une ambition affichée, la comparution devant la cour criminelle départementale réduira la correctionnalisation des viols dont personne ne peut se satisfaire. J'insisterai au cours de nos travaux sur l'oralité des débats, qui doit être préservée coûte que coûte en inscrivant notamment que les présidents des cours criminelles doivent avoir l'expérience de la cour d'assises.
J'ai entendu que nous voulions supprimer cette cour. Au contraire ! Elle restera compétente pour les crimes les plus graves et, en appel, pour tous les crimes. Nous renforçons même sa dimension populaire en augmentant le nombre de jurés nécessaires pour déclarer un individu coupable.
Je souhaiterais faire de la cour criminelle un outil pour renforcer la proximité de notre justice. Je serais donc attentif aux propositions visant à l'autoriser à siéger dans un autre tribunal judiciaire du département que celui du siège de la cour d'assises, c'est-à-dire dans une cour criminelle départementale.
Je souhaite que certains des crimes pour lesquels elle est compétente puissent être confiés au juge d'instruction du tribunal judiciaire sans aller systématiquement au pôle d'instruction, parfois éloigné, ce qui rend souvent chaotique le suivi de certaines affaires au détriment des plus fragiles de nos justiciables.
L'article 8 prévoit une expérimentation – je souligne qu'il ne s'agit que d'une expérimentation – consistant à permettre aux avocats honoraires de siéger comme assesseurs dans les cours criminelles et les cours d'assises.
J'entends les réticences que suscite cette idée que nous avions proposée avec Antoine Savignat lors de notre évaluation des cours criminelles. Il ne s'agit pas, comme le dit l'exposé des motifs – peut-être maladroitement –, de s'assurer que les magistrats respecteront les droits de la défense par cette présence à leurs côtés.
Notre idée était la suivante : la cour criminelle et la cour d'assises requièrent des assesseurs en nombre, et les avocats honoraires n'ont pas toujours l'idée de demander le statut de magistrat à titre temporaire qui permet d'intervenir sur de nombreux contentieux. En créant un statut spécifique, pour le jugement des seuls crimes, nous voulions augmenter le vivier d'assesseurs tout en maintenant un certain niveau de spécialisation et favoriser les échanges entre les professions du droit sur cette justice si particulière qu'est le jugement des crimes.
Concernant l'exécution des peines, l'article 9 innove en instituant notamment deux nouveaux dispositifs : d'abord, un mécanisme de libération sous contrainte de droit pour les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans et auxquelles il reste un reliquat de peine inférieur ou égal à trois mois ; ensuite, un nouveau régime de réduction de peine qui supprime l'automaticité des crédits de réduction de peine et les fusionne avec les réductions supplémentaires de peine.
Sera ainsi créé un régime unique de réduction de peine avec une évaluation individualisée se fondant sur la bonne conduite en détention et sur les efforts sérieux de réinsertion de la personne condamnée. J'insiste sur ce « et », car c'est, je crois, un élément important pour éviter une trop grande disparité de jurisprudence entre juges d'application des peines.
Je présenterai plusieurs amendements visant à préciser l'application de ce nouveau régime, qui devra prendre en compte le comportement du détenu dans son ensemble.
J'en viens aux dispositions relatives au service public pénitentiaire.
Notre commission ne sait que trop bien quels défis nous devons encore relever afin d'améliorer, rapidement et durablement, la situation dans nos établissements pénitentiaires. Après la récente adoption d'une procédure de recours pour saisir le juge judiciaire de conditions de détention indignes, nous marquons aujourd'hui une nouvelle avancée en matière de droits des personnes détenues avec la création d'un contrat d'emploi pénitentiaire.
Il s'agit là d'une revendication ancienne et légitime qui permettra d'améliorer le travail des personnes détenues. Nous devons d'une part mieux encadrer ce travail et accorder aux détenus les droits qui en découlent, tout en prenant bien sûr en compte les contraintes inhérentes à la détention, et, d'autre part, développer le travail en détention, car c'est sans doute une des principales clefs pour améliorer la réinsertion des personnes condamnées et incarcérées.
Concernant les professions du droit, la réforme de leur discipline a été plusieurs fois repoussée, nourrissant des critiques, souvent injustes, à l'encontre de ces professionnels.
Encouragée par les travaux de certains de nos collègues, notamment de Cécile Untermaier et Fabien Matras, une grande concertation s'est ouverte pour révolutionner la discipline des professions réglementées. L'enjeu n'est pas des moindres : les notaires rencontrent chaque année 20 millions de fois nos concitoyens et c'est, heureusement, par leur intermédiaire que nous entrons le plus fréquemment en contact avec la justice.
Les professions se sont mobilisées pour proposer la modernisation de leur régime disciplinaire que le garde des Sceaux a déjà présentée. Je suis convaincu que ces nouvelles procédures faciliteront les relations entre ces professionnels et les usagers et je m'en réjouis car la justice du quotidien sera ainsi plus transparente.
Ce texte envisage encore l'amélioration des conditions d'intervention des professions du droit au bénéfice tant des professionnels que du justiciable. C'est ainsi que je soutiens, à l'article 29, le développement des modes alternatifs de règlement des différends en conférant la force exécutoire aux accords contresignés par les avocats après apposition de la formule exécutoire par le greffe.
Cette approche peut aussi faciliter l'accès à la justice. Dans cet esprit, l'article 31, qui inscrit dans la loi la possibilité pour les parties de produire les justificatifs de leurs frais de justice, sera de nature à faciliter le paiement des frais irrépétibles exposés.
Enfin, une justice de qualité implique parfois de réaliser des ajustements dans des réformes récentes pour assurer leur caractère pleinement opérationnel.
C'est en ce sens que l'article 33 envisage de reporter de deux ans l'entrée en vigueur de la réforme de la procédure des injonctions de payer, des difficultés techniques empêchant pour le moment de garantir un fonctionnement fluide de la nouvelle juridiction nationale des injonctions de payer à laquelle nous sommes attachés.
Par ailleurs, pour mettre un terme aux hésitations jurisprudentielles quant à l'identification du juge compétent pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance, l'article 34 attribue la compétence au tribunal judiciaire, assurant ainsi au justiciable un accès plus aisé à cette procédure.
Voici mes remarques sur ce projet de loi. J'ai été lapidaire car son contenu est riche et chacun compte s'exprimer. Je ne manquerai pas de développer, au cours des débats, ce qui a trait aux interrogations qui pourraient demeurer.
Je suis certain que nos travaux enrichiront ce texte pour lui permettre de remplir pleinement l'objectif qui lui est assigné, celui d'une nécessaire confiance dans une vertu que notre pays, celui des droits de l'homme, a érigé en une grande et belle institution : la justice.
Monsieur le ministre, votre projet vise à renforcer la confiance dans l'institution judiciaire, belle ambition à laquelle notre groupe ne peut que souscrire tant elle s'inscrit dans la continuité de ce que nous soutenons depuis le début de notre mandat avec la loi de programmation et de réforme de la justice votée en 2019 pour une justice plus moderne, plus efficace, plus humaine, plus accessible, prévoyant une programmation budgétaire inédite sur cinq ans à laquelle vous avez donné un coup d'accélérateur historique– à hauteur de 8 %, soit 1,7 milliard d'euros supplémentaires – dès votre nomination ; avec la proposition de loi de notre collègue Dimitri Houbron pour une justice pénale de proximité ; avec la réforme de la justice pénale des mineurs portée par nos collègues Jean Terlier et Alexandra Louis, ainsi qu'avec les nombreux rapports et missions sur la justice qu'ont produits nos collègues.
Je pense en particulier à ceux de Didier Paris sur les travaux d'intérêt général et le secret de l'enquête, de Naïma Moutchou et Philippe Gosselin sur l'aide juridictionnelle, de Raphaël Gauvain sur le secret professionnel ou encore de Cécile Untermaier et Fabien Matras sur les officiers publics ministériels.
Nous n'avons pas chômé. Et pourtant, il reste tant à faire, tant nos concitoyens peuvent exprimer vis-à-vis de la justice de la distance, de la méfiance, voire de la défiance, ce qui n'est pas acceptable dans un pays de droits et de libertés tel que la France.
Ce projet de loi vise à entendre les préoccupations légitimes de nos concitoyens et à y répondre, au travers de dispositions redonnant du bon sens au fonctionnement de la justice, comme celles visant à filmer et à diffuser les audiences. Car si la justice est théoriquement rendue publiquement, rares sont ceux qui osent pousser les portes d'un palais de justice et qui en comprennent le fonctionnement, réservant ainsi la justice, notre bien commun, à quelques sachants.
Nous débattrons des garde-fous, notamment de la protection des mineurs à laquelle notre groupe est particulièrement attaché. Nous en saluons d'ores et déjà le principe.
Ce projet vise également à mieux encadrer des enquêtes qui sont interminables et qui placent une épée de Damoclès au-dessus de justiciables, sans perspective ni calendrier clairs. Je salue en particulier la disposition visant à ouvrir le contradictoire lorsque le secret de l'enquête n'est plus qu'illusoire, tant il aura été porté atteinte à la présomption d'innocence dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Vous proposez également des mesures d'encadrement des perquisitions, écoutes et fadettes chez ceux qui assurent la défense des intérêts de nos concitoyens, les avocats. Si nous soutenons ces mesures, nous devons nous assurer que l'ensemble de la relation entre le client et son avocat, qu'il s'agisse de conseil, d'évaluation des risques, de règlement amiable ou de contentieux, soit couvert par le secret professionnel de la loi de 1971 et ainsi protégé dans le cadre d'une procédure pénale, sauf, évidemment, en cas de soupçon de complicité de l'avocat.
La confiance dans l'institution judiciaire passe aussi par la confiance en son propre avocat.
En ce qui concerne les auxiliaires de justice, vous avez mis le doigt sur une difficulté réelle : le sentiment d'entre-soi qui alimente lui-même un sentiment d'injustice chez ceux qui ont des réclamations à formuler à l'encontre de ceux-ci.
Lors des auditions, vos propositions portant sur la déontologie et la procédure disciplinaire ont largement fait consensus. J'espère que cela sera également le cas en commission des Lois.
Enfin, deux propositions feront, nous le savons, un peu moins consensus. Tout d'abord, la généralisation des cours criminelles départementales : si nous entendons les interrogations de ceux qui auraient voulu que l'expérimentation aille à son terme, nous ne pouvons pour autant nier les réels bénéfices de ces cours, notamment dans la lutte acharnée contre la correctionnalisation des viols. Nous ne pouvons plus tolérer que des victimes l'acceptent pour éviter le jury populaire, le temps et la pression de la cour d'assises.
Je remercie notre collègue rapporteur Stéphane Mazars et notre collègue Antoine Savignat qui ont si promptement pu mener à bien une première évaluation du dispositif : elle nous est particulièrement précieuse au moment de légiférer sur cette généralisation.
Deuxième disposition qui fait moins consensus : redonner du sens à l'exécution des peines de prison. Avec la création du code pénitentiaire et d'un statut de détenu travailleur, nous disons bien évidemment oui à la dignité en prison.
Vous proposez également de supprimer les réductions automatiques de peine. Comment, en effet, avoir confiance en la justice si dès le prononcé de la peine de prison, le détenu sait que, sauf accident de parcours, il ne l'accomplira pas intégralement ? Nous devons donner du sens à la peine en renforçant le rôle des efforts de réinsertion dans l'octroi des réductions de peine.
Si nous ne pouvons sur ce point que saluer le principe de la disposition qui nous est soumise, il nous reste cependant de nombreuses questions opérationnelles à soulever pour faire vivre pleinement cette idée. Comment nous assurer que cela n'entraîne pas de surpopulation carcérale ? Comment éviter les disparités de traitement selon les établissements ? Comment anticiper et préparer les sorties dans ce nouveau système et éviter ainsi les sorties sèches ?
Nous espérons que les débats à venir nous permettront d'obtenir des éclaircissements sur ces quelques points d'un projet de loi qu'à l'issue de notre travail collectif le groupe La République en marche votera avec enthousiasme.
L'examen d'un projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, voilà donc la tâche à laquelle nous nous attelons. Nous ne devrions pas avoir à nous poser une telle question dans une société démocratique fonctionnant bien, et encore moins à légiférer pour y répondre, tant il ne saurait être contesté que la confiance se gagne et ne s'impose pas.
Mais nous ne pouvons que constater qu'au fil des ans, notre système judiciaire s'est quelque peu déconnecté du reste de la population et qu'il est peut-être trop souvent, dans l'opinion publique, la cause ou le responsable de nombre de maux de notre société.
Incompréhension, manque de clarté, méconnaissance, fonctionnement désuet, manque de transparence sont autant de causes de désamour des Français à l'égard de celle qui pourtant est la seule garante de leurs libertés, de leurs droits ou du bien vivre ensemble. Cependant, le fossé ne cesse de se creuser. Encore récemment, l'affaire Halimi a démontré l'incompréhension et la colère que peuvent susciter des décisions de justice.
Nous devons donc aujourd'hui rétablir cette indispensable confiance entre les Français et leurs juges. Le pouvoir législatif doit ainsi créer les conditions de la confiance en l'autorité judiciaire. Cela passera nécessairement par une meilleure compréhension de son fonctionnement et par plus de transparence.
La diffusion d'audiences, sujet que nous abordons avec prudence et scepticisme, peut y contribuer à condition de respecter strictement les droits et libertés de tous et d'être mise en œuvre de manière objective afin de permettre à tous de comprendre ce qu'est la réalité du fonctionnement judiciaire.
Il faudra s'assurer du consentement de tous à la diffusion, mais également du respect du droit à l'oubli, ainsi que veiller à ce que tout soit contextualisé. Une audience ne se déroule jamais de la même manière selon qu'elle a lieu à treize heures trente ou à vingt-trois heures, à l'issue de l'examen du dixième ou du douzième dossier.
L'enquête et l'instruction sont de longue date sources de fantasmes et de critiques. Encadrer les délais, mieux garantir les droits de la défense, mais également ceux du conseil, pendants directs de ce droit à la défense, respecter le contradictoire, protéger et renforcer la présomption d'innocence sont des passages obligés pour rétablir la confiance.
La question de la limitation de la détention provisoire semble moins opportune dans la recherche du rétablissement de la confiance, la critique provenant toujours de l'incompréhension naissant d'une décision de ne pas la prononcer ou de la lever, bien plus que de son prononcé.
L'évolution proposée en matière de jugement des crimes et la généralisation des cours criminelles permettront d'apporter une réponse plus rapide, facteur indispensable de confiance, mais aussi et surtout une vraie réponse aux victimes pour des faits qui par opportunité étaient trop souvent correctionnalisés.
Nous aurons également l'occasion de débattre de la question de la majorité en délibéré devant les cours d'assises et de la place des jurés dans la prise de décision. Si nous ne pouvons que nous féliciter de voir l'effort en faveur de la réinsertion reprendre toute sa place dans la décision de libération conditionnelle, et les remises automatiques de peine disparaître, l'échelle des remises proposée semble peu réaliste, particulièrement pour les courtes peines pour lesquelles la remise ne serait calculée que sur une petite – voire toute petite – période probatoire. Nous aurons l'occasion d'en discuter.
La question du travail des détenus nous semble mériter un débat bien plus complet, les nombreux enjeux ne pouvant se limiter aux quelques articles du texte et à une habilitation à légiférer par ordonnances. Le risque de faire fuir les commanditaires nous semble trop important pour procéder de la sorte.
La discipline et la déontologie des professions du droit sont évidemment des facteurs qui permettront également de contribuer à plus de sérénité et de confiance. Nous aurons l'occasion de discuter des ajustements en la matière.
Si nous n'avons pas pu, par voie d'amendement, formuler l'une des propositions que nous avions imaginées avec mon collègue Olivier Marleix, à l'issue de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice, car elle relève du pouvoir réglementaire, vous pouvez, vous, monsieur le ministre, créer une journée annuelle au cours de laquelle les citoyens figurant sur la liste des jurés pourraient échanger avec les chefs de juridiction sur l'activité des tribunaux.
De la transparence, de l'écoute et de la pédagogie, autant de choses de nature à rétablir la confiance.
Dernier point : le projet de loi organique et la question de l'avocat honoraire dans la composition de la cour d'assises et de la cour criminelle, proposition que nous avions formulée avec monsieur le rapporteur à l'issue de la mission flash sur les cours criminelles et des auditions que nous avions menées.
