La réunion débute à 21 heures 10.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
La Commission poursuit l'examen les articles du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire (n° 4091) et du projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire (n° 4092) (M. Stéphane Mazars, rapporteur).
Titre II Dispositions améliorant le déroulement des procédures pénales
Chapitre Ier Dispositions renforçant les garanties judiciaires au cours de l'enquête et de l'instruction
Section 1 Dispositions renforçant le respect du contradictoire et des droits de la défense
Article 2 (art. 75‑3 [nouveau] et 77‑2 du code de procédure pénale) : Ouverture au contradictoire et limitation de la durée des enquêtes préliminaires
Amendement CL369 de Mme Alexandra Louis.
Avis défavorable à cet amendement visant à ce que l'avocat d'une personne en garde à vue ou auditionnée dans le cadre d'une audition libre puisse avoir accès au dossier. Il me semble difficile de satisfaire cette requête – récurrente – dans ce texte, lequel constitue déjà un progrès dans l'accès au contradictoire de l'avocat de la défense et présage de futures avancées. Notre système doit rester cohérent.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL370 de Mme Alexandra Louis, CL156 de Mme Marie-France Lorho et CL136 de Mme Emmanuelle Ménard.
Amendement CL93 de M. Ugo Bernalicis.
Je suis favorable à un meilleur encadrement de l'enquête préliminaire mais encore faut-il savoir ce que l'on entend par là.
Le Gouvernement propose des durées maximales, respectivement, de deux ans augmentés d'un an ou de trois ans augmentés de deux ans en fonction des infractions poursuivies, ce qui me semble problématique à plus d'un titre.
Notre amendement d'appel propose que le juge des libertés et de la détention fasse un point d'étape annuel pour savoir si l'enquête préliminaire est le bon vecteur ou s'il convient d'ouvrir une information judiciaire, voire, d'opérer un classement sans suite. C'est en effet l'examen de la proportionnalité de l'enquête préliminaire qui s'impose plutôt que l'instauration d'une date butoir. Outre que nous manquons de magistrats instructeurs, seules 3,2 % des enquêtes préliminaires durent plus de trois ans, si j'en crois l'étude d'impact, en l'occurrence dans le domaine de la délinquance économique et financière. Ce n'est pas la lenteur de la justice qui est en cause, même si les services enquêteurs sont insuffisamment pourvus – je vous renvoie au rapport d'information que notre collègue Jacques Maire et moi avons rendu en 2019.
Il ne faut pas laisser accroire que l'instauration d'une date limite accélèrerait les enquêtes préliminaires au plus grand bénéfice des justiciables. Certains d'entre eux, victimes ou auteurs, préfèrent avoir accès au contradictoire et disposer d'un temps suffisant – c'est d'ailleurs pourquoi nous n'avons déposé aucun amendement sur les dispositifs visant à ouvrir l'accès de l'enquête préliminaire au contradictoire, auxquels nous sommes favorables.
Sur le papier, l'idée d'une supervision des actes par le juge des libertés et de la détention est séduisante mais il me semble, là encore, que c'est prématuré. Avis défavorable.
C'est faire preuve d'une belle défiance à l'endroit des magistrats du parquet puisque cela revient à douter de leur capacité à assumer leur rôle de gardien des libertés individuelles.
Cet amendement vous a été soufflé par le Syndicat de la magistrature. J'y suis défavorable – à l'amendement, pas au Syndicat de la magistrature .
(Sourires)
Ce n'est pas tout à fait exact, même si cet amendement va en effet dans la direction souhaitée par le Syndicat de la magistrature : nous sommes capables d'écrire nos amendements nous-mêmes.
C'est vous qui vous méfiez du parquet puisque, après trois ans, il ne serait plus compétent : il ne saurait pas poursuivre une enquête préliminaire, ni introduire le contradictoire, ni garantir l'égalité des armes. Nous proposons simplement, quant à nous, un point annuel. L'enquête préliminaire pourrait durer au-delà de trois ans, précisément parce que nous faisons confiance au parquet et au contrôle effectué par un magistrat du siège. Les enquêtes relatives à la délinquance économique et financière s'étendent bien souvent au-delà de nos frontières et il faut du temps pour que les réponses apportées par d'autres pays, par exemple sur tel ou tel compte en banque, parviennent aux enquêteurs.
La mesure que vous proposez entravera le traitement d'un certain nombre d'affaires par le parquet national financier. Des informations judiciaires s'ouvriront alors et l'instruction durera dix ou quinze ans. Je m'oppose à votre tour de passe-passe.
Ce qui est excessif est insignifiant. Où avez-vous vu des instructions qui durent quinze ans ?
Ce que nous proposons devrait faire consensus. L'enquête préliminaire, avant 1958, se nommait « enquête officieuse » et elle demeure encore telle faute d'être circonscrite dans des délais, à la différence de l'instruction. Si celle-là dure trop longtemps, c'est celle-ci qui prend le relais. Où est le problème ? Le contradictoire y est assuré puisque la mise en examen implique la possibilité de se défendre, à la différence de l'enquête préliminaire, en accédant au dossier.
Les affaires qui durent quinze ans sont exceptionnelles. Des magistrats du siège ou du parquet membres de la commission Mattei, composée également d'avocats et de policiers, ont dit combien cette loi va dans le sens de l'histoire. La France est l'un des rares pays où l'enquête préliminaire ne fait l'objet d'aucun contrôle et n'intègre pas la procédure du contradictoire. Le rappel des principes s'impose.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL346 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier et CL402 de Mme Laurence Vichnievsky.
Il convient de prévoir la sanction de la nullité des actes qui seraient accomplis au-delà du délai d'enquête préliminaire, conformément à ce que souhaite le Conseil national des barreaux.
Les amendements sont retirés.
Amendements identiques CL345 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier et CL447 de M. Paul Molac, amendements CL183 de Mme Cécile Untermaier, CL245 de Mme Nicole Dubré-Chirat, amendements identiques CL218 de M. Didier Paris et CL277 de Mme Séverine Gipson (discussion commune).
L'enquête préliminaire doit être limitée à la durée d'un an, prolongée des délais de recours éventuels lorsque le suspect ou le plaignant auront exercé des recours contre un refus de demande d'acte ou le suspect une demande de nullité d'un acte.
À l'issue de ce délai, faute pour le procureur de classer sans suite, de prendre une décision de renvoi devant une juridiction de jugement ou une mesure alternative aux poursuites, une information judiciaire doit être ouverte. L'automaticité de cette ouverture est en effet préférable à un contrôle de la durée par un juge du siège, illusoire faute de moyens.
Le délai de deux ans, contesté par un certain nombre de magistrats et de parquets, doit être réduit d'un an étant entendu que, selon le rapport Mattei, la grande majorité des enquêtes préliminaires durent moins d'un an. Pour les enquêtes plus complexes, un délai d'un an, renouvelable deux fois, pouvant porter l'enquête jusqu'à trois ans est prévu. Un régime d'exception demeure pour les faits de terrorisme et le crime organisé, avec un délai maximal de deux ans renouvelable une fois, portant jusqu'à quatre la durée maximale de l'enquête préliminaire. Un an, c'est déjà long pour qui ignore tout de l'affaire.
Durant les auditions, un certain nombre d'acteurs se sont émus des dates butoirs des enquêtes préliminaires, jugeant qu'un risque d'entrave à l'action judiciaire existe, l'absence de moyens ou les lenteurs des services d'enquête, voire, la carence pouvant conduire au classement sans suite.
Les risques en termes de responsabilité pour l'État et donc pour les magistrats – auxquels on viendra imputer ces lenteurs et dépassement de délais – sont réels.
Ce délai peut s'avérer court notamment dès que des actes à l'étranger, des actes obligatoires tels qu'une expertise psychiatrique ou technique, se révèlent nécessaires.
Une question est susceptible de se poser pour les procédures qui en regroupent plusieurs : quelle date faudra-t-il prendre en compte ? L'enquête, constituée de plusieurs enquêtes, constitue-t-elle un ensemble ? Ou faut-il la découper, prendre en compte la date de l'acte initial de chaque enquête ? Ou celle de la plus ancienne ?
L'autorisation de prolongation d'un an par le procureur de la République est soumise à un formalisme particulier alors que certains actes procéduraux ne nécessitent qu'une simple mention au dossier par les enquêteurs. Cette obligation illustre une particulière défiance envers ces derniers et les parquetiers.
Cet amendement propose de rallonger les délais de l'enquête préliminaire.
Je défendrai l'ensemble des amendements de mon collègue Didier Paris durant l'examen de ce texte. Si le principe d'un encadrement de la durée de l'enquête constitue une avancée, il convient de fixer un délai adapté à l'efficience des investigations et à la réalité de la masse d'enquêtes préliminaires en cours, dont l'étude d'impact rappelle qu'elle est de l'ordre de trois millions. La durée de l'enquête préliminaire doit être portée à trois ans au maximum afin d'éviter nombre de classements sans suite faute de moyens.
La durée de l'enquête préliminaire doit être en effet portée à trois ans car le délai de traitement moyen constaté auprès des tribunaux judiciaires s'en rapproche en raison de la complexité des investigations.
Deux amendements visent à ramener la durée de l'enquête préliminaire à un an et trois amendements à la fixer à trois ans : il y a donc des chances pour que la bonne durée se situe au milieu !
Le Gouvernement est parti d'un constat : près de 90 % des enquêtes préliminaires durent peu mais un certain nombre d'entre elles, beaucoup moins nombreuses, durent trop longtemps, ce qui met en péril les libertés individuelles et les droits de la défense. Pour ces dernières, il importait donc de trouver la bonne jauge, celle permettant aux services d'enquête de continuer à travailler efficacement à charge et à décharge, sans aller cependant au-delà d'un délai raisonnable. La distinction retenue me semble la bonne : pour les enquêtes classiques, deux ans plus un an ; pour le crime organisé et le terrorisme, trois ans plus deux ans.
J'ajoute que l'ouverture au contradictoire est prévue dans certaines conditions. Il me semble que nous avons trouvé un juste milieu qu'il importe de maintenir. Avis défavorable.
La définition de seuils entraîne toujours de longues discussions, comme nous l'avons vu à propos du code de la justice pénale des mineurs ou de la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. À un moment ou à un autre, il faut bien trancher.
Ce projet est à la fois ambitieux et réaliste ; la commission Mattei a beaucoup travaillé et l'argument du rapporteur me semble pertinent : nous nous situons au juste milieu.
