Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du mercredi 5 mai 2021 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars, rapporteur :

Je reviens à cette visite : j'ai eu l'honneur d'assister à l'annonce de la création de 1 000 emplois supplémentaires pour la justice civile de proximité, après les 1 000 emplois déjà créés au bénéfice de la justice pénale afin de faire face au stock important d'affaires à traiter. Pour reprendre votre expression, monsieur le ministre, c'est du sucre rapide pour revitaliser nos juridictions du quotidien. La confiance est une ambition qui demande des moyens qui n'ont jamais été aussi massifs dans notre pays.

Venons-en aux projets soumis à notre examen. La justice est rendue au nom du peuple français. Et pourtant, peu de nos concitoyens savent comment elle fonctionne, car un très faible nombre d'entre eux a l'occasion de se rendre dans les prétoires.

Je n'irai pas jusqu'à faire mienne la fameuse phrase d'Audiard : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. » Mais il y a un peu de ça. C'est la raison pour laquelle l'article 1er du projet de loi prévoit l'enregistrement et la diffusion d'audiences administratives et judiciaires, dans des conditions qui respectent la vie privée et la sérénité des débats.

Je trouve que c'est une excellente idée du moment que l'occultation des éléments d'identification des personnes, tout particulièrement des mineurs, est correctement réalisée. Les Français ont besoin de voir fonctionner la justice, sinon certains continueront d'appeler le juge « votre honneur » et demanderont un mandat au policier qui perquisitionne. Craindre de montrer la réalité, c'est laisser libre cours à l'imaginaire, voire à la suspicion, et nous savons que cela n'est jamais favorable à nos institutions démocratiques. Je n'entre pas dans les détails procéduraux, car ils sont nombreux, mais nous pourrons bien évidemment y revenir.

La confiance dans l'institution judiciaire, c'est aussi une justice qui vous donne le droit de vous défendre quand elle suspecte, peut-être d'ailleurs à raison, que vous avez commis une infraction. Or nous avons vu des enquêtes se perpétuer pendant des années sans que les justiciables puissent accéder au dossier et apporter des éléments à décharge. C'est une situation à laquelle vous avez souhaité mettre un terme, monsieur le ministre, et c'est une chose heureuse, pour laquelle vous aurez tout le soutien de la commission des Lois.

La confiance dans l'institution judiciaire, c'est encore une justice qui ne truque pas les cartes avant de les distribuer. Il y a eu, au cours des dernières années, des affaires retentissantes dans lesquelles des confidentialités que protège la loi, et même la Constitution, ont été traitées avec la pire des désinvoltures.

C'était le cas avec la presse, et plus récemment avec les avocats. Nous allons réaffirmer que la défense est quelque chose de sacré et que le procureur n'a pas à écouter derrière la porte de la salle où l'avocat et son client s'entretiennent.

La confiance dans l'institution judiciaire, c'est, je l'ai dit, une justice qui se montre, mais pas une justice qui s'exhibe. Vous avez montré votre irritation devant les violations répétées du secret de l'enquête et de l'instruction. On n'a pas à lire des éléments d'enquête non vérifiés, non jugés, non contestés sur les réseaux sociaux ou dans les feuilles de chou. Les sanctions seront durcies. Je ne sais pas si ce sera suffisant, mais c'est bien évidemment nécessaire.

En ce qui concerne la justice criminelle, nous faisons face à un défi : le stock d'affaires criminelles n'a jamais été aussi élevé – il faudrait plus d'un an pour l'écouler –, les audiences n'ont jamais été aussi longues et, surtout, les délais d'audiencement sont excessifs.

C'est insupportable pour les victimes comme pour les accusés, notamment lorsqu'ils sont en détention provisoire. Si ce n'est pas l'institution qui est en tort, le législateur doit agir avec pragmatisme si nous voulons que nos concitoyens gardent confiance dans notre capacité à juger et punir les actes les plus graves.

