La réunion débute à 17 heures.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne MM. Éric Paumier, co-président de Hopps Group, et Alain Brousse, directeur général d'Adrexo (filiale de Hopps Group), sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales.
Mes chers collègues, nous auditionnons M. Éric Paumier, co-président de Hopps Group, et M. Alain Brousse, directeur général de la société Adrexo, la filiale de Hopps Group chargée de la distribution et de l'acheminement d'une partie de la propagande électorale des dernières élections départementales et régionales. Nous entendrons ensuite les responsables de La Poste, puis, à dix-huit heures trente, le ministre de l'Intérieur. Le Parlement exerce ainsi les missions de contrôle que lui confère l'article 24 de la Constitution.
Monsieur Paumier, monsieur Brousse, de très nombreux dysfonctionnements ont été relevés dans la distribution de la propagande électorale dans les zones que vous aviez à votre charge. Beaucoup de députés s'en sont fait l'écho. Des plis ont été distribués par dizaines dans une même boîte aux lettres tandis que les autres restaient vides, notamment dans la région Centre-Val de Loire. Aucune distribution n'a été constatée dans certains cantons du Jura ou de l'Isère par exemple. Des difficultés ont été rencontrées dans la Drôme, et le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés m'a communiqué une liste assez exhaustive de défaillances, presque toutes constatées dans les zones qui vous étaient attribuées. Nous souhaitons donc comprendre ce qu'il s'est passé.
Quels sont ces dysfonctionnements, avez-vous réussi à les chiffrer ? Comment sont-ils répartis sur le territoire ? Comment les expliquez-vous ? Quelles relations avez-vous eues avec le ministère de l'Intérieur pendant toute la procédure ? À quel type de réunions avez-vous participé, quel était le reporting prévu, quel suivi le ministère a-t-il assuré sur ces questions ?
Nous vous remercions de votre invitation, qui nous donne l'occasion de nous exprimer officiellement, pour la première fois, sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui. Beaucoup de choses ont été dites dans la presse, mais nous avons décidé de ne pas nous y exprimer, préférant être à la tâche aux côtés de nos salariés. Nous souhaitons ici rétablir certaines vérités, et en tout cas vous dire la nôtre.
Je remercie l'ensemble de nos collaborateurs – plus de 20 000 personnes – qui ont participé à cette opération et qui ont travaillé ardemment, comme vous le savez sans doute, dans des conditions quelque peu difficiles.
Pour faire une présentation rapide, en 2012 nous avons repris la société Adrexo Colis, alors en grande difficulté, que nous avons rebaptisée Colis Privé. C'est alors qu'a été créé Hopps Group, qui a repris d'autres entreprises œuvrant dans le secteur de la logistique et connaissant des difficultés importantes. Nous employons 22 000 collaborateurs, dont 97 % sont en CDI, un statut dont nous sommes de fervents défenseurs : au-delà de leur projet économique et industriel, Hopps Group et sa filiale Adrexo mènent en effet un projet social. À ce propos, je précise qu'Adrexo emploie elle-même 17 000 de ses 22 000 collaborateurs.
Le 3 janvier 2017, le groupe Spir Communication nous a cédé sa filiale Adrexo, une entreprise en très grande difficulté qui subissait près de 40 millions d'euros de pertes pour un peu moins de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires. Comme pour toutes les sociétés que nous avons reprises, nous avons choisi de ne pas engager de plan de sauvegarde de l'emploi ni de licenciements. Nos entreprises se développent par l'augmentation de leur chiffre d'affaires : aussi avons-nous décidé de diversifier largement l'activité d'Adrexo. La diversification majeure concernait la distribution du courrier adressé, cadre dans lequel entre l'acheminement de la propagande électorale. Nous nous y sommes lancés il y a trois ans, et l'entreprise réalise déjà un chiffre d'affaires important sur ce marché où elle se trouve bien sûr en concurrence avec La Poste.
Dans le cadre de l'appel d'offres dont nous parlons aujourd'hui, il nous a été attribué sept régions, soit cinquante et un départements. Adrexo étant la seule entreprise privée française capable de rivaliser avec La Poste dans ce type d'activité, elle a été la seule à répondre à l'appel d'offres. Le contrat doit durer quatre ans, et sa première année a été bien difficile, à plus d'un titre.
