Pour ne rien vous cacher, je suis inquiet quand j'entends Mme Vichnievsky dire que les professionnels sont contre. Contre quoi sont-ils ? Contre le renforcement de la présomption d'innocence ? Contre le contradictoire ?
Je vais vous raconter une histoire. Lorsque j'étais avocat, je me suis retrouvé sur un plateau de télévision. C'était une affaire dont on parlait beaucoup. Deux journalistes d'un grand quotidien du soir ont déclaré, sans aucune difficulté, comme si c'était normal – on banalise parfois des choses graves – qu'ils avaient en leur possession l'intégralité du dossier de M. X. On en était au stade de l'enquête préliminaire. M. X n'avait évidemment pas accès à son dossier – ni lui ni son avocat. Et tout cela allait feuilletonner, avec une certaine forme de délectation, de gourmandise.
Je le répète : ce genre de situation est gravement attentatoire aux droits de l'homme. Nos concitoyens qui prendront connaissance de notre travail et de cet article ne pourront pas être contre ces dispositions. Comment fait-on quand on se réveille le matin et qu'on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé, qu'on ignore quels sont les reproches et les griefs qui nous sont adressés, sur la base de quels éléments on est suspecté ? Qu'on voit régulièrement son nom cité dans la presse, qu'on est maltraité et qu'on ne peut même pas se défendre ? Je ne peux pas citer de noms, certaines de ces affaires étant en cours, mais nous avons tous à l'esprit des dossiers de cette nature.
Et il paraît que des professionnels sont contre ce que nous proposons ? Eh bien, moi, je trouve cela très inquiétant, parce que c'est l'une des mesures les plus enthousiasmantes de ce texte ; elle n'accorde nullement l'impunité à certains, mais consiste à dire à nos concitoyens qu'ils ont le droit de savoir ce qu'on leur reproche, donc comment se défendre – ce qui est quand même la moindre des choses.
J'entends dire que les gens connus et les inconnus ne bénéficieront pas du même traitement – mais enfin, à qui s'intéresse la presse, sinon en priorité aux gens connus ? Il existe de ce point de vue une différence et il est vrai qu'il y a de ce fait une inégalité de traitement. Quelqu'un de connu – un politique, un sportif, un chanteur, un acteur – se trouve dans l'impossibilité de se défendre ; nous y remédions, et les professionnels sont contre cela ? Eh bien, moi, je trouve cela très inquiétant.
Je suis attaché à cette disposition comme à la prunelle de mes yeux. C'est une véritable innovation, et c'est un progrès en matière de droits de l'homme.
Évidemment, nous avons songé à l'hypothèse d'une personne qui aurait suffisamment d'entregent pour faire fuiter des choses dans la presse et obtenir le bénéfice du contradictoire – encore que, dans le cas d'une affaire de mœurs, par exemple, ce soit difficilement envisageable. C'est précisément pourquoi nous prévoyons que la disposition ne sera pas applicable si les révélations émanent de la partie mise en cause. Alors, bien sûr, vous allez me demander, monsieur Bernalicis, comment on fera pour en apporter la preuve. Certes, mais quel système préfère-t-on ? L'actuel ou celui vers lequel nous nous dirigeons et qui permettra à tous nos concitoyens d'avoir la certitude que l'enquête préliminaire ne durera plus ad vitam æternam – on devrait d'ailleurs la qualifier non pas de « préliminaire », mais d'« éternelle ». Certaines procédures durent depuis quatre ou cinq ans ; de temps en temps, on reçoit un petit papier, qui nous rappelle qu'untel ou une telle aurait fait telle ou telle chose. C'est insupportable !
Cet écueil existe, mais disons les choses clairement : lorsque la police, par exemple, viole le secret de l'enquête, elle sait très bien qu'elle est à l'origine de la violation ; et lorsqu'elle ne le viole pas, ce qui est fort heureusement très souvent le cas, elle le sait également. Je sais d'expérience que quand on dépose une plainte pour violation du secret de l'enquête ou de l'instruction, statistiquement, elle a très peu de chances d'aboutir. Ne comptez pas sur les journalistes pour dire d'où ils tirent leurs informations – c'est d'ailleurs normal : le secret des sources est protégé. Mais tous ceux qui connaissent un peu le monde judiciaire savent très bien qu'il existe entre eux et certaines personnes des petits arrangements qui perdurent dans le temps. On ne peut pas le dire, mais cela existe !
Alors, moi, je voudrais mettre un peu d'ordre dans tout ça. Et si les révélations émanent de la personne concernée, que le gredin a bien fait son coup et qu'on n'arrive pas à démontrer qu'il est à l'origine de la fuite, que risquera-t-on, au pire, monsieur Bernalicis ? Que le contradictoire soit ouvert ? À tout prendre, n'est-ce pas mieux que pas de contradictoire du tout ? Ne vouliez-vous pas, il y a un instant, l'étendre au stade de la garde à vue ? On ne peut pas dire tout et son contraire. Et entre deux maux, il faut savoir choisir.
Je pense pour ma part qu'aucun professionnel ne devrait avoir peur du contradictoire, ni du respect de la présomption d'innocence. D'ailleurs, nous sommes cohérents, puisque nous essayons de renforcer cette dernière ; il y a eu trop de dérives, il faut que cela s'arrête. Nous souhaitons d'autre part rappeler qu'une enquête préliminaire ne dure pas quatre ou cinq ans, ou le temps qu'on veut, à la carte, mais qu'elle est enserrée dans des délais ; c'est là un réel progrès. Et nous voulons enfin mettre fin à ces situations invraisemblables où l'on met publiquement en cause quelqu'un qui ne sait rien du dossier qui le concerne alors que certains journalistes disposent des procès-verbaux de ses auditions. On est chez les fous !
C'est pourquoi je suis arc-bouté sur cette disposition, qui me semble une véritable avancée et que je défendrai bec et ongles, et suis en conséquence défavorable à tous les amendements, hormis celui de Mme Avia, qui rédige de manière plus claire, plus cohérente et plus équilibrée l'alinéa 14 – je reconnais que nous aurions dû être plus précis dans la formulation.