Nous ne la considérions ni comme une rustine ni comme un moyen de pallier un hypothétique manque de magistrats, mais comme une façon de réintroduire un peu de société civile dans la composition de cette cour et de permettre à la cour criminelle de disposer d'un assesseur ayant plus de temps pour prendre connaissance du dossier.
Ce n'est pas une révolution, puisque ce dispositif figure à l'article 212-4 du code de l'organisation judiciaire qui permet aux avocats dans l'ordre du tableau de pallier un manque dans une juridiction.
La mise en œuvre de cette proposition pour la cour d'assises sera, je n'en doute pas, débattue, mais sa raison d'être pour la cour criminelle nous semble fondée et raisonnable.
Dernier point que nous envisagerons dans le cadre de l'examen du projet de loi organique puisque cela figure parmi les propositions que nous sommes amenés à formuler : le choix à opérer pour les magistrats entre la fonction du siège et celle du parquet, élément essentiel pour faire progresser la compréhension du fonctionnement de notre justice par l'ensemble des Français.
Vous l'aurez compris, nous abordons l'examen de ce texte avec vigilance et bienveillance, le rétablissement de la confiance ne pouvant qu'être un objectif partagé par tous.
Une observation liminaire : le projet de loi n'aborde pas les questions relatives aux contentieux civils, commerciaux et prud'homaux, qui représentent les trois quarts de l'activité des juridictions de l'ordre judiciaire, et dont nos concitoyens attendent tant en raison des conséquences qu'ils entraînent sur leur vie quotidienne.
L'article 1er permet l'enregistrement d'audiences et sa diffusion au nom d'un motif d'intérêt public lié à la pédagogie ou à l'importance de l'affaire. Nous soutenons cette mesure, mais voulons réserver au législateur plutôt qu'à l'exécutif le pouvoir de déterminer l'autorité compétente pour décider d'un enregistrement, et nous proposons qu'il s'agisse des chefs de cour dans les deux ordres de juridiction.
L'article 2 limite à trois ans au total la durée des enquêtes préliminaires, la portant à cinq ans pour certains crimes ou délits – criminalité organisée, terrorisme. Il introduit en outre une part de contradictoire au sein des procédures en question. Mais il faut être réaliste : lutter contre la délinquance suppose aussi de limiter, au niveau de l'enquête, les droits de la défense des personnes soupçonnées. Nous avons donc déposé deux amendements à cet article, l'un étendant aux infractions financières le champ des enquêtes dont la durée est susceptible d'être prolongée jusqu'à cinq ans, l'autre visant à éviter que le fait d'avoir été présenté comme coupable dans les médias ne donne de plein droit accès au dossier de la procédure.
L'article 3 s'attache à mieux garantir le secret professionnel de l'avocat dans le cadre de l'enquête pénale. Si nous en soutenons le principe, nous prenons acte du fait que le texte exclut toute immunité de l'avocat lorsqu'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis l'infraction qui fait l'objet de l'enquête. Pour nous, il doit en être de même de l'avocat soupçonné d'avoir commis une infraction connexe – commise, aux termes de l'article 203 du code de procédure pénale, pour faciliter ou consommer l'exécution de l'infraction principale ou pour en assurer l'impunité. Stéphane Mazars me faisait observer que c'était aussi l'objectif de l'avocat que d'assurer l'impunité de son client ; certes, mais pas en commettant une infraction !
L'article 7 généralise les cours criminelles départementales bien que la période de leur expérimentation soit inachevée. Nous soutenons cette proposition du Gouvernement, qui aboutira à désengorger le rôle des cours d'assises et à réduire le délai de jugement des affaires criminelles.
L'article 8 permet de faire siéger des avocats honoraires au sein de la formation de jugement des cours d'assises et des cours criminelles départementales. La motivation de cette mesure, liant le remplacement d'un magistrat par un avocat à la restauration de la confiance en la justice – c'est le sens de l'étude d'impact –, a été logiquement perçue par le corps judiciaire comme un signe de défiance. Je ne suis pas sûre, pour ma part, que les Français préfèrent voir juger les criminels par des avocats plutôt que par des juges. Notre groupe est très majoritairement opposé à cette réforme, qui ne remédie à aucune difficulté de gestion des effectifs, du moins au niveau des cours d'assises.
Nous partageons en revanche la philosophie du projet de loi en matière d'exécution des peines. L'article 10 tend ainsi à remplacer le crédit acquis de plein droit par une réduction de peine accordée par le juge en fonction de critères fondés sur la bonne conduite et les efforts de réinsertion.
Les dispositions relatives à la promotion du travail et de la formation en prison vont elles aussi dans le bon sens. Ce n'est pas notre présidente qui dira le contraire, ni les nombreux collègues ayant participé comme moi à nos missions concernant les prisons – même s'il reste à confronter ces mesures aux difficultés inhérentes à tout travail carcéral.
Enfin, le renforcement du cadre déontologique et disciplinaire applicable aux professions du droit peut accroître la confiance que nos concitoyens leur accordent et favoriser le dialogue entre magistrats et avocats.
Nous avions souhaité compléter le texte par plusieurs mesures destinées à renforcer la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire, notamment la modification de l'article 122-1 du code pénal s'agissant de la responsabilité pénale ; mais notre amendement en ce sens a été déclaré irrecevable. Bien que le Gouvernement ait annoncé un projet en cette matière, et que notre commission ait décidé de créer une mission flash à ce sujet, ce dont je me réjouis, je ne comprends pas cette irrecevabilité, à moins de considérer que la décision prise par la Cour de cassation le 14 avril dernier n'a pas ébranlé la confiance de nos concitoyens dans l'institution judiciaire.
À également été déclarée irrecevable notre proposition d'étendre la qualité à agir dans les actions de groupe en matière de consommation, alors qu'elle faciliterait l'accès de nombreuses victimes à la justice – certes civile – et serait de nature à redonner confiance dans l'institution.
Seule a été retenue notre proposition de consacrer aux crimes sériels et aux affaires non élucidées un pôle national spécialisé qui permettra d'en améliorer le traitement à moyens constants.
Vous savez très bien, ma chère collègue, que l'irrecevabilité d'un amendement ne s'apprécie pas en fonction du titre du projet de loi et que les amendements concernant l'affaire Halimi sont clairement irrecevables. Tout le monde en est parfaitement conscient ; en témoignent certains courriers que j'ai reçus me demandant de faire des exceptions à l'article 45 compte tenu du retentissement de l'affaire – ce qui m'est impossible, vous le savez également. Au bout de quatre ans à la commission des lois, nul n'ignore que l'application de l'article 45 n'a rien à voir avec le titre du texte ; affirmer le contraire est inutile et assez agaçant.
On ne compte plus le nombre de lois ambitionnant de rétablir la confiance dans nos institutions, comme si nous étions des enfants complètement perdus, privés de tout lien avec ces dernières. En matière judiciaire, il sera pourtant difficile d'atteindre cet objectif essentiel en mettant à ce point l'accent sur la justice pénale.
Car c'est d'abord de la lenteur de la justice civile que les citoyens se plaignent. Sans mettre en cause le travail des magistrats, qui font ce qu'ils peuvent avec les moyens dont ils disposent, ce sont bien les délais dans les litiges du quotidien – affaires familiales, tutelles et curatelles, consommation – qui sont critiqués par les justiciables et qui les découragent de saisir la justice.
Ce sont aussi, pour en revenir au pénal, les nombreux classements sans suite qui ne sont notifiés ni aux plaignants ni aux victimes, faute de temps. Il faut se donner les moyens de satisfaire cette simple exigence qui nous est rappelée constamment par nos concitoyens : dès lors que la justice est saisie, une réponse judiciaire doit être impérativement donnée. C'est d'abord ainsi que l'on crée la confiance.
Le texte comporte plusieurs mesures bienvenues, dont la limitation de la durée de l'enquête préliminaire, une initiative courageuse issue des travaux de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire présidée par Ugo Bernalicis. Il convient aussi d'étendre le contradictoire et de rééquilibrer ainsi les droits de la défense et ceux de l'accusation. Nous proposerons de réduire encore davantage le délai dévolu à l'enquête, ce qui ne plaira ni au parquet ni aux juges du siège, et d'ouvrir le contradictoire à un stade plus précoce que ne le prévoit le texte.
La consolidation du secret professionnel de l'avocat s'imposait alors que de récentes affaires ont mis en évidence de graves atteintes à ce principe ; je salue l'avancée qu'elle représente. Nous reviendrons sur la définition du secret professionnel, à propos duquel il nous paraît improbable de dissocier l'activité de défense de celle de conseil.
La refonte des règles déontologiques et des procédures disciplinaires applicables aux professionnels du droit emporte également notre adhésion. Les dispositions en la matière reprennent des recommandations élaborées dans le cadre de la mission d'information que j'ai menée avec Fabien Matras. Nous demanderons qu'elles soient complétées par la création du collège de déontologie dont nous avons tant parlé dans le cadre de la loi relative au parquet européen.
La création du statut de détenu travailleur, ainsi que la reconnaissance à venir, par ordonnance, des droits sociaux des détenus concourt à l'effort qui incombe en la matière à la France, condamnée à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l'homme en raison des conditions de détention dans ses prisons. Il s'agit d'un programme vaste et important.
Enfin, l'acte d'avocat, très attendu, est sans doute le seul moyen d'agir plus vite en matière judiciaire.
D'autres mesures appellent quelques réserves.
Ainsi de la généralisation des cours criminelles départementales, amenée à réduire fortement la fréquence de la tenue des cours d'assises, que vous prétendiez pourtant vouloir défendre bec et ongles, monsieur le ministre. Cette disposition ne respecte pas la volonté du législateur d'imposer une phase expérimentale de trois ans afin de permettre une véritable évaluation à laquelle soient associés les professionnels, notamment les avocats. La création de ces nouvelles cours signe par ailleurs la fin de l'oralité des débats et du jury populaire, lequel contribue pourtant au rapprochement visé par le texte entre le peuple et la justice. Au demeurant, ces juridictions mobilisent cinq magistrats, contre trois pour les cours d'assises, alors que les effectifs manquent.
La suppression des remises de peine automatiques n'emporte pas l'adhésion des professionnels, qu'il s'agisse des magistrats, des avocats ou des membres de l'administration pénitentiaire. Je n'en ai pas trouvé un seul pour défendre ce nouveau dispositif, à propos duquel le Conseil d'État a par ailleurs émis des réserves. Actuellement, l'automaticité n'est pas de droit, puisque les crédits de réduction de peine peuvent être retirés en cas de mauvaise conduite, et il me semble dangereux de laisser croire au contraire aux citoyens que ce dispositif permettrait à n'importe quel détenu de bénéficier d'une réduction de peine, quel que soit son comportement.
En ce qui concerne l'enregistrement d'une audience et sa diffusion, pourquoi pas ? La justice doit devenir visible, sortir des murs du tribunal – mais sans que ses professionnels soient mis en danger. Qu'en est-il du motif d'intérêt public justifiant un tel mécanisme ? Est-ce la pédagogie qui est visée ?
S'agissant enfin d'un amendement déposé par plusieurs groupes et concernant une demande émanant de la Cour de cassation, le régime sec de l'article 45 auquel sont soumis les députés n'exclut pas le discernement et, dans ce cas précis, je regrette que nous n'ayons pas ouvert la porte de la loi pour y intégrer une mesure relevant pleinement de son sujet.
Retisser le lien de confiance entre les Français et leur justice est un enjeu majeur pour une société démocratique comme la nôtre. Les deux textes qui nous sont soumis se fondent sur un constat que nous partageons tous : l'érosion de la relation entre la société et l'institution judiciaire. Le Parlement ne cesse de se réunir pour remédier à ce mal et améliorer le fonctionnement de la justice, comme lors de la réforme de 2019 ou, plus modestement, de l'examen, il y a quelques mois, de la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.
Les deux textes prévoient des mesures inédites touchant l'ensemble des acteurs de l'institution judiciaire ainsi que les auxiliaires de justice, mais aussi les Français – étudiants, justiciables et citoyens curieux.
Concernant la peine et la réinsertion, je suis très attaché aux questions de la réponse pénale, du sens de la peine et de la réinsertion des détenus. Je ne peux donc que saluer la reprise par le projet de loi de propositions très ambitieuses formulées par le Conseil économique, social et environnemental dans le rapport relatif à la réinsertion des personnes détenues qu'il a rédigé à la demande du Premier ministre. Le CESE recommandait notamment de faire de la formation et du travail les leviers de la réinsertion grâce à l'établissement d'un contrat de travail spécifique déterminant l'acquisition de droits à l'assurance chômage, à la retraite et à la formation et grâce au développement de l'insertion par l'activité. À cet égard, le projet de loi est conforme aux attentes et aux besoins de l'administration pénitentiaire, très soucieuse de l'existence et de la qualité des perspectives économiques et sociales offertes aux détenus.
Dans le même esprit, j'avais déposé des amendements directement inspirés des recommandations du CESE, hélas jugés pour la plupart irrecevables. Il s'agissait d'améliorer l'accès des détenus au numérique pour leur permettre d'amorcer leurs démarches administratives et de recherche d'emploi, de faciliter leur accès à un logement ou à un hébergement, d'alléger les conditions auxquelles ils peuvent ouvrir un compte bancaire ou encore de fluidifier le processus de renouvellement de leur pièce d'identité.
En effet, s'il est nécessaire de faire preuve de fermeté envers ceux qui violent le pacte social et les lois de la République, ne pas aider un détenu à trouver un emploi, à apprendre à lire, à trouver un logement ou à entamer des démarches administratives, c'est le condamner une nouvelle fois.
De plus, le code pénal le dit, l'une des fonctions de la peine est de favoriser l'amendement, l'insertion ou la réinsertion de l'auteur de l'infraction. Le projet de loi contribuera à cette visée.
Je souhaite également un plan d'action global visant à définir des critères objectifs permettant de valider la suppression de la réduction automatique de peine. En se donnant la possibilité de prévoir les situations où des efforts ont été accomplis, les cas de bonne conduite, on rendrait le texte plus lisible. Cette recherche de sécurité juridique se traduirait par un décret. Ainsi le droit à la sûreté garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen serait-il pleinement respecté.
S'agissant de l'enregistrement et de la diffusion des audiences, le groupe Agir ensemble attend du Gouvernement plus de précisions sur leurs modalités et sur la pédagogie par laquelle le garde des Sceaux entend mieux faire connaître la justice à nos concitoyens. Rappelons que c'est en réponse aux désordres déclenchés par le procès Dominici que ce type de procédé fut interdit par la loi du 6 décembre 1954. Le risque du sensationnel et du voyeurisme est grand si la façon de faire n'est pas clairement définie. Nous vous proposerons donc que l'article 1er soit d'abord appliqué à titre expérimental, de manière à pouvoir constater les écueils et y remédier avant la généralisation de la mesure, tout simplement pour éviter de faire échouer une belle idée par précipitation.
Concernant les enquêtes préliminaires visées à l'article 2, il nous paraît nécessaire de préciser davantage les cas dans lesquels elles pourront être soumises au contradictoire et, surtout, de quelle manière elles le seront. Je défendrai donc un amendement réservant cette possibilité aux procès-verbaux achevés, à l'exclusion des actes en cours. En effet, soumettre l'intégralité des actes au contradictoire pourrait contrer l'enquête, se révéler inefficace et, ainsi, affaiblir notre justice.
Enfin, nous sommes surpris de la possibilité offerte aux avocats honoraires d'être désignés assesseurs de la cour d'assises ou de la cour criminelle départementale. L'avocat et le magistrat exercent deux offices tout à fait différents. En institutionnalisant un tel mélange des genres, on risque de compliquer encore davantage la compréhension par les citoyens de l'architecture judiciaire.
Nous ne comprenons pas non plus la volonté de rétablir la minorité de faveur pour les accusés aux assises : elle rend plus difficile leur condamnation, partant du postulat que les trois magistrats votent nécessairement de la même façon et qu'il faut donc que quatre jurés, et non seulement trois, votent la culpabilité pour que celle-ci soit déclarée. J'entends le souhait de renforcer les jurys populaires, mais j'ai peur que cette évolution n'entraîne une défiance vis-à-vis de nos magistrats, contrairement à l'objectif du texte.
Si, dans l'ensemble, les mesures qui nous sont soumises vont dans le sens des ambitions affichées, certaines méritent d'être encadrées et débattues pour davantage de cohérence. Cela dit, je voterai bien évidemment en faveur du projet de loi et du projet de loi organique.