Pour améliorer l'organisation des sessions de cour d'assises, je proposerai de rendre obligatoire la tenue de l'audience criminelle préparatoire. Certaines cours d'appel ont pris cette initiative pour améliorer la qualité des débats, notamment dans le cadre de l'expérimentation des cours criminelles, et sa généralisation est une excellente chose. Je suggèrerai également que les magistrats à titre temporaire puissent aussi siéger comme assesseurs dans les cours d'assises, comme nous l'avions fait en 2019 pour les magistrats honoraires.

Concernant la généralisation des cours criminelles, je tiens d'abord à souligner que recourir à l'expérimentation dans un domaine aussi sensible que le jugement des crimes était une nouveauté.

Nous avons fait confiance aux acteurs pour utiliser ce dispositif, et ils s'en sont emparés : c'est un succès unanimement reconnu par tous ceux qui l'ont pratiqué, au point d'ailleurs de faire changer d'avis notre garde des Sceaux, mais pas que lui. J'en profite pour saluer Antoine Savignat avec lequel j'ai mené la mission flash d'évaluation de la cour criminelle départementale.

Il a été reproché au Gouvernement de ne pas aller au bout de l'expérimentation, mais il n'était pas souhaitable de maintenir ainsi deux manières de juger les mêmes crimes sur le territoire national. Les premières évaluations, dont celle que je viens de citer, sont encourageantes : les délais sont plus courts, l'oralité des débats est préservée et ces cours permettent de mieux juger certains crimes si l'on se réfère au taux d'appel.

À terme, et cela a toujours été une ambition affichée, la comparution devant la cour criminelle départementale réduira la correctionnalisation des viols dont personne ne peut se satisfaire. J'insisterai au cours de nos travaux sur l'oralité des débats, qui doit être préservée coûte que coûte en inscrivant notamment que les présidents des cours criminelles doivent avoir l'expérience de la cour d'assises.

J'ai entendu que nous voulions supprimer cette cour. Au contraire ! Elle restera compétente pour les crimes les plus graves et, en appel, pour tous les crimes. Nous renforçons même sa dimension populaire en augmentant le nombre de jurés nécessaires pour déclarer un individu coupable.

Je souhaiterais faire de la cour criminelle un outil pour renforcer la proximité de notre justice. Je serais donc attentif aux propositions visant à l'autoriser à siéger dans un autre tribunal judiciaire du département que celui du siège de la cour d'assises, c'est-à-dire dans une cour criminelle départementale.

Je souhaite que certains des crimes pour lesquels elle est compétente puissent être confiés au juge d'instruction du tribunal judiciaire sans aller systématiquement au pôle d'instruction, parfois éloigné, ce qui rend souvent chaotique le suivi de certaines affaires au détriment des plus fragiles de nos justiciables.

L'article 8 prévoit une expérimentation – je souligne qu'il ne s'agit que d'une expérimentation – consistant à permettre aux avocats honoraires de siéger comme assesseurs dans les cours criminelles et les cours d'assises.

J'entends les réticences que suscite cette idée que nous avions proposée avec Antoine Savignat lors de notre évaluation des cours criminelles. Il ne s'agit pas, comme le dit l'exposé des motifs – peut-être maladroitement –, de s'assurer que les magistrats respecteront les droits de la défense par cette présence à leurs côtés.

Notre idée était la suivante : la cour criminelle et la cour d'assises requièrent des assesseurs en nombre, et les avocats honoraires n'ont pas toujours l'idée de demander le statut de magistrat à titre temporaire qui permet d'intervenir sur de nombreux contentieux. En créant un statut spécifique, pour le jugement des seuls crimes, nous voulions augmenter le vivier d'assesseurs tout en maintenant un certain niveau de spécialisation et favoriser les échanges entre les professions du droit sur cette justice si particulière qu'est le jugement des crimes.

Concernant l'exécution des peines, l'article 9 innove en instituant notamment deux nouveaux dispositifs : d'abord, un mécanisme de libération sous contrainte de droit pour les personnes condamnées à une peine de moins de deux ans et auxquelles il reste un reliquat de peine inférieur ou égal à trois mois ; ensuite, un nouveau régime de réduction de peine qui supprime l'automaticité des crédits de réduction de peine et les fusionne avec les réductions supplémentaires de peine.

