Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 26 mai 2021 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques :

Mesdames et messieurs les députés, après vous avoir présenté les crédits relevant de ma compétence dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, je suis très heureuse de vous retrouver et très honorée de présenter devant votre commission le projet d'ordonnance portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État.

C'est un honneur parce que ce texte, soixante-quinze ans après celui du général de Gaulle, dont Michel Debré fut le principal artisan, est à la fois un rendez-vous de l'État avec son histoire et avec son avenir et un rendez-vous avec les Français, au service de la transformation de notre pays. À ces rendez-vous, les femmes et les hommes qui servent l'État de tout leur cœur répondront présent, comme ils l'ont fait avec éclat et courage pendant la crise.

En 1945, c'est aussi au sortir d'une crise qu'une ordonnance a posé, par-delà les partis et les corporatismes, les bases d'un système administratif nouveau et a forgé, non sans résistance, une nouvelle génération de fonctionnaires formés aux enjeux du XXe siècle. La France de 2021 n'est plus celle de 1945 : le monde et ses enjeux – qu'il s'agisse des bouleversements technologiques ou du choc climatique – ont radicalement changé et, en France, l'action publique a été davantage territorialisée grâce à la décentralisation et à la déconcentration. Parallèlement, le système de gestion des carrières des hauts fonctionnaires s'est rigidifié, s'éloignant de la promesse originelle de 1945. Pour tenir aujourd'hui cette promesse, il faut la mettre à jour en relevant le défi de la crise.

Nous n'avons toutefois pas attendu la crise pour engager cette réforme profondément gaullienne et républicaine. Il s'agit d'un engagement fort du Président de la République, qui sera tenu, dans la continuité des nombreuses réformes engagées depuis le début du quinquennat et dont je suis la bonne exécution au sein de mon ministère. Tant de gouvernements et de majorités ont promis de réformer la haute fonction publique sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout ! Ce n'était jamais le moment pour une réforme difficile qui demande de décider dans l'intérêt seul de la nation – plus difficile que les politiques qui ont consisté à dépouiller l'État de ses forces vives à coups de rabot budgétaire. Le Gouvernement et sa majorité ont enfin le courage, dans l'intérêt supérieur de l'État, et donc celui des Français, de refonder la formation et les carrières des cadres de l'État du XXIe siècle sans rien renier de la promesse de 1945. J'ai tenu à venir détailler devant la représentation nationale les lignes de force de l'ordonnance que vous avez habilité le Gouvernement à prendre dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019 et qui sera adoptée par le Conseil des ministres la semaine prochaine. J'en profite pour saluer Émilie Chalas, qui était la rapporteure de cette loi.

Loin des caricatures, des postures et des détournements auxquels certains se complaisent, je souhaite que nos débats permettent de rappeler le sens et l'ambition de la transformation profonde que nous engageons. La politisation à tout crin du débat public par des candidats à la candidature à l'élection présidentielle de 2022 charrie son lot de contre-vérités et de mensonges, qu'il faut corriger dans l'intérêt du débat public. On peut bien sûr être en désaccord avec cette réforme, mais il faut que chacun soit cohérent avec ses positions passées, ce qui n'est pas toujours le cas. Lorsque je lis que nous supprimerions l'institution préfectorale ou que nous organiserions un « spoils system » à l'américaine, les bras m'en tombent. Je déplore que certains préfèrent la course à l'outrance électorale au débat d'idées.

Dans ce contexte préélectoral, il est primordial de dénoncer toutes les tentatives de récupération de la haute fonction publique à des fins politiciennes, grave danger pour notre démocratie. En tant que ministre de la fonction publique, je tiens à saluer devant vous l'engagement et le dévouement dont les agents publics et les hauts fonctionnaires ont fait preuve, avec beaucoup de brio, pendant la crise sanitaire. Ils ont su faire face avec énergie, intelligence et abnégation aux exigences de sauver des vies humaines, d'assurer l'ordre public et de maintenir la continuité des services publics essentiels à nos concitoyens. Ils ont innové sans renier les valeurs fondamentales du service public à la française : continuité de l'État, égalité de traitement de tous les usagers, neutralité et laïcité. Nos agents publics ont tenu et, grâce à eux, l'État a tenu.

Au-delà de cette crise, la plus grave que nous ayons connue depuis le milieu du XXe siècle, nous devons nous rendre à l'évidence, et les représentants de la nation que vous êtes le constatent au quotidien : les trente dernières années ont été marquées par un affaiblissement grandissant de la perception de l'État par nos concitoyens, pour ne pas dire une défiance à son endroit, qui contribue à nourrir les extrêmes. Aujourd'hui, toutefois, le constat est sans appel : les Français veulent un État fort parce qu'ils veulent être protégés ; ils attendent des services publics fonctionnant sur tout le territoire parce qu'ils sont attachés à l'égalité. En revanche, ils ne veulent plus de la complexité qui caractérise bien souvent l'action publique et à laquelle nous nous sommes d'ailleurs attaqués. Les femmes et les hommes qui font vivre l'action publique ne sont nullement en cause, puisqu'ils sont souvent eux-mêmes victimes d'un système qui crée de la complexité et qui nourrit l'impuissance. C'est forts de ce constat que nous avons construit la réforme que je vous présente aujourd'hui. Nous voulons bâtir une action publique qui corresponde au siècle qui s'ouvre, qui réponde aux attentes fortes exprimées par nos concitoyens, aux besoins de proximité, d'humanité, d'efficacité et de simplicité. Cette réforme peut se résumer en trois idées.