Tout d'abord, pour la première fois depuis de nombreuses années, deux élections se sont déroulées en même temps sur l'ensemble du territoire national. C'est quasiment inédit. En 2008, les élections régionales et cantonales ont été concomitantes, mais ces dernières ne concernaient qu'une partie du territoire et ne donnaient donc lieu qu'à une diffusion partielle de propagande électorale.
En outre, l'intervalle entre les deux tours n'était que d'une semaine, ce qui représente une très grande difficulté.
Notre travail préparatoire a bien sûr été compliqué par la situation sanitaire puisque, conformément aux instructions gouvernementales, un grand nombre de nos salariés ont été placés en télétravail.
Enfin, le 25 avril dernier, notre groupe a subi une cyberattaque. Nous avons évidemment prévenu le ministère de l'Intérieur, qui nous a accompagnés. Nous avons également été aidés par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui nous a permis de recouvrer toutes nos capacités informatiques. Cependant, cette cyberattaque nous a beaucoup affectés jusqu'à la troisième, voire la quatrième semaine du mois de mai, c'est-à-dire au début de la distribution de la propagande pour le premier tour. Nous nous sommes retrouvés sans informatique, sans ordinateur, sans feuille de route permettant d'envoyer un distributeur sur le terrain – en d'autres termes, le suivi de notre travail et la traçabilité de la diffusion étaient moins efficients. Nous n'avons retrouvé toutes nos capacités qu'à la fin du mois de mai ; nous les avions totalement pour le second tour.
Pour une entreprise comme la nôtre, qui emploie 20 000 salariés, la distribution de propagande pour de telles élections a représenté un défi énorme. Bien que notre métier consiste à distribuer des plis adressés à tous les Français, nous ne sommes pas du tout comparables à La Poste, qu'il s'agisse de l'ancienneté ou du nombre de salariés.
Nous n'avons pas à rougir du travail accompli avant le premier tour. Globalement, nous avons offert une qualité de service du même niveau que La Poste : 44 millions de plis ont été collectés et, pour une grande majorité d'entre eux, livrés. Environ 8 % des plis n'ont pas été distribués – je ne connais pas les chiffres de La Poste, mais j'ai entendu M. le ministre de l'Intérieur évoquer un taux de non-distribution de 9 %, ce qui est tout à fait comparable à l'échelle nationale. Nous convenons cependant que notre activité a été marquée par des disparités territoriales plus importantes.
La non-distribution d'un pli est, normalement, exclusivement liée à une adresse non conforme : concrètement, on ne trouve pas le destinataire à l'adresse indiquée. Que le distributeur soit La Poste ou Adrexo, la mise à jour des fichiers est donc un travail essentiel à mener en amont.
En ce qui nous concerne, nous avons également souffert d'un certain nombre de dysfonctionnements, dont la presse s'est largement fait l'écho. Nous avons notamment déploré des jets de documents : des plis ont été retrouvés dans des endroits divers, dans une forêt par exemple, mais en tout cas pas dans la boîte aux lettres de leur destinataire. Puisque vous nous demandez des chiffres précis, treize jets de documents ont été identifiés pour les deux tours – le treizième l'a été ce matin. Cela concerne 6 900 plis, sur les deux fois 44 millions de plis qui nous ont été confiés. Sur ce total, 5 200 plis ont été récupérés et livrés à leur destinataire dans les délais impartis, et 1 700 n'ont pu être relivrés, pour différentes raisons, soit qu'ils aient été brûlés, soit qu'ils aient été conservés par la gendarmerie, qui n'a pas voulu nous les rendre par exemple en Côte-d'Or. Tout cela a fait l'objet d'un traçage avec le ministère de l'Intérieur. Nous avons évidemment sanctionné et porté plainte contre les salariés qui se sont rendus coupables de tels agissements. Il s'agit de douze personnes sur 20 000. Je ne prétends pas que cela soit normal, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : cela n'aurait pas dû se produire. Mais nous avons réagi le plus vite possible de sorte que ces plis soient relivrés.