Vous avez parlé, monsieur le garde des Sceaux, du fossé croissant entre la justice et nos concitoyens ; il est vrai que la confiance d'une nation en ses institutions judiciaires est l'un des éléments d'appréciation de la bonne santé d'une démocratie. Votre texte n'est pas le premier à ambitionner de restaurer la confiance ; l'avenir dira si le projet de loi Dupond-Moretti aura mis fin à une défiance toujours recommencée ou s'il ne restera dans l'histoire que comme une réforme de plus.
Quatre éléments peuvent contribuer à la confiance dans la justice. D'abord, nos concitoyens lui reprochent souvent la longueur de ses procédures et de ses décisions. Ensuite se pose la question de l'égal accès de tous à la justice. Souvent aussi, à tort ou à raison, celle de son indépendance. Il y va enfin de la compréhension de la justice rendue, l'actualité nous le rappelle – je ne reviendrai toutefois pas sur l'affaire Sarah Halimi, puisque nous ne pourrons pas en débattre dans le présent cadre mais qu'un texte à venir nous permettra d'en traiter.
Cela a été dit, vous avez choisi de ne vous préoccuper ici que de justice pénale, alors que c'est souvent la justice du quotidien – la justice civile – que nos concitoyens voudraient plus compréhensible, plus rapide et plus simple. Vous me répondrez sans doute qu'un seul texte ne peut pas embrasser tous les enjeux d'une telle réforme ; mais c'est peut-être un manque du projet de loi.
Quelle est la cohérence entre les nombreuses matières et évolutions qui y sont traitées ? Par exemple, vous dites vouloir faciliter l'insertion des détenus en instaurant un contrat de travail pénitentiaire, mais vous supprimez les crédits de réduction de peine automatiques au profit d'un nouveau dispositif dont on se demande s'il permettra au juge de l'application des peines, vu le nombre de saisines dont il fait l'objet, de bien apprécier le comportement et la volonté d'insertion du détenu.
Vous dites que l'objectif de l'article 1er est la pédagogie et que vous ne souhaitez pas que l'on verse dans la justice spectacle ; d'accord avec vous sur ce dernier point, je suis a priori très circonspect quant à l'enregistrement et à la diffusion des audiences et j'espère que nos débats feront la lumière sur les garde-fous à de possibles dérives.
Quant à la généralisation immédiate des cours criminelles départementales, elle fait débat même si l'on en comprend l'objectif. Vous faites valoir qu'elle évitera la correctionnalisation des viols. Qu'est-ce qui justifie son urgence et l'absence subséquente de concertation à son sujet, relevée par les professionnels du droit que nous avons auditionnés ?
Ce n'est pas une loi qui peut redonner confiance – que ce soit en l'école ou en la justice –, mais des actes. En ce sens, s'il y a certes un lien entre l'écart que ressentent les administrés vis-à-vis des institutions et la confiance qu'ils leur accordent, ce genre d'annonce est plus le révélateur du problème que sa solution.
Parmi les mesures positives que contient le texte figure la limitation à deux ans de la durée des enquêtes préliminaires. Toutefois, 84 % des enquêtes sont clôturées au bout d'une année et 97 % avant deux ans. Dès lors, même s'il faut peut-être davantage de temps pour les enquêtes comportant des enjeux financiers, ne pourrait-on ramener le délai à un an, comme le propose l'un de mes amendements ?
La limitation du recours à la détention provisoire est elle aussi une bonne mesure, même assortie de restrictions. Quelqu'un a dit que, si mauvais que l'on soit en entrant en prison, on en sort plus mauvais encore : la prison n'est pas une bonne école.
Je salue également les dispositions de protection des avocats et de leurs sources ainsi que les contrats de travail pour les détenus.
D'autres mesures posent davantage problème.
En ce qui concerne l'enregistrement des audiences, les spectateurs de certaines émissions de télévision consacrées à des affaires judiciaires se repaissent déjà suffisamment des mauvais aspects de notre société, et je ne voudrais pas d'une justice spectacle qui livre les victimes, voire les agresseurs présumés eux-mêmes, en pâture au public.
J'ai bien compris que les cours criminelles départementales permettent d'éviter la correctionnalisation de crimes tels que le viol et d'alléger la procédure, mais elles ont l'inconvénient de ne pas comporter de jury populaire. Cela pose un problème eu égard au regard que peut porter le peuple sur la justice et, plus généralement, à l'objectif que l'on assigne à celle-ci. C'est sans doute une question de moyens, mais la France n'est pas le pays qui consacre le plus d'argent à sa justice – 69 euros par an et par habitant, contre 84 en moyenne parmi ses homologues européens. Le Gouvernement a fait quelques efforts en la matière, mais un rattrapage supplémentaire est nécessaire.
En ce qui concerne la suppression du caractère automatique de certaines remises de peine, sa stricte application pourrait accroître de 10 000 personnes la population détenue, alors que nos prisons sont surpeuplées. Je rappelle qu'actuellement l'automaticité n'est pas totale puisque le juge de l'application des peines peut s'opposer à la réduction de peine. Le texte apporte-t-il un véritable changement à cet égard ?
Le texte est plutôt bien accueilli par les avocats, un peu moins bien par les magistrats. Reparlons-en.
Je ne m'attarderai pas sur le caractère présomptueux du titre, relevant seulement qu'il réduit l'institution judiciaire à la justice pénale. Conscient vous-même, monsieur le ministre, de cet écueil signalé par plusieurs de mes collègues, vous avez annoncé la semaine dernière de grandes mesures pour la justice civile, que vous avez qualifiées de « sucres rapides » – mais tout le problème de ces sucres est que leur effet n'est pas durable. De fait, c'est de contractuels embauchés pour huit mois qu'il est question, sans parler de la manière dont on utilise des chiffres de l'année dernière, ce qui ne rend pas compte de la réalité des efforts accomplis.
Le texte comporte des mesures qui retiennent l'attention et que je trouve tout à fait positives, notamment le contrat de travail pour les personnes détenues et le code de déontologie des officiers ministériels.
D'autres vont dans le bon sens, mais méritent d'être retravaillées et amendées pour être améliorées. Je songe à l'article 1er. Dans les conclusions de la commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, que j'ai présidée, je formulais mes propres propositions au nom de mon groupe, dont la possibilité de filmer les audiences, aux fins moins de transparence que de contrôle démocratique – c'est ce qui justifie aujourd'hui la publicité des audiences : la justice est rendue au nom et à la vue du peuple français. Nous proposons cependant que les mesures de l'article 1er s'appliquent à titre expérimental : s'il est un domaine dans lequel l'expérimentation est pertinente, c'est bien celui-là. On sait que, de toute façon, la Chancellerie commencera par tester le dispositif dans certaines juridictions. Autant inscrire ce caractère expérimental dans la loi de manière à pouvoir revenir ici en discuter, puisque les avis – tous légitimes – sont partagés, certains craignant une justice spectacle. De ce point de vue, mieux vaudrait ne pas limiter les retransmissions aux audiences pénales : la justice civile, la plus méconnue, ne fait jamais, elle, l'objet d'aucun reportage télévisé.
Je suis spontanément favorable à l'encadrement de l'enquête préliminaire, mais le problème, ce sont les moyens, et les perspectives qu'ils impliquent quant à l'issue des affaires. On a cité à ce propos les dossiers économiques et financiers. Dans ce domaine, je l'ai constaté avec Jacques Maire dans le cadre de notre rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière, il n'est pas rare que les enquêtes préliminaires durent plus de deux ou trois ans, du fait non de la lenteur du parquet ou des enquêteurs, mais de la dimension internationale des affaires qui nous rendent tributaires des délais de communication de pièces par d'autres pays.
Dans ce contexte, à quoi bon reporter la charge sur l'information judiciaire ? Au stade de l'instruction, les piles de dossiers sont encore plus élevées qu'au parquet ! On voudrait prolonger le délai de traitement de l'affaire que l'on ne s'y prendrait pas autrement, au détriment tant de la victime que du mis en cause. Rappelons que la dernière décision du Gouvernement en matière d'instruction a été la suppression des chambres de l'instruction dans des circonscriptions où la majorité s'attendait à de mauvais résultats électoraux lors du scrutin municipal – souvenez-vous des échanges de mails à ce sujet entre la Chancellerie et le cabinet du Premier ministre et des pièces auxquelles ont pu avoir accès les membres de la commission d'enquête que j'ai présidée. Le renforcement des cabinets d'instruction ne semble donc pas être à l'ordre du jour. C'est bien dommage, car si c'était là l'objectif, je signerais des deux mains !
Je suis donc plus favorable à l'introduction du contradictoire aux étapes de contrôle et de mise en état du dossier qu'à l'imposition d'échéances fermes et bloquantes, qui aboutira soit à ce que le dossier aille se perdre au stade de l'information judiciaire, soit à un classement sans suite malgré de bonnes raisons de poursuivre.
Plusieurs remarques sur le titre du projet de loi. La justice n'est pas la seule de nos institutions qui connaisse ce que l'on appelle facilement une crise de confiance. Cela devrait nous faire réfléchir sur la vieille dame qu'est la Ve République et sur son usure, mais aussi sur les moyens confisqués depuis des années au détriment du déploiement de grands services publics permettant aux usagers et citoyens de disposer de l'ensemble de leurs droits. Monsieur le rapporteur a dit que le projet de loi était ambitieux par son intitulé ; j'espère que son ambition ne s'arrête pas à celui-ci. Il faudrait travailler à restaurer un grand service public de la justice, et ce n'est pas l'objet du texte tel qu'il est rédigé.
Vous parliez à un moment de deux réformes-phares, monsieur le ministre, l'une portant sur l'indépendance du parquet, l'autre visant à encadrer plus strictement les transmissions d'informations des juridictions à la Chancellerie. Ces deux aspects sont absents du projet de loi ; nous ne pouvons que le regretter.
Quelques points me paraissent positifs : le rétablissement de la minorité de faveur afin de respecter la souveraineté populaire ; le statut du détenu travailleur et les droits sociaux afférents – un premier pas qui ne résoudra pas tous les problèmes liés à la condition des détenus, mais dont je ne pense pas, contrairement à ce qui a pu être dit, qu'il fera fuir les commanditaires, car les grandes entreprises devraient se réjouir de confier leur production à des hommes et à des femmes jouissant de véritables droits, et même y voir une source de rayonnement pour elles.
En ce qui concerne les audiences filmées, il faut faire preuve d'une grande prudence, s'assurer que toutes les personnes présentes au tribunal – prévenus, témoins, avocats, juges, etc. – sont consultées au préalable et veiller à l'utilisation du matériel enregistré. Plusieurs l'ont dit, nous ne voulons pas d'une justice spectacle. Il va donc falloir interpeller à ce propos les chaînes publiques – le dossier relève de leurs missions –, mais aussi le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Nous sommes plus réticents et inquiets s'agissant de la généralisation des cours criminelles départementales au détriment des cours d'assises. L'absence de jury populaire dans ces juridictions contredit l'objectif de rétablir la confiance entre la population et la justice. Surtout, il ne faudrait pas que les cours criminelles départementales se spécialisent dans le traitement de certains crimes comme les agressions sexuelles et les viols. Il n'y a pas de crimes moins importants que d'autres et qui ne mériteraient pas d'être jugés en cour d'assises. J'aimerais vous entendre sur ce point, monsieur le ministre.
En ce qui concerne la suppression des crédits de réduction de peine dits automatiques, leur obtention était jusqu'à présent subordonnée au comportement des détenus : elle n'était pas si automatique qu'on le dit. Le suivi de l'ensemble de ces mesures va représenter un gros travail : il conviendrait de s'intéresser au nombre de juges de l'application des peines qu'il requerra, ainsi qu'aux moyens nécessaires en effectifs et en formation au sein de l'administration pénitentiaire.
J'espère que l'examen du texte nous permettra de progresser vers une justice plus efficace au service de nos compatriotes.
Merci, monsieur le ministre, de nous présenter ce texte, très attendu par nombre de nos concitoyens qui souffrent d'un manque criant de confiance dans notre institution judiciaire. Vous y proposez notamment d'enregistrer les audiences afin de les diffuser dans un but pédagogique. Faire connaître la justice et son travail étant devenu essentiel, je salue cette proposition qui permettra d'apporter un regard neuf et factuel sur la manière dont la justice est rendue au nom du peuple français.
En revanche, comme beaucoup d'entre nous, je m'interroge sur les modalités de diffusion et sur leurs conséquences sur le droit à l'oubli, que nous tenons à garantir. Autrefois, il aurait été aisé de réserver la diffusion des audiences à des chaînes télévisées, mais, du fait des technologies toujours plus avancées auxquelles nous avons désormais accès, les vidéos peuvent se retrouver sur différentes plateformes pour une durée indéterminée et sans l'accord d'aucune des parties. Heureusement, il existe aussi des technologies qui permettent de protéger les enregistrements : des dispositifs anticopie qui empêchent les captures d'écran ou la diffusion sur des plateformes bien connues – mais, souvent, cela suppose l'accord de ces dernières. Dès lors, comment envisagez-vous précisément de protéger les enregistrements afin de garantir pleinement le droit à l'oubli ?
La confiance dans la justice repose sur deux éléments : la décision de justice elle-même et son efficacité, d'une part ; la déontologie de ceux qui la rendent, d'autre part.
Sur le premier point, j'aimerais tout de même revenir sur l'arrêt abondamment commenté de la Cour de cassation dans l'affaire Halimi. Rendu sur le fondement de l'appréciation d'un comité d'experts, il est néanmoins en totale contradiction avec une décision de la même Cour datant de février 2018 et selon laquelle, dans une affaire de meurtre également commis par un individu aux importants antécédents psychiatriques, « la consommation importante de stupéfiants ne doit pas s'analyser comme une cause d'abolition du discernement mais au contraire comme une circonstance aggravante ». Vous avez publié un communiqué, monsieur le ministre, et vous vous êtes exprimé à ce sujet hier, lors des questions au Gouvernement, pour nous présenter un projet dont nous aimerions connaître un peu mieux, dès à présent, le contenu.
Concernant la déontologie, elle fait l'objet d'un chapitre entier dans le titre consacré aux professionnels du droit, mais seuls les avocats et officiers ministériels sont concernés, et non les magistrats. C'est surprenant, car ils sont la pierre angulaire de l'institution judiciaire et, par là même, de la confiance qu'ont les Français en la justice de leur pays. La justice est indépendante, mais elle ne saurait être anarchique. Pourtant, après l'affaire d'Outreau, l'une des erreurs judiciaires les plus dramatiques que nous ayons connues, le juge Burgaud a bénéficié d'une promotion spectaculaire en étant nommé avocat général à la Cour de cassation.
Après la vie politique, l'économie numérique et l'école, c'est dans la justice qu'un texte de loi entend restaurer la confiance : décidément, la confiance ne va pas de soi, et je ne suis pas sûr qu'une loi suffise à la faire renaître. Si l'on a pu parler d'éloignement entre l'armée et la nation, le constat vaut bien davantage encore du lien entre la nation et la justice, qui se distend depuis des décennies – au moins : les gens de robe, magistrats et avocats, ont fait les beaux jours des caricaturistes du XIXe siècle comme Daumier. Ce mélange de fascination et de répulsion fait partie des défis qu'il nous faut relever.
À cela s'ajoute un contexte particulier : l'affaire Halimi nous rappelle que c'est aussi l'incompréhension des décisions de justice qui alimente la défiance ; quant aux moyens, si notre justice n'est plus en voie de clochardisation comme on a pu le dire il y a quelques années – je donne acte au Gouvernement des efforts récents en la matière –, nous sommes encore loin du compte au regard de beaucoup de pays européens et certaines promesses n'ont pas été tenues, concernant notamment la création de nouvelles places de prison.
Ce qui compte dans le projet de loi est autant ce qu'il contient que ce qu'il ne contient pas. Pouvoir filmer, ouvrir les prétoires, c'est très bien, à condition que nous ne versions pas dans le spectacle médiatique, voire dans le lynchage ; cela permettra peut-être de faire mieux connaître notre institution en compensant les représentations issues des séries américaines – le fameux « votre honneur ». Oui, aussi, à des enquêtes préliminaires plus courtes, oui au secret de la défense, au respect des droits des conseils, aux éléments concernant le travail en prison, auxquels a œuvré notre commission par l'intermédiaire de sa présidente et de deux de ses vice-présidents, oui aux frais de l'article 700 du code de procédure civile – voilà du droit quotidien !
Mais il manque aussi beaucoup de choses : la justice civile – celle du quotidien pour nos concitoyens –, commerciale, prud'homale ; la responsabilité ; l'action de groupe.