Premièrement, la réforme doit permettre de renforcer la confiance des citoyens en l'État grâce à une haute fonction publique qui soit davantage à l'image de la réalité sociale et territoriale de notre pays. C'est l'objet du programme « Talents du service public » que le Président de la République a présenté à Nantes en février et qu'a concrétisé l'ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public. Sans nier les insuffisances du système scolaire – auxquelles le Gouvernement s'est attaqué depuis 2017 –, ce programme a pour ambition de faire à nouveau de la fonction publique un ascenseur social républicain. Ainsi, dès la rentrée 2021, 1 700 places au sein de classes préparatoires seront ouvertes sur tout le territoire pour préparer les étudiants boursiers aux grands concours de la fonction publique, et 35 places leur seront réservées dans différents concours, dans le plein respect des principes posés par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. L'égalité des chances n'attend pas. Nous avons donc décidé, n'en déplaise à certains, d'agir maintenant, car les mesures prises par la majorité dans les écoles primaires, les collèges et les lycées n'atteindront leur plein effet que dans dix ou vingt ans.

Le deuxième axe de la réforme est d'assurer que les cadres supérieurs de l'État aient une formation et une carrière en adéquation avec les besoins de l'action publique du XXIe siècle et avec les aspirations des jeunes générations qui, sinon, se détourneront de l'action et de la fonction publiques. Une formation initiale, fût-elle de qualité, ne saurait suffire à appréhender ces besoins et à accompagner les changements, et elle ne peut se limiter à reproduire les schémas administratifs éprouvés ou les enseignements reçus antérieurement. C'est pourquoi nous créons l'Institut national du service public (INSP), dont la vocation est d'être le principal opérateur de formation de l'encadrement supérieur de notre fonction publique. Situé à Strasbourg, cet institut formera à partir du 1er janvier 2022 les administrateurs de l'État par des enseignements plus ouverts sur le monde académique et faisant place à l'esprit critique et au sens de l'innovation, sans renier les fondamentaux de l'action publique. Il formera l'ensemble des cadres supérieurs de l'État, dans toute leur diversité. Un commissaire de police, un directeur d'hôpital ou un administrateur de l'État ont beaucoup à apprendre ensemble. L'INSP sera donc chargé, dans le cadre de la formation initiale de ces agents, de l'animation d'un tronc commun à quatorze écoles de service public.

Au-delà de la formation, il s'agit aussi de renforcer l'évaluation des cadres supérieurs et de les accompagner tout au long de leur carrière en favorisant les mobilités, ainsi que l'acquisition de compétences dans des filières de métiers qui soient reconnues comme telles. Mobilité, respiration, accompagnement seront désormais les maîtres mots de la carrière des hauts fonctionnaires. J'en ai conscience, il s'agit là d'un défi culturel important, car trop peu de nos cadres dirigeants ont pu bénéficier d'un vrai parcours de carrière ou se voir proposer des formations adaptées à leurs aspirations, ce qui est dommageable à la fois pour l'action publique et pour les cadres supérieurs. Ce sera le rôle de la nouvelle délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État d'y remédier.

Nous voulons mettre fin aux voies toutes tracées à partir du rang de classement de sortie d'une école, qui génère son lot d'injustices et de frustrations, et fixer un objectif simple : mettre les bonnes compétences au bon endroit. À la sortie de l'INSP, le classement perdurera pour le choix du premier poste. Ce classement sera un gage de transparence et d'équité : les élèves sortant de l'INSP rejoindront tous le corps des administrateurs de l'État et n'auront plus accès à quinze places dans les grands corps. Ils devront avoir eu une première expérience opérationnelle avant de juger, de contrôler ou d'inspecter.

Nous aurions pu, comme le préconisent certains parmi vous, recruter uniquement sur contrat. Nous n'avons pas cédé à cette facilité, car nous sommes attachés au statut de la fonction publique et aux droits, mais aussi aux obligations, qu'il comporte. Nous avons donc choisi de créer un corps des administrateurs de l'État qui constituera le principal corps de l'encadrement supérieur. En libérant les cadres supérieurs, notamment les femmes, des voies toutes tracées, des schémas imposés et des carcans administratifs, nous voulons passer d'une logique de corps à une logique de métiers et de compétences, au service des besoins de l'État, qui concernent aujourd'hui d'abord le terrain. La réforme permettra de mieux satisfaire ces besoins en faisant de l'exercice de fonctions opérationnelles un passage obligé dans la carrière d'un haut fonctionnaire, et non plus un frein.

Cette réforme n'est donc pas, comme certains voudraient le laisser entendre, celle de la déconstruction de l'État. Il s'agit au contraire d'une refondation. Continuer à attirer les nouvelles générations vers le service de l'État et redonner à la fonction publique son caractère réellement méritocratique sont autant de défis qui imposent un changement culturel profond, plus qu'une transformation. Ce changement est la condition pour construire l'État plus proche, plus humain et plus efficace que les Français appellent de leurs vœux. Plus que jamais, la France et les Français ont besoin de l'État et l'État a besoin de sa fonction publique et de ses cadres supérieurs. C'est le défi que nous entendons relever avec le Président de la République et le Premier ministre.

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