Nous nous réunissons aujourd'hui vingt ans après la présentation, devant l'Assemblée nationale, d'un rapport historique, véritable humiliation pour la République, celui de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises présidée par Louis Mermaz et dont Jacques Floch était rapporteur. Ce rapport dénonçait la surpopulation carcérale et soulignait la nécessité d'une véritable politique pénale, avant de conclure qu'il ne fallait pas simplement construire des prisons mais mener une réflexion sur le sujet. Vingt ans plus tard, nous en sommes toujours au même point et cela m'interroge.
Quand la porte d'une cellule m'a été ouverte pour la première fois, dans le cadre de mes nouvelles fonctions, une vision d'horreur s'est présentée à moi : celle de trois hommes entassés dans quatre et quelque mètres carrés. Comment avons-nous pu nous habituer à laisser des personnes vivre dans de telles conditions ? Depuis l'arrêt de presque toutes les activités en raison de la pandémie, les prisonniers passent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule.
Il va falloir prendre le problème à bras-le-corps. Je me rendrai bientôt en Allemagne. Ce pays est parvenu à une réduction drastique de sa population carcérale par des mesures alternatives à l'emprisonnement. Le taux d'occupation des prisons, d'un peu plus de 80 %, y est largement inférieur à celui de la France, de même que le taux d'incarcération.
Les ordonnances du Gouvernement, prises au printemps 2020, ont réussi à contenir la pandémie, dans un premier temps. Elles ont permis la sortie de milliers de prisonniers, sans que l'opinion publique s'en émeuve. Le garde des Sceaux n'a malheureusement pas entendu mes appels à renouveler ces mesures. La population carcérale atteint aujourd'hui les mêmes proportions qu'en juillet 2020.
Malgré quelques clusters, l'épidémie a été bien contenue dans les prisons, mais à quel prix ? L'enseignement, le travail et la formation, tous à l'arrêt, reprennent désormais de façon balbutiante. Une journée où j'ai tenu le standard au contrôle général, j'ai été en communication avec un jeune homme de dix-neuf ans, en pleurs parce qu'il recevait les livrets du centre national d'enseignement à distance (CNED) en ordre dispersé, quand ceux-ci lui parvenaient. Il m'a dit que, s'il n'obtenait pas le baccalauréat, après tous ses efforts, il en mourrait. Sa détresse m'a paru symbolique.
J'attire votre attention sur un point : la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire mentionne en premier lieu les efforts demandés aux détenus pour obtenir une réduction de peine. C'est là mettre la charrue avant les bœufs. D'abord il faudrait que la prison fournisse aux détenus les moyens de réaliser ces efforts. Les détenus n'ont pas officiellement accès à internet, ce que je regrette profondément, ou alors seulement par le biais de leur téléphone portable quand ils en détiennent un de manière illicite. Trouver du travail leur prend des mois. Les détenus ne savent même pas quelle position ils occupent sur les listes d'attente pour l'accès à une activité. L'enseignement ne leur est pas encore suffisamment dispensé et ils doivent attendre, là encore, des mois pour consulter un psychologue ou un psychiatre.
Les centres de rétention administrative (CRA), dont nous souhaitions la fermeture, au moins pendant la pandémie, sont restés ouverts. La logique du Gouvernement consistait à y maintenir enfermés les sortants de prison quatre-vingt-dix jours de plus dans l'espoir de les expulser. Ces CRA accueillent aussi des personnes dont le seul tort est de ne pas détenir de papiers en règle. Compte tenu des restrictions en vigueur, elles ne repartiront pas dans leurs pays, à l'exception des Albanais, qui de toute façon reviennent ensuite en France, de même que les « dublinés ».
J'ai découvert avec stupéfaction, dans un rapport sénatorial, le prix d'une journée en CRA : 620 euros. Ce chiffre provient d'un rapport de la Cour des comptes. La détention dans ces CRA, dont certains s'apparentent à de grandes cages, présente un côté punitif. Je me suis rendue à celui de Vincennes. Ce que j'ai vu au pavillon des « positifs » était horrible. Un peu plus de cinquante hommes y cohabitaient sans masque ni gel, sous le prétexte qu'ils boivent ce gel ou l'enflamment. Les gestes barrière m'y ont paru très mal respectés.
Il en va de même, ce qui m'a d'ailleurs proprement horrifiée, dans les commissariats de police et les locaux de garde à vue. Je suis entrée, à Calais, dans un Algeco, vieux de dix ans, où les policiers claquaient des dents à cause du froid. Trois hommes se tenaient dans une cellule, assis sur des matelas infects, dans une odeur ignoble. Une couverture qui traînait là venait de précédents gardés à vue. Le prestataire chargé de nettoyer ces couvertures ne s'en occupe qu'une fois par semaine ou par mois, selon le marché conclu. Aucun geste barrière ne peut être respecté dans ces conditions.
Or, nous sommes tous concernés par cette situation sanitaire, car ces gardés à vue comparaissent ensuite devant la justice ou se retrouvent en liberté parmi la population. Leur situation m'a paru effarante.
Une autre de mes préoccupations porte sur les centres éducatifs fermés (CEF) et l'attention portée aux enfants et aux adolescents les plus cabossés par la vie. J'ai eu la chance d'en visiter un formidable. Une équipe sensationnelle y œuvre depuis dix ans, formée d'éducateurs solides, encadrés par une toute aussi solide direction. Un professeur et un psychologue y venaient tous les jours, ce qui m'a paru incroyable. Selon un rapport que j'avais lu, les enfants, dans ces centres, ne bénéficiaient que de quelques heures de cours par semaine.
Dans un autre centre, visité par une équipe de contrôle, deux éducateurs n'étaient autres que d'anciens gérants d'une discothèque, fermée pour cause de pandémie. Il faudrait, à mon avis, confier les enfants des CEF à des personnes formées, solides, or ce n'est manifestement pas le cas partout. Le bon fonctionnement de certains prouve toutefois que la chose est possible.
Ces CEF accueillent beaucoup d'enfants venus de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Vous allez bientôt vous pencher sur la loi sur la protection de l'enfance. Prêtez attention à l'ASE et aux graves problèmes qui l'entourent. Les équipes des CEF nourrissent un grand regret : celui de ne plus entendre parler, par la suite, des enfants dont elles se sont occupées.