Pour le reste, ce qui est entré ne craint pas l'eau ; nous verrons ce qu'il en sera.
Nous examinons le projet de loi « pour la confiance dans l'institution judiciaire ». Cet intitulé suggère que la confiance est inexistante à l'heure actuelle. Peut-être eût-il mieux valu parler de « renforcement » de la confiance.
Le caractère quasi systématique de l'appel formé contre la décision de la cour d'assises en première instance conduit à un engorgement de cette juridiction. Dans le système précédent, seul un pourvoi en cassation était possible, s'il était relevé une erreur de droit. À l'heure actuelle, l'appel est devenu la règle, ce qui n'est pas très respectueux des victimes, qui se voient contraintes de participer à un nouveau procès et de revivre une situation traumatique.
Le terme de « victime » est absent du projet de loi, alors que la confiance dans la justice implique que leur situation soit mieux prise en compte. Les victimes auront d'autant plus confiance qu'elles auront le sentiment que la justice est aussi rendue pour elles. Le jury populaire confère cette dimension humaine, qui est ici gommée au profit d'une justice plus professionnelle créée pour juger plus rapidement la masse des dossiers. C'est bon pour les statistiques et le budget, car un procès associant des jurés est coûteux mais, pour la confiance, c'est autre chose.
Il est de règle, aux assises, de ne pas avoir accès au dossier en amont pour ne pas se forger une opinion autre que celle qui ressortirait des débats. Il est gênant que la cour criminelle, qui est chargée de traiter des dossiers relevant de la cour d'assises, puisse s'affranchir de cette règle. On a créé un système hybride, qui place le président dans une situation inconfortable et l'expose à une certaine défiance. On perçoit mal ce qui a motivé ce choix. Peut-être s'agit-il de confier aux assesseurs la présidence d'affaires, mais alors, cela mériterait d'être précisé.
Il est fait référence, pour justifier l'enregistrement des audiences, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. Vous invoquez la poursuite d'un but légitime, à savoir l'information du public, nécessaire dans une société démocratique. Or, la volonté de transparence existe déjà, puisque le public peut assister aux débats, tant devant le tribunal correctionnel que devant la cour d'assises ou la juridiction civile, lorsque cette dernière ne siège pas en chambre du conseil. Il est primordial, à mon sens, d'assurer la sérénité des débats.
Monsieur Gosselin, votre intervention me rappelle les annotations que je lisais parfois sur mes bulletins scolaires : « peut mieux faire au troisième trimestre ». Vous aviez tenu des propos similaires lors de l'examen du budget. Vous soulignez aujourd'hui l'effort que nous avons accompli, mais vous n'aviez pas voté le budget à l'époque, parce que vous le jugiez insuffisant. Par ailleurs, vous venez de proférer quelques inexactitudes. Par exemple, vous avez dit que le texte ne comportait pas de volet civil. Or, il comprend une partie importante sur la médiation. C'est essentiel, car cela permet d'aller plus vite et cela procure une grande satisfaction aux parties qui adhèrent au processus, car elles ont le sentiment de participer à l'exercice de la justice.
Madame Ménard, on m'a suffisamment reproché de vouloir maintenir les cours criminelles. Si je le fais, c'est en partie pour les victimes, notamment pour celles qui se plaignent d'une correctionnalisation forcée. En effet, les cours d'assises classiques étaient trop eencombrées pour juger ces affaires. Ne m'intentez donc pas ce procès, car il n'est pas juste.
Madame Untermaier, vous m'avez fait remarquer que j'avais tenu des propos différents sur les cours criminelles lorsque j'étais avocat. Il n'a échappé à personne que je ne le suis plus. Lorsque j'ai exercé cette profession, j'ai affirmé ma crainte – je ne renie aucun de mes propos – que cette juridiction nouvelle soit la chronique d'une mort annoncée de la cour d'assises traditionnelle. J'en étais convaincu. Lorsque je suis arrivé au Gouvernement, le Président de la République m'a dit son attachement à la souveraineté populaire et au jury populaire. Puis j'ai constaté que les magistrats étaient satisfaits, comme la grande majorité des avocats – même si on en a entendu quelques-uns hurler et m'interpeller dans des conditions que je ne rappellerai pas. J'ai lu le rapport d'Antoine Savignat et de Stéphane Mazars. J'ai constaté que les taux d'appel des justiciables étaient inférieurs de 11 points dans les affaires jugées par la cour criminelle par rapport à celles qui étaient examinées par la cour d'assises. Je ne pouvais pas ne pas prendre cela en considération. J'ai noté aussi que les délais d'audiencement étaient beaucoup plus courts. Par ailleurs, cette procédure règle définitivement la question de la correctionnalisation, notamment des affaires de mœurs. Qu'aurait-on dit si j'avais maintenu ma position d'origine sans tenir compte de cette réalité ? J'assume totalement ce que j'ai dit, comme mes choix actuels.
L'expérimentation a été étendue et a assez duré. Comme l'a dit Stéphane Mazars, on ne va pas avoir en France deux systèmes parallèles – la cour d'assises et la cour criminelle – pour juger les crimes.
Je souhaite renforcer la majorité nécessaire de jurés pour prendre une décision de culpabilité en cour d'assises. Cette juridiction est l'expression, historiquement, de la souveraineté populaire. Or, ce n'était plus le cas : la souveraineté populaire n'était plus au rendez-vous de la justice populaire, ce qui constituait un non-sens.
Madame Untermaier, vous dites que vous n'avez trouvé personne, au sein de l'administration pénitentiaire, pour dire du bien de la réforme des réductions de peines. Nous n'avons pas vu les mêmes personnes, car j'en ai rencontré de nombreuses qui l'approuvaient. Madame Buffet, je veux remettre l'effort au centre de la réflexion. Cette réforme répond, à mes yeux, à un objectif humaniste. Actuellement, on accorde des réductions de peines sans faire contribuer les intéressés à l'effort. Or, ils en ont besoin, ne fût-ce que pour ne pas perdre l'usage des règles de la vie civile, à laquelle ils retourneront un jour. L'effort se mesurera à l'aune des capacités de chacun. On pourra ainsi demander à un gamin de se lever dès potron-minet, d'apprendre à lire, de se désintoxiquer, de se soigner…
Vous avez exprimé une préoccupation légitime, en demandant si les juges d'application des peines pourront suivre les intéressés. La réponse est oui, car ils sont déjà mobilisés sur le volet des réductions de peine supplémentaires (RPS), conditionnées à l'effort. La réforme leur donnera moins de travail.
J'ai signé une charte avec les trois grandes organisations syndicales de la pénitentiaire, pour faire participer davantage les personnels. C'est ce qu'ils ont appelé le statut du « surveillant pénitentiaire acteur ». Je ne veux plus en faire des porte-clés ; ils méritent autre chose que cela et sont d'ailleurs autre chose.
Je vous donne tout à fait raison sur l'attractivité du contrat de travail. Je me suis rendu en Alsace, à la prison de Oermingen, qui a investi massivement dans le travail. En France, le pourcentage de détenus travaillant est passé de 50 % dans les années 2000 à 29 % aujourd'hui. Je veux absolument ramener le travail dans la prison. La semaine dernière, j'ai rencontré de grands patrons, qui m'ont donné leur accord de principe. Les services du ministère sont en train de travailler pour concrétiser ces intentions. Nous avons mis à la disposition des employeurs une cartographie des établissements, en précisant quel type d'entreprise et de formateur on peut y accueillir. Certains secteurs, on le sait, vont embaucher massivement : je veux qu'on oriente le travail pénitentiaire en fonction des perspectives économiques. C'est très avantageux pour l'employeur, qui est parfois accusé de délocaliser dans des pays lointains, dans des conditions sanitaires discutables, en faisant travailler des enfants. En prison, le détenu bénéficie de conditions de travail, de règles d'hygiène et de protection sociale. Son activité lui est bénéfique, comme elle l'est à la société, car cela nous permet d'envisager sa sortie en ayant des raisons d'espérer qu'il se réinsérera et ne récidivera pas.
Monsieur Bernalicis, je suis tout à fait d'accord avec vous, le fait de filmer une audience représente d'abord une grande garantie démocratique. Cela élève le niveau : l'avocat plaidera mieux, le magistrat, le procureur feront un effort, comme l'expert ou le policier qui vient témoigner. En même temps, cela doit rester discret. On avait commencé l'expérience au moment de l'affaire Dominici, puis on a tout arrêté, car cela faisait du bruit. Robert Badinter a exprimé le regret de ne pas avoir été plus loin. Je pense que tout le monde fera attention et que la justice y gagnera en qualité. Je veux que cela soit très pédagogique. J'ai envisagé que la diffusion soit réalisée une fois l'affaire terminée. Je souhaite qu'un magistrat, un policier et un avocat, de préférence n'ayant pas participé à l'affaire, soient présents sur le plateau pour expliquer un certain nombre de choses.
Quand on voit, par exemple, le travail de Raymond Depardon ou de Daniel Karlin, on se dit que la retransmission d'une audience a un véritable sens, une portée pédagogique. C'est un projet éclectique, qui comporte plusieurs facettes, à l'image de la diversité des causes de la défiance envers la justice. Moins d'un Français sur deux a confiance dans la justice de son pays. Pour avoir confiance, il faut connaître et comprendre. À l'origine du projet, on m'a reproché de vouloir faire de la justice spectacle. Récemment, à ma grande satisfaction, un haut magistrat a affirmé que si l'affaire de Viry-Châtillon avait été filmée, certains se seraient sans doute interdits de raconter n'importe quoi et de dénaturer le réquisitoire de l'avocat général que, fort heureusement, il avait écrit en toutes lettres.
J'ai limité drastiquement les remontées d'informations, mais elles n'en demeurent pas moins utiles. Le garde des Sceaux doit savoir, par exemple, que les ex-brigadistes italiens ont été arrêtés et à quel moment ils l'ont été. C'est la moindre des choses. Les remontées d'informations sont aussi utiles dans le cas d'atteintes aux élus. Les informations que j'ai reçues à ce sujet m'ont conduit à adresser aux procureurs une circulaire en septembre 2020. Cela étant, cette question relève beaucoup du fantasme, car le ministre de l'Intérieur reçoit un nombre bien supérieur de remontées d'informations. Par ailleurs, que fait-on de ces informations ? Il est strictement interdit d'appeler le procureur pour lui donner des ordres ; c'est une ligne rouge que je ne franchirai jamais.
S'agissant de la justice civile, j'ai demandé au président du tribunal judiciaire de Bobigny de piloter un groupe de travail composé de magistrats, de greffiers et d'avocats exerçant dans les cinq plus grandes villes de France. Il a rendu quarante-trois propositions, faites par des professionnels pour des professionnels, parmi lesquelles figure la possibilité de faire travailler ensemble avocats et magistrats, comme le prévoit déjà le code de l'organisation judiciaire. Nous allons étendre cette mesure par le truchement des bonnes pratiques ; comme vous le savez, nous avons créé un moteur de recherche à destination des magistrats.
Nous avons embauché 1 000 personnes, qui prendront leurs fonctions dans les juridictions civiles d'ici à trois mois, auxquelles s'ajoutent 1 100 personnes pour la justice pénale. C'est le plus gros plan d'embauche mené depuis vingt-cinq ans. Si je lis certaines critiques syndicales – on me dit que les sucres rapides donnent de l'hypoglycémie –, à l'inverse, dans les juridictions où je vais, on me dit : heureusement qu'il y a ce personnel supplémentaire. Nous ne devons pas avoir honte de ce que nous avons fait. Nous allons, pour la première fois, franchir le cap des 9 000 magistrats. Nous avons voté un certain nombre de dispositions, souvent tous ensemble. Je pense, par exemple, à l'adoption du code de la justice pénale des mineurs, qui n'a pas soulevé beaucoup de difficultés, ou à la proposition de loi de Dimitri Houbron améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.
On ne peut pas décréter la confiance, mais on peut l'espérer. J'ai la certitude que les mesures prises nous aideront à atteindre cet objectif.
J'ai répondu à M. Diard, hier, sur l'irresponsabilité pénale. Nous avons consulté l'ensemble des acteurs et sommes parvenus à un certain nombre d'équilibres, que je vous présenterai.
S'agissant de la déontologie, il n'a échappé à personne que le Président de la République a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de lui rendre un avis sur la responsabilité des magistrats, dont nous tirerons les conséquences.
La commission en vient à l'examen des articles du projet de loi ordinaire.
Titre Ier Dispositions relatives à l'enregistrement et la diffusion des audiences
Article 1er (art. 38 quater [nouveau] et 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Régime d'enregistrement et de diffusion des audiences
Amendements de suppression CL81 de Mme Marine Brenier, CL84 de M. Emmanuel Maquet, CL135 de Mme Emmanuelle Ménard, CL152 de Mme Marie-France Lorho et CL311 de M. Pascal Brindeau.
Dans une décision du 6 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe d'interdiction générale de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires. Cette décision est le fruit d'une jurisprudence constante, qui n'a eu de cesse de chercher le juste équilibre entre l'interdiction du recours à tout appareil photographique ou d'enregistrement sonore ou audiovisuel dès l'ouverture de l'audience – lequel est considéré implicitement comme pouvant porter atteinte à la liberté d'expression et de communication – et l'impérieuse nécessité d'assurer une justice indépendante, juste et équitable. La liberté d'expression et de communication peut être limitée dans le respect des exigences de nécessité, d'adaptation et de proportionnalité. Cela étant, depuis plusieurs années, le tribunal médiatique a montré toute sa puissance au risque, parfois, de remettre en question la présomption d'innocence. Il me semble primordial de préserver le plus possible le secret des audiences en vue d'une meilleure justice. C'est pourquoi je propose la suppression de l'article, qui remet en cause l'équilibre auquel nous sommes parvenus.
Avis défavorable. Il s'agit d'une disposition importante. Objectivement, chacun s'accorde sur le principe et reconnaît qu'il s'agit d'une avancée substantielle, même s'il peut y avoir des discussions sur les modalités. La confiance passe par la connaissance. Aujourd'hui, nos concitoyens ignorent ce qu'il se passe dans une enceinte judiciaire, dans une salle d'audience. Ils se font une idée de la procédure pénale mais ignorent totalement la manière dont on juge les procès civils, les divorces, comment on prend en charge les enfants dans l'assistance éducative. Il y aurait une véritable vertu pédagogique à faire entrer les caméras dans nos enceintes judiciaires, dans des conditions encadrées.
Par ailleurs, la situation actuelle se caractérise par une certaine hypocrisie. Tandis que l'enregistrement des procès à dimension historique ne peut être diffusé qu'au terme d'une longue période, dans un cadre précis, on voit régulièrement des reportages télévisés relatifs au déroulement des audiences, qui ne sont soumis à aucune règle. Il est temps d'instituer un encadrement digne de ce nom pour éviter des dérives. Des documentaires de qualité, tels ceux de Raymond Depardon, présentent un intérêt public et, en particulier, des vertus pédagogiques.
Je réitère mon avis défavorable aux amendements de suppression de l'article 1er.
L'enregistrement peut être vertueux ou catastrophique. De nombreuses captations illégales sont diffusées dans notre pays. Au moins ce texte a-t-il le mérite d'encadrer ces pratiques. Que préfère-t-on ? Une série américaine, une reconstitution fiction ? Lors de certaines émissions, on s'autorise à diffuser des images avant même que la décision soit définitive, s'agissant par exemple d'un procès en première instance. On entend à la fin la petite phrase salvatrice rappelant que l'accusé est présumé innocent alors qu'il s'est fait démolir pendant une heure et demie. Je veux un encadrement propre et respectueux. Nous avons pris toutes les précautions possibles.
En 1985, Robert Badinter a défendu la réforme relative à l'enregistrement des archives historiques. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, Philippe Marchand, avait affirmé : « ma conviction profonde est qu'il ne s'agit que d'un premier pas utile, nécessaire – car nous avons besoin des archives – parce que, tôt ou tard, la diffusion télévisée des procès sera autorisée. » Robert Badinter, pour sa part, disait : « le cœur de la vie judiciaire […] ne se trouve pas dans les dossiers eux-mêmes. C'est à l'audience, dans ses péripéties, au cours des débats et de leurs incidents, dans les interventions des participants que se joue l'essentiel. Or, de ces audiences, il ne reste actuellement rien pour l'histoire. » Voilà ce que nous voulons changer.
