La réunion débute à 14 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, sur la réforme de la haute fonction publique.
Nous sommes réunis pour procéder à l'audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques, sur la réforme de la haute fonction publique, qu'elle présentera la semaine prochaine en Conseil des ministres. L'ordre du jour de la séance publique ayant été décalé, nous disposons de plus de temps que prévu pour notre réunion, qui se tient à la fois en présentiel et en visioconférence. Avant de vous donner la parole, madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue en commission des Lois. Nous sommes ravis de vous y accueillir.
Mesdames et messieurs les députés, après vous avoir présenté les crédits relevant de ma compétence dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, je suis très heureuse de vous retrouver et très honorée de présenter devant votre commission le projet d'ordonnance portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État.
C'est un honneur parce que ce texte, soixante-quinze ans après celui du général de Gaulle, dont Michel Debré fut le principal artisan, est à la fois un rendez-vous de l'État avec son histoire et avec son avenir et un rendez-vous avec les Français, au service de la transformation de notre pays. À ces rendez-vous, les femmes et les hommes qui servent l'État de tout leur cœur répondront présent, comme ils l'ont fait avec éclat et courage pendant la crise.
En 1945, c'est aussi au sortir d'une crise qu'une ordonnance a posé, par-delà les partis et les corporatismes, les bases d'un système administratif nouveau et a forgé, non sans résistance, une nouvelle génération de fonctionnaires formés aux enjeux du XXe siècle. La France de 2021 n'est plus celle de 1945 : le monde et ses enjeux – qu'il s'agisse des bouleversements technologiques ou du choc climatique – ont radicalement changé et, en France, l'action publique a été davantage territorialisée grâce à la décentralisation et à la déconcentration. Parallèlement, le système de gestion des carrières des hauts fonctionnaires s'est rigidifié, s'éloignant de la promesse originelle de 1945. Pour tenir aujourd'hui cette promesse, il faut la mettre à jour en relevant le défi de la crise.
Nous n'avons toutefois pas attendu la crise pour engager cette réforme profondément gaullienne et républicaine. Il s'agit d'un engagement fort du Président de la République, qui sera tenu, dans la continuité des nombreuses réformes engagées depuis le début du quinquennat et dont je suis la bonne exécution au sein de mon ministère. Tant de gouvernements et de majorités ont promis de réformer la haute fonction publique sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout ! Ce n'était jamais le moment pour une réforme difficile qui demande de décider dans l'intérêt seul de la nation – plus difficile que les politiques qui ont consisté à dépouiller l'État de ses forces vives à coups de rabot budgétaire. Le Gouvernement et sa majorité ont enfin le courage, dans l'intérêt supérieur de l'État, et donc celui des Français, de refonder la formation et les carrières des cadres de l'État du XXIe siècle sans rien renier de la promesse de 1945. J'ai tenu à venir détailler devant la représentation nationale les lignes de force de l'ordonnance que vous avez habilité le Gouvernement à prendre dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019 et qui sera adoptée par le Conseil des ministres la semaine prochaine. J'en profite pour saluer Émilie Chalas, qui était la rapporteure de cette loi.
Loin des caricatures, des postures et des détournements auxquels certains se complaisent, je souhaite que nos débats permettent de rappeler le sens et l'ambition de la transformation profonde que nous engageons. La politisation à tout crin du débat public par des candidats à la candidature à l'élection présidentielle de 2022 charrie son lot de contre-vérités et de mensonges, qu'il faut corriger dans l'intérêt du débat public. On peut bien sûr être en désaccord avec cette réforme, mais il faut que chacun soit cohérent avec ses positions passées, ce qui n'est pas toujours le cas. Lorsque je lis que nous supprimerions l'institution préfectorale ou que nous organiserions un « spoils system » à l'américaine, les bras m'en tombent. Je déplore que certains préfèrent la course à l'outrance électorale au débat d'idées.
Dans ce contexte préélectoral, il est primordial de dénoncer toutes les tentatives de récupération de la haute fonction publique à des fins politiciennes, grave danger pour notre démocratie. En tant que ministre de la fonction publique, je tiens à saluer devant vous l'engagement et le dévouement dont les agents publics et les hauts fonctionnaires ont fait preuve, avec beaucoup de brio, pendant la crise sanitaire. Ils ont su faire face avec énergie, intelligence et abnégation aux exigences de sauver des vies humaines, d'assurer l'ordre public et de maintenir la continuité des services publics essentiels à nos concitoyens. Ils ont innové sans renier les valeurs fondamentales du service public à la française : continuité de l'État, égalité de traitement de tous les usagers, neutralité et laïcité. Nos agents publics ont tenu et, grâce à eux, l'État a tenu.
Au-delà de cette crise, la plus grave que nous ayons connue depuis le milieu du XXe siècle, nous devons nous rendre à l'évidence, et les représentants de la nation que vous êtes le constatent au quotidien : les trente dernières années ont été marquées par un affaiblissement grandissant de la perception de l'État par nos concitoyens, pour ne pas dire une défiance à son endroit, qui contribue à nourrir les extrêmes. Aujourd'hui, toutefois, le constat est sans appel : les Français veulent un État fort parce qu'ils veulent être protégés ; ils attendent des services publics fonctionnant sur tout le territoire parce qu'ils sont attachés à l'égalité. En revanche, ils ne veulent plus de la complexité qui caractérise bien souvent l'action publique et à laquelle nous nous sommes d'ailleurs attaqués. Les femmes et les hommes qui font vivre l'action publique ne sont nullement en cause, puisqu'ils sont souvent eux-mêmes victimes d'un système qui crée de la complexité et qui nourrit l'impuissance. C'est forts de ce constat que nous avons construit la réforme que je vous présente aujourd'hui. Nous voulons bâtir une action publique qui corresponde au siècle qui s'ouvre, qui réponde aux attentes fortes exprimées par nos concitoyens, aux besoins de proximité, d'humanité, d'efficacité et de simplicité. Cette réforme peut se résumer en trois idées.
