Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 29 juin 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur :

Je me suis déjà beaucoup exprimé dans les hémicycles de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les dysfonctionnements graves qui ont affecté la distribution de la propagande. Au moins trois grandes familles de raisons peuvent expliquer les différences notables entre départements, et le secrétariat général du ministère et moi-même allons y travailler plus précisément.

Premièrement, depuis l'année dernière, un nouvel appel d'offres prévoit une répartition de la distribution – les régions concernées ont été communiquées à la commission – en deux lots, pour moitié par La Poste et pour moitié par Adrexo. Ces sociétés sont les deux seules que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), autorité administrative indépendante, a validées comme pouvant concourir à ces marchés, dont le montant approche 200 millions d'euros. Pour que la concurrence ait un sens, il faut qu'Adrexo et La Poste puissent répondre à l'appel d'offres.

Deuxièmement, l'État a accepté la délégation de la mission de service public qu'est la distribution de la propagande. La France est à peu près le seul pays à organiser l'information électorale de cette manière. Depuis le début du siècle dernier, l'État prend à sa charge l'envoi de la propagande et des bulletins de vote ainsi que les frais des candidats qui obtiennent un certain pourcentage des voix. Une directive européenne de 1997, complétée en 2002, a prévu la libéralisation du secteur postal et le changement de statut de La Poste. Sa transposition en droit interne a donné lieu à la loi de 2005, qui rend obligatoire la concurrence. Jusqu'en 2010, La Poste disposait de l'ensemble des lots, qu'elle partage depuis l'arrivée d'Adrexo. En raison de sa complexité, la distribution de la propagande a toujours donné lieu à des dysfonctionnements – vous le savez si vous avez été militant, élu ou candidat –, mais ils n'ont toutefois jamais atteint de telles proportions.

Troisièmement, l'organisation de ces élections, extraordinaires à maints égards, n'a pas été sans difficulté. Quand la plupart des démocraties européennes, voire mondiales, ont reporté leurs élections locales, nous les avons maintenues, en différant leur tenue par trois fois. Cela n'a pas facilité l'organisation en amont s'agissant du dépôt des candidatures et du traitement de la propagande, de l'impression à la distribution en passant par la mise sous pli. Celle-ci a également été déléguée en partie, notamment à la société Koba, dont nous avons aussi constaté de graves dysfonctionnements – nous y reviendrons. La crise du covid a donné à tout ce travail un caractère assez original. Surtout, c'est la première fois, depuis 1986, que nous avons organisé deux élections en même temps dans l'ensemble du territoire national. Les élections cantonales organisées en même temps que les régionales ne concernaient jusqu'à présent que la moitié de la France.

Le report des élections, la crise du covid et la concomitance de deux élections locales très importantes, décidée par le Parlement en 2015, ont sans doute contribué aux difficultés.

S'agissant des difficultés de distribution dans certains territoires, je n'ai pas entendu les propos qu'ont tenus les responsables des deux sociétés à l'instant. Je les ai moi-même convoqués, après que le secrétaire général l'a fait, à ma demande, après le premier tour. Ils ont reconnu un nombre de plis non distribués plus élevé que la moyenne, atteignant parfois 13 %, y compris dans des départements où La Poste les distribuait. Ce ne sont pas les sociétés, mais l'État, par le biais du ministère de l'Intérieur, et les élus, dans le cadre du comité de suivi présidé par Jean-Denis Combrexelle, qui ont alerté sur le fait qu'un certain nombre de plis n'avaient pas été distribués dans certaines communes, dans un pourcentage similaire pour La Poste et Adrexo. Des variations plus fortes ont été constatées dans les zones couvertes par Adrexo, qui nous ont d'autant plus inquiétés.

Deux types de difficultés ont été constatés. D'abord, des plis non distribués sont restés sur place, alors qu'Adrexo aurait pu rechercher leurs « propriétaires » par des envois postaux complémentaires, en lien avec les mairies, ce que fait habituellement La Poste. Sans doute la sous-traitance a-t-elle été trop importante et confiée à des personnes insuffisamment formées : de nombreux intérimaires et des personnes en insertion ont distribué le courrier, alors que ce travail compliqué requiert un savoir professionnel.

Est ensuite en cause la tenue des listes électorales. Le ministère de l'Intérieur, certes par délégation aux maires, en a la charge, mais il rencontre, avec l'INSEE, des difficultés portant sur les adresses, les compléments d'adresse ou l'état-civil. Indépendamment de la propagande et de la responsabilité des sociétés, nous devons fiabiliser les listes électorales, surtout si le Parlement venait à choisir un mode de scrutin différent ou complémentaire.

La réinternalisation me semble constituer la solution principale pour une bonne partie des opérations de propagande – appellation qui pourrait être modernisée. Entre les deux tours, l'État s'est substitué à de nombreux opérateurs privés : plus de 1 000 agents publics ont été réquisitionnés entre le lundi et le vendredi pour faire les mises sous pli et les distributions. Au passage, même s'il ne baisse pas cette année, le nombre d'agents en préfecture a diminué de 40 % en dix ans – en Lozère, par exemple, il est passé de 130 à 90 agents. En cinq jours, nous avons dû réquisitionner la quasi-intégralité du personnel préfectoral et sous-préfectoral. Manifestement, cette suppléance du service public n'a pas été tout à fait concluante pour le second tour, mais qui pouvait faire mieux en cinq jours ?

Je remercie les dirigeants de la société La Poste, même si eux aussi ont manqué une partie du marché, d'avoir accepté de reprendre une partie des marchés de la société Adrexo, qui était manifestement incapable de les mener à bien.

En conclusion, il me semble qu'il faut accepter l'idée qu'on ne peut pas soumettre à la concurrence ce moment important, d'ailleurs difficile à établir économiquement, qu'est la distribution de la propagande. J'ai proposé au Premier ministre d'étudier la question et je souhaiterais que le Parlement le fasse, avec sans doute davantage d'objectivité que n'en pourrait montrer le ministère de l'Intérieur. Cela impliquerait de demander à la Commission européenne l'autorisation de travailler en direct avec la société La Poste, d'en tirer les conclusions dans la loi nationale afin d'autoriser le ministère de l'Intérieur à passer un marché de 200 millions d'euros. C'est dire si les enjeux sont importants.

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