Il s'agit avant tout d'un amendement d'appel car je ne suis pas foncièrement opposée au principe, sous réserve que certains aspects soient précisés. Vous évoquez les grandes affaires au retentissement national mais votre proposition pose nécessairement la question du choix des procès filmés et diffusés. À qui incombera-t-il ? Le texte est, me semble-t-il, muet sur ce point. Y aura-t-il une sorte de commission de censure, sachant que la question se pose aussi dans l'autre sens : quels procès ne se verront pas reconnaître le droit d'être diffusés ?
La publicité met aussi en question le droit à l'image et la protection de ceux qui rendent la justice. Il serait souhaitable de prévoir un garde-fou, en décidant, par exemple, qu'on ne peut filmer plus d'un procès par an avec les mêmes magistrats – je présenterai un amendement en ce sens. Cela aurait une vertu pédagogique et réduirait la défiance envers les juges. Il faut également éviter que certains avocats deviennent des vedettes filmées des prétoires.
Poser le principe de l'enregistrement et de la diffusion d'un procès revient à faire application du principe de publicité des débats. Je ne suis pas opposé à cette mesure. On peut réfléchir à un élargissement des conditions d'enregistrement et de diffusion d'un procès. Cela étant, monsieur le garde des Sceaux, vous dites que tout est prévu, que tous les garde-fous sont en place, mais le texte ne les mentionne pas. Les conditions et modalités d'application du dispositif sont renvoyées à un décret. On ne sait pas qui décidera de ce qui sera filmé, qui appréciera le motif d'intérêt public. Qui arbitrera ? Le garde des Sceaux aura-t-il in fine un droit de regard, voire de veto ?
On peut considérer qu'il est d'intérêt public de faire comprendre à nos concitoyens comment fonctionnent la défense et l'accusation, par exemple dans un procès criminel comme l'affaire Daval ; ce peut être aussi l'occasion d'étudier la psychologie du mis en cause. Toutefois, on peut tout aussi bien estimer que cela relève de la chronique judiciaire et qu'il faut s'abstenir de filmer ces audiences. Cette appréciation subjective appelle un arbitrage homogène d'un ressort de cour d'appel à un autre. À défaut, on pourrait faire face à certaines dérives.
Cette mesure me paraît satisfaisante. Je la juge nécessaire de longue date. Le fait d'assister à un procès modifie la perception qu'on peut en avoir. Cela permet de briser certains fantasmes sur le fonctionnement de la justice. Ce rôle pédagogique vis-à-vis des citoyens me paraît essentiel. Cela étant, c'est un outil qu'il faudra encadrer. On pourrait imaginer une commission chargée de travailler sur ce sujet.
Cette réforme appelle l'emploi de matériaux audiovisuels novateurs. Il ne s'agit pas de journalisme ni de reconstitution historique. Il ne faut pas davantage faire du Depardon car ce dernier a une vision subjective et artistique des choses. Il faudra avoir une vision très neutre – c'est l'ancien réalisateur audiovisuel qui parle – en travaillant les axes des plans, en déterminant, par exemple, si on peut recourir au gros plan… Il faut commencer à poser des jalons, qui constitueront une piste de travail pour le Conseil d'État.
Je rappelle que, dans le cadre des nombreuses auditions effectuées, les professionnels étaient unanimes à reconnaître le caractère positif de cette disposition de nature à rapprocher nos concitoyens de la justice. Les Français assistant rarement aux audiences, il est important que la justice aille vers eux.
Madame Ménard, le texte a tout prévu concernant le droit à l'image. Le visage et les éléments d'identification des personnes ne seront diffusés que si elles y consentent. Il n'est pas nécessaire de limiter dans le temps le nombre d'audiences filmées, dès lors que les intéressés – y compris les personnels de justice – expriment un contentement éclairé.
Enfin, je ne pense pas que les avocats aient attendu cette réforme pour faire des effets de manche.
Je me réjouis de ce que je considère comme une avancée. Nos concitoyens pourront avoir accès en plus grand nombre au déroulement d'un procès et comprendre comment fonctionne la justice. Cela étant, monsieur le ministre, l'article 1er définit des conditions visant à garantir le droit des parties ; l'alinéa 3 dispose que « l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience peut être autorisé […] ». Qui l'autorisera et selon quels critères ?
Je vous remercie de rappeler que le texte prévoit un certain nombre de précautions : la diffusion ne doit pas porter atteinte à la sécurité et respecter la vie privée comme la présomption d'innocence ; le droit à l'image est garanti par le consentement écrit. Par ailleurs, cette disposition concerne aussi les audiences civiles. Toutefois, si elles ne sont pas publiques – dans le cas d'un divorce, d'une affaire de filiation –, il faut le consentement de toutes les parties. Il n'est pas question de s'immiscer dans la vie privée. L'objectif est la pédagogie.
Les grands procès sont déjà l'objet d'une forte couverture médiatique. J'aimerais que l'on aille de région en région – je rappelle qu'il y a une cour d'assises par département. Les autorisations doivent, à mon sens, émaner à la fois de la Chancellerie et des chefs de juridiction. Nous y reviendrons par voie de décret. Les procès médiatiques courent le risque de l'outrance. C'est ce que je veux éviter.
Madame Ménard, on ne peut pas vouloir informer les Français sur le fonctionnement de la justice et leur offrir un film par an. Je souhaite la diffusion la plus étendue possible ; elle pourrait être hebdomadaire. La justice doit s'inviter dans le salon des Français pour qu'ils voient comment cela fonctionne. On n'aura pas un Faites entrer l'accusé – émission d'ailleurs bien faite et soigneusement documentée –, mais la vraie justice, qui donnera à voir ce qu'elle sait faire.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL87 de M. Ugo Bernalicis.
L'amendement réécrit l'article en y introduisant plusieurs modifications. Nous proposons d'abord que la réforme soit réalisée à titre expérimental car on ne sait pas exactement à quoi ressemblera son application. Beaucoup de paramètres sont inconnus. Par exemple, on ignore combien de procès pourront être filmés dans la mesure où il faudra recueillir l'accord des parties et avoir les moyens matériels de la captation ; ces derniers ne sont pas nécessairement réunis dans une salle d'audience civile ou prud'homale.
Ensuite, les enregistrements devraient être consultables sur le site du ministère de la justice. L'objectif ne doit pas être de réaliser un montage présenté lors d'une émission, en présence de professionnels. En effet, quels que soient les efforts de neutralité, d'équilibre de traitement, ce type de programmes est toujours partial et orienté. On doit pouvoir disposer de l'information brute, comme si on y était, à l'image d'un débat à l'Assemblée nationale. Que les captations vidéo soient reprises par des chaînes de télévision pour en faire un montage, cela ne soulève pas de difficulté. En tout état de cause, il semble impératif de flouter tous les visages. L'objectif n'est pas d'être voyeuriste mais de montrer comment fonctionne un procès et comment sont rendues les décisions de justice.
Je note que, sur le principe, vous êtes d'accord avec cette disposition et je m'en réjouis. Vous proposez de commencer par une expérimentation. Nous n'y sommes pas favorables car il paraît difficile d'avoir un retour à brève échéance sur le dispositif que nous voulons introduire, entre le temps de réalisation des films et le délai nécessaire pour que les affaires soient définitivement jugées.
Vous préconisez, par ailleurs, de renforcer les garanties encadrant le dispositif, mais nous en avons déjà apporté un certain nombre. Pousser les curseurs trop loin, ce serait prendre le risque de tout verrouiller. Il faut trouver le juste équilibre, celui qui, tout en préservant les droits et libertés des individus, permettra un dispositif attractif et efficace, capable de rétablir la confiance dans l'institution judiciaire, par la connaissance de ce qu'elle est.
Je suis totalement défavorable à une phase expérimentale, d'abord pour une raison économique : la chaîne – il y en aura peut-être plusieurs – qui aura la charge de cette diffusion n'investira pas s'il ne s'agit que d'une expérience, car ce projet représente un engagement lourd. Au passage, je signale qu'il ne coûtera pas un centime au ministère de la justice.
Vous demandez comment choisir les morceaux diffusés. Je rappelle qu'il s'agira de faire, non pas de la chronique judiciaire – elle existe et continuera à exister –, mais de la pédagogie : ça change tout. Ce qui m'importe, ce n'est pas que l'on montre successivement le témoin à charge et le témoin à décharge, mais que l'on explique ce qu'est un témoignage et comment il se fait ; que l'on explique ce qu'est une expertise génétique sans forcément montrer un expert et un contre-expert. L'équilibre recherché, c'est d'abord celui qui permet d'expliquer comment fonctionne la justice. Il est certain que le verdict, en matière pénale, intéressera les téléspectateurs. Mais ce qui importe le plus, c'est de montrer comment ça marche, de décrire les mécanismes.
Depuis quelque temps déjà, on procède à une captation sonore, dans l'hypothèse d'une révision. D'aucuns diront que cela peut créer une gêne ou pousser certaines personnes à surjouer, mais le matériel est extrêmement discret et on l'oublie très vite.
Quel processus suivra la définition du cahier des charges ? Tous les programmes audiovisuels en ont un : la qualité du projet en dépendra et il faudrait en faire la base du contrat conclu entre le ministère et la – ou les – chaînes. Comment sera-t-il défini ? Les parlementaires prendront-ils part à son élaboration ? Les questions qui se posent sont nombreuses. Quel axe de caméra privilégier ? S'autorisera-t-on les gros plans ? C'est une vraie question : en tant que professionnel, je peux vous dire qu'un gros plan sur des yeux a du sens. Et puis, il y a toute la question du montage. Il faut trouver le juste milieu entre la narration pédagogique et le respect de la véracité du moment. En tout cas, il faudra trouver de bons réalisateurs !
Quand quelqu'un vient assister à un procès, personne ne lui explique ce qu'il est en train de voir – qui est le témoin, qui est le procureur, etc. Il découvre, il comprend les choses en les voyant. Par parallélisme des formes, je proposais que l'on diffuse un enregistrement brut afin que le téléspectateur découvre les choses de lui-même. Vous refusez l'expérimentation : je n'y reviens pas. Si je la proposais, c'est parce que j'ai vraiment envie que ce dispositif fonctionne.
Vous avancez un argument économique, monsieur le garde des Sceaux, et vous nous dites que cela ne coûtera rien au ministère de la justice. Mais je me fiche que cela coûte au ministère puisque c'est une mission de service public ! Avec l'augmentation historique de 8 % que va connaître votre budget, vous pourrez en acheter, des caméras ! Permettre à nos concitoyens de regarder des audiences pour comprendre comment fonctionne la justice, c'est une vraie mission de service public : c'est donc une bonne dépense publique. S'en remettre aux chaînes, publiques ou privées, c'est déjà faire un pas de côté qui nous éloigne de notre objectif.
Nous n'avons pas à définir la ligne éditoriale d'une future émission. Du reste, la presse est libre et je ne vois pas comment on pourrait obliger une chaîne de télévision à traiter le sujet sous tel angle, de telle manière et avec des intervenants qui lui seraient imposés. Chacun son métier ! C'est pourquoi nous avons proposé que les audiences filmées soient mises en ligne sur le site du ministère, et qu'ensuite, n'importe quelle chaîne puisse prendre ce matériau pour en faire ce qu'elle voudra.
Je comprends tout à fait, monsieur le garde des Sceaux, que vous vouliez protéger le budget de votre ministère. Mais les chaînes, même publiques – et je souhaite que ce soient les chaînes publiques qui s'emparent de ce dossier – vont essayer de négocier, car elles ont un contrat d'objectifs et de moyens à respecter. Et vous ne pourrez pas leur imposer une ligne éditoriale. Quels moyens de contrôle aurons-nous sur ces chaînes, une fois qu'elles auront un contrat ? Sur cette question, le Conseil supérieur de l'audiovisuel pourrait avoir un rôle à jouer. Si le ministère de la justice ne met pas d'argent dans ce projet, il se placera dans une situation de dépendance.
Faire comprendre à nos concitoyens ce qu'est une expertise génétique, cela signifie-t-il, pour vous, la possibilité de séquencer la diffusion d'un procès pour en faire une exégèse pédagogique ? Ou bien envisagez-vous que le procès soit filmé, puis diffusé dans son intégralité, sans explication, comme certaines chaînes le font déjà ?
Il ne s'agit pas de retransmettre les procès dans leur intégralité. Certains d'entre eux durent trois mois : on ne va pas faire une retransmission en continu comme aux États-Unis et parfois en Italie. Ce n'est pas réaliste. Cela dit, je suis favorable à ce que l'on montre en montre le maximum.
Ce qui est essentiel pour moi, je le répète, c'est la dimension pédagogique. Monsieur Bernalicis, je vais vous donner tort : vous disiez que dans les salles d'audience, le public ne se fait pas tout expliquer. En réalité, tous les avocats vous le confirmeront, les gens qui viennent assister à un procès ne cessent de les interpeller pour demander des informations sur la procédure. Nous allons donc, comme vous le demandez, respecter le parallélisme des formes : je souhaite que la diffusion du procès soit suivie d'une explication pédagogique et que celle-ci soit faite, de préférence, par d'autres personnes que celles qui ont participé au procès. Il ne s'agira pas de refaire le match, mais de tout expliquer, le plus simplement et le plus complètement possible. Par ailleurs, nous pourrons évidemment formuler des exigences dans le contrat qui sera conclu avec la chaîne que nous aurons retenue.
Quant au cahier des charges, la Chancellerie est à même de le définir et de fixer des limites contractuelles avec la chaîne. Il ne s'agit pas de brider la liberté des journalistes mais il paraît normal, compte tenu du contexte dans lequel les choses vont se faire, que la Chancellerie ne détourne pas le regard.
La commission rejette l'amendement.
La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures dix.
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL567 du rapporteur.
Amendement CL129 de Mme Emmanuelle Ménard.
Les critères d'autorisation d'un enregistrement sonore ou audiovisuel ne sont pas assez précis. Tout juste est-il indiqué que les modalités de l'enregistrement ne doivent porter atteinte ni au bon déroulement de la procédure ou des débats ni au libre exercice de leurs droits par les parties. Par ailleurs, qui va autoriser cet enregistrement ?
Nous avons déjà eu cette discussion. L'amendement reviendrait à supprimer l'enregistrement des audiences. Or, nous y tenons beaucoup.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL400 de Mme Laurence Vichnievsky.
L'enregistrement sonore ou audiovisuel de certaines audiences peut être une heureuse initiative dès lors qu'il est encadré. Il revient au pouvoir législatif, non au pouvoir réglementaire, de déterminer l'autorité compétente, au sein des juridictions, pour autoriser un tel enregistrement. Les chefs de cour, dans l'ordre administratif comme judiciaire, paraissent un échelon hiérarchique suffisamment élevé pour conférer à ces décisions l'autorité nécessaire, pour assurer une cohérence d'ensemble à la réforme mais aussi pour éviter la banalisation d'une pratique qui doit être limitée aux cas où l'enregistrement est justifié par un motif d'intérêt public.
S'agissant des juridictions suprêmes, et pour les mêmes raisons, le vice-président du Conseil d'État et le premier président de la Cour de cassation doivent être désignés comme les autorités compétentes pour de telles décisions.
Sur le fond, je suis assez favorable à votre amendement et je crois que le Gouvernement entend, dans son décret, désigner les autorités que vous mentionnez. Faut-il choisir la voie réglementaire ou inscrire cela dans la loi ? J'aurais tendance à choisir la deuxième option. Mais votre amendement, en réécrivant l'article 1er, ferait disparaître certaines dispositions que je souhaite amender. Je vous invite à le retirer et à le déposer à nouveau en séance publique.
Je vous invite également à retirer votre amendement. Nous avons souhaité que le principe de l'autorisation préalable soit fixé dans la loi et que la désignation de l'autorité décisionnaire soit renvoyée au décret d'application. Ce choix a d'ailleurs été validé par le Conseil d'État.
Ce qui crée une difficulté, c'est qu'il existe différents ordres de juridiction – civiles, pénales, administratives, commerciales – et que, dans toutes ces juridictions, il y aura des décisionnaires différents. Le décret a l'avantage d'offrir plus de souplesse. Ce que l'on envisage, je l'ai dit tout à l'heure, c'est une double autorisation de la Chancellerie et du niveau local.
Je voterai cet amendement et j'avais d'ailleurs l'intention d'en déposer un du même ordre en séance publique. C'est une demande que nous avons beaucoup entendue et je trouve que c'est heureux : ce n'est pas un signe de défiance vis-à-vis de la Chancellerie, mais la preuve que les professionnels veulent s'approprier ce que vous avez mis sur la table, monsieur le garde des Sceaux. Cette opération les intéresse, ils considèrent que c'est un peu la leur et ils veulent participer. J'estime que cette question relève bien du domaine de la loi. C'est d'abord aux professionnels de prendre ces décisions, même si c'est en coconstruction avec la Chancellerie.