Je rappelle tout de même que nous partons de rien ! Nous ne proposons certes pas une révolution copernicienne mais nous mettons un pied dans la porte. L'enquête préliminaire n'a aucune durée, ceux qui en font l'objet ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés et ils ne peuvent accéder au contradictoire : c'est invivable, un truc pareil, et absolument contraire aux droits de l'homme !
La définition de délais est une avancée fondamentale, de même que les conditions d'un accès au contradictoire. De plus, peu d'enquêtes préliminaires sont concernées puisque 84 % durent moins d'un an et que beaucoup sont réglées en huit mois.
Je souhaite que nous maintenions les équilibres qui ont été trouvés.
Si je ne suis pas d'accord sur la question des délais, je suis en revanche mille fois favorable à l'introduction du contradictoire dans l'enquête préliminaire. J'ajoute que l'ouverture d'une information judiciaire n'est pas une garantie d'accès au dossier : il faut, pour cela, être placé sous le statut de témoin assisté ou être mis en examen. De plus, même si c'est rare, celle-ci peut durer deux ou trois ans !
En l'occurrence, j'ai l'impression que l'on se fait plaisir en définissant un délai qui ne servira à rien puisque 97 % des enquêtes préliminaires durent moins de trois ans. Ne se complique-t-on pas un peu la tâche pour les 3 % restant ? L'affaire des fadettes a bien sûr duré beaucoup trop longtemps alors que l'enquête, à proprement parler, a duré trois ou quatre mois et aurait pu être clôturée bien avant, en effet, mais c'est plutôt l'exception de l'exception de l'exception !
Quant au délai de trois ans plus deux, dans les affaires de délinquance économique et financière, on ne peut pas s'en priver !
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL556 du rapporteur.
Amendement CL58 de M. Antoine Savignat.
La prolongation sur autorisation écrite du procureur doit être motivée. Cocher une croix sur le formulaire type de la prolongation des gardes à vue pour les besoins de l'enquête n'est ni efficace ni pédagogique. Si l'on veut prévoir la sanction de la nullité des actes accomplis au-delà du délai d'enquête préliminaire, comme en disposera l'amendement CL557 du rapporteur, encore faut-il que le procureur ait expliqué les motifs d'une prolongation.
Je suis partagé car si je comprends la philosophie de cet amendement, je crains la motivation « de style ».
Cela reviendrait à cocher les mêmes cases : enquête pas terminée, investigations à venir, etc. Cet amendement n'apporte rien. Une enquête de flagrance peut être prolongée par le procureur de la République à l'issue d'un délai de huit jours sans que le code pénal exige une décision motivée. Un parallélisme s'impose.
Cet amendement apporte la pédagogie qui vous est chère. Si le procureur de la République explique que l'enquête n'est pas terminée parce que le parquet n'a pas eu le temps de traiter le dossier et qu'elle n'est suivie d'aucun acte, sa procédure sera susceptible d'être sanctionnée selon la disposition prévue par l'amendement CL557. Si on ne demande pas au procureur de motiver la prolongation de l'enquête préliminaire, son avis n'a aucun intérêt. Quand bien même il lui suffirait de cocher une case, il y aurait moyen de vérifier que c'était la bonne et que des investigations devaient se poursuivre. Autrement, que le prolongement soit d'office et la messe sera dite !
Cette question mérite d'être étudiée plus précisément, en commission ou en séance publique. Quelles conséquences tirer de l'absence de motivation ?
Prolongation motivée mais pourquoi et pour qui ? Ce dispositif est interne au parquet et ne concerne pas les parties qui, en fonction des actes pris, ne sont pas forcément au courant de l'enquête. C'est pourquoi il me paraissait plus pertinent d'inclure un magistrat du siège dans l'équation afin d'exercer un contrôle de proportionnalité visant à juger du bien-fondé de la prolongation de l'enquête.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL577 du rapporteur.
Les deux et trois ans constituent la date limite de clôture de l'enquête. La possibilité pour le procureur de la République de classer sans suite, de poursuivre ou de solliciter une information judiciaire demeure, bien entendu, mais tous les actes d'enquête doivent être terminés à ces dates, à peine de nullité. Si une personne ne faisant pas jusqu'alors l'objet de l'enquête venait à être mise en cause, le délai expiré ne lui serait pas opposable et l'enquête pourrait se poursuivre.
Cette réécriture se justifie parfaitement : le texte sera plus clair, plus cohérent et plus équilibré.
Je souscris à cette rédaction, mon amendement CL211 étant moins précis. Au-delà de deux ans, si le procureur n'apporte aucun nouvel élément, l'enquête s'arrête.
Nous voterons cet amendement, bien plus strict que le mien puisqu'il assortit de nullité la procédure alors que je ne demandais qu'une motivation.
La nullité est-elle de plein droit ou faisant grief ? Les actes déclarés nuls sont-ils uniquement ceux qui interviennent après la procédure ou la théorie des actes subséquents s'applique-t-elle ? Une précision ne s'imposerait-elle pas ?
Je suis favorable à une telle réécriture. Mais que se passe-t-il si le procureur de la République ne classe pas l'enquête ni n'ouvre d'information judiciaire ?
La prescription s'appliquera ou le dossier sera repris avec de nouvelles règles de procédure.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, les amendements CL211 de M. Thomas Rudigoz, CL278 de Mme Séverine Gipson et CL184 de Mme Cécile Untermaier tombent.
Amendements CL228 de M. Didier Paris, CL403 de Mme Laurence Vichnievsky et CL305 de M. Pascal Brindeau (discussion commune).
Mon collègue Didier Paris propose d'étendre l'allongement de la durée d'enquête aux infractions financières relevant du parquet national financier, au motif que ses enquêtes sont complexes et présentent des enjeux internationaux.
J'observe que deux anciens magistrats de l'ordre judiciaire ont déposé le même amendement, qui doit découler de leur expérience professionnelle. L'alinéa 6 de l'article 2 prévoit un régime plus souple pour la criminalité et la délinquance organisées et les affaires de terrorisme. Les durées maximales des enquêtes sont portées respectivement à trois et cinq ans, à raison de la complexité des procédures en cause.
On doit étendre cette dérogation aux infractions pour lesquelles une compétence concurrente a été attribuée au parquet national financier et au tribunal judiciaire de Paris. Je suis bien placée pour exposer la complexité de ces affaires, dans lesquelles la preuve est difficile à apporter. Bien souvent, elle résulte non d'éléments pris isolément mais de la reconstitution d'un puzzle complexe et de montages difficiles.
À effectif judiciaire constant, il est illusoire de croire que l'ouverture d'informations à l'expiration des délais prévus pour les affaires financières permettrait de résoudre une telle difficulté. Par ailleurs, l'ouverture d'une information n'est pas nécessairement l'ouverture au contradictoire. Il existe des fenêtres d'ouverture au contradictoire dans le cadre de ces délais qui enserrent l'enquête préliminaire. C'est pourquoi l'amendement CL403 semble raisonnable.
Les crimes et délits économiques et financiers revêtent une grande complexité. Les délais de réponse de certains organismes sont tels que l'on peut concevoir un allongement des délais, au même titre que pour les crimes et délits déjà couverts par le délai de trois plus deux ans.
Ces trois amendements visent à faire basculer les infractions économiques et financières vers le régime dérogatoire de trois plus deux ans, réservé aux actes de criminalité organisée et de terrorisme. Or, la ligne fixée prévoyait d'arrêter les enquêtes préliminaires beaucoup trop longues. Là, on instaure un régime qui permettra aux enquêtes préliminaires de durer trois ans plus deux, soit cinq ans. Il faut réserver ces exceptions aux cas où les investigations sont très complexes, particulièrement périlleuses, et mettent en cause la sûreté de l'État et la sécurité de nos concitoyens.
Pour les affaires économiques et financières, les enquêtes préliminaires dureront deux ans, trois ans si l'affaire est complexe. Dans 90 % des cas, ces dossiers font l'objet d'une instruction pour continuer les investigations dans un cadre contradictoire.
La ligne de partage me semble cohérente et équilibrée. Elle permet de préserver l'intérêt public comme ceux de nos concitoyens. Aussi, je vous demanderai de retirer vos amendements. À défaut, j'y serai défavorable.
On est en train de vider le texte de sa substance. Si les exceptions deviennent la règle, il n'est plus besoin d'établir une règle. C'est précisément de cela dont nous voulons sortir.
Les policiers et les parquets font du bon travail. C'est la raison pour laquelle très peu d'affaires sont traitées au-delà du délai d'un an, encore moins au-delà de deux ans. Le délai de deux ans plus un an qu'a évoqué le rapporteur est long, surtout si vous ne savez pas à quelle sauce vous serez mangé et d'autant que ces affaires donnent souvent lieu à des fuites dans la presse. Vous évoquez votre expérience de magistrat, je peux parler de mon expérience d'avocat : cela feuilletonne, très régulièrement, mais jamais favorablement à celui qui est suspecté, d'où l'idée d'ouvrir au contradictoire.
Je suis totalement opposé à une telle extension des délais. Pour la criminalité organisée, oui, bien sûr ; pour les affaires de terrorisme, oui, pour des tas de raisons. Mais pour les affaires financières, non, d'autant qu'il ne s'agit pas de ne pas les traiter : il y a des juges compétents pour prendre le relais. Le rapporteur vient de rappeler à quel point c'était la règle commune. Dans les affaires complexes, on a une enquête préliminaire, puis le dossier est confié à un magistrat instructeur qui, de vous à moi, a plus de pouvoir qu'un procureur – et c'est très bien comme cela. L'orientation naturelle est ensuite l'instruction. Si l'exception devient la règle, il n'est pas nécessaire de dire que l'on fait une loi pour réduire les délais d'enquête.
Il y a une chose que je ne comprends pas. Depuis plusieurs années, on renforce les pouvoirs du procureur de la République, ses moyens, ses techniques spéciales d'enquête. C'était encore le cas dans la loi de programmation 2018-2022. En mettant en place le parquet national financier, on cherchait à réaliser 100 % de l'enquête en enquête préliminaire, avec une citation directe devant le tribunal à la fin, pour gagner du temps, même si les nullités soulevées à l'audience ralentissent l'affaire. La doctrine visait notamment à mettre en place l'outil voulu par le Gouvernement, auquel je suis opposé, la convention judiciaire d'intérêt public, pour respecter ces délais.