Premièrement, la réforme doit permettre de renforcer la confiance des citoyens en l'État grâce à une haute fonction publique qui soit davantage à l'image de la réalité sociale et territoriale de notre pays. C'est l'objet du programme « Talents du service public » que le Président de la République a présenté à Nantes en février et qu'a concrétisé l'ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public. Sans nier les insuffisances du système scolaire – auxquelles le Gouvernement s'est attaqué depuis 2017 –, ce programme a pour ambition de faire à nouveau de la fonction publique un ascenseur social républicain. Ainsi, dès la rentrée 2021, 1 700 places au sein de classes préparatoires seront ouvertes sur tout le territoire pour préparer les étudiants boursiers aux grands concours de la fonction publique, et 35 places leur seront réservées dans différents concours, dans le plein respect des principes posés par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. L'égalité des chances n'attend pas. Nous avons donc décidé, n'en déplaise à certains, d'agir maintenant, car les mesures prises par la majorité dans les écoles primaires, les collèges et les lycées n'atteindront leur plein effet que dans dix ou vingt ans.
Le deuxième axe de la réforme est d'assurer que les cadres supérieurs de l'État aient une formation et une carrière en adéquation avec les besoins de l'action publique du XXIe siècle et avec les aspirations des jeunes générations qui, sinon, se détourneront de l'action et de la fonction publiques. Une formation initiale, fût-elle de qualité, ne saurait suffire à appréhender ces besoins et à accompagner les changements, et elle ne peut se limiter à reproduire les schémas administratifs éprouvés ou les enseignements reçus antérieurement. C'est pourquoi nous créons l'Institut national du service public (INSP), dont la vocation est d'être le principal opérateur de formation de l'encadrement supérieur de notre fonction publique. Situé à Strasbourg, cet institut formera à partir du 1er janvier 2022 les administrateurs de l'État par des enseignements plus ouverts sur le monde académique et faisant place à l'esprit critique et au sens de l'innovation, sans renier les fondamentaux de l'action publique. Il formera l'ensemble des cadres supérieurs de l'État, dans toute leur diversité. Un commissaire de police, un directeur d'hôpital ou un administrateur de l'État ont beaucoup à apprendre ensemble. L'INSP sera donc chargé, dans le cadre de la formation initiale de ces agents, de l'animation d'un tronc commun à quatorze écoles de service public.
Au-delà de la formation, il s'agit aussi de renforcer l'évaluation des cadres supérieurs et de les accompagner tout au long de leur carrière en favorisant les mobilités, ainsi que l'acquisition de compétences dans des filières de métiers qui soient reconnues comme telles. Mobilité, respiration, accompagnement seront désormais les maîtres mots de la carrière des hauts fonctionnaires. J'en ai conscience, il s'agit là d'un défi culturel important, car trop peu de nos cadres dirigeants ont pu bénéficier d'un vrai parcours de carrière ou se voir proposer des formations adaptées à leurs aspirations, ce qui est dommageable à la fois pour l'action publique et pour les cadres supérieurs. Ce sera le rôle de la nouvelle délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État d'y remédier.
Nous voulons mettre fin aux voies toutes tracées à partir du rang de classement de sortie d'une école, qui génère son lot d'injustices et de frustrations, et fixer un objectif simple : mettre les bonnes compétences au bon endroit. À la sortie de l'INSP, le classement perdurera pour le choix du premier poste. Ce classement sera un gage de transparence et d'équité : les élèves sortant de l'INSP rejoindront tous le corps des administrateurs de l'État et n'auront plus accès à quinze places dans les grands corps. Ils devront avoir eu une première expérience opérationnelle avant de juger, de contrôler ou d'inspecter.
Nous aurions pu, comme le préconisent certains parmi vous, recruter uniquement sur contrat. Nous n'avons pas cédé à cette facilité, car nous sommes attachés au statut de la fonction publique et aux droits, mais aussi aux obligations, qu'il comporte. Nous avons donc choisi de créer un corps des administrateurs de l'État qui constituera le principal corps de l'encadrement supérieur. En libérant les cadres supérieurs, notamment les femmes, des voies toutes tracées, des schémas imposés et des carcans administratifs, nous voulons passer d'une logique de corps à une logique de métiers et de compétences, au service des besoins de l'État, qui concernent aujourd'hui d'abord le terrain. La réforme permettra de mieux satisfaire ces besoins en faisant de l'exercice de fonctions opérationnelles un passage obligé dans la carrière d'un haut fonctionnaire, et non plus un frein.
Cette réforme n'est donc pas, comme certains voudraient le laisser entendre, celle de la déconstruction de l'État. Il s'agit au contraire d'une refondation. Continuer à attirer les nouvelles générations vers le service de l'État et redonner à la fonction publique son caractère réellement méritocratique sont autant de défis qui imposent un changement culturel profond, plus qu'une transformation. Ce changement est la condition pour construire l'État plus proche, plus humain et plus efficace que les Français appellent de leurs vœux. Plus que jamais, la France et les Français ont besoin de l'État et l'État a besoin de sa fonction publique et de ses cadres supérieurs. C'est le défi que nous entendons relever avec le Président de la République et le Premier ministre.
La réforme de la haute fonction publique était une promesse d'Emmanuel Macron. Bien qu'annoncée de longue date, elle a suscité ces dernières semaines de vives réactions de la part des responsables politiques de tous bords. Ainsi, une candidate déclarée à l'élection présidentielle de 2022 a attaqué le Gouvernement lorsque celui-ci s'est exprimé sur l'avenir du corps préfectoral, écrivant directement aux préfets et fustigeant, selon ses termes, un choix « profondément malsain » dans la mesure où « on va créer des préfets qui seront choisis sur la base du copinage ». Cette personne estime enfin, toujours sur le même sujet, que « nous avons un pouvoir central qui a pour seul objectif la déconstruction de notre histoire » et « la déconstruction de l'État ».
Par ces propos et ces méthodes, de telles personnes se placent hors de la République. Cela constitue une énième tentative de déstabilisation dans un contexte de précampagne présidentielle afin d'attaquer les piliers de notre République et de récupérer les hauts fonctionnaires, après les militaires et les policiers. Ces manœuvres mettent une nouvelle fois en lumière les bas procédés employés par certains, aux extrêmes.
Contrairement à ce que prétendent ces personnes, cette réforme de la haute fonction publique a pour objectif de rendre l'action publique plus simple, plus diversifiée, plus proche du citoyen, plus concrète, plus transparente et plus efficace. De premiers jalons avaient déjà été posés, puisque cette réforme est le fruit de nombreuses heures de discussions et de débats parlementaires et découle du vote de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Cette loi fournit aux administrations publiques des outils efficaces : l'ouverture du recrutement pour les emplois de direction de l'État à des profils issus du privé, de nouvelles possibilités de développement des mobilités et des promotions au sein de la fonction publique, le renouvellement du dialogue social ou encore la mise en place de la rupture conventionnelle afin de permettre aux agents publics de se reconvertir.