Sera ainsi créé un régime unique de réduction de peine avec une évaluation individualisée se fondant sur la bonne conduite en détention et sur les efforts sérieux de réinsertion de la personne condamnée. J'insiste sur ce « et », car c'est, je crois, un élément important pour éviter une trop grande disparité de jurisprudence entre juges d'application des peines.

Je présenterai plusieurs amendements visant à préciser l'application de ce nouveau régime, qui devra prendre en compte le comportement du détenu dans son ensemble.

J'en viens aux dispositions relatives au service public pénitentiaire.

Notre commission ne sait que trop bien quels défis nous devons encore relever afin d'améliorer, rapidement et durablement, la situation dans nos établissements pénitentiaires. Après la récente adoption d'une procédure de recours pour saisir le juge judiciaire de conditions de détention indignes, nous marquons aujourd'hui une nouvelle avancée en matière de droits des personnes détenues avec la création d'un contrat d'emploi pénitentiaire.

Il s'agit là d'une revendication ancienne et légitime qui permettra d'améliorer le travail des personnes détenues. Nous devons d'une part mieux encadrer ce travail et accorder aux détenus les droits qui en découlent, tout en prenant bien sûr en compte les contraintes inhérentes à la détention, et, d'autre part, développer le travail en détention, car c'est sans doute une des principales clefs pour améliorer la réinsertion des personnes condamnées et incarcérées.

Concernant les professions du droit, la réforme de leur discipline a été plusieurs fois repoussée, nourrissant des critiques, souvent injustes, à l'encontre de ces professionnels.

Encouragée par les travaux de certains de nos collègues, notamment de Cécile Untermaier et Fabien Matras, une grande concertation s'est ouverte pour révolutionner la discipline des professions réglementées. L'enjeu n'est pas des moindres : les notaires rencontrent chaque année 20 millions de fois nos concitoyens et c'est, heureusement, par leur intermédiaire que nous entrons le plus fréquemment en contact avec la justice.

Les professions se sont mobilisées pour proposer la modernisation de leur régime disciplinaire que le garde des Sceaux a déjà présentée. Je suis convaincu que ces nouvelles procédures faciliteront les relations entre ces professionnels et les usagers et je m'en réjouis car la justice du quotidien sera ainsi plus transparente.

Ce texte envisage encore l'amélioration des conditions d'intervention des professions du droit au bénéfice tant des professionnels que du justiciable. C'est ainsi que je soutiens, à l'article 29, le développement des modes alternatifs de règlement des différends en conférant la force exécutoire aux accords contresignés par les avocats après apposition de la formule exécutoire par le greffe.

Cette approche peut aussi faciliter l'accès à la justice. Dans cet esprit, l'article 31, qui inscrit dans la loi la possibilité pour les parties de produire les justificatifs de leurs frais de justice, sera de nature à faciliter le paiement des frais irrépétibles exposés.

Enfin, une justice de qualité implique parfois de réaliser des ajustements dans des réformes récentes pour assurer leur caractère pleinement opérationnel.

C'est en ce sens que l'article 33 envisage de reporter de deux ans l'entrée en vigueur de la réforme de la procédure des injonctions de payer, des difficultés techniques empêchant pour le moment de garantir un fonctionnement fluide de la nouvelle juridiction nationale des injonctions de payer à laquelle nous sommes attachés.

Par ailleurs, pour mettre un terme aux hésitations jurisprudentielles quant à l'identification du juge compétent pour connaître des actions relatives au devoir de vigilance, l'article 34 attribue la compétence au tribunal judiciaire, assurant ainsi au justiciable un accès plus aisé à cette procédure.

Voici mes remarques sur ce projet de loi. J'ai été lapidaire car son contenu est riche et chacun compte s'exprimer. Je ne manquerai pas de développer, au cours des débats, ce qui a trait aux interrogations qui pourraient demeurer.

Je suis certain que nos travaux enrichiront ce texte pour lui permettre de remplir pleinement l'objectif qui lui est assigné, celui d'une nécessaire confiance dans une vertu que notre pays, celui des droits de l'homme, a érigé en une grande et belle institution : la justice.

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