Là, vous nous présentez le contraire. Je ne comprends pas la logique. Finalement, ne voulez-vous pas de convention judiciaire d'intérêt public dans le dossier d'Airbus, dont l'enquête a duré plus de trois ans, pour parvenir à une saisie qui a rapporté 2 milliards dans les caisses du contribuable français ? Soit l'affaire n'est pas complexe et doit être traitée comme une affaire classique, soit elle entre dans la case des enquêtes de trois plus deux ans. Je cherche à trouver la cohérence ! Bien que n'ayant pas déposé ces amendements, je suis prêt à les défendre car ils semblent pragmatiques. Mais comme je ne suis pas très partisan de l'enquête préliminaire, à laquelle je préfère l'information, je pourrais rejoindre votre position. Cependant, devant le nombre de dossiers qui s'accumulent derrière, à la chambre de l'instruction, je ne sais pas quelle est la meilleure idée, en l'état actuel des moyens de la justice. Du point de vue de la durée de l'enquête, vouloir les basculer à l'information judiciaire, avec cette règle, est peut-être une bêtise.
La convention judiciaire d'intérêt public est possible à l'instruction.
On ne peut pas dire que l'on vide le texte de sa substance. On y ajoute une catégorie, en l'occurrence les crimes et délits économiques et financiers, en raison de leurs ramifications et leur complexité. Je ne peux pas entendre l'argument du feuilleton dans les journaux : cela est vrai autant en matière criminelle que financière. Nous avons tous en tête des affaires à retentissement, y compris récentes. Cela feuilletonne dans les deux cas. Ce n'est pas la matière qui est en cause.
Celui qui est mis en examen dans une affaire criminelle a accès à son dossier. Dans une affaire financière, il apprend des nouvelles de son dossier dans la presse car on a donné des procès-verbaux à des journalistes, qui feuilletonnent avec. Sur le plan des droits de l'homme, cette situation est intenable. C'est la philosophie de ce texte. Si vous voulez parler d'enquêtes officieuses, comme cela se pratiquait avant 1959, nous pouvons le faire.
La commission rejette successivement les amendements.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL137 de Mme Emmanuelle Ménard puis elle rejette successivement les amendements en discussion commune CL42 de M. Éric Pauget et CL79 de Mme Marine Brenier.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL558 du rapporteur.
En conséquence, l'amendement CL219 de M. Didier Paris tombe.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL331 de M. Benjamin Dirx.
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL559 du rapporteur.
Amendement CL593 du rapporteur.
Je propose de poser, en cas de regroupement de plusieurs enquêtes dans le cadre d'une même procédure, une règle de computation des délais. Prenons alors pour base la date de commencement de l'enquête la plus ancienne !
La commission adopte l'amendement.
Amendements identiques CL185 de Mme Cécile Untermaier, CL261 de M. Stéphane Peu, CL347 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier, CL429 de M. Aurélien Taché et CL504 de M. Paul Molac.
L'amendement CL185, issu d'une proposition du Conseil national des barreaux, vise à mettre à disposition du suspect et de son avocat le dossier expurgé des éléments risquant de porter atteinte à l'efficacité des investigations, dans le cadre d'une convocation en vue d'une audition libre ou d'une garde à vue. Il renforce donc les droits de la défense et le contradictoire, tout en respectant la capacité des enquêteurs à mener leurs investigations.
Je me suis exprimé à ce sujet lors de la discussion sur l'amendement présenté par notre collègue Alexandra Louis. Je suis défavorable à ces amendements, même si j'en rejoins l'esprit. Le moment n'est pas venu d'ouvrir ce chantier mais, dans les mois ou années qui viennent, il devra occuper les législateurs. Aujourd'hui, nous réalisons une avancée importante sur le principe du contradictoire dans le cadre des enquêtes préliminaires. Il faut s'en féliciter. Nous verrons par la suite comment les choses évoluent.
Quant à la remarque de M. Paul Molac, quand on est gardé à vue, on sait en général pourquoi. En revanche, l'avocat ne connaît pas le détail des éléments, qui viennent dans la procédure. C'est effectivement un point qu'il faudra faire évoluer plus tard.
C'est un chantier important, qui mérite un travail exclusif. D'abord, il est faux de dire qu'en garde à vue, une personne ne sait pas ce qui lui est reproché puisqu'elle est notifiée de ses droits et des faits susceptibles de lui être reprochés.
Ensuite, le dispositif a de nombreuses implications auxquelles on ne songe pas toujours. Par exemple, si on permet au gardé à vue et à son avocat d'accéder à toutes les pièces, des risques énormes de pression s'exerceront sur eux. C'est une réalité. Dans certaines villes où sévit le grand banditisme, un jeune avocat inexpérimenté pourrait se faire serrer dès sa sortie du commissariat. Naturellement, cela peut avoir des conséquences funestes non seulement pour lui, s'il ne sait pas résister, mais également pour l'efficacité de l'enquête. Il y a donc des conséquences inhérentes à la porosité des informations, qui sont livrées.
J'ai toujours pensé qu'il fallait ouvrir au maximum le contradictoire, sans lequel on ne peut rien envisager en termes de droits de la défense. Il faut aussi que la police ait un temps d'avance. Je n'ai pas changé là-dessus.
Je comprends parfaitement le sens de ces amendements. Mais je partage l'avis du rapporteur selon lequel ce travail n'est pas d'actualité, bien que le Conseil national des barreaux soutienne les amendements et que des réflexions soient en cours. De nombreux avocats souhaitent avoir à disposition l'intégralité du dossier pendant la garde à vue. Mais les choses ne sont pas aussi simples.
Je partage ce point de vue. La confiance en la justice est la confiance en tous ses acteurs. Qu'il s'agisse de l'instruction ou de la décision de jugement, il y a le temps de l'enquête et celui de la procédure. Le lieu d'intervention de l'avocat est le palais de justice, non la garde à vue qui est le temps de l'enquête. Il faut un temps pour tout.
L'avocat n'est pas là pour interférer dans l'enquête menée par les fonctionnaires de police, mais pour emporter une décision devant le tribunal. En garde à vue, son interlocuteur qu'est le fonctionnaire de police, n'a aucun pouvoir de décision. Il ne sert à rien de chercher à emporter quelque décision que ce soit. Il faut lui laisser faire son travail. Ensuite, l'avocat pourra intervenir, au stade qui est le sien, dans le cadre de la défense de son client.
Il ne s'agit pas d'ouvrir le dossier dans sa totalité, puisqu'il est expurgé de certains éléments. On laisse la possibilité aux enquêteurs de conserver les pièces importantes, ce qui leur permet d'avancer dans l'enquête.
L'étude d'impact du projet de loi rappelle que, dans la plupart des pays européens, le droit d'accès au dossier, le plus souvent lors de la garde à vue, et le droit de demander des actes d'enquête ou de participer à de tels actes et d'être informé de ses droits, figurent parmi les droits les plus fréquemment conférés à la personne en cours d'enquête.
Comme le disait le rapporteur, nous allons avancer progressivement. Le moment n'est sans doute pas opportun, mais il faudra que nous allions vers davantage de transparence, tout en préservant le « temps d'avance » des services de police et de gendarmerie, qu'a évoqué M. le garde des sceaux.
Les amendements précisent bien le cadre dont il est question, à savoir une convocation en vue d'une audition libre ou d'une garde à vue. J'entends vos réactions : lorsque la police enquête encore, on peut avoir besoin d'un temps pour rassembler des preuves, des éléments qui sont autre chose que des présomptions. Peut-être que le moment n'est pas encore venu, mais il faudra y penser.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL94 de M. Ugo Bernalicis.
Il vise à introduire à l'alinéa 9 la possibilité pour le procureur de la République de communiquer des pièces du dossier, non seulement, sous l'angle négatif, s'il estime que cette décision ne risque pas de porter atteinte à l'efficacité des investigations, mais aussi selon les charges accumulées ou le critère intrusif de l'enquête préliminaire, par exemple, si des perquisitions ont eu lieu. À ce moment, le procureur peut décider de donner accès à tout ou, le plus souvent, partie du dossier. Les nombreux parquetiers avec lesquels j'ai échangé, dans différents domaines, m'ont indiqué que cela peut déjà se pratiquer. Nous ne changeons donc rien par rapport à ce qu'il est possible de faire. L'amendement incite à un dialogue, un échange avec les avocats, quelle que soit la partie. La précision semble donc intéressante, bien qu'elle ne change pas radicalement la pratique actuelle.
Aujourd'hui, le procureur peut ouvrir au contradictoire. Or il le fait très peu. Je ne suis pas certain qu'il y soit davantage enclin avec votre précision.
Vous proposez un dispositif complexe : à son initiative, le procureur ouvre au contradictoire et augmente le niveau d'exigence du contradictoire qui s'impose à lui et qu'il offre, en fonction d'un niveau de charges élevé et du caractère intrusif des investigations qu'il doit mener. Tout cela est très subjectif. Il n'y a pas de cadre référentiel pour savoir à quel niveau de contradictoire correspond tel niveau d'intrusion. La précision, intéressante sur le plan philosophique ou théorique, ne semble pas opérationnelle. L'enquête n'est pas organisée par nos parquetiers dans le souci d'ouvrir plus largement, plus spontanément et plus normalement au contradictoire. C'est la raison pour laquelle nous voulons resserrer le temps de l'enquête préliminaire et obliger à ouvrir au principe du contradictoire, à travers les dispositions que nous examinerons ultérieurement.
Là encore, votre amendement est d'inspiration syndicale – pourquoi pas. Vous évoquez « l'importance des charges accumulées », qui devrait permettre l'ouverture au contradictoire. « Charges » n'est pas le mot juste. Au moment de l'enquête, nous sommes sur des « raisons plausibles » ; lors de la mise en examen, sur des « indices graves et concordants ». Il est question de « charges » lorsque les « indices graves et concordants » permettent de renvoyer devant la juridiction. Quant aux « preuves », elles permettent de condamner. Il est donc curieux de parler de « charges » au moment de l'enquête préliminaire.
Pour le reste, pour les raisons évoquées par le rapporteur, je suis totalement opposé à l'amendement.
Certes, l'amendement est d'inspiration syndicale, mais ce ne sont pas les dispositions exactes que le syndicat proposait. Par ailleurs, je ne crée pas un dispositif de toutes pièces. Je me suis contenté de modifier votre alinéa 9, qui introduit une possibilité pour le procureur, non une obligation.
L'amendement souligne que le procureur doit non seulement se demander si la communication du dossier nuira à l'efficacité des investigations mais aussi si des « charges » ou « raisons plausibles », si vous voulez – nous pourrons modifier le terme d'ici à la séance –, ou un caractère intrusif des investigations le justifient. Pour le reste, votre projet de loi est respecté.