Nous assurons normalement la traçabilité des plis grâce à la Mobibox, un assistant personnel (PDA) utilisé par nos distributeurs. Parmi nos 8 % de plis non distribués au premier tour, 1,95 % sont considérés comme « non tracés » : nous ne sommes pas en mesure d'indiquer si ces 800 000 plis ont été bien distribués ou non. Je le répète, ces plis non tracés font bien partie des 8 % de plis non distribués.
Comme chacun a pu le constater, ce contexte général a conduit à une pression médiatique et politique hors norme, qui s'est traduite par une tension très forte au sein de notre réseau, sur nos salariés, nos intérimaires et tout l'encadrement de l'entreprise. Nous pouvons comprendre l'émotion naturelle des Français à propos de ce qui touche aux élections, mais nous déplorons que cela se soit traduit par des insultes à l'encontre de nos distributeurs dans la rue. Cette tension a été observée vers la fin de la distribution relative au premier tour.
Au début de la semaine du second tour, lundi 21 juin, nous avons été convoqués au ministère avec La Poste. Le ministre de l'Intérieur a constaté que les niveaux de service de La Poste et d'Adrexo étaient comparables – 9 % de plis non distribués – et nous a demandé de tout mettre en œuvre pour régler, en vue du second tour, un certain nombre de problèmes liés aux jets de documents ainsi qu'aux plis non tracés et non distribués. Nous savions que le second tour serait plus compliqué que le premier, puisqu'il n'y avait que deux jours de distribution. Le ministre nous a aussi demandé de mieux communiquer avec les préfectures. Nous avons donc mis en place une cellule de communication composée de cinquante à soixante personnes en contact direct avec les préfectures, dès le mardi précédant le second tour et pendant tout le temps de la distribution de la propagande électorale.
Je l'ai dit tout à l'heure, ce second tour était tout à fait exceptionnel : une semaine d'intervalle, et pour deux élections. Du jamais vu depuis trente-cinq ans je crois.
Il est très courant que l'intervalle entre les deux tours ne soit que d'une semaine : c'est ce qui arrive pour les élections municipales, législatives, départementales et régionales. Seuls les deux tours de l'élection présidentielle sont séparés de deux semaines.
Je me suis mal exprimé : ce qui est inédit, c'est la concomitance de deux scrutins avec une semaine d'intervalle. En 2008, les élections régionales étaient organisées en même temps que les cantonales, mais ces dernières n'étaient que partielles. Deux élections sur l'ensemble du territoire avec une semaine d'intervalle entre les deux tours, voilà les trois éléments qui, cumulés, font de la distribution de la propagande une opération réellement très difficile.
Aux termes du contrat signé entre Adrexo et le ministère de l'Intérieur, les imprimeurs routeurs, en amont de la chaîne, devaient nous fournir 100 % des documents au plus tard le jeudi soir précédant le scrutin, à vingt-trois heures cinquante-neuf. Ce cadre contractuel est valable tant pour les élections régionales que pour les départementales. Vous conviendrez qu'il faut bien quarante-huit heures – les journées de vendredi et samedi – pour distribuer les plis à l'ensemble des électeurs. Dans les zones dont nous avons la charge, cela représente 22 millions de Français, donc 44 millions de documents à distribuer. Les représentants de La Poste, que vous auditionnerez ultérieurement, vous diront certainement la même chose que nous : il est impossible de mener une telle opération en vingt-quatre heures. Or, le jeudi soir à vingt-trois heures cinquante-neuf, seuls 60 % des plis étaient à notre disposition. Ce chiffre a été confirmé, en temps réel, au ministère de l'Intérieur. Dès le jeudi soir, nous indiquions ainsi que nous aurions la plus grande difficulté à assurer la totalité de la distribution, puisqu'il nous manquait 40 % des plis.
