J'ai confiance dans le nouveau projet de loi, équilibré, sur la confiance dans l'institution judiciaire. Certains pays ont fait l'expérience d'un droit en prison si parfait qu'il en est devenu virtuel. Presque plus aucun détenu ne travaille en Italie. Le mécanisme prévu par la loi française, plus raisonnable, promeut la dignité des détenus. L'une des avancées majeures porte sur la possibilité pour un détenu de percevoir une allocation chômage après sa libération et de cotiser, en prison, pour sa retraite.
La pandémie a, paradoxalement, rendu plus attractif encore le travail en prison. L'époque de la délocalisation à outrance en Chine touche à son terme. Peu de dispositifs offrent autant de souplesse que le projet de loi et la relation de proximité des établissements pénitentiaires avec les donneurs d'ordre. Je me montre donc optimiste. L'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) se bat résolument en faveur de ce sujet.
Je partage votre préoccupation quant au taux de suicide. En tant que sous-directeur des personnes placées sous main de justice auprès de Claude d'Harcourt, je me suis notamment occupé du grand plan de lutte contre les suicides, avec l'éminent professeur en psychiatrie qu'est le Pr Terra, spécialiste de la question. Je regrette l'absence d'une étude comparative sérieuse entre les taux de suicide de la population carcérale et d'une autre population aux caractéristiques identiques à l'extérieur. La population carcérale étant soumise à tous les facteurs identifiés de sursuicidité, il conviendrait de mesurer la part de l'incarcération dans les passages à l'acte.
Pour améliorer la situation, il faudrait d'abord mieux responsabiliser les détenus qui, après tout, se sont montrés très raisonnables pendant la crise pandémique. Le dispositif des codétenus de soutien, importé d'Espagne et d'Angleterre, devrait permettre d'impliquer les détenus eux-mêmes dans la prévention des suicides. Il produit de très bons résultats dans les 25 établissements où il a cours. Je souhaite au moins doubler leur nombre l'an prochain.
La mobilisation de la communauté carcérale dans son ensemble revêt elle aussi son importance. Les directeurs d'établissement doivent être avisés des confrontations qui tournent mal. Il faudrait que l'information circule de manière plus fluide auprès des avocats et des visiteurs de prisons. Cette fluidité de l'information compte d'autant plus que l'administration tend à fonctionner en tuyaux d'orgue.
J'ai assisté, ces derniers mois, à deux cérémonies d'obsèques de surveillants décédés de la covid. Notre dispositif, très élaboré, de prise en charge de ces surveillants s'appuie notamment sur un réseau de psychologues de soutien, que la police nationale nous envie. Au-delà des crises et des traumatismes, peu de métiers s'avèrent aussi stressants que celui de surveillant de prison. Maintenir l'ordre et la discipline parmi 100 détenus sur une coursive à Fresnes grâce à son seul savoir-faire ou savoir-être m'apparaît admirable mais extrêmement usant. Il faut œuvrer à l'amélioration des conditions de travail des surveillants, qui passera par l'amélioration des conditions de vie des prisonniers, afin d'apaiser les tensions.
Nous œuvrons par ailleurs à combler le déficit de personnel pénitentiaire par des recrutements. Il pourrait être intéressant d'indexer le nombre de surveillants sur le taux d'occupation des établissements. Malgré leurs inquiétudes et leurs angoisses, les agents ont trouvé la période de la pandémie plus favorable au développement de relations d'un autre type avec les détenus.
J'estime insupportable qu'il subsiste des cellules vides alors que d'autres accueillent trois détenus. L'octroi d'un régime de semi-liberté dépend des magistrats. J'ai fait du lobbying auprès de ceux de Versailles pour remplir les quartiers et centres de semi-liberté des Yvelines alors que le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy frôlait les 180%. Il faut donc convaincre. Je souhaite que soient remplis, d'ici aux vacances judiciaires, les centres de détention où subsistaient 3 000 places vides à l'issue de la crise pandémique.
Je suis extrêmement sensible à la question des conditions de détention indignes. En tant que directeur inter-régional (DI) des services pénitentiaires de Paris, j'ai dû faire face à 40 recours, alors même qu'aucun dispositif n'entourait leur instruction. Je vous remercie, législateurs, de vous être emparés de ce sujet. Vous avez voté une loi mesurée, qui prévoit des délais suffisants pour instruire les demandes. J'ai, comme vous, hâte que son décret d'application entre en vigueur, ce qui ne saurait tarder puisqu'il se trouve entre les mains du conseil d'État.
La prison de Varces compte parmi les plus compliquées à gérer de France. Sa suroccupation a conduit à son délabrement, par manque de crédits, d'autant que la gestion déléguée n'existait pas à l'époque de sa construction. Il faut que des travaux s'y déroulent.
Je vous faisais part de mon souci de l'intégrité physique de toutes les personnes en détention. Entre 2 et 5 personnes succombent, chaque année, des suites d'un incendie, parfois volontaire, en cellule. Nous œuvrons à résoudre ce problème en améliorant la qualité des matelas, quoique l'administration pénitentiaire en utilise déjà d'un haut niveau de sécurité. Se pose aussi la question de la conformité des établissements à la réglementation, différente selon leur date de construction. Les règles habituelles en matière de plan de secours dans un établissement public s'avèrent inapplicables en milieu carcéral. Un plan de levée de réserves a été mis en place sur une durée de trois ans dans les établissements contrevenant aux normes. Nous tenterons d'installer des détecteurs de fumée, y compris dans les quartiers où ils ne sont pas obligatoires.
Il faudrait mener un travail de recherche sur la gestion administrative des EJ. Des décisions ont été prises dans la précipitation sans qu'aucune étude d'impact soit menée. Les surveillants prennent mieux en charge les détenus que les policiers. Les magistrats le confirment. Cependant, malgré nos efforts, nous avons beaucoup peiné à obtenir les moyens nécessaires pour que tout se passe au mieux.
L'administration pénitentiaire assure 92% des 150 000 EJ programmées par an, libérant ainsi du temps aux policiers et aux gendarmes pour leurs autres tâches. Plusieurs établissements en Rhône-Alpes, ceux de Chambéry, Grenoble et Valence, posent des difficultés que nous travaillons à résoudre. Le rapport de l'inspection conjointe a été remis aux deux ministres. À condition de disposer de moyens, ce qui se décidera en principe dans les jours qui viennent, je réaliserai des efforts en termes d'organisation. En région parisienne, malgré un important déficit d'agents, nous relevons moins d'1% d'impossibilité de faire.
Je déplore, comme vous, le manque de prisons nouvellement construites. Certains élus tiennent, au parlement, un autre discours que dans les territoires. Ils prônent la sécurité par l'incarcération sans accepter de prison dans leur circonscription. Il convient de créer des établissements au plus près des besoins. Un programme de construction de 15 000 places a vu le jour. Quatre-vingt-dix pour cent des sites ont été trouvés, y compris en Île-de-France. Déjà, 3 000 places ont été livrées. D'ici 2023, 5 000 autres suivront. Des annonces claires ont porté sur le programme « 8 000 » qui viendra ensuite.