Nous souhaitons étendre cette possibilité de filmer aux juridictions financières, par exemple à la Cour des comptes. C'est pour cette raison que nous préférons la souplesse du décret.
Je suis prête à retirer mon amendement si c'est pour le retravailler dans le sens indiqué, monsieur le rapporteur, c'est-à-dire si vous considérez bien, comme moi, que c'est au législateur qu'il appartient de désigner les autorités compétentes, à savoir les chefs de cour. Monsieur le ministre, il ne serait pas difficile d'ajouter le président de la Cour des comptes à la liste proposée. Vous avez parlé des juridictions spécialisées mais les cours d'appel coiffent les juridictions commerciales, pénales, civiles, prud'homales…
L'amendement est retiré.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CL55 de Mme Stéphanie Do et CL260 de M. Stéphane Peu.
Amendement CL56 de M. Antoine Savignat.
Cet amendement traduit à la fois notre scepticisme et les craintes que nous inspire ce dispositif. Dans leur immense majorité, les justiciables ne vont devant un tribunal qu'une fois dans leur vie. Le jour de l'audience, ils ne savent pas s'ils doivent dire « maître » ou « docteur » à leur avocat, ils ignorent si le magistrat doit être appelé « votre honneur » ou « président ». Et vous voulez, en plus, leur demander de signer un papier pour dire s'ils consentent ou non à ce que l'enregistrement de l'audience soit diffusé, tout en leur expliquant qu'ils auront la possibilité de se rétracter ?
La manière dont cet article est construit est paradoxale. Lorsque les audiences sont publiques, l'enregistrement peut être autorisé. Lorsque les audiences ne sont pas publiques, il faut l'accord préalable des parties, qui ont ensuite le droit de se rétracter ou de refuser la diffusion. Nous proposons que, dans tous les cas, les parties disent clairement si elles acceptent que l'audience soit filmée, plutôt que de faire signer aux gens un papier par lequel ils acceptent d'être filmés, tout en sachant qu'ils pourront se rétracter et que peut-être l'enregistrement ne sera pas diffusé : tout cela est trop confus. Il faut leur poser une question claire, que l'audience soit publique ou à huis clos : acceptez-vous, oui ou non, d'être filmé ? Les choses seront beaucoup plus claires et le dispositif fonctionnera d'autant mieux.
Dans la mesure où plusieurs amendements portent sur ces questions de consentement et de rétractation, j'aimerais m'y arrêter un moment. Il faut faire une distinction entre les audiences publiques et les audiences à huis clos. Pour les audiences à huis clos – par exemple des divorces ou des affaires impliquant des mineurs –, il faudra que les parties donnent leur accord pour être filmées ; si l'une des parties refuse, l'enregistrement n'aura pas lieu. Les audiences publiques sont, par définition, publiques. Lorsqu'on vient au tribunal pour assister à une audience publique, rien ne nous est caché : on peut voir les parties, les témoins, les juges, les avocats à visage découvert. C'est une garantie démocratique à laquelle nous sommes tous attachés. Ce que prévoit le texte, c'est l'anonymat complet de tous les acteurs de la procédure : on ne pourra reconnaître ni leur visage, ni leur voix, sauf si les parties consentent, par écrit, à la diffusion de leur image. Et elles auront la possibilité de se rétracter si elles regrettent leur décision.
L'article consacre, par ailleurs, le droit à l'oubli, puisqu'aucun élément d'identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé plus de cinq ans à compter de la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l'autorisation d'enregistrement.
Le dispositif me semble équilibré. J'ajoute qu'un amendement du groupe La République en Marche proposera d'encadrer davantage les choses lorsque comparaîtront, en audience publique, des mineurs et des personnes sous protection judiciaire. Avis défavorable.
Je suis doublement défavorable à l'amendement. D'abord, comme l'a dit tout à l'heure M. Ugo Bernalicis, la publicité des audiences est une garantie démocratique. À partir du moment où une audience est publique, on ne demande pas une autorisation à toutes les personnes qui y assistent. Cela n'a pas de sens !
Par ailleurs, nous avons pris beaucoup de précautions, rappelées par le rapporteur : les personnes qui le souhaitent pourront demander que leur visage soit flouté et que leur nom ne soit pas divulgué. Il est inutile d'alourdir le système. Il semble suffisamment protecteur des droits des uns et des autres.
Votre réponse, monsieur le ministre, n'a fait que redoubler mes craintes. Vous ne voyez pas, dites-vous, pourquoi il faudrait demander leur accord aux personnes qui assistent à l'audience. Pourtant, il est prévu que chacun donne son accord pour la diffusion. À partir du moment où les gens n'ont pas donné leur accord pour la diffusion, je ne vois pas pourquoi on les filmerait… Cela ne rime à rien, ne présente aucun intérêt et ne fait qu'introduire du doute, d'autant plus qu'on ne sait rien de la déontologie des gens qui vont filmer, qui ne sont pas assujettis au secret professionnel. Si certains disent, avant l'audience, qu'ils ne souhaitent pas que l'enregistrement soit diffusé, pourquoi les filmerait-on ?
Le texte mérite à l'évidence d'être précisé puisqu'il semble y avoir une différence entre l'autorisation de filmer et celle de diffuser, puisqu'il est possible de filmer sans diffuser, ou en floutant les visages... Tout cela est trop subtil et les cas de figure que vous distinguez ne sont pas absolument clairs.
Ne serait-il pas préférable de définir une règle générale ? On pourrait, par exemple, décider de flouter tout le monde et demander l'autorisation de diffuser les images à tout le monde, pas seulement à certaines personnes. Quand on visite un établissement pénitentiaire avec la presse, même si une personne condamnée accepte d'être filmée, l'administration pénitentiaire oblige les médias à flouter son visage car cela pourrait porter préjudice aux victimes, mais aussi à la personne elle-même – la diffusion des images pourrait lui causer des soucis qu'elle n'avait pas anticipés.
Et puis, monsieur le ministre, il y a tout de même une différence notoire entre le fait d'assister à une audience, le temps de sa durée, et celui de la filmer pour la rendre accessible à tout moment. On sait bien que les images peuvent être détournées… Il faut absolument préciser cet article.
L'enregistrement et la diffusion vont ensemble : si on enregistre, c'est pour diffuser, et l'autorisation de filmer est donnée par l'autorité judiciaire.
Se posent, par ailleurs, les questions relatives au droit à l'image et à l'identification des personnes. C'est à ce niveau-là qu'intervient le consentement. Les personnes ayant accepté que leur image soit diffusée auront un délai pour se rétracter.
Il est vrai que le texte pose un certain nombre de questions. Il est écrit que l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'une audience peut être autorisé pour un motif d'intérêt public en vue de sa diffusion. Qui donnera cette autorisation ? Demandera-t-on leur accord aux magistrats ou bien découvriront-ils au dernier moment que leur procès sera filmé ? Le texte n'est vraiment pas clair. On croit comprendre que si l'audience n'est pas publique, les magistrats seront informés de son enregistrement puisqu'il est subordonné à l'accord préalable des parties au litige. En revanche, si l'audience est publique, ils n'apprendront qu'elle est filmée que le jour même.
Le texte est extrêmement clair. En réalité, nul ne verra son image ou son nom diffusés s'il n'est pas d'accord. Il me semble que ce sont des garanties suffisantes. Sans doute me suis-je mal exprimé tout à l'heure, puisque j'ai redoublé les craintes de M. Savignat.
Les magistrats ne découvriront pas la chose au dernier moment. Il faudra installer le matériel et les chefs de juridiction seront informés bien à l'avance. Par ailleurs, nous avons déjà discuté de l'autorisation à propos de l'amendement de Mme Vichnievsky. Je pense que le décret offre plus de souplesse, mais il est bien évident que les chefs de juridiction auront leur mot à dire. Et je souhaite que la Chancellerie soit également associée à cela.
Si l'audience est publique, elle pourra être filmée. Mais les personnes qui souhaiteront que leur image ne soit pas diffusée pourront le faire savoir : la loi le garantit. On peut très bien imaginer qu'un expert souhaite être filmé pour expliquer, par la suite, en quoi consiste son expertise. Celui qui ne le veut pas ne verra pas son image diffusée : il me semble que c'est clair. Et il faut garder deux régimes distincts pour les audiences publiques et celles qui ne le sont pas.
Même si je ne suis pas nécessairement d'accord avec l'amendement de mon collègue Antoine Savignat, je ne comprends pas les arguments d'ordre technique ou pratique qui lui sont opposés. Si l'on demande aux gens leur consentement pour la diffusion, pourquoi ne pas recueillir aussi leur autorisation à être filmé au début de l'audience ? L'argument qui consiste à dire qu'on ne va pas demander l'avis de toutes les personnes qui participent à l'audience ne tient pas, puisque c'est bien ce qui sera fait pour la diffusion.
Il me semble que vous faites une confusion : c'est donc que je n'ai pas été bon pédagogue. Moi-même, j'ai eu besoin d'un peu de temps pour comprendre le dispositif : il n'est donc pas étonnant qu'il en faille un peu aussi au sein de la commission des Lois. Je vais tâcher de clarifier les choses.
Pour les audiences publiques, on ne demandera aucune autorisation. Les téléspectateurs verront tout ce qui se passe dans la salle d'audience, comme lorsqu'on y entre pour assister à un procès. C'est l'esprit de cette disposition. L'idée est de donner accès à la salle d'audience à tous ceux qui le souhaitent.
Ensuite, il y a deux cliquets. Premièrement et par principe, tout le monde est flouté. Seules les parties peuvent renoncer à cet anonymat et demander à apparaître ; comme M. le garde des Sceaux l'a dit, un expert, par exemple, peut souhaiter s'exprimer à visage découvert. Deuxièmement, une personne ayant donné son consentement – et là, on pense moins à l'expert qu'au prévenu ou à un témoin – peut revenir dessus et se rétracter. Des dispositions particulières concerneront les mineurs, les personnes sous protection judiciaire et les forces de l'ordre qui servent dans des unités spéciales. Vous voyez que les garanties sont importantes.
Si l'audience n'est pas publique, alors il faudra une autorisation car il s'agit de préserver l'intimité des gens et le droit à la vie privée.
Il me semble que cette rédaction protège les droits de nos concitoyens, tout en permettant la diffusion d'enregistrements de qualité, qui ne seront pas trop lourds à réaliser.
J'ai rappelé tout à l'heure que les audiences sont déjà enregistrées dans la perspective d'une révision. Je voudrais évoquer une autre évolution importante : aujourd'hui, les journalistes utilisent les réseaux sociaux et le procès se retransmet en direct. Et c'est dérangeant pour ceux qui, comme moi, considèrent que l'oralité des débats est une règle essentielle. C'est elle qui permet, par exemple, que le témoin A ne soit pas informé de ce qu'a dit le témoin B avant d'arriver à la barre des témoins. De nos jours, l'oralité n'existe plus : le témoin A sait tout ce qu'a dit le témoin B.
Vous avez dit votre enthousiasme pour cette mesure pédagogique, mais il faut aussi penser à ceux qui vont venir filmer. Si vous ajoutez des tas de conditions, que feront-ils ? Ils installeront le matériel et devront tenir compte de ceux qui ne veulent pas être sur les images ? Non : ils feront leur film et la règle, ensuite, sera le floutage et l'anonymisation sauf pour ceux qui souhaiteront apparaître à l'image – avec la possibilité de se rétracter. Le dispositif est doublement protecteur. On ne peut pas faire travailler les chaînes pour rien. Les difficultés que vous pointez, ces professionnels vont les rencontrer dans les audiences qui ne sont pas publiques : elles nécessiteront un accord préalable dans la mesure où l'on entre dans le périmètre de la vie privée.
Ne compliquons pas trop les choses si nous ne voulons pas décourager ceux qui devront réaliser ces films. Le but, c'est de diffuser les choses et de les expliquer !
Il me semble tout de même qu'on ferait gagner du temps au cadreur en lui disant d'emblée qu'on ne veut pas être filmé. En tout cas, dans son immense sagesse, le rapporteur s'est aperçu qu'il y a autant de lectures de cet article que de personnes présentes dans cette salle. Il importe donc de le retravailler.
L'amendement est retiré.
Amendement CL130 de Mme Emmanuelle Ménard.
La publicité pose difficulté quant au droit à l'image des personnes parties au procès comme de celles qui rendent la justice. Afin de protéger les magistrats, il serait prudent de prévoir un garde-fou en n'autorisant pas plus d'un procès par an filmé avec les mêmes juges.
Nous avons déjà eu ce débat. Si le but de votre amendement est d'éviter la starification, c'est une bonne chose car il faut effectivement éviter de tomber dans la justice spectacle. Certaines juridictions hyperspécialisées ont plusieurs affaires présentant un intérêt public par an et il peut être intéressant de les filmer. Mais je répète que l'idée n'est pas de copier les chaînes d'information en continu et de voir toujours les mêmes visages ou les mêmes acteurs de la justice en France. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL88 de M. Ugo Bernalicis, CL401 de Mme Laurence Vichnievsky, CL131 de Mme Emmanuelle Ménard, CL325 de M. Benjamin Dirx, CL151 de Mme Stéphanie Do, amendements identiques CL216 de M. Bertrand Bouyx et CL258 de M. Stéphane Peu, CL314 de M. Pascal Brindeau, CL179 de Mme Cécile Untermaier, CL242 de Mme Nicole Dubré-Chirat, CL317 de M. Dimitri Houbron et CL153 de Mme Marie-France Lorho (discussion commune).
Avant de retirer mon amendement, je tenais à vous faire part de deux interrogations, monsieur le ministre. Premièrement, si l'objectif est de montrer comment se déroule un procès, ne serait-il pas plus simple de partir du principe que tout le monde est flouté et que l'on diffuse comme on veut ? Cela éviterait bien des problèmes même si j'entends que, d'un point de vue télévisuel, ce soit laid. Deuxièmement, je suis d'accord pour que les cameramen ne viennent pas avec leur matériel pour le remballer ensuite. Mais je suis favorable à la présence de caméras comme celles qui retransmettent nos réunions à l'Assemblée nationale. Quid du procès qui aura été filmé et jamais diffusé ?
Nous ne poursuivons pas exactement le même objectif, ce qui m'ennuie parce que je préfèrerais un accord. Il y a des choses à améliorer en séance publique. La chaîne de télévision qui voudra diffuser ces procès espère un minimum d'audience. Or, si l'émission ne fonctionne pas et qu'elle décide de la retirer de ses grilles, tout s'effondre : on ne filmerait plus les audiences et on cesserait le travail de pédagogie. C'est pourquoi je vous renvoie à notre proposition : par défaut, que tout ce qui est filmé soit accessible sur le site du ministère de la justice, selon les conditions de diffusion prévues. Si votre objectif se résume à une émission de télé, je ne le partage pas.
Nous proposons de recueillir l'avis des personnes intéressées lorsque l'audience est publique. Cet avis ne lierait pas l'autorité judiciaire chargée d'autoriser l'enregistrement. Alors qu'il est prévu de recueillir avant l'audience l'accord par écrit des intéressés pour la diffusion, il me semble que cela ne compliquerait pas les choses de demander également l'avis des personnes sur l'enregistrement. En cas de réticence ou d'opposition concernant la diffusion, il n'y aura pas beaucoup d'intérêt à enregistrer.
L'amendement CL131 précise que l'enregistrement est subordonné à l'accord préalable et explicite des parties.
Pour ce qui est des audiences non publiques, l'amendement C314 vise à recueillir l'accord de l'ensemble des personnes susceptibles d'être filmées, pas seulement des parties.
Les professionnels, dont les magistrats et les fonctionnaires, sont exclus de l'accord préalable des parties au litige. Lors des auditions, plusieurs acteurs ont exprimé leurs inquiétudes quant à l'impact d'une diffusion médiatique sur la bonne tenue du procès. Tous les acteurs participant au procès doivent pouvoir donner leur accord pour la diffusion. Les magistrats étant des acteurs importants, il semble logique qu'ils expriment leur avis sur la diffusion, au même titre que les autres participants.
L'amendement CL317 vise à mentionner l'avocat général près la Cour de cassation pour qu'il puisse s'opposer à l'enregistrement d'une audience.