Concrètement, le territoire sur lequel nous opérons est divisé en secteurs de distribution. Chaque secteur est attribué à un salarié ou un intérimaire, que nous appelons « messager » – l'équivalent d'un postier – et qui devait emporter avec lui les plis relatifs aux élections départementales et aux régionales. Certains de nos messagers sont donc partis le vendredi matin avec un seul pli sur deux. Sur les 40 % de plis que nous n'avions pas reçus le jeudi soir à vingt-trois heures cinquante-neuf, une part ne nous a été fournie que le samedi matin : il nous restait alors une demi-journée pour les distribuer, ce qui était totalement impossible. La grande majorité d'entre eux ont été reçus le vendredi après-midi ou dans la nuit de vendredi à samedi : nous avons alors monté, de façon complètement imprévue, un système de collecte et d'enlèvement des documents chez les routeurs.
J'insiste : tous les acteurs travaillant en amont de la distribution étaient soumis à des délais très contraints, qu'il s'agisse des imprimeurs routeurs, des régies ou même des préfectures, dont certaines ont dû faire appel aux pompiers pour les aider à réaliser la mise sous pli de la propagande électorale. Presque aucun routeur n'a respecté les délais, dont nous sommes convaincus qu'ils étaient trop courts, dans le cadre inédit que j'ai rappelé.
Nous avons donc fait du mieux que nous avons pu, le vendredi et le samedi, dans des conditions très difficiles. J'ajoute qu'en raison de l'Adrexo- bashing qui a sévi dans la presse à ce moment, il a été très compliqué de recruter, à la dernière minute, des collaborateurs, même sans grande expérience. Bref nous avons livré plus que les 60 % de plis reçus le jeudi soir à vingt-trois heures cinquante-neuf, mais nous n'avons pas été capables d'atteindre les 100 %.
Après avoir écouté attentivement vos explications, je me demande si nous avons vécu la même élection. J'étais directeur de campagne dans la région Bourgogne-Franche-Comté : d'après mes calculs, partagés avec le préfet, ce sont 60 à 70 % des plis qui n'ont pas été distribués. À Beaune, aucune distribution n'a été réalisée, ni au premier tour, ni au second. Dans cette situation catastrophique, j'appelais sans cesse le préfet, qui me répondait qu'il n'arrivait pas à joindre Adrexo.
Vous parlez de la pression à laquelle vous étiez confrontés, mais imaginez la nôtre : nous devions réaliser notre profession de foi pour le second tour avant le lundi matin à huit heures ! Autant dire que nous y avons passé la nuit – c'est normal, cela fait partie de notre engagement politique. Pour le reste, j'ai remonté la filière et je n'ai constaté aucun retard, ni chez imprimeurs, ni chez les routeurs. Évidemment, il y a eu des plis non adressés – ce sont sans doute les 9 % dont vous avez parlé. Mais à combien évaluez-vous la proportion de plis non distribués ? S'il faut cumuler 9 % plus 40 %, on est déjà à 50 % !
Cette élection ne présentait aucune surprise et vous aviez la possibilité d'anticiper les problèmes. Quelle est la raison objective des dysfonctionnements constatés : le fait que vous ne rémunériez pas suffisamment votre personnel, comme on peut le lire dans la presse ? Une mauvaise organisation ? Reste que ces dysfonctionnements ont entraîné un déficit démocratique grave, qui a tronqué cette élection d'une manière tout à fait insupportable. Je ne sais pas quelle est votre part exacte de responsabilité dans tout cela, mais elle est évidente à mes yeux.
Je suis un peu surpris que vous vous plaigniez des termes du contrat que vous avez vous-mêmes signé. Certes, les délais sont courts, mais ils sont dans le contrat ! Bien que le ministère de l'Intérieur ait de nombreuses responsabilités dans les dysfonctionnements que nous avons subis, vous ne pouvez pas l'accabler : vous avez l'obligation de respecter votre part du contrat, ce qui semble loin d'avoir été le cas.
Quels moyens avez-vous mis à la disposition de vos messagers ? Étant candidat à l'élection départementale, j'en ai croisé qui distribuaient des plis dans les boîtes aux lettres, et je peux vous dire que mes militants et moi-même étions parfois mieux équipés qu'eux, pour distribuer moins de documents ! Il est vrai que La Poste a aussi failli dans sa mission de distribution alors que ses agents disposent d'équipements adaptés, mais pour vous, ce problème se rajoutait aux autres. Cette question de l'équipement des agents chargés de la distribution, au dernier kilomètre, faisait-elle d'ailleurs partie des critères de l'appel d'offres ? Votre réponse nous donnera une idée de la façon dont l'État a conceptualisé cette mission.