La présente réforme doit nous permettre d'aller plus loin en proposant aux cadres supérieurs de l'État des formations et des parcours de carrière en adéquation avec les réalités et les attentes de notre société, au plus près du terrain. Elle n'a pas pour objectif, comme certains cherchent à le faire croire, de remettre en cause notre système méritocratique républicain, mais, bien au contraire, de le renforcer. L'INSP, qui aura le statut d'opérateur de formation pour les cadres supérieurs de l'État, permettra en effet de faire face aux enjeux de la formation initiale et d'accompagner sur l'ensemble du territoire les hauts fonctionnaires tout au long de leur carrière.
Une partie de la formation dispensée l'INSP sera commune à tous les futurs dirigeants publics ; c'est une bonne chose, mais ne pensez-vous pas, madame la ministre, que cet institut doive se matérialiser concrètement dans un lieu ? En effet, rien ne vaut les rencontres et les échanges directs ; la période que nous vivons nous le montre tous les jours.
Quant à la mobilité, je me réjouis des annonces qui ont été faites, car la carrière des cadres supérieurs de la fonction publique doit évoluer et s'adapter aux réalités du terrain et de notre temps. Il s'agit, d'une part, de recréer de la proximité et de réarmer les territoires en permettant aux cadres de commencer leur carrière non plus en jugeant et en contrôlant les autres, mais en agissant au plus près du citoyen, in concreto, d'autre part de décloisonner en mettant fin à l'enfermement dans les différents corps. Comment, avant même de parler de mobilité, pouvons-nous faire mieux connaître ces parcours professionnels et les rendre plus attractifs ? Comment comptez-vous organiser la répartition des effectifs sans les fameuses filières de grands corps ?
Enfin, la carrière des cadres supérieurs – dont la dynamisation est une priorité – doit aussi être adaptée à leurs compétences et à leur expérience. La mobilité interversants entre le public et le privé s'intensifie-t-elle déjà ?
J'ai appelé cette réforme de mes vœux. À ce stade des premières annonces et dans l'attente de la version stabilisée de l'ordonnance, elle me semble être à la hauteur des enjeux et elle envoie un signal positif aux Français. Notre tâche, en tant que parlementaires, est de promouvoir ses objectifs.
L'ordonnance étant en cours d'élaboration, je ne peux que me référer aux annonces qui ont déjà été faites concernant les grands axes de la réforme. Nous partageons les constats : il faut accroître la proximité entre l'État et les citoyens – une demande qui s'exprime sur tout le territoire –, l'attractivité des métiers de la fonction publique, qui souffrent d'un manque de candidats à beaucoup de postes, et l'efficacité de l'action de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans le service public.
Comment comptez-vous mettre un terme à l'étanchéité entre les fonctions publiques au cours de la carrière des agents ? Nous en avions discuté lors des débats sur le projet de loi « engagement et proximité », mais nous n'avions pas obtenu de réponse concrète, car les choses n'étaient alors pas prêtes.
Quel est le périmètre de la revalorisation des fonctions de cadre supérieur de la fonction publique que vous avez évoquée ?
La présence et l'efficacité de l'État dans les territoires est un sujet prégnant, particulièrement dans les territoires ruraux. Les préfectures départementales, notamment, ont beaucoup souffert de réformes qui étaient – je le dis pour que vous n'ayez pas à le faire – antérieures à ce quinquennat. Elles ont besoin d'être alimentées en moyens humains. Comment envisagez-vous d'y pourvoir ?
Vous avez l'intention de rehausser les fonctions les plus « capées » du service public, mais il faut aussi renforcer les effectifs de presque tous les postes. La question des moyens généraux ne manquera donc pas de se poser à long terme si vous voulez atteindre vos objectifs. Menez-vous une réflexion en ce sens dans le cadre de l'élaboration de l'ordonnance ?
Dans le paysage politique, il y a ceux qui parlent beaucoup et qui ne font rien lorsqu'ils en ont l'occasion et il y a ceux qui parlent, mais avec la conscience aiguë de ce que vaut un engagement devant les Français, et qui agissent. Après des années d'effets d'annonce, voici enfin des annonces suivies d'effets.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont agi, sous l'impulsion du Président de la République, pour réformer l'action publique, rapprocher l'État de nos concitoyens et tenter de mieux prendre en compte la réalité des territoires et de ceux qui y vivent. En revalorisant les carrières, il s'agissait de redonner aux agents des trois versants de la fonction publique de l'envie et du sens à leur action. Après la loi de transformation de la fonction publique d'août 2019 et les mesures annoncées pour promouvoir l'égalité des chances dans la fonction publique grâce au programme « Talents du service public », vient la réforme que vous vous apprêtez à présenter, madame la ministre. Le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés sera à vos côtés pour faire de ce texte une étape supplémentaire du renouveau de l'action publique. Parmi les enjeux de la réforme figure la formation, ainsi que la mobilité des fonctionnaires.
Ce sont 90 % des hauts fonctionnaires qui travaillent à Paris alors que 90 % des autres catégories de fonctionnaires exercent au-delà du périphérique. Comment entendez-vous remédier à ce déséquilibre qui crée un fossé tant entre les Français et les cadres supérieurs de l'État qu'entre les fonctionnaires eux-mêmes ?
Contrairement à ce que certains veulent laisser entendre à des fins électoralistes, la suppression du corps préfectoral, annoncée par le Premier ministre, ne va pas entraîner la suppression des préfets, de leur mission et de leur autorité sur les services déconcentrés de l'État. Leur fonction est maintenue : c'est le corps préfectoral, c'est-à-dire la gestion des carrières selon des critères propres, qui va être supprimé. Quels effets attendez-vous de cette suppression ? Pensez-vous qu'elle ouvrira la porte à de nouveaux profils ?
Pour bien juger l'administration, il faut bien la connaître et, pour bien la connaître, il faut interroger ses agents avant de s'engager dans une action – mais je ne doute pas que cela a été fait… Voici à nouveau une réforme qui doit renforcer la confiance ; en la matière, nous serons armés en 2022 : « confiance » est un terme que vous avez préempté de manière quasi abusive. Nous sommes bien sûr favorables à une réforme qui vise à étendre l'accès à la haute fonction publique, mais n'oublions pas que la fonction publique n'a pas attendu votre arrivée au pouvoir pour évoluer. Bien des choses ont été faites depuis 1945. Nous avons récemment commémoré le 10 mai 1981 aux côtés d'Anicet Le Pors ; c'est l'occasion de rappeler le travail accompli pour définir dans le statut de la fonction publique les droits et les devoirs des agents publics.