Si vous critiquez le reste du dispositif dans lequel s'insère l'amendement, vous vous critiquez vous-même. Cela vous regarde. On a le droit de se critiquer soi-même, d'avoir un regard critique, de prendre de la distance, mais je ne suis pas sûr que ce soit votre objet.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL348 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier, CL430 de M. Aurélien Taché et CL506 de M. Paul Molac, et CL188 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune).
Nonobstant ce qui vient d'être dit, je défends l'amendement CL348, qui vise à renforcer les droits de la défense et le contradictoire dans l'enquête préliminaire, en donnant la possibilité de présenter des observations, des demandes d'actes et des requêtes en nullité. Il s'agit pour l'essentiel d'éviter de conduire jusqu'en phase de jugement des infractions prescrites ou non caractérisées, des procédures manifestement mal dirigées ou dans lesquelles des actes à décharge ou des vérifications indispensables n'ont pas été accomplis.
L'amendement CL506 prévoit la possibilité d'avoir accès à certains actes et celle de pouvoir les contester.
Aujourd'hui, un avocat peut solliciter un acte du procureur, dans le cadre d'une enquête préliminaire, pour le compte d'un client. Naturellement, l'exercice est limité puisque l'avocat n'a pas accès à l'enquête préliminaire. En cas de refus, vous offrez la possibilité de faire appel devant la chambre de l'instruction. Je crains que cela ne crée une embolie de la chambre. Il faudra gérer des demandes d'actes fantaisistes, formulées dans une volonté d'obstruction. Si vos demandes d'actes, que vous jugez pertinentes pour la manifestation de la vérité, sont refusées, vous n'hésiterez pas à porter la difficulté devant la formation de jugement ou le magistrat instructeur lorsque des suites seront données à l'enquête préliminaire.
Je vous demande donc de retirer ces amendements. À défaut, j'y serai défavorable.
Les amendements envisagent aussi de formuler des requêtes en nullité ou de présenter des demandes d'actes avec un recours devant le juge des libertés et de la détention. Or, il n'est pas le juge qui examine la nullité ou de tels recours. Le rapporteur a expliqué le rôle singulier que nous souhaitions voir confié à la chambre de l'instruction, qui n'est pas non plus le juge d'appel de l'enquête.
Ces amendements nous conduiraient à remanier complètement les règles de la procédure pénale et à réécrire le code. Vous êtes allés très loin. Certes, la chance sourit aux audacieux. Pour autant, mon avis sera défavorable.
Les amendements CL348, CL506 et CL188 sont retirés.
La commission rejette l'amendement CL430.
Amendement CL322 de M. Dimitri Houbron.
Il vise à ajouter dans le texte que le contradictoire de l'enquête préliminaire ne devra donner accès qu'aux actes d'enquête qui sont terminés. Accorder l'accès aux actes d'enquête en cours ferait perdre tout intérêt au principe même de l'enquête de police et du rôle de la justice de façon générale, qui vise à poursuivre la manifestation de la vérité. Les écoutes téléphoniques, par exemple, qui pourraient être divulguées à la personne concernée, mineraient l'efficacité de l'enquête.
La communication ne concernera que les pièces figurant dans le dossier. Des actes d'enquête qui seraient en cours de réalisation et qui n'auraient pas regagné le dossier du procureur ne pourront pas être communiqués. De même, si une commission rogatoire est en cours, il faut attendre son issue pour que les pièces regagnent le dossier du juge d'instruction.
L'amendement est satisfait. Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.
Les actes en cours ne font pas partie du dossier : la question ne se pose donc pas. L'amendement paraît superfétatoire. C'est la raison pour laquelle je vous suggère de le retirer.
J'en suis surpris car un professionnel, M. François Molins, avait signalé ce point. Je vous fais cependant confiance si vous dites qu'il est impossible de communiquer des pièces sur l'enquête en cours. Je retire l'amendement.
L'amendement est retiré.
Amendement CL95 de M. Ugo Bernalicis.
Il vise à supprimer le mot « notamment » au début de l'alinéa 10, pour dire clairement sur quoi portent les observations. La formulation sera alors plus restrictive.
Le mot « notamment » est utile : il permet d'avoir toute latitude pour faire des observations. Avis défavorable.
Avis très défavorable. Le mot « notamment » protège le justiciable : il lui est favorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL578 et CL579 du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements identiques CL272 de M. Stéphane Peu, CL349 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier et CL507 de M. Paul Molac ainsi que les amendements CL186 et CL187 de Mme Cécile Untermaier, qui faisaient tous l'objet d'une discussion commune.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL580 du rapporteur.
Amendements identiques CL96 de M. Ugo Bernalicis, CL157 de Mme Marie-France Lorho, CL220 de M. Didier Paris, CL269 de M. Stéphane Peu, CL306 de M. Pascal Brindeau, CL320 de M. Dimitri Houbron, CL404 de Mme Laurence Vichnievsky, CL421 de M. Sacha Houlié et CL457 de Mme Sylvia Pinel, et CL478 de Mme Laetitia Avia, CL426 de M. Sacha Houlié et CL321 de M. Dimitri Houbron (discussion commune).
L'amendement CL96 vise à supprimer l'alinéa 14, qui prévoit que la personne ayant été publiquement présentée dans des médias comme coupable de faits faisant l'objet de l'enquête dans des conditions portant atteinte à sa présomption d'innocence, peut accéder à son dossier. La disposition peut paraître séduisante mais j'ai vu tous les cas de figure dans la presse, toutes les machinations imaginables en la matière – des articles de presse pour faire ouvrir des enquêtes, alors que le dossier n'avait pas de fondement, des ouvertures d'enquête sur un dossier réel, qui méritait d'être poursuivi, notamment.
Une personne qui a une importance certaine pourra organiser de vraies fausses fuites sur son cas par un organe de presse. Elle montrera alors qu'elle a été mise en cause et pourra avoir accès au dossier, quand toutes les autres personnes se trouveront face à un procureur qui aura seulement la possibilité de donner accès au dossier, conformément aux alinéas précédents de l'article 2.
Cela introduit une inégalité entre les justiciables, en fonction d'éléments externes sur lesquels le justiciable pourrait avoir la main. Introduire du contradictoire, donner accès au dossier, faire en sorte que le procureur communique, pour établir une partie de la vérité quand des mensonges sont commis par voie de presse, rappeler la loi relative à la présomption d'innocence, tout cela est très bien. Mais inscrire dans le marbre qu'une personne présentée publiquement comme coupable peut avoir accès aux éléments de l'enquête me semble cavalier, alors que je suis un ardent défenseur de l'accès au dossier.
L'alinéa 14 présente plusieurs difficultés. La première est le risque d'un traitement inégal des citoyens, entre ceux qui sont médiatisés et les autres. La seconde est le risque d'instrumentalisation : un justiciable pourrait faire fuiter des informations pour bénéficier de l'accès au dossier. Même si l'alinéa 14 prévoit que les dispositions ne sont pas applicables lorsque les révélations émanent de la personne elle-même, l'article 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoit la protection du secret des sources journalistiques. Depuis 2007, une jurisprudence constante, notamment de la Cour européenne des droits de l'homme, avec l'arrêt Dupuis et autres contre France, considère le secret des sources des journalistes comme supérieur au secret de l'instruction. Bien que la disposition parte d'une bonne intention, nous craignons que son application présente des difficultés et entraîne une charge administrative considérable pour les services des greffes et des parquets.
La disposition est très critiquée par les professionnels de la justice, du moins par ceux que la commission a entendus dans le cadre des auditions préalables à l'examen du texte.
Elle est d'abord critiquée pour son imprécision. Indépendamment de la personne présentée comme coupable, la référence aux « médias » est très vague. On ne sait pas si elle inclut les réseaux sociaux, si une dénonciation sur Twitter suffit ou si elle doit avoir lieu dans au moins deux médias, puisque le mot est au pluriel. En matière de procédure, la détermination précise des événements conditionnant l'ouverture d'une voie de droit est essentielle pour la sécurité juridique.
La seconde raison, que mes collègues ont évoquée, est que la disposition pourrait être utilisée par les auteurs d'infractions comme un biais pour mettre un terme prématuré à certaines enquêtes pouvant les gêner. Il est parfois nécessaire que des éléments de preuve soient rassemblés à l'insu de la personne soupçonnée. C'est une des prérogatives dont dispose le parquet et, sous son autorité, les services de police judiciaire. Il faut veiller à ne pas créer un régime de procédure différenciée, selon la notoriété des personnes suspectées, les plus connues bénéficiant de fait de l'impossibilité pour le parquet de diligenter à leur encontre une enquête préliminaire. Je reviendrai dans l'hémicycle sur les similitudes existant avec les affaires de délinquance financière.
Il est essentiel de maintenir l'équilibre entre la protection des droits de la défense et la lutte contre l'impunité. C'est un facteur de sécurité juridique auquel le groupe MoDem est très attaché.
Ces amendements identiques étant défendus par de nombreux groupes, y compris de la majorité, j'attends avec impatience l'avis de notre rapporteur.
Il arrive en effet que le secret de l'enquête ne soit plus que théorique. On peut le regretter, mais c'est un fait. Des personnes sont exposées au tribunal médiatique ou à celui des réseaux sociaux sans même avoir la possibilité de consulter le dossier pour se défendre, alors que des personnes extérieures à la procédure ont accès à ces éléments et s'en servent pour alimenter ledit tribunal.
J'entends néanmoins ce que disent les collègues et les personnes que nous avons auditionnées. D'une part, il existe le risque que la fuite soit organisée par la personne elle-même ou par son avocat pour pouvoir consulter le dossier. D'autre part, on peut se demander ce que signifie « être présenté comme coupable » : souvent, on va utiliser le conditionnel ou d'autres formulations qui pourraient ne pas faire entrer ce type de propos dans cette catégorie.
D'où la rédaction que nous proposons : les dispositions prévues à l'article seront applicables lorsqu'il aura été gravement porté atteinte à la présomption d'innocence de la personne par un moyen de communication au public, étant précisé qu'elles ne le seront pas si les révélations émanent de la personne elle-même ou de son avocat, directement ou indirectement, ou que l'enquête porte sur des faits relevant de certains articles du code de procédure pénale. Ces garanties supplémentaires permettraient de mieux encadrer le dispositif et de répondre aux interrogations légitimes qui ont été soulevées dans le cadre des auditions.
Dans le même esprit, je propose que les dispositions prévues par l'article ne s'appliquent pas en cas de fuite organisée non seulement par la personne intéressée, mais aussi par son conseil.