Au vu des explications données tout à l'heure, avis défavorable sur les amendements CL401, CL131, CL151, CL216, CL258 et CL314. Le dispositif offre suffisamment de garanties et vos propositions me semblent impossibles du point de vue opérationnel. Quant au personnel, il est engagé dans le service public de la justice et il accepte, par principe, d'être vu par le public dans le cadre de ses fonctions et de son exercice quotidien. Il en est de même pour les auxiliaires de justice.
Avis défavorable également aux amendements CL179, CL242, CL317 et CL153, et favorable à l'amendement de précision CL325 : l'accord préalable sera donné par écrit.
Le risque est de faire de quelque chose d'assez simple une usine à gaz qui ne puisse plus fonctionner. Il est, je le redis, formidablement pédagogique de permettre aux Français de découvrir leur justice.
Monsieur Houbron, la Cour de cassation statue en droit. C'est la plus haute juridiction française. Il n'y a aucune difficulté à ce qu'on la voie. Si vous parlez au président la Cour européenne des droits de l'homme Robert Spano, où les audiences sont filmées, il vous dira qu'il ne voudrait pour rien au monde faire marche arrière. Les audiences du Conseil constitutionnel sont déjà filmées. Les magistrats, qui sont la bouche de la loi, seront, pour beaucoup, fiers qu'on les voie faire leur travail, tout comme les greffiers. Ce serait d'ailleurs intéressant de consacrer toute une émission au travail du greffier ! On expliquerait ce qu'il fait et en quoi il est essentiel au fonctionnement judiciaire.
L'autorisation de filmer ne peut pas être confondue avec le droit à l'image. Ce sont deux choses différentes. Imaginons que vous souhaitiez valoriser, dans un procès, la technique expertale de l'odorologie – le flair des chiens. J'ai le souvenir de l'avoir découverte dans une affaire. Un film avait été diffusé pour expliquer comment travaillaient les chiens. Alors que j'étais extrêmement sceptique, j'ai été convaincu. Voilà un autre sujet d'émission : les techniques expertales ! Imaginons que l'on arrive avec l'autorisation de filmer et que trois personnes refusent alors que l'expert aura très envie d'expliquer sa spécialité. Filmons et floutons ceux qui n'ont pas envie d'apparaître à l'écran, sans quoi le système grippe ! Il y aura toujours quelqu'un pour refuser qu'on filme et on ne filmera pas. Mais alors quand retrouve-t-on ces experts ? C'est pourquoi il ne faut pas confondre autorisation de filmer et protection du droit à l'image. C'est l'exception qui permet de ne plus flouter et de diffuser l'image avec le nom.
Ces situations sont si complexes que, si on les soumet à autorisation préalable, il n'y aura pas un film. On va perdre le but vers lequel nous souhaitons aller. Avis favorable à l'amendement CL325 et défavorable à tous les autres.
Il est évident que la justice doit se faire à visage découvert et que les professionnels présents dans la salle d'audience œuvrent pour un service public transparent. Ma seule crainte, c'est l'évolution de notre société. Je ne voudrais pas que nous nous réunissions dans deux ou trois ans pour faire une loi parce qu'un greffier ou un magistrat aurait été pris à partie à son domicile. On légifère sans réfléchir aux répercussions que cela pourrait avoir sur leur quotidien. Je tiens à ce que nous soyons vigilants et que les visages des professionnels puissent être floutés pour les protéger.
Les amendements CL88, CL179, CL242 et CL317 sont retirés.
Successivement, la commission rejette les amendements CL401 et CL131, adopte l'amendement CL325 et rejette les amendements CL151, CL216, CL258, CL314 et CL153.
Amendement CL505 de Mme Alexandra Louis.
Nous sommes une majorité en faveur du principe de la captation et de la diffusion des audiences. Bien que l'article 1er fixe un cadre précis, nous souhaiterions le renforcer pour ce qui est de l'enregistrement des mineurs et des majeurs protégés. Notre commission a démontré son attachement au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, auquel vous êtes également particulièrement attentif, monsieur le ministre. C'est la raison pour laquelle l'amendement garantit qu'un mineur ne puisse être filmé sans son consentement et celui de ses représentants légaux. Il ne s'agit pas d'interdire de filmer toutes les audiences des mineurs, parce qu'il est important de voir ce qui se passe dans ces procédures où règnent beaucoup de préjugés. Mais la captation peut avoir un effet intimidant pour les mineurs qui n'en comprennent pas forcément les enjeux. Nous proposons également une disposition pour les majeurs protégés : il faudra s'assurer de leur consentement ou, à défaut, du consentement de ceux qui sont chargés de leur protection.
Nous avions déjà pris un certain nombre de précautions pour les mineurs et les majeurs protégés, mais on n'en prend jamais assez. Avis favorable également.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL494 de M. Buon Tan.
Monsieur le ministre, je vais aller dans votre sens. Au lieu de compliquer les procédures, je propose que, dans les audiences non publiques, l'accord du ministère public soit réputé acquis si ce dernier est partie au litige, selon le principe « qui ne dit mot consent ». Une telle mesure est symbolique étant donné que l'engagement d'une procédure d'enregistrement suppose la consultation préalable du ministère public, mais cela permettrait d'illustrer la volonté de transparence afin de consolider la confiance de nos concitoyens dans l'institution judiciaire et de réduire les démarches préalables d'enregistrement de l'audience.
En plus de relever du cas d'école, votre amendement me semble complexe. Qu'un procureur de la République puisse bloquer le système en ne formulant pas son accord ou son désaccord me paraît improbable. Je vous suggère de retirer votre amendement.
Même avis. Nous venons de préciser que l'accord devait être écrit. Cette fois, vous souhaiteriez que le silence du ministère public vaille consentement. Cela pose un problème puisque le ministère public a un droit à l'image comme n'importe qui.
Le ministère public pourrait, bien sûr, s'y opposer. Je voulais simplement éviter d'alourdir la procédure.
L'amendement est retiré.
Amendement CL285 de M. Dimitri Houbron.
Le décret prévu aura pour but de préciser les modalités de diffusion et le cadre explicatif prévu à l'origine par le garde des Sceaux pour permettre une meilleure compréhension du système judiciaire par nos concitoyens. Il faudrait donc clairement indiquer qu'à la fin de chaque diffusion, des débats thématiques se tiendront afin d'expliquer aux Français la procédure et le rôle des intervenants. Ces débats pourront avoir lieu avec un magistrat ou un avocat qui n'aura pas participé au procès.
Il s'agit en réalité d'un amendement d'appel pour donner au garde des Sceaux l'occasion de rappeler que le décret mentionnera l'aspect pédagogique indispensable pour remplir l'objectif fixé.
Je suis sensible à votre appel. Le volet pédagogique est important. Les sujets sont infinis. Je pensais, ce matin même, à la situation suivante : un procès en première instance puis en appel – la diffusion n'ayant lieu que lorsque l'affaire est définitivement jugée – et deux peines totalement différentes. Thème de l'émission : la peine, le sens de la peine, la difficulté à la définir. Au café du commerce, les peines tombent comme à Gravelotte. Mais celui qui a été juré populaire sait à quel point c'est compliqué de juger et de déterminer une peine. C'est cela aussi qui rendra l'expérience fantastique pour nos compatriotes. Il y aura bien un volet pédagogique dans le décret. Il faut des explications, données de façon d'autant plus dépassionnée que je ne souhaite pas que ce soient les magistrats, les policiers ou les avocats ayant participé au procès qui s'expriment. Il y aurait le risque de refaire le match, ce qui n'est pas le but. Le but est d'être pédagogue.
L'amendement est retiré.
Amendement CL180 de Mme Cécile Untermaier.
Il convient de préciser que le président de l'audience peut à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'une des parties, suspendre ou arrêter l'enregistrement pour l'un des motifs énumérés plus haut.
L'amendement est satisfait puisque le président pourra toujours, pour le bon déroulement des débats ou pour le libre exercice du droit des parties, suspendre ou arrêter l'enregistrement dans le cadre de la police de l'audience.
Le président a ce pouvoir. Pour le reste, les parties auront toujours la possibilité de refuser la diffusion ou de demander de flouter leur image. Si on laisse à trop de monde la possibilité d'intervenir dans le processus, on va fragiliser l'ensemble.
Il s'agissait uniquement de permettre au président d'entendre les parties qui font état d'un mal-être. Il est important qu'elles puissent s'en ouvrir au président.
L'amendement est retiré.
Amendement CL304 de M. Pascal Brindeau.
Il s'agit de permettre au président de suspendre l'enregistrement pour un autre motif que ceux qui sont énumérés dans la loi.
La préservation de la sérénité des débats et le libre exercice du droit des parties me semblent embrasser suffisamment de cas. Qui plus est, le pouvoir de police de l'audience permet au président de prendre toute mesure utile. Sagesse ou avis favorable… Avis favorable !
Je suis presque convaincu mais il faut que je réfléchisse un peu, parce que j'ai le cerveau plus lent que le rapporteur. L'alinéa 5 dispose que les modalités de l'enregistrement ne doivent porter atteinte ni au bon déroulement de la procédure ou des débats. Tout y est. Le président peut y puiser toutes les raisons dont il a besoin pour interrompre l'enregistrement. Je ne sais pas ce qui de votre amendement, si nous l'adoptions, ou de notre rédaction deviendrait superfétatoire. Sagesse.
Pour aider le ministre à aller dans une direction ou dans une autre, je crois qu'il est important de ne pas exclure des situations qui ne seraient pas visées expressément. Si le président arrêtait l'enregistrement pour un motif qui n'est pas inscrit dans la loi…
Préciser des motifs revient toujours à limiter les possibilités, puisque l'on ne pense pas à tous les cas de figure.
La commission adopte l'amendement.
Amendements CL315 de M. Pascal Brindeau et CL181 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).
Il faudrait préciser que la suspension ou l'arrêt de l'enregistrement par le président ne peuvent pas faire l'objet d'un recours.
C'est ce que l'on appelle le pouvoir propre de police du président, lequel est insusceptible de recours.
Les amendements sont retirés.
L'amendement CL132 de Mme Emmanuelle Ménard est retiré.
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL547 du rapporteur.
Amendement CL90 de M. Ugo Bernalicis.
Il s'agit de préserver un délai d'au moins un an entre le jugement et la diffusion. Je reviens à la charge pour les audiences filmées mais non diffusées à la télévision : qu'en fait-on ? Nous souhaiterions qu'elles soient accessibles, par défaut, sur le site du ministère de la justice. Nous tenons également à garantir la variété des procès, civils et pénaux. Je ne suis pas sûr, en effet, qu'en matière d'audimat la future émission soit intéressée par une audience de la Cour des comptes. Mais je me trompe peut-être… Je n'aimerais que cela les rende inaccessibles aux citoyens. Ce que fait le Conseil constitutionnel, c'est qu'il diffuse ses audiences et les diffuse sur son site internet à tout citoyen. Qu'une émission reprenne ces vidéos pour faire de la pédagogie, c'est très bien. Mais, au départ, il faut que ce soit une communication interne au ministère de la justice et au service public dû à tout citoyen.
Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la variété des audiences. Il est utile qu'il n'y ait pas seulement du pénal diffusé. En revanche, je suis très réservé sur votre proposition concernant le site de la Chancellerie. Autant on peut le comprendre pour le Conseil constitutionnel, autant ce serait, dans ce cas, plus compliqué, puisque l'idée est de disposer d'une pluralité d'enregistrements en provenance de divers tribunaux. Quant au délai d'un an, il ne me semble pas opérant. Les dispositions actuelles suffisent pour garantir le fait qu'on ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence.
Je n'envisage pas du tout de faire un site pour diffuser les procès. Il n'y aura pas qu'un seul procès filmé. Ensuite, dans le cadre de leur liberté éditoriale, les émissions décideront de diffuser telle ou telle audience. Comme il faut les autorisations inhérentes au droit à l'image, c'est inutilisable. Ce sera diffusé sur la chaîne choisie – j'ai dit que j'avais une préférence pour le service public. Que voulez-vous qu'on en fasse puisqu'on ne pourra pas diffuser, le principe étant le floutage et l'anonymisation ?
Dès lors que le floutage est retenu par défaut, exception faite de ceux qui ont donné leur accord, que ce soit dans une émission de télé ou sur le site du ministère de la justice, c'est la même chose.
J'ai bien compris ! Mais comprenez aussi que je veuille absolument le contraire. L'audience publique à laquelle n'aura pas pu assister le cinquante et unième s'il y a cinquante places, je souhaite qu'elle puisse être disponible sur le site avec des garanties – floutage et anonymat. Nous proposions le délai d'un an pour décorréler le procès de l'instantanéité médiatique et du tumulte des réseaux sociaux. Je vois, alinéa après alinéa, que nous ne partageons pas le même but sur la communication des audiences. Je le regrette.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL89 de M. Ugo Bernalicis.
Le traitement des vidéos diffusées sur le site du ministère doit être assuré par ses services.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement CL476 de Mme Laetitia Avia.
L'aspect pédagogique de ces diffusions, destinées à rapprocher les citoyens de la justice, en leur permettant de la voir et de comprendre son fonctionnement, étant au cœur du dispositif, il doit être inscrit dans la loi. C'est pourquoi nous souhaitons préciser que la diffusion est accompagnée d'éléments de description de l'audience et d'explications pédagogiques sur le fonctionnement de la justice.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendements identiques CL182 de Mme Cécile Untermaier, CL217 de M. Bertrand Bouyx et CL259 de M. Stéphane Peu, amendements CL316 de M. Pascal Brindeau et CL477 de Mme Laetitia Avia (discussion commune).
En cohérence avec l'amendement précédent, qui visait à demander à l'ensemble des parties présentes à l'audience l'autorisation de filmer, il s'agit ici de leur permettre de rétracter leur consentement. Mais vous allez me répondre que dans la mesure où on ne leur demande pas leur avis, on ne leur donnera pas non plus un droit de rétraction...
Avis défavorable à ces amendements, à l'exception de celui de Mme Avia dont la rédaction me semble plus complète. Je demande à M. Brindeau de bien vouloir retirer son amendement au profit de celui de Mme Avia.
Mme Avia a convaincu le rapporteur ainsi que votre serviteur : avis favorable à son amendement.
Pas exactement : le vôtre compte quelques mots supplémentaires. Si vous voulez qu'il soit adopté, vous devez le rectifier en supprimant cet ajout.
Il est identique au moins dans son esprit ; je le rectifie donc pour qu'il soit parfaitement identique.
Successivement, la commission rejette les amendements CL182, CL217 et CL259 et adopte les amendements CL316 rectifié et CL477.
Amendement CL133 Mme Emmanuelle Ménard.
Il vise à protéger la vie privée des personnes jugées, des plaignants et des témoins. Je souhaite que les personnes puissent rétracter leur consentement non pas seulement après l'audience, mais à tout moment.
Si nous suivions tous les amendements de Mme Ménard, il faudrait arriver à l'audience avec une imposante liasse de papiers ! Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL382 de M. Jean Terlier.
Amendements CL489 de Mme Laetitia Avia et CL54 de Mme Stéphanie Do (discussion commune).
Il est proposé de fixer à quinze jours après l'audience la période de rétraction du consentement, ce qui laisse le temps aux parties de prendre la mesure de cet enregistrement et, une fois le consentement clairement donné, à la chaîne chargée de la diffusion de procéder à la mise en forme en vue de la publication.
J'émettrai un bémol : le texte est plus adapté à la procédure pénale qu'à la procédure civile. Quinze jours après l'audience suffisent en procédure pénale, le délai d'appel étant de dix jours. En revanche, dans toutes les autres procédures – civiles, commerciales, prudhommales –, les parties ne sont pas fixées à l'issue de ce délai car elles n'ont pas encore connaissance de la décision. Il serait plus logique de faire commencer ce délai à l'expiration du délai d'appel.
Le consentement n'est pas lié à la décision rendue in fine. L'objectif de cet amendement est de permettre à une personne de retirer son consentement si elle décide ne plus apparaître à la suite d'incidents d'audience, par exemple si certaines parties se sont montrées agressives ou si elles se sont senties atteintes dans leur dignité. C'est pourquoi je souhaite laisser ce temps de respiration après l'audience.
Je partage l'idée qu'il faut laisser une personne revenir sur son consentement si elle trouve que l'audience s'est mal passée. Si l'on avait une règle générale imposant de flouter tous les visages, on ne serait pas dans ces analyses byzantines ! Nous avions proposé un délai d'un an avant de pouvoir diffuser, délai pendant lequel il aurait été possible de rétracter son consentement. Pourquoi quinze jours ? Il arrive que des polémiques surgissent sur les réseaux sociaux deux mois après les événements : une personne en butte à des tentatives de déstabilisation ne pourrait alors plus retirer son consentement. Cela requiert un certain tact. La généralisation du floutage et l'anonymisation sont peut-être la meilleure solution.