L'administration n'est pas responsable de tous ses problèmes. Elle a été affaiblie par la réduction constante de ses moyens. Il suffit d'aller dans une préfecture pour se rendre compte de l'incapacité de ses services à mener un vrai travail de proximité. J'ai bataillé pour garder une sous-préfecture dans mon département, mais elle est devenue un simple mur couvert de boutons et de flèches surmonté de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ; je m'en suis d'ailleurs ouverte au préfet. La vitrine de l'État dans les territoires doit pourtant être accueillante et bienveillante afin de renforcer la confiance, pour reprendre des termes qui vous sont chers.
La neutralité de l'administration est essentielle aux postes d'encadrement, comme à tous les autres postes. Comme d'autres valeurs du service public, cette neutralité est le fruit d'une longue maturation et il ne faudrait pas qu'elle soit détruite par hâte ou par inattention.
Les grands corps d'ingénieurs sont très présents dans la haute fonction publique, notamment au sein des ministères techniques, qui sont très puissants. Leurs membres mettent à profit, tout comme les énarques, leurs influents réseaux pour organiser le pantouflage, que nous combattons. Qu'avez-vous prévu à leur sujet ?
Qu'en sera-t-il de la période transitoire ? Les jeunes qui se présentent aux concours sont inquiets.
Enfin, comment allez-vous veiller à la neutralité de la fonction publique ? Le corps préfectoral a certes des défauts, mais il possède une culture déontologique de l'apparence de neutralité. Les maires savent que, quelle que soit leur couleur politique, leurs dossiers sont traités de la même façon. Nous devons nous assurer que l'exigence déontologique de neutralité, de probité et d'impartialité sera bien respectée. Or, en la matière, la réforme, si elle manifeste une volonté d'ouverture, suscite des inquiétudes.
Je voudrais saluer la capacité de travail et le dévouement de la haute fonction publique française, mise à rude épreuve depuis le début de la crise et qui est un exemple au niveau international. Cela dit, un besoin de changement se manifeste, notamment en raison d'un sentiment d'éloignement du terrain et d'un manque de représentativité. Il apparaît également nécessaire de renforcer l'attractivité de certaines fonctions afin de continuer à attirer les meilleurs. Le projet que vous nous présentez est ambitieux ; nous nous réjouissons du choix qui a été fait de maintenir le statut tout en adoptant une logique de métier. En permettant à l'ensemble des fonctionnaires de suivre un tronc commun de formation, la nouvelle organisation homogénéisera leurs compétences. La création du corps des administrateurs de l'État chargés de concevoir, de mettre en œuvre, d'évaluer et de contrôler les politiques publiques est bienvenue. Elle est complémentaire de ce qui a été fait jusqu'ici.
Quelles sont les pistes statutaires que vous avez envisagées pour concrétiser la mobilité des hauts fonctionnaires et sortir ainsi du fonctionnement en silo ?
Les stages effectués par les élèves de l'École nationale d'administration (ENA) ont une dimension internationale, territoriale, mais aussi entrepreneuriale : l'un d'eux doit avoir lieu au sein d'une PME afin de faire mieux connaître les contraintes des entrepreneurs ainsi que leurs attentes vis-à-vis des politiques publiques. Comptez-vous maintenir cette prise de contact avec le secteur privé dans le cadre de la formation dispensée par l'INSP ?
Les cadres formés par l'Institut auront des missions de contrôle des politiques publiques. Envisagez-vous de tisser des liens entre eux et les parlementaires, qui exercent eux aussi cette mission ?
Discuter d'un texte dont nous ne connaissons pas le détail est inconfortable et entrave l'exercice de notre mission de contrôle.
Nos collègues de la majorité ont insisté sur l'instrumentalisation électoraliste par certaines personnes du débat suscité par la réforme. L'annonce de la suppression de l'ENA par le président Macron en 2019, en plein mouvement des Gilets jaunes, relève pourtant elle aussi d'un discours démagogique et son calendrier, quelques mois avant le début de la campagne présidentielle, d'une forme d'exploitation. Il serait donc souhaitable d'éviter ce type de propos.
Votre réforme n'est pas révolutionnaire puisque vous vous contentez de poursuivre le travail de casse de la fonction publique déjà entrepris pour d'autres catégories par toutes les sensibilités politiques. Nous en avions débattu lors de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique. Nous nous opposons vivement à la dernière étape de ce travail, celle qui concerne la haute fonction publique, dont vous accélérez la fragilisation du statut. Je souhaite vous interpeller sur la neutralité et la préservation de l'indépendance de la haute fonction publique.
Rien n'est prévu pour lutter contre le pantouflage, alors que cette pratique va contre l'intérêt général et porte atteinte à la crédibilité et à l'efficacité de la haute fonction publique.
La magistrature administrative a connu, à la suite de l'annonce de la réforme, un mouvement inédit depuis 2011. Les magistrates et les magistrats se sont fortement mobilisés pour dénoncer la perte de leurs garanties d'indépendance et d'impartialité. Quelle est votre réponse à cette mobilisation ?
Il y a quelques jours, une tribune a été publiée dans un grand journal par d'anciens élèves de l'École polytechnique sur le rôle de l'entreprise Total et de ses réseaux d'influence au sein de cette grande école. Or rien, dans votre réforme, ne permet de rassurer ceux qui sont prêts à s'investir au service de l'intérêt général en garantissant leur indépendance vis-à-vis des stratégies de grands groupes comme Total.
Nous sommes opposés à cette réforme qui remet totalement en cause l'héritage de 1945 et nous ne manquerons pas de la supprimer lorsque nous serons majoritaires.
J'étais rapporteure de la mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme, à laquelle ont participé une quinzaine de collègues. Le racisme et les discriminations sont punis par le code pénal et condamnés par la société, mais les inégalités subsistent. Lors de nos auditions, nous avons entendu des personnes qui, en même temps qu'elles dénonçaient un État raciste, reconnaissaient que ces inégalités étaient dues à des paramètres difficilement maîtrisables et qu'il n'y avait pas une volonté d'État de les perpétuer. Mais il faut une ferme volonté pour les défaire – vous avez démontré que la vôtre est entière.
Afin de réaliser la promesse républicaine de l'égalité des chances, il faut prendre garde, en ce qui concerne le recrutement, de créer de nouvelles inégalités alors que l'objectif est justement de les réduire. Je pense à la concurrence implicite entre les candidats issus des quartiers populaires et ceux des territoires ruraux, qui partagent pourtant un sentiment de désespoir. Comment les recruter, comment faire en sorte qu'ils se projettent dans les carrières de la haute fonction publique ?