Je suis favorable à l'amendement CL478 présenté par Laetitia Avia et le groupe La République en Marche, et défavorable à tous les autres amendements en discussion commune, en particulier à ceux tendant à supprimer l'alinéa.
Ce qui est visé ici, c'est la situation suivante : une personne fait l'objet d'une campagne médiatique, dans le cadre de laquelle on la présente comme ayant commis des faits particulièrement infamants. Il ne s'agit pas d'un cas d'école : c'est une réalité vécue par certains de nos concitoyens. Imaginez la déflagration que provoque chez cette personne, si elle est innocente, le fait de voir son nom sali et jeté en pâture ! Or elle n'a pas accès à son dossier et n'a donc pas connaissance des éléments concrets sur la base desquels elle est présentée à l'opinion publique comme ayant commis des faits relevant du pénal.
Des situations de ce type ne sont pas acceptables. Elles doivent cesser. Permettre dans ce cadre à la personne concernée d'accéder à son dossier me semble une très bonne idée.
Il est toutefois vrai que la rédaction actuelle de l'alinéa 14 n'est pas très heureuse, puisque sont visées les personnes « publiquement présentées dans des médias comme coupables ». C'est évidemment bien plus subtil que cela : en général, on ne jette pas en pâture une personne dans la presse sans prendre un minimum de précautions oratoires ; on emploie notamment la fameuse expression selon laquelle la personne est « présumée innocente », mais personne n'est dupe quant à la volonté de porter atteinte à l'honneur de celle-ci.
Le groupe LaREM propose une formulation qui me paraît beaucoup plus rationnelle, parce qu'elle fait référence à une atteinte grave à la présomption d'innocence, ce que la jurisprudence est tout à fait à même d'apprécier. C'est une bonne boussole. D'autre part, elle permettrait de prendre en considération non seulement les campagnes menées dans la presse dite traditionnelle, mais aussi celles alimentées sur les réseaux sociaux : on le sait, il est très facile de se répandre sur un individu dans ces nouveaux médias.
Puisqu'il est question dans ce projet de loi de confiance dans la justice, imaginez la perte de confiance dans l'institution que peut ressentir un individu jeté en pâture dans la presse ! En permettant de regagner cette confiance grâce à un accès au dossier et à la possibilité de présenter des éléments à décharge, il me semble que nous sommes au cœur des préoccupations de ce texte.
Pour ne rien vous cacher, je suis inquiet quand j'entends Mme Vichnievsky dire que les professionnels sont contre. Contre quoi sont-ils ? Contre le renforcement de la présomption d'innocence ? Contre le contradictoire ?
Je vais vous raconter une histoire. Lorsque j'étais avocat, je me suis retrouvé sur un plateau de télévision. C'était une affaire dont on parlait beaucoup. Deux journalistes d'un grand quotidien du soir ont déclaré, sans aucune difficulté, comme si c'était normal – on banalise parfois des choses graves – qu'ils avaient en leur possession l'intégralité du dossier de M. X. On en était au stade de l'enquête préliminaire. M. X n'avait évidemment pas accès à son dossier – ni lui ni son avocat. Et tout cela allait feuilletonner, avec une certaine forme de délectation, de gourmandise.
Je le répète : ce genre de situation est gravement attentatoire aux droits de l'homme. Nos concitoyens qui prendront connaissance de notre travail et de cet article ne pourront pas être contre ces dispositions. Comment fait-on quand on se réveille le matin et qu'on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé, qu'on ignore quels sont les reproches et les griefs qui nous sont adressés, sur la base de quels éléments on est suspecté ? Qu'on voit régulièrement son nom cité dans la presse, qu'on est maltraité et qu'on ne peut même pas se défendre ? Je ne peux pas citer de noms, certaines de ces affaires étant en cours, mais nous avons tous à l'esprit des dossiers de cette nature.
Et il paraît que des professionnels sont contre ce que nous proposons ? Eh bien, moi, je trouve cela très inquiétant, parce que c'est l'une des mesures les plus enthousiasmantes de ce texte ; elle n'accorde nullement l'impunité à certains, mais consiste à dire à nos concitoyens qu'ils ont le droit de savoir ce qu'on leur reproche, donc comment se défendre – ce qui est quand même la moindre des choses.
J'entends dire que les gens connus et les inconnus ne bénéficieront pas du même traitement – mais enfin, à qui s'intéresse la presse, sinon en priorité aux gens connus ? Il existe de ce point de vue une différence et il est vrai qu'il y a de ce fait une inégalité de traitement. Quelqu'un de connu – un politique, un sportif, un chanteur, un acteur – se trouve dans l'impossibilité de se défendre ; nous y remédions, et les professionnels sont contre cela ? Eh bien, moi, je trouve cela très inquiétant.
Je suis attaché à cette disposition comme à la prunelle de mes yeux. C'est une véritable innovation, et c'est un progrès en matière de droits de l'homme.
Évidemment, nous avons songé à l'hypothèse d'une personne qui aurait suffisamment d'entregent pour faire fuiter des choses dans la presse et obtenir le bénéfice du contradictoire – encore que, dans le cas d'une affaire de mœurs, par exemple, ce soit difficilement envisageable. C'est précisément pourquoi nous prévoyons que la disposition ne sera pas applicable si les révélations émanent de la partie mise en cause. Alors, bien sûr, vous allez me demander, monsieur Bernalicis, comment on fera pour en apporter la preuve. Certes, mais quel système préfère-t-on ? L'actuel ou celui vers lequel nous nous dirigeons et qui permettra à tous nos concitoyens d'avoir la certitude que l'enquête préliminaire ne durera plus ad vitam æternam – on devrait d'ailleurs la qualifier non pas de « préliminaire », mais d'« éternelle ». Certaines procédures durent depuis quatre ou cinq ans ; de temps en temps, on reçoit un petit papier, qui nous rappelle qu'untel ou une telle aurait fait telle ou telle chose. C'est insupportable !
Cet écueil existe, mais disons les choses clairement : lorsque la police, par exemple, viole le secret de l'enquête, elle sait très bien qu'elle est à l'origine de la violation ; et lorsqu'elle ne le viole pas, ce qui est fort heureusement très souvent le cas, elle le sait également. Je sais d'expérience que quand on dépose une plainte pour violation du secret de l'enquête ou de l'instruction, statistiquement, elle a très peu de chances d'aboutir. Ne comptez pas sur les journalistes pour dire d'où ils tirent leurs informations – c'est d'ailleurs normal : le secret des sources est protégé. Mais tous ceux qui connaissent un peu le monde judiciaire savent très bien qu'il existe entre eux et certaines personnes des petits arrangements qui perdurent dans le temps. On ne peut pas le dire, mais cela existe !
Alors, moi, je voudrais mettre un peu d'ordre dans tout ça. Et si les révélations émanent de la personne concernée, que le gredin a bien fait son coup et qu'on n'arrive pas à démontrer qu'il est à l'origine de la fuite, que risquera-t-on, au pire, monsieur Bernalicis ? Que le contradictoire soit ouvert ? À tout prendre, n'est-ce pas mieux que pas de contradictoire du tout ? Ne vouliez-vous pas, il y a un instant, l'étendre au stade de la garde à vue ? On ne peut pas dire tout et son contraire. Et entre deux maux, il faut savoir choisir.
Je pense pour ma part qu'aucun professionnel ne devrait avoir peur du contradictoire, ni du respect de la présomption d'innocence. D'ailleurs, nous sommes cohérents, puisque nous essayons de renforcer cette dernière ; il y a eu trop de dérives, il faut que cela s'arrête. Nous souhaitons d'autre part rappeler qu'une enquête préliminaire ne dure pas quatre ou cinq ans, ou le temps qu'on veut, à la carte, mais qu'elle est enserrée dans des délais ; c'est là un réel progrès. Et nous voulons enfin mettre fin à ces situations invraisemblables où l'on met publiquement en cause quelqu'un qui ne sait rien du dossier qui le concerne alors que certains journalistes disposent des procès-verbaux de ses auditions. On est chez les fous !
C'est pourquoi je suis arc-bouté sur cette disposition, qui me semble une véritable avancée et que je défendrai bec et ongles, et suis en conséquence défavorable à tous les amendements, hormis celui de Mme Avia, qui rédige de manière plus claire, plus cohérente et plus équilibrée l'alinéa 14 – je reconnais que nous aurions dû être plus précis dans la formulation.
Ce que je trouve pour ma part inquiétant, monsieur le ministre, c'est que vous puissiez autant travestir mes propos – je n'ose imaginer que vous fassiez preuve de malhonnêteté intellectuelle. Je crois que l'ensemble de mes collègues ont compris que j'étais opposée à cette disposition telle qu'elle était rédigée, position d'ailleurs exprimée aussi par mes ex-collègues et par vos anciens confrères lors des auditions. Nous pouvons reprendre l'ensemble des comptes rendus : je crois qu'ils ne me démentiront pas. J'en veux pour preuve que neuf amendements de suppression de l'alinéa ont été déposés par des députés issus de groupes politiques différents : cela signifie bien que cette disposition, telle qu'elle est rédigée, suscite une opposition.
Laisser entendre, en creux, que je serais ou que d'autres professionnels de la justice seraient opposés au respect de la présomption d'innocence et à l'ouverture au contradictoire, c'est malhonnête et bien inquiétant. Je dois dire que je suis affectée par la teneur de vos propos.
Cela étant, si j'ai demandé la parole, c'est pour saluer la proposition de nouvelle rédaction de l'alinéa. Je crois néanmoins que si cette proposition a été formulée, c'est parce qu'un certain nombre d'amendements de suppression, aux exposés très argumentés, ont été déposés – vous aviez d'ailleurs eu la faiblesse de me l'indiquer lorsque vous aviez été invité par notre groupe politique.
La rédaction proposée par Mme Avia est bien plus pertinente et répond aux difficultés que nous avions soulignées, à savoir la définition floue des médias et l'expression « présentée comme coupable ». La seule observation que je ferai, mais elle est minime, c'est qu'en raison du secret des sources des journalistes, il sera bien difficile de rapporter la preuve que l'auteur de la fuite est la personne mise en cause ou son avocat.