J'entends ce que dit Mme Avia, sauf qu'on ne respire pas de la même manière selon que l'on est dans l'angoisse de l'attente de la décision ou qu'on la connaît. Quinze jours après une audience correctionnelle, dans la majorité des cas, on connaît la décision et le délai d'appel est expiré. En revanche, quand on est dans l'attente du délibéré, on ne sait pas où on va. De ce fait, on ne place pas les gens sur un pied d'égalité dans la prise de décision. Le risque est simple : dans le doute, tout le monde refusera la diffusion. Il vaut mieux faire preuve de prudence et accompagner les gens avec un maximum de garanties. Vous raisonnez en professionnel du droit et de la défense ; le particulier n'est pas du tout dans cet état d'esprit. Il faudrait revoir cette disposition pour la séance.
La commission adopte l'amendement CL489.
En conséquence, l'amendement CL54 tombe.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL327 de M. Benjamin Dirx.
Amendement CL134 de Mme Emmanuelle Ménard.
Cet amendement me tient à cœur. Je ne comprends pas très bien qu'aucun élément d'identification des personnes enregistrées ne puisse être diffusé plus de cinq ans après la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l'autorisation de l'enregistrement. Le rapporteur a indiqué que le but était de protéger le droit à l'oubli. Or, le droit à l'oubli est impossible : si vous diffusez demain un procès à la télévision, rien ne m'empêchera de le téléverser sur internet. Cet alinéa n'est ni adéquat ni opportun.
Le dispositif consacre et rend opposable le droit à l'oubli dans la diffusion. Il est utile car il complète les obligations qui pèseront sur l'opérateur choisi pour diffuser les images. Toutefois, des vidéos pourront continuer à circuler sur internet pendant des années. Tout ne sera pas réglé avec cette disposition, j'en conviens. Avis défavorable.
C'est pour cela qu'il faut limiter la casse, madame Ménard ! Des journalistes m'ont demandé comment nous allions traiter le droit à l'oubli. Je leur ai répondu : « Exactement comme vous ! » Quand des journalistes suivent une affaire, ils donnent les noms ; rien n'interdit, trente ans plus tard, avec l'aide des réseaux sociaux, de les rediffuser. Le droit à l'oubli est impossible. Toutefois, interdire à une chaîne, dont l'audience est importante, de rediffuser, ce n'est pas rien. Si vous enregistrez avec votre téléphone et rediffusez ensuite, cela n'a pas le même impact. Vous avez donc raison : on ne peut pas prévoir un droit à l'oubli, mais on peut limiter les dégâts. Nous sommes en plein cœur de la protection de la vie privée. Celui qui diffusera en assumera les risques parce qu'il y a des sanctions à la clef. Interdire la rediffusion, ce n'est pas si mal. Pour le reste, je partage votre avis : il est objectif.
Ce qui me gêne, c'est qu'il y a en quelque sorte tromperie sur la marchandise. Une personne à qui l'on assurerait que son droit à l'oubli est protégé pourrait, en toute confiance, donner son consentement. Mais si vous lui dites que l'on ne peut rien lui garantir, même quand la rediffusion du procès ne sera plus possible, parce que les moyens ne le permettent pas, vous n'inciterez pas les gens à donner leur consentement.
Les images diffusées dans le cadre d'émissions qui recueillent de l'audience deviendront des images d'archive. Toutefois, après un certain temps, elles seront rediffusées sans que les visages apparaissent à découvert afin d'assurer un véritable droit à l'oubli et d'éviter qu'on puisse reconnaître les personnes enregistrées. Ce dispositif peut être un succès quand les images récurrentes deviennent nuisibles pour celui qui avait consenti à leur diffusion mais qui, après quelque temps, en a assez de se voir tourner en boucle sur les écrans. Nous limitons les dégâts sur cet aspect.
Je viendrai au soutien non pas de l'amendement, mais de l'objectif visé par Mme Ménard. Nous pourrions, d'ici à la séance publique, travailler à sanctionner la violation de ce nouvel article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, alors que des sanctions sont prévues aux articles 38 et 38 ter. Définir une peine permettrait aux personnes voyant circuler ces contenus sur les réseaux sociaux d'en demander le retrait, donnant une plus grande effectivité à la mesure.
On est dans le périmètre de la violation de la vie privée : en soi, cela peut entraîner une sanction. Par ailleurs, madame Ménard, si nous adoptions votre amendement, nous serions plus mal lotis que n'importe quelle émission de mauvaise facture. Ce serait une grande injustice car si, pour notre part, nous voulons faire œuvre de pédagogie en prenant toutes les précautions, ces émissions ne s'embarrassent de rien, ni du droit à l'image ni de la présomption d'innocence, qui est l'une de nos préoccupations majeures.
Vous voudriez, moi aussi d'ailleurs, que le droit à l'oubli soit consacré ; nous savons que ce n'est pas possible. Une photo d'une personne peut circuler dans dix ans : c'est un risque inhérent aux réseaux sociaux. On ne peut malheureusement pas éviter ce que vous dénoncez et je le déplore avec vous, mais votre amendement n'est pas la solution. Quant aux justiciables, qui auront tout de même donné des autorisations, ils seront contents de savoir qu'on cessera de rediffuser un certain nombre d'éléments.
Je présenterai tout à l'heure un amendement visant à sanctionner une infraction au droit à l'oubli.
L'objectif poursuivi est d'empêcher l'identification d'une personne. La diffusion des images serait possible dix ans après le procès, mais en floutant et en retirant tout élément d'identification. Cette disposition est soit trop précise, soit nébuleuse car lorsqu'un procès a été couvert par la presse, on connaît l'affaire et les noms : le seul fait de rediffuser permet l'identification. Assumez-vous cet aspect ou bien décidez-vous qu'à partir d'une certaine date, on ne diffuse plus ? Cela pourrait être la solution : au-delà de cinq ans, on ne diffuse plus du tout !
La commission rejette l'amendement.
Successivement, suivant les avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL155 de Mme Marie-France Lorho, adopte l'amendement rédactionnel CL548 du rapporteur et rejette l'amendement CL154 de Mme Marie-France Lorho.
Amendements CL549 du rapporteur, CL92 de M. Ugo Bernalicis et CL318 de M. Dimitri Houbron (discussion commune).
L'amendement CL318 est retiré.
Il s'agit de prévoir un délai d'un an avant la diffusion, afin de préserver la sérénité judiciaire. Il faut décorréler le traitement médiatique de l'affaire, avec ses images en temps réel, de l'information du citoyen sur le fonctionnement de l'audience.
La commission adopte l'amendement CL549.
En conséquence, l'amendement CL92 tombe.
Amendement CL91 de M. Ugo Bernalicis.
C'est l'audience qui est publique, non les éléments d'instruction ou d'enquête. Si je comprends que l'on fasse en sorte qu'on fasse en sorte qu'il soit possible de suivre le procès, je trouve cela disproportionné concernant l'instruction et les enquêtes : ce n'est pas utile au but poursuivi de compréhension de la justice. Le ministère peut déjà délivrer des autorisations de reportage sur les différentes étapes d'une procédure : je pense que c'est suffisant et qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter.
Avis défavorable. Les autorisations exceptionnelles existantes sont données hors cadre, contra legem. Il faut envisager toutes les hypothèses comme une audience devant une chambre de l'instruction ou encore un interrogatoire dans le cabinet d'un juge d'instruction. C'est justement cela, la machine judiciaire qui doit être montrée, de façon transparente, dans un but pédagogique.
Nous sommes nombreux ici à avoir fait des études de droit et nous sommes tous convaincus d'une chose : il y a un décalage entre la théorie et la réalité judiciaires. Nous avons tout à gagner à faire découvrir à nos concitoyens les différents aspects du monde judiciaire, que ce soit dans le cabinet d'un juge d'instruction, dans une salle d'assises ou aux prud'hommes.
Avis défavorable. Il faut tout montrer, avec des précautions qui n'existent pas à ce jour.
Si j'en crois votre dispositif, dès que l'affaire sera jugée définitivement, on pourra diffuser l'intégralité de la procédure, y compris l'enquête et l'instruction, alors que le sujet est encore brûlant. Je m'interroge sur la vertu pédagogique d'une telle diffusion, étant entendu qu'aujourd'hui, le citoyen lambda ne peut pas y avoir accès – même le parlementaire que je suis ne peut pas avoir accès à un cabinet d'instruction ou aux audiences des chambres de l'instruction à huis clos. Nous entrons dans un domaine qui me dérange.
Précision extrêmement importante, la diffusion ne sera possible que lorsque l'affaire aura été définitivement jugée, soit au lendemain du rejet du pourvoi en cassation. Cela veut dire que, au pénal, il se sera écoulé plusieurs mois entre le jugement de l'affaire en cour d'assises d'appel et l'examen du pourvoi en cassation.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL550 du rapporteur.
Amendement CL303 de M. Pascal Brindeau.
Dans certaines situations comme la confrontation d'une victime avec l'accusé, le fait de savoir que l'on est filmé et que cela pourra être diffusé peut avoir une répercussion sur les comportements.
Le dispositif ne me paraît pas clair. Si le consentement des parties est requis pour l'audience, ce terme recouvre des réalités différentes : il peut s'agir de l'enquête et de l'instruction, pour lesquelles nous n'avons pas la garantie absolue que l'accord des parties ait été donné. J'aimerais avoir l'assurance que leur consentement sera recherché avant toute diffusion d'une phase qui se déroule habituellement à huis clos.
Je vais vous rassurer : la notion d'audience, telle qu'elle se dégage de la jurisprudence et des textes, recouvre le débat devant le juge des libertés et de la détention ; la prolongation de la garde à vue ; le débat devant le président de la chambre de l'instruction, par exemple sur le contentieux de la restitution d'objets ; le débat sur la détention provisoire ; le débat devant la chambre de l'instruction ; le renvoi devant la cour d'assises ; l'appel d'une ordonnance de non-lieu, etc. Si ce n'est pas public, alors il faudra une autorisation.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL57 de M. Antoine Savignat.
Ce dispositif soulève une inquiétude. M. Untel passe devant la chambre de l'instruction et donne son consentement à la diffusion de l'audience, parce qu'il estime que ce n'est pas plus mal de clamer à tous son innocence. Même si la procédure aboutit à un non-lieu ou à un arrêt des poursuites, il risque de pâtir de l'idée qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Les affaires pénales sont souvent relatées dans la presse locale et dans les médias. Même si l'on floute les visages, on peut identifier les faits et les protagonistes : une personne qui n'aurait pas fait l'objet de poursuites devrait tout de même subir pendant cinq ans la diffusion sur des faits finalement non établis. Cela met en jeu la présomption d'innocence et le droit à l'oubli. À mon sens, il serait plus prudent de retirer ce type de procédure du dispositif, même si je n'ignore pas que cela empêchera de montrer qu'il peut aussi y avoir des non-lieux. Le droit à la vie privée doit prévaloir sur l'intérêt pédagogique voulu par le Gouvernement.
Vous avez vous-même fourni le contre-argument à votre amendement : il n'y a pas plus belle illustration du principe de la présomption d'innocence que la reconnaissance de l'innocence d'une personne par un juge. Non seulement cela ne pose aucune difficulté, mais cela a même une vertu : la justice est là pour établir la vérité et il est bon que des émissions de télévision le montrent.
L'inquiétude dont vous avez fait part concerne des audiences à huis clos, non publiques. La personne n'autorisera sans doute pas la diffusion de son image et elle ne pourra donc pas être identifiée.
Le député Savignat fait du tort à l'avocat Savignat qui obtiendra un non-lieu pour un de ses clients. Le jour où ce client lui demandera qu'on dise dans les médias qu'il est innocent avec la même force qu'on lui a exprimé sa culpabilité, l'avocat Savignat sera obligé de lui répondre que cela n'est pas possible parce l'autorisation de diffuser les audiences a été refusée : c'est paradoxal !
Si le client en question ne souhaite plus que l'on évoque cette affaire, il y a toujours toutes les précautions évoquées en plus de l'anonymisation, de la modification de la voix, du floutage. Il n'y a donc rien à craindre. Je suis convaincu toutefois que des gens ayant bénéficié d'un non-lieu ont envie de le faire savoir : votre amendement leur ferait manquer une opportunité de dire les choses.
Je ne suis pas d'accord avec mon collègue Savignat parce que la justice n'est pas seulement celle qui condamne ; heureusement, elle acquitte et elle relaxe aussi. Il faut donner à voir tout cela à nos concitoyens.
Pour que les choses soient claires, il faudrait filmer la procédure du début à la fin. Si vous filmez seulement l'audience chez le juge des libertés et de la détention, au cours de laquelle il va placer en détention provisoire, mais que vous n'avez pas l'ensemble des auditions qui suivent ni l'ensemble des éléments du dossier, vous ne rendrez public qu'un élément défavorable. Quand bien même des intervenants diront sur un plateau de télévision que l'affaire a été classée sans suite, on loupe le coche et on alimente la suspicion.
Quant à la dimension pédagogique, la diffusion des audiences correctionnelles permettra de montrer la justice qui relaxe à tour de bras.
Je ne suis pas d'accord avec cette vision : nous voulons justement faire de l'explication pédagogique. Les intervenants pourront expliquer aux téléspectateurs qu'ils ont vu quelque chose qui correspond à la réalité judiciaire d'un instant ; ils expliqueront ce qu'est un non-lieu, ce que sont des indices graves et concordants, etc. L'idée maîtresse est de faire comprendre comment fonctionne la justice. Il ne s'agit pas de prendre parti. Je ne veux pas de gens qui refassent le match : revoir le combat de l'avocat général contre l'avocat, ou de l'avocat de la partie civile contre l'avocat du prévenu ne m'intéresse pas. Je veux que l'on rappelle qu'un non-lieu n'est pas le fruit du hasard ou d'un malentendu, mais la conséquence du fait que l'on n'a pas recueilli suffisamment de charges graves et concordantes. C'est l'occasion ou jamais d'apporter ces explications. Dans le texte, il est question de préserver la présomption d'innocence : je sais que, par les temps qui courent, c'est parfois un détail, mais nous avons cela à cœur.
Il ne faut pas faire de contresens : il s'agit de faire œuvre de pédagogie et non pas de rediscuter du procès et de la décision rendue par le juge, laquelle est souveraine. Le morcellement ne me pose pas de problème.
Ma seule réserve, rejoignant celle de M. Bernalicis, tient au rapport à l'intime que met en jeu une procédure d'instruction. La personne peut refuser l'enregistrement si l'audience n'est pas publique, mais son image va tout de même apparaître dans une diffusion avec son visage flouté.
J'entends bien la volonté pédagogique du ministre. Mais pour en revenir à mon exemple, si vous ne filmez que l'audience de placement en détention provisoire et que l'affaire aboutit à un non-lieu, allez-vous communiquer l'intégralité du dossier d'instruction aux gens qui débattront sur le plateau ?
Après une audience du juge des libertés et de la détention, un non-lieu est prononcé. Selon le texte, la diffusion est réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d'innocence. Diffuser une mise en détention sans expliquer ce qu'est un non-lieu et ne diffuser que cela, c'est attentatoire à la présomption d'innocence.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL551 du rapporteur.
Il s'agit de préciser que le fait de diffuser un enregistrement sans respecter les conditions de diffusion prescrites est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Cette disposition répressive permettra de poursuivre ceux qui ne respectent pas les précautions dont nous discutons.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL552, CL553 et CL554 du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL29 de M. Éric Pauget.
Amendement CL284 de M. Dimitri Houbron.
Il s'agit de commencer par une phase d'expérimentation. Nous sommes favorables au fait de filmer les audiences et de faire de la pédagogie, car nous avons la conviction que cela sera utile. En revanche, nous craignons que la généralisation du dispositif ne cause son échec. Nous devrions prendre le temps de tester ce dispositif pendant quelques années et dans quelques juridictions, afin d'éviter les écueils ou de les corriger. L'expérimentation avait démontré son efficacité avec la cour criminelle départementale : nous pourrions procéder de la même façon pour assurer le succès de cette belle idée.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte les amendements identiques de coordination CL555 du rapporteur et CL328 de M. Benjamin Dirx.
Elle adopte l'article 1er modifié.
La réunion se termine à 19 heures 15.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.