Nous avons voté il y a quelques mois, lors de la première lecture du projet de loi confortant le respect des principes de la République, la formation à la laïcité de l'ensemble des agents des trois fonctions publiques. Comment prévoyez-vous de les impliquer davantage dans la défense de la laïcité ?
La réforme de la haute fonction publique est souhaitée de longue date par le Président de République, mais aussi par ses prédécesseurs – dont la volonté de réussir était peut-être moindre, il est vrai. Elle n'est donc ni une nouveauté ni une surprise, d'autant moins que nous travaillons sur le sujet depuis le début de la législature ; nous l'avons notamment fait dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique, en 2019. Le recrutement est l'un des aspects de la haute fonction publique qui doit être revu, en ce qui concerne tant les modalités des concours et l'apprentissage que la diversité des profils. De nombreuses solutions sont déjà proposées ; le programme Talents du service public pose la première pierre de la réforme.
Une école fondée il y a plus de soixante-quinze ans, aussi prestigieuse soit elle, a nécessairement besoin de se renouveler, et ce renouvellement ne peut passer uniquement par un changement de nom. Le choix du Gouvernement et de notre majorité est, avec l'INSP, de moderniser l'ENA plutôt que de la supprimer. La création d'un tronc commun à l'ensemble des écoles de service public permettra, en diversifiant les profils, de mettre fin à une forme d'aristocratie d'État tant décriée. Revoir la logique d'accompagnement des carrières et des mobilités permettra de décloisonner des parcours similaires et, parfois, déterminés trop tôt. La formation des hauts fonctionnaires sera adaptée, tout au long de leur carrière, pour correspondre aux aspirations et aux compétences de chacune et chacun.
À moins d'un mois des élections régionales et à un an de l'élection présidentielle, il n'est pas étonnant de voir les querelles politiciennes prendre le pas sur un débat de fond concernant un sujet primordial pour nos concitoyennes et concitoyens, mais aussi pour la continuité de nos institutions. L'objectif du Gouvernement n'est pas de déconstruire notre histoire nationale, mais au contraire de l'adapter à notre avenir. De fausses informations sur la réforme sont entretenues par certaines personnalités politiques. Comment préserver la haute fonction publique de ces tentatives de déstabilisation ?
Cette réforme est courageuse. Si elle agace, c'est parce qu'elle traduit une reprise en main de la haute administration par le politique. En effet, depuis plusieurs années déjà, un déséquilibre croissant s'est fait jour entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif ; nous, parlementaires, avons pu le constater, toutes majorités confondues. Je m'étonne pourtant que, pour beaucoup, il soit urgent de ne rien changer. C'est une union nationale du statu quo qui se forme alors que les failles du système actuel sont bien connues : avancement systématique des carrières sans considération des résultats obtenus, déconnexion profonde entre les nouveaux hauts fonctionnaires et la réalité opérationnelle du terrain, manque de personnalités venant du privé et de doctorants, proportion parmi les élèves de l'ENA de 80 % d'enfants de parents appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures.
Les prédécesseurs du Président de la République avaient eux aussi constaté la nécessité d'un changement. Valéry Giscard d'Estaing déplorait le manque de spécialisation des enseignements de l'ENA et avait pour projet de supprimer celle-ci. Nicolas Sarkozy, qui trouvait choquant que le résultat d'un concours obtenu à 20 ans oriente toute une vie professionnelle, voulait supprimer le classement de sortie de l'ENA, et Manuel Valls, alors Premier ministre, envisageait une réforme du corps préfectoral de la même teneur que celle que nous réalisons aujourd'hui. Certains crient à la déconstruction de l'héritage du général de Gaulle alors même que tous les fondements méritocratiques de l'ordonnance de 1945 ont été sapés depuis longtemps.
La réforme ne vise pas les personnes, mais un système à bout de souffle qui a montré ses limites. Face à la défiance qui mine notre pacte démocratique, il est urgent de rétablir l'attractivité de la haute fonction publique, d'assurer la diversification des parcours et des profils, de promouvoir le rapprochement vis-à-vis du terrain et d'améliorer l'efficacité des hauts fonctionnaires. Comment la réforme, dans l'esprit d'un retour aux fondamentaux du service de l'État, pourra-t-elle atteindre ces objectifs ?
Quelle serait la place du Parlement, et plus particulièrement de l'Assemblée nationale, dans le recrutement et la nomination des futurs hauts fonctionnaires, qui viendront d'horizons plus variés ?
À quoi ressembleront les nouvelles obligations de résultat des hauts fonctionnaires, notamment le système de notation prévu pour les préfets, et comment le non-respect de ces obligations sera-t-il sanctionné ?
La présente réforme est un aboutissement : de nombreuses briques ont été posées depuis 2017, notamment par la loi de transformation de la fonction publique.
Il faut mettre fin à la politisation du débat. Les hauts fonctionnaires sont très attachés à la neutralité. Les propos de certains responsables politiques, auxquels plusieurs d'entre vous ont fait référence, ne sont pas des propositions. Or ce qui honore le débat public, ce sont les propositions et le respect des hommes et des femmes engagés au service de l'État et des Français.
Je suis très attachée au statut de la fonction publique. Certains de vos collègues ont proposé, il y a quelques semaines, une contractualisation totale de l'ensemble des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires. Mais nous ne revenons pas sur les avancées obtenues par Anicet Le Pors et les administrateurs de l'État seront pleinement intégrés au statut de la fonction publique. Ses dispositions concernant la neutralité, l'impartialité, la loyauté, l'égalité de traitement et la laïcité sont une protection pour eux et, dans le cadre de la confiance – terme que je revendique, madame Untermaier – que nous souhaitons instaurer entre les Français et l'administration, il est important que ce statut soit renforcé.
La réforme cherche à protéger les institutions et non les corps ; c'est différent. Protéger les institutions, c'est protéger leur impartialité et leur efficacité, ainsi que la capacité de la Cour des comptes, du Conseil d'État et des inspections à formuler des propositions et à prononcer des sanctions de manière libre et autonome. Nous n'avons pas besoin d'un corps pour garantir cette neutralité.
Certains d'entre vous ont regretté de n'avoir pu prendre connaissance du texte de l'ordonnance. Nous attendons son examen par l'assemblée générale du Conseil d'État, ce qui permettra de le finaliser la semaine prochaine avant de le déposer pour ratification sur le bureau des assemblées. Je suis devant vous à ma demande, car rien dans le processus régissant les ordonnances n'oblige un ministre à se présenter devant les parlementaires à ce stade – votre travail de contrôle et d'évaluation, lui, pourra être mené par la suite.