Par ailleurs, des missions de mise sous pli ont été confiées çà et là à des entreprises privées. Avez-vous participé à ce type de missions ?
Enfin, comment avez-vous chiffré les jets de documents dont vous nous avez parlé ? De nombreux plis ont été retrouvés dans une cour ou au fin fond d'une forêt, parfois brûlés. Il me semble que vos chiffres sont moins importants que ce que nous avons constaté dans mon département.
Vous avez évoqué des disparités suivant les régions et les départements. Je souhaite que nous disposions des éléments les plus précis possible, car j'ai le sentiment que nous ne parlons pas de la même chose. Selon un sondage que j'ai fait à l'échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes, 42 % des personnes interrogées déclarent n'avoir rien reçu, ni pour le premier tour, ni pour le second, ni pour les élections régionales, ni pour les départementales. Pour ma part, je n'ai reçu aucun document de propagande, et contrairement à M. Schellenberger, je n'ai pas croisé vos messagers, puisqu'ils ne sont pas venus.
Vous avez également évoqué les plis non distribués. Avez-vous une procédure de retour comparable à celle de La Poste ? En d'autres termes, où partent les plis non distribués ?
Quoi qu'il en soit, la situation a porté une atteinte assez forte à la sincérité du scrutin. Un certain nombre de nos concitoyens n'ont pas reçu la propagande électorale, et c'est lorsqu'on ne la reçoit pas qu'on s'aperçoit à quel point elle manque.
J'ai moi aussi observé, en Bourgogne-Franche-Comté – une région dont vous avez la charge – une situation alarmante. Pour ma part, et pour la première fois, je n'ai pas reçu les plis. J'ai constaté que les électeurs étaient très perturbés, que certaines personnes âgées ne savaient pas vraiment à quelle date aller voter : quand on reçoit la profession de foi d'un candidat, on peut l'afficher sur le réfrigérateur ou la laisser sur la table de la salle à manger – c'est ainsi qu'on se souvient qu'il faut aller voter, dans le monde rural et sans doute aussi en ville ! Cela laisse un sentiment d'échec de la diffusion, qui se cumule à mon avis avec un autre échec dont je parlerai tout à l'heure avec les représentants de La Poste.
Nous avons externalisé un service qui participe, en réalité, de l'exercice de la démocratie. Quels contrôles prévus dans le cadre de l'appel d'offres l'administration a-t-elle véritablement exercés ? Quel système de vérification de la bonne exécution du service a été acté lors de l'appel d'offres ? Ce système est-il effectif ?
Ces auditions visent bien sûr à analyser les dysfonctionnements constatés, mais surtout à proposer des solutions pour qu'ils ne se reproduisent plus. Sans remettre en cause la gravité de ce qui est arrivé – j'ai d'ailleurs pu exprimer ma colère, étant moi-même touché par l'absence de distribution de la propagande électorale, de même qu'un grand nombre de citoyens de ma circonscription – je ne souhaite pas vous accabler davantage : je pense que vous avez reçu le message. J'ai conscience que votre position est loin d'être agréable, et il n'appartient peut-être pas aux élus de la nation de souffler sur les braises pour satisfaire certains appétits.
Lors de son audition au Sénat, le ministre de l'Intérieur a évoqué plusieurs causes externes pouvant expliquer les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale. Il a notamment avancé une corrélation entre la démographie territoriale et la part de plis non distribués, car les milieux urbains ont été les plus touchés par ces problèmes. Ainsi, 13 % des plis n'ont pas été distribués en Seine-Saint-Denis, contre 3 % en Lozère. La moins bonne tenue des listes électorales, la difficulté à entrer dans les immeubles et la forte mobilité des électeurs pourraient expliquer en partie que de nombreux plis n'aient pas pu être déposés dans les boîtes aux lettres. Compte tenu de vos premiers échanges avec vos employés de terrain et avant de mener d'éventuelles enquêtes internes, avez-vous identifié ces difficultés liées au milieu urbain ? Le cas échéant, comment comptez-vous y remédier ?