Je suis très favorable à la proposition de réécriture de notre collègue Laetitia Avia et tout à fait opposée aux amendements de suppression de l'alinéa. On ne compte plus le nombre de dossiers dans lesquels des personnes simplement mises en cause et qui bénéficient de la présomption d'innocence – qui est, rappelons-le, un principe à valeur constitutionnelle – sont présentés comme coupables, sans qu'elles aient la possibilité de se défendre puisqu'elles n'ont pas accès au dossier. Que peuvent-elles faire ? Déposer une plainte pour violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ? Cela ne fonctionne pas. Déposer une plainte pour diffamation ? Cela non plus ne fonctionne pas, la justice sursoyant à statuer dans l'attente que l'enquête aboutisse. Qui peut accepter cela ? La moindre des choses, c'est de donner à la personne concernée la possibilité d'accéder à son dossier.
Quant au risque que les personnes mises en cause fassent elles-mêmes fuiter des informations, je n'y crois pas beaucoup. Quand on fait la balance entre coûts et avantages, je peux vous dire qu'on y réfléchit à deux fois avant de laisser des informations entre les mains de certains journalistes.
Sans doute nous sommes-nous mal compris, madame Vichnievsky. Je n'ai pas dit que vous étiez contre la présomption d'innocence ou la mise en place du contradictoire, j'ai dit que vous aviez évoqué le fait que des professionnels soient contre. Ce qui m'inquiète, c'est que certains professionnels puissent être contre une telle disposition ; en particulier, les syndicats de magistrats y sont opposés, alors que c'est une disposition qui constitue, de mon point de vue, une véritable avancée. Jamais je n'ai évoqué votre position personnelle – vous pourrez le vérifier puisque les débats sont filmés, comme le seront bientôt, je l'espère, les audiences devant certaines juridictions. D'ailleurs, j'avais lu préalablement l'exposé sommaire de votre amendement. Je n'ai jamais eu l'intention de vous blesser d'une quelconque façon. Si je l'ai fait involontairement, je vous présente des excuses.
Si je comprends pour ma part le dépôt des amendements de suppression de l'alinéa, la rédaction du texte pouvant laisser soupçonner un vide, je considère, comme vous, monsieur le ministre, que le vrai scandale, ce sont les fuites dans la presse. On est incapable de garantir le secret de l'enquête, et cela fait des années que cela dure. Dès lors, il faut en tirer les conclusions et prendre des dispositions pour rendre leur dignité aux personnes présumées innocentes. C'est pourquoi je soutiendrai l'amendement de notre collègue Avia, qui, sans changer le sens initial du texte, apporte des précisions bienvenues. Entre la préservation du secret de l'enquête et une ouverture peut-être abusive du contradictoire, il n'y a pas pour moi photo : je choisis clairement le risque de l'instrumentalisation, afin d'éviter les effets délétères sur les personnes incriminées.
J'abonderai dans le sens de notre collègue Untermaier, en cohérence avec ce que je disais sur la garde à vue et le fait que l'avocat n'avait pas besoin d'avoir accès au dossier. Chacun son rôle, chacun sa mission, dans le respect du secret de l'enquête, qui doit être absolu. Mais à partir du moment où l'une des parties à la procédure décide de faire fuiter ou de communiquer des éléments du dossier, comme les procureurs de la République ont la possibilité de le faire, il convient de respecter le principe de l'égalité des armes : tout le monde doit disposer des mêmes informations pour pouvoir s'expliquer. C'est pourquoi la condition que la personne ait été publiquement présentée dans les médias comme coupable ne suffit pas, car les médias ont généralement la prudence de désigner les gens comme des « présumés coupables », ce qui peut prêter à confusion.
Ce qui me gêne d'ailleurs dans l'amendement de Mme Avia, c'est qu'il fixe comme condition qu'il ait été « gravement » porté atteinte à la présomption d'innocence. La notion est subjective. Pour moi, être mis en cause dans les médias au motif que je fais l'objet d'une poursuite, c'est grave. Peut-être faudrait-il revoir la formulation.
Je pense que notre collègue Savignat a raison : dès lors qu'il y a atteinte à la présomption d'innocence, elle n'a pas besoin d'être qualifiée.
Cécile Untermaier a fait observer avec justesse que la sanction de l'ouverture au contradictoire en cas de fuites dans la presse permettra peut-être, paradoxalement, de faire respecter le secret de l'enquête – ce que l'on cherche à faire en vain depuis des années.
Je crois que nous sommes tous d'accord sur l'objectif. Toutefois, l'amendement de Mme Avia pourrait prêter à interprétation. L'avancée, ce serait l'automaticité du mécanisme. Ce qui protégera la défense, ce qui, par sa vertu pédagogique, permettra d'éviter les fuites, c'est le fait que le contradictoire devienne automatique dès que la presse fait mention de faits attachés à une personne nommément citée. Nul besoin d'interprétation. Il faudrait à mon sens opter pour une rédaction plus simple.
Si j'ai ajouté « gravement », c'était pour prendre en considération le risque de fuites organisées : s'il s'agit d'une atteinte grave, cela pèse dans la balance. Dès lors que des garanties sont apportées, en précisant que les dispositions ne s'appliqueront pas si les révélations émanent de la personne elle-même ou de son avocat, directement ou indirectement, je reconnais que c'est un peu redondant. Je ne m'opposerai donc pas à un sous-amendement visant à supprimer « gravement ».
Nous considérons donc que M. Savignat présente un sous-amendement CL659 tendant à supprimer le mot « gravement ».
La commission rejette les amendements identiques.
Elle adopte le sous-amendement CL659 de M. Antoine Savignat.
Puis elle adopte l'amendement CL478 sous-amendé.
En conséquence, les amendements CL426 et CL321 tombent.
Amendements identiques CL350 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier et CL431 de M. Aurélien Taché.
L'article 2, en son alinéa 15, modifie l'article 77- 2 du code de procédure pénale et l'obligation faite au procureur de la République, lorsque l'enquête lui paraît terminée, d'aviser le suspect ou son avocat qui ont demandé l'accès au dossier un an après la garde à vue ou l'audition libre de la mise à disposition d'une copie de la procédure. Toutefois, la nouvelle rédaction de l'article supprime la possibilité de formuler des demandes d'actes utiles à la manifestation de la vérité dans un délai d'un mois, pourtant initialement prévue par l'article 77-2. Cette suppression me semble aller à l'encontre du renforcement du contradictoire dans l'enquête préliminaire. C'est pourquoi le présent amendement tend à rétablir, après la mise à disposition d'une copie de la procédure par le procureur, la possibilité de formuler des demandes d'actes utiles à la manifestation de la vérité dans un délai d'un mois.
Cette possibilité est déjà prévue à l'alinéa 10. La seule chose qu'ajoute l'amendement, c'est qu'elle s'exerce dans un délai d'un mois. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
L'amendement CL350 est retiré.
La commission rejette l'amendement CL431.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL581 du rapporteur.
En conséquence, les amendements CL158 de Mme Marie-France Lorho, CL189 de Mme Cécile Untermaier et CL97 de M. Ugo Bernalicis tombent.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL159 de Mme Marie-France Lorho.
Elle adopte successivement les amendements de précision CL582 et rédactionnel CL583 du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL330 de M. Benjamin Dirx.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL584 du rapporteur.
En conséquence, les amendements identiques CL270 de M. Stéphane Peu, CL351 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier et CL432 de M. Aurélien Taché tombent.
Amendement CL560 du rapporteur.
Cet amendement vise à combler un oubli dans le code de procédure pénale, en précisant que les observations de la personne mise en cause ou de la victime doivent être versées au dossier pour que la juridiction concernée puisse apprécier les suites à leur donner.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels identiques CL640 du rapporteur et CL160 de Mme Marie-France Lorho.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnel CL561 et de coordination CL562 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 2 modifié.
Article 3 (art. préliminaire, 56‑1, 60‑1‑1 [nouveau], 77‑1‑1, 99‑3, 100 et 706‑96 du code de procédure pénale) : Préservation du secret professionnel de la défense dans la procédure pénale
Amendements identiques CL59 de M. Antoine Savignat, CL190 de Mme Cécile Untermaier, CL221 de M. Didier Paris, CL262 de Mme Marie-George Buffet, CL352 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier, CL388 de Mme Constance Le Grip, CL394 de M. Ugo Bernalicis, CL433 de M. Aurélien Taché, CL458 de M. Paul Molac, CL 479 de Mme Naïma Moutchou, CL490 de M. Philippe Latombe, sous-amendement CL644 du rapporteur, amendements identiques CL312 de M. Pascal Brindeau et CL390 de M. Erwan Balanant, amendement CL1 de Mme Brigitte Kuster (discussion commune).
Mon amendement vise à ce que les dispositions relatives au secret professionnel incluses dans le projet de loi couvrent toutes les activités professionnelles de l'avocat, à savoir ses activités de conseil et de défense, au-delà du simple secret de la défense qui ne couvre que le champ pénal. Les personnes auditionnées dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi craignent que l'alinéa 3, telle qu'il est rédigé, fragilise le secret professionnel des avocats plutôt qu'il ne le renforce.
La déontologie m'impose de préciser cet amendement m'a été inspiré par le Conseil national des barreaux, mais je partage le point de vue ainsi exprimé.
Ce que le justiciable déclare à son avocat relève du secret de la défense : cela lui appartient, et ne doit pas être divulgué. En toute logique, ce qu'il va raconter pour demander des conseils et savoir s'il doit ou non aller au contentieux devrait aussi être couvert par le secret. À défaut, si l'on pouvait être informé de ce qui est dit dans le cadre d'une consultation de conseil, on serait à armes inégales ; je sais bien que ce n'est pas dans ce sens que va le texte, mais il serait préférable de préciser ici que le secret couvre à la fois l'activité de défense et celle de conseil. Ainsi, le débat serait clos et l'on pourrait avancer.
Il s'agit là d'un sujet important. On ne peut parler de confiance sans évoquer la question du secret.
Au préalable, je tiens à souligner que ce qui est proposé dans ce texte est une avancée majeure, qui est attendue depuis longtemps. Je remercie le ministre de s'être saisi de la question, parce que protéger le secret professionnel, ce n'est bien évidemment pas protéger l'avocat, c'est protéger le justiciable. L'existence d'une relation de confiance entre l'avocat et son client tout au long de la procédure est indispensable ; c'est une garantie démocratique essentielle.
Ce que nous proposons à travers cet amendement, c'est une simple précision afin de lever tout doute.
Le secret professionnel démarre dès que le client entre en contact avec son avocat. Cela couvre évidemment l'activité de défense stricto sensu, celle du contentieux, de la procédure, mais aussi l'activité de conseil. Nous proposons que cela soit inscrit noir sur blanc dans la loi, afin de prendre acte de cette évolution historique, et cela tous ensemble – puisque nous avons tous déposé des amendements identiques ou presque. À titre personnel, j'en suis très heureuse, parce que c'est un combat qui était mené depuis plusieurs années, jusqu'à présent sans succès, contre une jurisprudence prétorienne qui ne s'expliquait pas.