Le tronc commun permet de créer un socle de références, de réflexes et de méthodes communs aux quatorze écoles de service public, qui comprennent l'école du versant territorial qu'est l'Institut national des études territoriales (INET) et l'école du versant hospitalier qu'est l'École des hautes études en santé publique (EHESP) ainsi que les écoles d'application de Polytechnique qui forment les ingénieurs des Ponts, les ingénieurs des Mines et les ingénieurs agronomes. Ce tronc commun, qui sera enseigné à l'INSP dès 2022, complète la formation à chaque métier, puisque celle d'un commissaire de police n'est pas celle d'un directeur d'administration pénitentiaire ni celle d'un ingénieur des eaux et forêts. Une partie de ce tronc commun sera constituée d'expériences communes autour d'un stage ou d'un projet ; nous souhaitons encourager une dynamique interécoles par des moments de rencontre, de création et des expériences professionnelles partagées. Le tronc commun a vocation à être approfondi, notamment par des expériences concrètes de terrain.
La réforme est guidée par la volonté de prendre en considération à la fois les compétences des hommes et des femmes qui font vivre la haute fonction publique et les besoins de l'État pour répartir les effectifs. Ainsi, dans la promotion 2021 de l'ENA, le nombre d'élèves commençant leur carrière au ministère de la Santé ou à celui chargé du travail sera porté de cinq à onze. Afin de pouvoir tenir compte des aspirations des femmes et des hommes de la haute fonction publique, la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État aura pour mission de définir une stratégie collective pour l'ensemble de l'encadrement supérieur et d'organiser les mobilités interministérielles. Cette délégation sera aussi un lieu où les hauts fonctionnaires pourront être écoutés et réfléchir à leur carrière, à leur reconversion ou à leur formation.
Pour accroître l'ouverture de la fonction publique, nous avons lancé une campagne destinée à inciter les jeunes de 16 à 24 ans à rejoindre le service public. Cette campagne a notamment pour objectif de faire connaître la réalité des métiers publics, qui sont l'objet de fantasmes et de clichés. Nous avons aussi pris la décision de proposer 43 000 offres de stage au sein de l'État en 2021, pour que les jeunes connaissent de l'intérieur la réalité des métiers, et d'y offrir 14 000 places d'apprentissage, soit 6 000 de plus que l'année dernière. Toutes fonctions publiques réunies, 100 000 jeunes sont embauchés chaque année ; malgré la stabilité de l'emploi, les renouvellements liés à la pyramide des âges ainsi que le dispositif « 1 jeune, 1 solution » demandent un tel volume de recrutement.
Dans les emplois de direction, 87 % des postes de directeur d'administration centrale ont été renouvelés depuis 2017 ; 18 des 200 directeurs d'administration centrale et 40 des 650 postes d'encadrement viennent d'autres horizons que celui de la fonction publique. Il y a donc bien une progression de l'ouverture de la haute fonction publique. La délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État a pour mission d'être une voie d'entrée pour ceux qui, venant du secteur privé, souhaitent servir leur pays : elle leur indiquera à qui s'adresser et comment être accompagnés dans leur parcours de formation. Des cycles de formation à destination des cadres dirigeants de l'État sont ouverts à des cadres du privé, mais encore dans des proportions restreintes. Je vous remercie, madame Chalas, d'avoir rappelé qu'il n'était question dans cette réforme ni de copinage, ni de politisation, ni de récupération et je remercie l'ensemble des députés de la majorité d'avoir voté la loi d'habilitation qui nous a permis de travailler en cohérence avec la loi de transformation de la fonction publique.
Monsieur Viala, j'ai apprécié la modération de vos propos. Elle tranche avec la non-modération de ceux de certains membres de votre famille politique, candidats à des candidatures variées, et même un ancien ministre de la fonction publique, qui ont propagé des mensonges. Vos constats rejoignent ce que nous défendons. Favoriser la mobilité entre les fonctions publiques est un dossier auquel je travaille de façon approfondie avec le Premier ministre. Cette mobilité se fera d'abord grâce au tronc commun de la formation à l'INSP, mais la question de la mobilité entre les versants de la fonction publique se pose également au cours de la carrière d'un haut fonctionnaire. La délégation interministérielle à l'encadrement supérieur a vocation à faciliter et à organiser cette mobilité. Nous avons par ailleurs ouvert aux administrateurs territoriaux des postes d'experts de haut niveau et de directeurs de projet dans le cadre du déploiement des sous-préfets à la relance. La déconcentration différenciée et efficace de l'action publique est pour moi une priorité. Il faut aller plus loin, notamment en s'intéressant à ce qui se passe lors du retour dans leurs collectivités d'origine des administrateurs territoriaux qui ont occupé des postes d'État, afin de les inciter à la mobilité.
Environ 10 000 personnes, qu'il s'agisse d'administrateurs civils ou de membres d'autres corps, ont vocation à rejoindre le corps des administrateurs de l'État. Ce périmètre, qui sera précisé dans l'article 1er de l'ordonnance, peut toutefois être élargi à tous ceux qui aspirent à devenir des encadrants supérieurs grâce à la méritocratie interne et à la progression de carrière. J'ajoute que les tours extérieurs, notamment au sein des ministères, continueront de jouer un rôle et que les modalités de recrutement seront précisées.
Vous posez une autre question importante, celle de la présence et de l'efficacité de l'État dans les préfectures de département. Dans sa déclaration de politique générale, en juillet 2020, le Premier ministre avait affiché sa volonté de stabiliser les effectifs de l'État. Des postes seront toutefois créés ou réalloués dans les services déconcentrés. Nous déploierons à ce titre 2 500 emplois en 2021 et ce sera une caractéristique forte du schéma d'emploi de 2022. Les suppressions mécaniques de postes sous les précédentes majorités, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), ont beaucoup affaibli l'État et lui ont fait perdre ses bras, ses jambes, ses yeux et ses oreilles sur le terrain. Je suis la première ministre de la fonction publique depuis quinze ans à avoir envoyé des hauts fonctionnaires au niveau départemental. En obligeant les administrateurs de l'État à occuper un poste opérationnel ou de terrain dans les premières années de leur carrière, nous prévoyons d'affecter au sein des ARS, des directions régionales des finances publiques ainsi que d'autres directions départementales des hauts fonctionnaires issus de la promotion interne, du troisième concours ou du concours externe. J'insiste sur la nécessité de valoriser les carrières opérationnelles, qui peuvent être aussi belles que des carrières orientées vers des fonctions d'inspection, de jugement ou de contrôle.
