Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 6 mai 2021 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

Les magistrats anglais sont tous d'anciens avocats, et une grande majorité des magistrats suisses et belges le sont également.

On nous dit que l'avocat est là pour plaider et le juge pour juger. Le procureur, quant à lui, est là pour requérir. Or quand il devient juge du siège, cela ne gêne personne. Pourquoi serait-il gênant qu'un avocat participe à l'œuvre de justice ? Est-ce parce qu'il est au service d'intérêts privés ? Je pourrais aussi vous livrer des anecdotes – mais on y passerait des heures.

Je souligne qu'il s'agit d'avocats honoraires, qui n'auront plus de contact avec leurs clients, ni le moindre intérêt privé à défendre. Ils viendront avec leur expérience, parfois longue. Je trouve que c'est une belle idée qu'un avocat honoraire qui a beaucoup pratiqué la cour d'assises vienne donner un coup de main à la justice de son pays. Je ne vois pas en quoi ce serait a priori suspect. Je répète aussi que cela existe dans le code de l'organisation judiciaire (COJ). J'ai déjà complété, à Lille, le tribunal correctionnel – tout un après-midi, d'ailleurs – et j'en ai conservé un souvenir extraordinaire.

M. Houbron a parlé des policiers, mais le COJ prévoit qu'ils ne peuvent même pas être jurés. En revanche, les avocats peuvent l'être. En qualité de citoyens français, sans condamnation et de plus de 23 ans, ils peuvent être tirés au sort. Il m'est arrivé de plaider aux assises devant des gens dont je savais qu'ils étaient, à l'époque, mes confrères.

Vos réserves correspondent à tout ce que je souhaite éradiquer : l'entre-soi, le corporatisme. Ce que j'appelle de mes vœux, c'est qu'on retrouve le chemin du dialogue quand on l'a perdu – ce n'est pas toujours le cas, fort heureusement. J'ai vu des portes de juges d'instruction sur lesquelles il était écrit : Monsieur Machin, ou Madame Machine, ne reçoit pas les avocats. J'ai vu aussi chez des avocats des comportements qui étaient susceptibles d'être critiqués.

Quand je nomme Nathalie Roret directrice de l'École nationale de la magistrature, quand je donne ma bénédiction à la nomination de Gilles Accomondo, qui est un haut magistrat, à la tête de l'École de formation professionnelle des barreaux et quand je demande à des magistrats de participer à l'échevinage en matière de déontologie des avocats, personne ne trouve à y redire.

On ne peut pas aller dans un seul sens. L'apport d'un avocat honoraire, d'expérience, c'est « tout bénéf » pour la justice, si vous me permettez cette familiarité. On n'a pas à craindre cette évolution, par dogmatisme.

Je vais tout de même partager une anecdote, qui est célèbre dans les palais de justice et qui fait toujours sourire. Lorsque la loi a fait en sorte qu'il y ait davantage de jurés – leur nombre a parfois diminué et parfois augmenté –, un bâtonnier a dit avec un peu d'arrogance à un président de cour d'assises que cela serait désormais plus difficile pour lui. Le président a répondu en souriant que non, ce serait un peu plus long… On ne peut pas mener une politique pénale avec des anecdotes.

Je pense qu'il est bien que des avocats honoraires donnent un coup de main à la justice. C'est le signe qu'on est dans la même barque, au-delà du fait que les juges jugent, les avocats plaident et les procureurs requièrent. Cela me paraît aller dans le bon sens, et je suis donc totalement défavorable à ces amendements.

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