J'abonderai dans le sens de notre collègue Moutchou : l'accompagnement par l'avocat n'est plus limité, en particulier depuis la fusion de la profession de conseil juridique et de celle d'avocat telle qu'on la pratiquait auparavant. Je pense que nous ne pouvons que nous enorgueillir de permettre à tout justiciable de bénéficier, en amont de la procédure ou dans le cadre de celle-ci, du secret des échanges, de la correspondance et de tout ce qui va avec la consultation d'un avocat. Il y va de la confiance de nos concitoyens envers les institutions, dont les auxiliaires de justice que sont les avocats font partie.
Ces amendements en discussion commune soulèvent un débat important : la protection de l'activité d'avocat. Pourquoi est-ce si épineux ? Parce que l'avocat exerce en réalité deux missions qui pourraient être appréhendées distinctement, comme le fait le projet de loi.
Il y a, d'une part, la défense des personnes poursuivies par l'autorité publique ; sur ce point, tout le monde est d'accord : les échanges doivent être revêtus de la plus parfaite confidentialité et bénéficier du régime de protection le plus élevé. Et il y a, d'autre part, l'activité de conseil, qui s'adresse à des personnes qui ne sont pas poursuivies pénalement. En apparence, l'avocat joue ici le rôle que pourrait jouer un notaire, un conseiller fiscal ou un juriste au sens large du terme. Or ces professions ne bénéficient pas de protection. On pourrait en déduire que l'activité en elle-même ne vaut pas d'être entourée de garanties.
On aurait tort, car ce faisant, on oublierait un élément essentiel : c'est que les clients peuvent passer d'une catégorie à l'autre et que c'est souvent pour cela qu'ils vont voir un avocat. Celui qui prend conseil parce qu'il s'attend à être prochainement poursuivi ou parce qu'il sait avoir commis une infraction pénale prépare en réalité déjà sa défense. Saisir les documents officiellement liés à l'activité de « conseil » au cours d'une perquisition, c'est piétiner les droits de la défense.
Je suis donc favorable à la première série d'amendements identiques. Je me contenterai de vous soumettre un sous-amendement de précision visant à modifier la formulation. Je propose que nous choisissions de protéger « le secret de la défense et du conseil, tel que prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ». Nous ferions ainsi référence à des notions connues et répondrions, je crois, à la volonté exprimée par presque tous les groupes politiques représentés au sein de cette commission.
Nous allons partir d'un triste constat : le secret professionnel, qui ne protège pas l'avocat, mais son client, est mort depuis longtemps ; tous ceux qui, comme moi, ont exercé la profession d'avocat le savent. Ils ont vu ce secret professionnel, pourtant essentiel, se déliter au point que certains estiment que le secret des sources ou le secret médical sont plus efficaces.
Or il n'y a pas de défense sans secret : un homme ou une femme qui confie ses intérêts à un avocat doit avoir la certitude que ce qu'il lui dit ne sortira pas de l'enceinte où il l'a prononcé, quel que soit le lieu – palais de justice ou cabinet –, tout comme ce qui est transmis, écrit ou élaboré ensemble. Le cabinet d'un avocat ne doit pas devenir l'annexe du commissariat de police. Il doit être sacralisé.
J'ai voulu remplacer le terme « secret professionnel » par celui de « secret de la défense », pour rappeler à nos compatriotes qu'ils peuvent avoir confiance et que ce secret les protège. Pourquoi ce changement ? Car le secret médical ne protège pas le médecin, il protège le patient ; le secret des sources ne protège pas le journaliste, il protège la source. De la même façon, le secret de la défense doit protéger le client, qui peut tout dire à son avocat. Dit-il toujours la vérité ? C'est un autre problème ! Il ne s'agit pas de protéger l'avocat et, si l'avocat est suspecté d'avoir commis une infraction, il est normal qu'il soit traité comme n'importe quel justiciable.
Dès l'origine, nous avons imaginé des garanties qui n'existaient pas – ou plus – et qui sont très protectrices du secret de la défense. Beaucoup d'avocats nous ont interrogés sur leur application aux professionnels, autres que les avocats, qui conseillent, au sens juridique du terme – plus communément appelés conseils.
J'ai quelques réserves. Le sous-amendement présenté par le rapporteur vise des amendements qui ne protègent que les avocats et les autres professions du droit seront moins protégées. C'est un bémol, et ce n'est pas rien. Nous y avons beaucoup réfléchi avec les services.
Je suis également circonspect pour une autre raison : en cas de procédure pénale, une telle extension interdirait de procéder à la saisie de tout document dont l'avocat serait l'auteur, même en tant que conseil juridique, et ce même en dehors des cas où l'avocat lui-même pourrait être considéré comme auteur ou complice d'une infraction.
Je vais malgré tout émettre un avis de sagesse bienveillante car beaucoup de députés, de sensibilités différentes, sont très attachés à ces évolutions, tant concernant le secret de la défense que s'agissant des conseils.
Je salue le sous-amendement proposé par notre rapporteur, qui a le mérite de la clarté. Durant les auditions, nous avons tout entendu, tant chacun envisage cette notion selon son propre prisme. Certains ont même parlé de secret de la défense pénale, considérant que ces dispositions ne devaient concerner que le pénal. Mais, monsieur le ministre, je crois que vous visez plus largement la défense des intérêts du client.
Je tiens également à vous remercier, monsieur le ministre, car vous avez beaucoup évolué et les échanges entre vous, vos équipes et l'Assemblée nationale ont été fructueux puisqu'ils aboutissent à cet avis de sagesse. Nous nous en réjouissons car l'amendement est porté par presque tous les groupes, soulignant l'importance que la commission des lois accorde la relation de confiance qui doit exister entre un client et son avocat.
La commission adopte successivement le sous-amendement et les amendements identiques sous-amendés.
En conséquence, les amendements CL312, CL390 et CL1 tombent.
Amendement CL249 de Mme Naïma Moutchou.
Il s'agit d'autoriser la présence de l'avocat pendant les perquisitions. À l'heure actuelle, elle n'est pas interdite et le perquisitionné peut toujours demander à être assisté par un avocat, mais la loi ne prévoit rien. Ce vide juridique entraîne certaines complications minimes, mais des complications malgré tout. Cette disposition ne viendra pas entraver les opérations puisque la perquisition pourra débuter sans la présence de l'avocat et, bien évidemment, sans délai.
Comme certains de vos collègues du groupe majoritaire, vous souhaitez que la personne qui fait l'objet d'une perquisition puisse faire appel à son avocat sans que cela fasse obstacle au bon déroulement de la perquisition, puisque cette dernière n'est pas différée dans l'attente de l'arrivée effective de l'avocat. Je m'interroge sur l'opérationnalité de votre dispositif, d'autant qu'il est déjà possible d'être assisté de son avocat.
La perquisition n'est pas une atteinte à la liberté des personnes, c'est une atteinte à leur propriété. La personne reste libre de faire ce qu'elle veut, y compris d'appeler son avocat. Vous souhaiteriez que les officiers de police judiciaire (OPJ) qui perquisitionnent informent systématiquement le perquisitionné qu'il peut appeler son avocat. Mais que se passe-t-il quand il n'en a pas ? Ou quand il vit dans un département où la permanence pénale n'est pas toujours bien organisée ?
Même si vous précisez que cela ne doit pas empêcher le bon déroulement de la perquisition, en pratique, je crains que tout le monde ne soit pas capable de mobiliser ce droit de manière effective, ce qui risque de compliquer le processus de perquisition. Peut-être faudrait-il réfléchir à une formulation plus opérationnelle pour la séance publique !
Je suis du même avis que le rapporteur. Certains points me chiffonnent…
L'amendement est retiré.
Amendement CL240 de Mme Naïma Moutchou.
Nous saluons l'avancée importante que constitue l'article 3 : désormais, le secret professionnel sera intégralement opposable aux services d'enquête.
En outre, l'article 3 garantit le respect du secret au cours de la procédure, en cas de perquisition du cabinet, de mise sur écoute des avocats ou d'exploitation des fadettes par les services d'enquête.
Notre amendement vise à apporter des garanties complémentaires lorsque la perquisition n'a pas lieu dans un cabinet d'avocats – ce qui représente l'immense majorité des perquisitions. Cela permettrait de protéger les consultations ou les mails échangés entre un avocat et un client.
L'amendement rappelle qu'on ne peut porter atteinte au secret professionnel que dans la mesure où il existe des raisons plausibles de soupçonner l'avocat d'avoir commis ou tenté de commettre l'infraction qui fait l'objet de la procédure.
Enfin, des garanties procédurales sont apportées avec une autorisation préalable du procureur et la possibilité pour le bâtonnier d'en contester la validité devant le juge des libertés et de la détention.
Vous modifiez les dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale, qui concernent donc les perquisitions de droit commun et visez le cas où, chez un individu lambda – et non chez un avocat –, on découvre par exemple un courrier échangé entre l'individu et l'avocat. Cela complexifie beaucoup la procédure de l'article 56…
En outre, si la perquisition permet de découvrir des documents médicaux, doivent-ils être couverts par le secret médical ? Ne s'agit-il pas d'un cas d'école ? Saisit-on vraiment beaucoup de correspondances entre avocat et client lors de telles perquisitions ?
Enfin, le secret des correspondances constitue déjà une protection : si le courrier ne comporte pas la mention « lettre officielle », il est couvert par la confidentialité et ne peut donc être utilisé en tant que tel comme élément à charge.
Pour l'ensemble de ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.
Les modifications apportées à l'article préliminaire du code de procédure pénale me semblent suffisantes.
Je veux bien réfléchir à une nouvelle rédaction pour la séance publique. Si le principe est dorénavant posé par l'article préliminaire du code de procédure pénale, notre amendement vous propose de garantir son effectivité.
Les services d'enquête ne doivent pas porter atteinte au secret professionnel, sauf s'ils soupçonnent la participation de l'avocat. Notre amendement met en place une procédure permettant d'assurer l'effectivité de la garantie lorsque les services d'enquête tombent sur une correspondance entre l'avocat et son client, sur le modèle de ce qui existe lors d'une perquisition dans un cabinet d'avocats ou lors de la mise sur écoute d'avocats.