La question des moyens généraux à long terme est d'abord politique : quel est le périmètre de l'action de l'État ? C'est aussi une question d'efficacité de l'organisation de l'État, le Président de la République l'a dit le 8 avril dernier. Notre visée est de réallouer les moyens dans le cadre d'une stabilité générale des effectifs.
Les préfets jouent un rôle majeur dans la mise en œuvre efficace des politiques publiques et nous cherchons à renforcer les moyens humains dont ils disposent afin qu'ils puissent notamment décider de manière différenciée de l'affectation de leur budget. Nous cherchons également à valoriser leur expérience et leurs compétences et à leur donner des perspectives de carrière plus diversifiées. Ces femmes et ces hommes peuvent en effet se trouver, à un moment donné de leur riche carrière, dans une situation où ces perspectives se réduisent et sentir que ce qu'ils peuvent apporter à l'intérêt général n'est plus valorisé. Le corps préfectoral est très ouvert et accueille beaucoup de profils différents. La première des urgences, c'est d'offrir des perspectives en dehors de ce corps : s'il accueille beaucoup, ses membres ont aussi vocation à être accueillis au-delà de son périmètre classique d'action. Le métier de préfet comporte des obligations, des droits et des sujétions très spécifiques. Nous travaillons avec Gérald Darmanin, qui pilote ce chantier, à la création d'un statut d'emploi précisant les compétences requises, les modalités de formation et les perspectives de carrière. Ce statut permettra, selon une logique de compétences et de métier, de valoriser les parcours sans être tenu par la seule logique du corps, qui est parfois très administrative. Je rappelle, en réponse à ceux qui craignent une politisation du corps préfectoral, que, depuis Napoléon, les préfets sont nommés par le pouvoir exécutif, au même titre que les ambassadeurs, qui le sont, eux, depuis François Ier. Le corps des préfets n'a réellement pris forme qu'en 1964. Auparavant, ils étaient reconnus dans leurs missions et dans leur métier, non au sein d'un corps. C'est donc le statut et la culture des administrateurs de l'État qui imposent la neutralité : celle-ci ne dépend pas de l'autorité qui les nomme, puisque les préfets ont toujours été nommés par le pouvoir exécutif.
Madame Untermaier, vous dites qu'on ne nous a pas attendus, mais les Français, eux, ont beaucoup attendu et le courage a souvent manqué au cours des derniers quinquennats. Je reconnais toutefois que la majorité que vous souteniez, celle de François Hollande, de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, a essayé de mettre en œuvre une réforme issue des travaux de Marylise Lebranchu et d'Annick Girardin, lesquels ont inspiré beaucoup des propositions que nous appliquons aujourd'hui. Toutefois, sa mise en œuvre n'a pas été soutenue politiquement.
Nous avons plus que jamais besoin des compétences techniques des ingénieurs, car les défis du XXIe siècle sont techniques et parfois complexes, qu'il s'agisse de l'écologie, du numérique ou de l'éthique des algorithmes. Nous avons besoin d'ingénieurs dans des postes qui, aujourd'hui, ne leur sont pas ouverts. C'est aussi l'un des objectifs de la réforme que d'ouvrir des postes en fonction des compétences et non de l'appartenance à un corps. C'est même le moteur de la réforme. L'État n'est plus assez attractif dans certaines filières techniques, notamment le numérique – une fragilité qu'il faut regarder en face. Pour recruter les profils experts dont nous avons besoin, nous sommes en train de déployer de nouveaux programmes de recrutement. Dans les corps techniques comme dans les corps administratifs, les carrières se figent très tôt sur la base des classements. Il existe en outre un problème de diversité dans les filières des corps techniques, du point de vue social et géographique, mais aussi quant à la diversité femmes-hommes. Le recrutement des corps techniques est aujourd'hui trop limité à l'École polytechnique, qui intègre ses étudiants à 19 ou 20 ans. Une fois formés, ils servent admirablement l'État, mais, en général, après cinq à dix ans d'expérience, ils rejoignent le secteur privé et leurs compétences viennent à nous manquer.
Le Président de la République a été très clair : les corps d'ingénieurs sont concernés par la réforme, même si celle-ci touche d'abord les corps administratifs. Les ingénieurs participeront donc au tronc commun et seront soumis aux obligations de mobilité fonctionnelle en dehors de leur ministère ou de leur filière afin de pouvoir monter en grade. Nous y travaillons afin que les ingénieurs soient, à terme, rattachés au corps des administrateurs de l'État. Ce rattachement n'interviendra toutefois pas dans les mois qui viennent.
Nous sommes attachés à un principe de confiance légitime : ceux qui préparent aujourd'hui les concours passeront les épreuves pour lesquelles ils se préparent. Nous menons une réflexion sur les épreuves afin de les adapter tant aux compétences que nous cherchons qu'à la formation qui est ensuite proposée. J'ai pu, dans ce cadre, échanger avec les promotions actuelles des élèves de l'ENA ainsi qu'avec des préparationnaires. Afin de respecter le cycle des concours, la première promotion concernée par les nouvelles modalités de sortie sera celle qui entrera à l'INSP le 1er janvier 2022. Tous ses membres seront, à l'issue de leur scolarité à l'INSP, des administrateurs de l'État.
Je remarque avec une pointe de malice que, en défendant l'idée que les administrateurs de l'État soient rattachés à un statut et à un corps et que le grade soit détaché de l'emploi, je me situe dans la continuité de l'action d'Anicet Le Pors. Nous perpétuons ainsi les solides fondements de notre fonction publique quand d'autres défendent l'idée d'une contractualisation totalement ouverte, qui aurait posé des questions de respect de nos principes.
La création du corps des administrateurs de l'État demande l'élaboration de lignes directrices de gestion interministérielle qui définiront la stratégie interministérielle de mise en cohérence des différentes politiques d'encadrement de chaque métier, de chaque filière et de chaque ministère, afin que les administrateurs de l'État aient une visibilité quant à leurs perspectives de carrière.
Je suis très attachée à ce que l'INSP forme les honnêtes femmes et les honnêtes hommes du XXIe siècle. La formation devra donc, au-delà des matières classiques, intégrer les sciences comportementales, la simplification de l'action et le lien avec nos concitoyens, et elle devra moins diffuser la culture de la norme. La formation devra aussi intégrer des expériences dans les territoires – le stage en préfecture est unanimement reconnu comme étant très formateur –, mais également dans les PME et à l'international.
