Monsieur Bernalicis, vous avez dû vous inspirer d'un article publié dans Le Monde, qui dénature la réalité. On ne m'a pas interrogé sur les chiffres. Or, il résulterait des chiffres donnés par la chancellerie 10 000 détenus de plus. C'est la vérité journalistique, mais ce n'est pas la vérité du tout.
Je remercie M. le rapporteur d'avoir redonné certains chiffres. Naturellement, nous avons fait expertiser cette mesure avant de la proposer. L'administration pénitentiaire l'a examinée de très près.
Le premier but est de revenir sur un système hypocrite. C'est la droite qui a voté les crédits automatiques de réduction de peine. Pour l'affichage, on prônait la tolérance zéro. Derrière, on faisait de la régulation carcérale, sans le dire, de façon hypocrite. Certains se sont habitués à ce système, au point de me critiquer quand je veux le réformer. C'est ainsi !
Outre ce système, la grâce collective du 14 juillet faisait sortir de prison 3 000 à 4 000 détenus. À ce titre, je veux saluer ma prédécesseure, qui a permis la libération, rendue nécessaire pour des raisons sanitaires, de 6 000 détenus. Les choses sont parfois très injustes.
Je lis donc dans ce grand quotidien du soir qu'il y aura 10 000 détenus de plus. Contradictoire : zéro. Quant aux chiffres, on ne connaît toujours pas ceux qui sont utilisés. Nous venons de vous répondre. Nous avions ces réponses, nous pouvions les livrer. Voilà comme on fusille un texte, avant même de l'avoir expertisé. Je dis les choses comme elles méritent d'être dites. Il y a ceux qui font et ceux qui ne font rien et pensent qu'ils feraient mieux – passons là‑dessus. Je veux prendre le temps d'exprimer ma démarche, et personne ne pourra la taxer d'insincérité.
Plutôt que de laisser un certain nombre de détenus à l'écart, comme c'est aujourd'hui le cas, avec une philosophie singulière – on leur dit en substance de ne pas faire d'effort, puisqu'ils bénéficieront d'une remise de peine –, je veux remettre l'effort en prison au centre de la réflexion, pour plusieurs raisons.
Les mesures que je souhaite faire voter sont des mesures humanistes. Ma conception, que je partage, fort heureusement, est que la prison ne peut pas être une société entièrement à part. Les règles de la société civile doivent y avoir cours, même si la prison est séparée du reste de la société par des murs d'enceinte.
Monsieur Bernalicis, vous le savez, dans la société civile, le sens de l'effort n'est pas un sens interdit. Je veux privilégier l'effort. Aujourd'hui, en mettant le pied dans le fourgon cellulaire, une personne condamnée à dix ans sait qu'elle bénéficiera, sans rien faire, de 21 mois de réduction de peine. Cela incite certains magistrats à davantage de sévérité : si un magistrat, qui connaît le quantum des peines, souhaite qu'un certain nombre d'années soient effectivement exécutées, il peut faire un calcul, qui prend notamment en considération les réductions de peine automatiques. On est là dans un cercle qui n'est plus vertueux.
Les efforts seront regardés à l'aune des qualités de chacun. Lorsque je me suis rendu à Villepinte – vous y êtes allé une semaine après moi, monsieur Bernalicis –, une éducatrice m'a dit que, pour certains jeunes, se lever le matin est déjà un effort. Certains d'entre eux sont totalement désocialisés. Apprendre à lire est un effort considérable : selon un syndicaliste de la pénitentiaire, certaines personnes entrent en prison sans savoir lire, et en sortent au bout de cinq ans, toujours sans savoir lire. Se soigner, se désintoxiquer, faire une psychothérapie sont des efforts.
Je n'ai pas peur de ce que feront les JAP : ils décident en fonction des capacités des uns et des autres, et de ce que la prison peut leur offrir. Il n'est pas question de sanctionner quelqu'un qui voudrait travailler, si on ne lui offre pas du travail.
Cela mérite autre chose que des ricanements, monsieur Bernalicis. Parallèlement, je suis en train de travailler avec tous les patrons – petits, moyens, grands. On est passé d'un taux de 50 % de détenus qui travaillent à 29 %. Je veux remettre le travail au cœur de la prison. Il est bon pour le détenu et sa réinsertion, pour l'employeur et pour la société, à qui l'on donne des gages de réinsertion. C'est aussi un des buts de la prison.
Je veux remettre de la formation au sein de la prison. Cette réforme est vertueuse : elle incite les gens à travailler. Pour de nombreux membres de l'administration pénitentiaire, c'est une réforme attendue car elle assure davantage encore leur sécurité. Je l'ai dit, j'ai signé avec les trois grandes organisations syndicales une charte sur le rôle qui est le leur. Cela n'avait pas été fait depuis plus de vingt ans. Tout cela a une cohérence.
Je souhaite que les gens, lorsqu'ils ont purgé leur peine, n'aient pas perdu les codes de la société civile et qu'ils sachent ce que signifie se lever et travailler. Le travail est bon aussi pour les victimes car une partie du salaire des détenus est prélevée pour les indemniser. Il est vertueux à plus d'un titre.