Nous confions nos libertés aux services d'enquête, aux juges d'instruction, aux procureurs et cela mérite un encadrement. Contrairement à ce qu'indique le rapporteur, cela n'alourdit pas le dispositif puisque le principe est déjà prévu. Quand il y a trente à soixante perquisitions par an dans des cabinets d'avocats, les perquisitions chez les particuliers sont plus nombreuses, quotidiennes, et peuvent porter atteinte de manière effective au secret professionnel.
L'amendement est retiré.
Amendement CL655 du Gouvernement.
L'amendement prévoit que les perquisitions dans un cabinet d'avocat devront être autorisées par le juge des libertés et de la détention, et plus directement décidées par le procureur de la République ou le juge d'instruction. Il s'agit d'une garantie importante, le juge des libertés et de la détention évaluant les raisons plausibles de suspecter que l'avocat a commis l'infraction en relation avec la saisine.
Je ne ferai pas l'offense au ministre de l'accuser de défiance envers les procureurs et les juges d'instruction car je suis favorable à cet amendement. C'est une bonne chose que le juge des libertés et de la détention contrôle ce type de perquisition. Je le dis car cela nous évitera, dans le futur, de nous jeter à la figure des arguments réversibles.
La commission adopte l'amendement à l'unanimité.
Amendement CL241 de Mme Naïma Moutchou.
Avec mon collègue Raphaël Gauvain, nous avons déposé une série d'amendements sur la proportionnalité des perquisitions, actes intrusifs, qui le sont encore plus quand elles se déroulent dans les cabinets d'avocats. Notre amendement vise à préciser que le juge doit examiner la proportionnalité d'une telle perquisition au regard de la nature et de la gravité des faits.
J'y suis favorable. En pratique, le juge des libertés et de la détention devra bien sûr apprécier l'intérêt de faire une perquisition chez un avocat au regard de la nature et de la gravité des faits. Cela va sans doute mieux en le disant.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CL563 du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL279 de Mme Séverine Gipson.
Suivant le même avis, elle rejette successivement les amendements CL2 de Mme Brigitte Kuster, CL434 de M. Aurélien Taché, CL392 de M. Erwan Balanant, CL353 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier, CL161 de Mme Marie-France Lorho, CL191 de Mme Cécile Untermaier et CL138 de Mme Emmanuelle Ménard, soumis à discussion commune.
Amendement CL405 de Mme Laurence Vichnievsky.
La perquisition au cabinet d'un avocat ou à son domicile, le recueil de données électroniques le concernant et les interceptions sur sa ligne téléphonique doivent être strictement limités. Le projet de loi propose que ces réquisitions soient conditionnées par l'existence de raisons plausibles de soupçonner que l'avocat a commis ou tenté de commettre l'infraction qui fait l'objet de la procédure.
Notre amendement vise à maintenir l'exigence d'une implication personnelle pénale de l'avocat, renforçant ainsi les droits de la défense, mais aussi d'élargir cette implication à la commission ou à la tentative d'infractions connexes à celle qui fait l'objet de la procédure, permettant ainsi aux services en charge des enquêtes d'assurer plus efficacement la poursuite des infractions.
L'article 203 du code de procédure pénale définit la connexité notamment par le fait que les auteurs d'infractions connexes ont commis celles-ci pour faciliter ou consommer l'exécution des infractions principales, ou pour en assurer l'impunité. La loi doit trouver un juste équilibre entre la protection des droits de la défense et la lutte contre la criminalité. L'amendement trace ainsi les bornes déontologiques de la mission de l'avocat, notamment dans le droit des affaires.
C'est une précision utile, qui clarifie l'analyse des conditions juridiques permettant la perquisition chez un avocat. L'inclusion des infractions connexes à l'infraction sur laquelle porte initialement l'enquête va dans le bon sens.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL654 du Gouvernement et sous-amendement CL657 du rapporteur.
Il s'agit de préciser que le magistrat qui procède à la perquisition des locaux d'un avocat doit veiller à ce qu'aucun document couvert par le secret professionnel de la défense ne soit saisi et placé sous scellés.
Le sous-amendement vise à assurer la coordination avec la rédaction retenue concernant le secret professionnel.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l'amendement sous-amendé.
Amendement CL406 de Mme Laurence Vichnievsky.
L'introduction d'un recours du procureur, de l'avocat ou du bâtonnier contre la décision du juge des libertés et de la détention, statuant sur la validité de la saisie d'un document dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, est une garantie supplémentaire renforçant les droits de la défense. Mais ce recours n'a nul besoin d'être suspensif.
Lorsque le juge des libertés et de la détention a statué, validant la saisie, le document en cause doit être versé au dossier de la procédure. Celle-ci doit se poursuivre. Si, dans le délai de cinq jours ouvrables, le premier président statue ensuite en sens contraire, le document sera restitué à l'avocat et la procédure de saisie sera alors cancellée. Le caractère suspensif du recours n'ajoute aucune garantie et ne fait que retarder l'avancement de la procédure.
Mon avis sera très défavorable. Imaginons que le juge des libertés et de la détention infirme la saisie et que l'appel la confirme ensuite. On aura rendu entre-temps la pièce litigieuse à son propriétaire. Il aura eu toute liberté pour la modifier, la contrefaire ou la détruire, et les enquêteurs ne récupéreront pas la preuve recherchée dans son état initial…
Même avis. L'appel doit être suspensif. C'est une garantie essentielle à la protection du secret de la défense.
Dans la mesure où le recours n'existait pas jusqu'à présent, la saisie n'était jamais suspensive. À partir du moment où on instaure un recours, il ne me semblait pas utile de retarder la procédure. Mais j'entends aussi vos arguments.
La commission rejette L'amendement.
Amendement CL407 de Mme Laurence Vichnievsky.
S'agissant des enquêtes en matière pénale, cet amendement technique vise à ce que les décisions du juge des libertés et de la détention soient déférées à la chambre de l'instruction ou à son président, juridictions d'appel habituelles des décisions du juge des libertés et de la détention dans le code de procédure pénale, plutôt qu'au premier président de la cour d'appel.
Si certaines ordonnances du juge des libertés et de la détention – notamment en matière de rétention administrative – sont déférées devant le premier président de la cour d'appel, il s'agit de contentieux civils, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Je propose donc de rétablir la compétence du président de la chambre de l'instruction.
J'entends l'argument et cette modification ne me gêne pas. Mais je souhaiterais connaître le sentiment du ministre.
J'écoute avec attention les arguments de Mme Vichnievsky. Il faudrait que nous y réfléchissions ensemble avant la séance publique. Je précise que les recours devant le premier président de la cour d'appel existent déjà en matière de procédure pénale d'urgence, selon les termes de l'article 187-3 du code de procédure pénale.
Il doit s'agir d'un parallélisme des formes avec la procédure disciplinaire à l'encontre des avocats, qui relève de la compétence du premier président de la cour d'appel.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL585 du rapporteur.
Amendement CL98 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement d'appel vise à étendre la protection aux journalistes ou aux magistrats. Dans son avis, le Conseil d'État relève que certaines dispositions protectrices du projet de loi pourraient utilement être appliquées aux journalistes. Il me semble également important d'ajouter les magistrats au regard de récentes affaires, médiatisées – les fadettes épluchées étaient certes celles d'avocats, mais aussi celles de magistrats.
Avis défavorable. C'est le secret de la défense, dans l'intérêt du justiciable, que nous souhaitons consacrer.
Votre suggestion m'intéresse, mais l'amendement n'est pas acceptable en l'état – il ne comporte pas les coordinations nécessaires. Je vous propose d'y réfléchir ensemble pour la séance publique.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'amendement rédactionnel CL586 du rapporteur.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL162 de Mme Marie-France Lorho, CL192 de Mme Cécile Untermaier, CL293 de M. Éric Ciotti et CL139 de Mme Emmanuelle Ménard, soumis à discussion commune.
Elle adopte l'amendement de cohérence CL587 du rapporteur.
Amendement CL246 de Mme Naïma Moutchou.
Il s'agit d'appliquer le principe de proportionnalité en cas de réquisition des services enquêteurs sur des données de connexion correspondant à la ligne téléphonique d'un avocat.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CL3, CL4 et CL5 de Mme Brigitte Kuster.
Amendement CL408 de Mme Laurence Vichnievsky.
Je ne suis pas certaine d'avoir du succès avec cet amendement, qui supprime l'obligation d'informer le bâtonnier de réquisitions portant sur des données électroniques émises par un avocat qui alourdit inutilement la procédure.
Comme l'a souligné l'Association des avocats pénalistes lors des auditions du rapporteur, l'information du bâtonnier ne renforce pas le respect du secret professionnel et des droits de la défense dès lors que cette obligation n'est assortie d'aucune voie de recours. En revanche, la nullité de la procédure en cas d'omission de cette prescription fait peser un risque non négligeable sur l'aboutissement des enquêtes.
Avis défavorable. Il s'agit d'une garantie pour le mis en cause, mais également pour l'ordre auquel il appartient.
Défavorable. Depuis 1990, il est nécessaire d'informer le bâtonnier en cas d'écoutes téléphoniques. Par cohérence, il me paraît tout à fait normal de l'informer de ces réquisitions.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL564, CL565 et CL566 du rapporteur.
Suivant les avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL193 de Mme Cécile Untermaier et adopte l'amendement de coordination CL247 de Mme Naïma Moutchou.
Amendement CL391 de M. Erwan Balanant et amendement de coordination CL480 de Mme Naïma Moutchou ; amendements identiques CL60 de M. Antoine Savignat, CL194 de Mme Cécile Untermaier, CL263 de M. Stéphane Peu, CL354 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier, CL389 de Mme Constance Le Grip, CL395 de M. Ugo Bernalicis, CL435 de M. Aurélien Taché et CL493 de M. Philippe Latombe, faisant l'objet du sous-amendement CL658 de Mme Laetitia Avia (discussion commune).
Nous avons longuement débattu de la question tout à l'heure : il s'agit d'étendre le secret professionnel à l'activité de conseil des avocats. Le sous-amendement de Mme Avia ne pose pas de problème : nous sommes d'accord sur la finalité du dispositif.
Le sous-amendement est de coordination avec nos votes tout à l'heure. Il a été déposé, je tiens à le préciser, sur les amendements identiques et non sur celui de Mme Moutchou de manière que nous adoptions ces amendements issus des différents groupes plutôt que celui que La République en Marche avait déposé initialement.
Suivant l'avis du rapporteur, les amendements CL391 et CL480 sont retirés et la commission adopte successivement le sous-amendement et les amendements identiques sous-amendés.
Puis elle adopte l'article 3 modifié.
Après l'article 3
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL465 de M. Matthieu Orphelin.
La réunion se termine à 23 heures 55.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.