Madame Obono, je ne crois pas que « casse » soit le nom commun qui décrive l'action que nous menons. J'assume le terme de transformation mais, manifestement, il ne fait pas partie de votre vocabulaire. La transformation demande de reconnaître nos forces et nos faiblesses avant de tracer un chemin vers un monde où les jeunes générations ont leur place. Elle demande également une adéquation entre les défis et les moyens. Vos formules affaiblissent le débat. Nous sommes fortement attachés au statut et à ses principes de neutralité. Nous ne nous situons donc pas dans une logique de précarisation ou de récupération politique des hauts fonctionnaires.
Vous m'interrogez sur le pantouflage. Je rappelle que le Président de la République lui‑même, ainsi que certains membres du Gouvernement, ont fait le choix fort de démissionner de la fonction publique pour occuper leurs fonctions politiques. Cette démarche permet de créer de la clarté. Par ailleurs, vous avez, en tant que législateur, renforcé dans la loi de transformation de la fonction publique les obligations déontologiques et le rôle pivot de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Je m'étonne donc d'entendre que nous ne ferions rien de nouveau. Je vous invite à évaluer ce cadre législatif avant de songer à le modifier.
J'ai entendu l'inquiétude des magistrats administratifs, exprimée lors de manifestations et de grèves qui ont regroupé 12 % des effectifs lors du deuxième jour de mobilisation. Je suis très attachée à l'indépendance et à la dualité de notre justice, à la fois administrative et judiciaire. Ce qui change pour les magistrats administratifs est qu'ils seront soumis à une obligation d'exercice en administration active avant de prendre des fonctions de jugement. Par ailleurs, le cadre des obligations de mobilité sera revu, car les incompatibilités rendent aujourd'hui les mobilités difficiles.
Le programme « Talents du service public » vise à ne pas opposer la diversité sociale à la diversité territoriale. À niveau égal, les étudiants qui auront passé leur baccalauréat dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ou dans une zone rurale seront favorisés lors du recrutement dans ces classes préparatoires.
Nous nous préparons à former à la laïcité l'ensemble des agents publics de l'État d'ici à 2024. Le tronc commun de la formation des hauts fonctionnaires inclut une brique spécifique sur les valeurs de la République, notamment la laïcité, et leur mise en œuvre concrète. Parler de la laïcité en théorie est une chose, la mettre en œuvre en tant que recruteur, manager ou gestionnaire d'un service de relations avec les usagers en est une autre. Ce sera une très grande avancée que de voir les directeurs d'hôpitaux, les préfets, les commissaires de police, les administrateurs territoriaux partager une même formation sur la laïcité. J'en profite, madame Abadie, pour vous remercier pour votre travail et votre engagement contre les discriminations.
C'est le statut des hauts fonctionnaires qui les préserve de la récupération politique. Je sais, monsieur Gouffier-Cha, que vous y êtes autant attaché que moi. Ce statut fixe un cadre d'action efficace et de liberté, tout en précisant les droits et les devoirs de chacun. Les hauts fonctionnaires appliquent la politique voulue par un gouvernement démocratiquement élu, ils ne font pas autre chose. C'est un principe exigeant et je crois que les Français reconnaissent l'efficacité d'une administration qui travaille selon cette philosophie. Je vous remercie de votre soutien à ce sujet.
Monsieur Person, il n'y a pas de reprise en main de l'administration par le politique. Les politiques que nous sommes assumons courageusement de mettre sur le métier une réforme qui a fait l'objet de beaucoup de débats ne s'étant guère traduits par des applications concrètes. La fonction publique ne doit pas être reprise en main par quiconque. Elle doit être accompagnée pour être efficace.
Le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale seront sollicités pour nommer des personnalités qualifiées qui siégeront dans les commissions d'intégration aux corps du Conseil d'État et de la Cour des comptes. Pour éviter la reproduction par cooptation, il nous a semblé important que ces commissions soient en partie composées de personnes extérieures à ces institutions. Les trois personnes extérieures intégrant ces commissions paritaires seront nommées par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale. Le Parlement sera donc amené à jouer un rôle important lors du recrutement au sein de ces institutions, qui sont des verrous démocratiques.
L'évaluation ministérielle, puis interministérielle, se fonde sur des éléments de qualité professionnelle. Il s'agit de critères – capacités managériales, capacités d'innovation et capacités d'audace – qui permettent d'évaluer la fonction dans sa plénitude et d'aller ainsi au-delà de la seule progression à l'ancienneté, qui ne satisfait ni l'État dans ses besoins d'évaluation, ni les femmes et les hommes de la fonction publique.
Je constate en conclusion que ceux qui ont critiqué notre action, parfois de manière outrancière, ne sont pas venus débattre dans un cadre démocratique et n'ont pas cherché les explications qui s'imposaient. Cela relève d'une démarche de déstabilisation plutôt que de proposition et de débat. En revanche, ceux qui sont réunis dans cette salle croient en la démocratie et en la République. C'est ainsi que nous gagnons la confiance des Français et que nous pouvons les rassurer, car c'est pour eux que nous travaillons à la mise en œuvre de nos engagements, notamment en faveur d'une plus grande efficacité des politiques publiques.
Merci, madame la ministre. Vous présenterez l'ordonnance la semaine prochaine en Conseil des ministres et la loi d'habilitation fixe un délai de trois mois pour déposer le projet de loi de ratification. J'imagine donc que ce dépôt sera fait à la rentrée. Pourriez-vous prendre l'engagement, au nom du Gouvernement, d'inscrire le texte à notre ordre du jour pour que nous puissions en discuter ? Aucun des nombreux projets de loi de ratification n'a été inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée au cours de ces derniers mois de crise sanitaire, de sorte que nous n'avons pas pu débattre de façon approfondie de leurs sujets. Votre présence parmi nous aujourd'hui revêt donc une importance particulière. Nous partageons vos objectifs et il est souhaitable que le Parlement puisse débattre du texte de l'ordonnance.
Je me tiens naturellement à l'entière disposition du Parlement et je serais ravie de revenir devant votre commission. Le projet de loi de ratification sera déposé dans les délais, comme de coutume. Pour le reste, le calendrier sera défini en fonction de l'ordre du jour de votre commission et de celui de la séance publique, tous deux très chargés.
La réunion se termine à 15 heures 25.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.