Messieurs, je fais de la politique depuis trente ans, et je n'ai jamais vu pareille désorganisation dans la préparation des élections !
Le samedi après-midi veille du deuxième tour, mon collègue Charles de Courson, député de la Marne, a fait un sondage auprès d'une vingtaine de maires de sa circonscription : dans 40 % des cas au moins, la distribution n'avait pas eu lieu du tout ou était incomplète. J'ai d'ailleurs reçu, là où je réside, dans la Meuse, la profession de foi de M. de Courson pour les départementales. J'ai cru à une plaisanterie, mais c'était en fait une erreur d'aiguillage qui avait expédié ses tracts chez les habitants de ma circonscription ! Par ailleurs, quand on distribue des documents, on demande les clés des immeubles collectifs. Cela n'a pas été fait auprès de mon organisme HLM.
Je vous pose deux questions très simples, auxquelles je souhaiterais que vous répondiez très clairement. D'abord, pourquoi avez-vous accepté l'appel d'offres alors que, manifestement, vous ne disposiez pas du personnel formé et payé pour réaliser la mission ? Ensuite, avez-vous été trompés sur la nature de l'appel d'offres ? Si vous l'avez accepté en connaissance de cause, la responsabilité des dysfonctionnements vous incombe directement – ce que beaucoup de monde commence à dire. Si ce n'est pas le cas, c'est que vous avez été trompés.
Malgré vos déboires durant ces élections, messieurs, il est un domaine dans lequel vous excellez : en matière de maltraitance des salariés et de travail dissimulé, vous êtes champions toutes catégories !
En 2009, vous avez été contraints de verser plus de 900 000 euros à vingt-trois salariés employés à temps partiel alors qu'ils travaillaient à temps plein. En 2012, vous avez dû vous acquitter de 480 000 euros pour le travail dissimulé de treize salariés à Grenoble, puis d'une amende de 30 000 euros pour des salariés à Pau. En 2015, vous avez versé 52 834 euros à une salariée pour un faux temps partiel à Clermont-Ferrand ; en 2018, 600 000 euros à dix-sept salariés pour le même motif, et 140 000 euros à un couple dans l'Orne. Et n'oublions pas Raymond, décédé à 75 ans d'un infarctus, en 2011, qui n'avait jamais eu de visite médicale ; ses proches ont reçu environ 5 000 euros de dommages et intérêts pour votre irresponsabilité. Quel palmarès !
On comprend mieux pourquoi il vous fallait renflouer les caisses grâce à ce nouveau contrat de distribution du matériel électoral. Quand on dépense, en dix ans, plus de 2 millions d'euros de frais judiciaires aux prud'hommes, il faut bien se refaire un peu ! Pourtant, le syndicat de votre entreprise le dit lui-même, vous n'ignoriez pas vos lacunes chroniques lorsque vous vous êtes précipités sur l'offre. Pourquoi donc avoir accepté un contrat sur le dos des électeurs et de la démocratie, alors que vous saviez que cela tournerait au fiasco ?
Une de mes collègues iséroises vient de témoigner de l'ampleur de la non-distribution dans notre département. J'ajoute que le problème a concerné non seulement les zones urbaines, mais aussi rurales. Qui plus est, certains candidats, dont je fais partie, ont rencontré les mêmes difficultés pour la distribution de tracts électoraux non officiels : c'est donc une double déception. Je serais d'ailleurs curieuse de savoir ce que prévoit le contrat que vous avez signé avec l'État à propos des manquements avérés.
Ceux d'entre nous qui ont fait du boîtage le savent, glisser deux enveloppes au lieu d'une dans une boîte aux lettres, cela prend exactement le même temps ; cela peut même aller plus vite, car l'ensemble est plus rigide.
Par ailleurs, j'ai discuté avec des intérimaires auxquels votre société a fait appel. Ils ont été très surpris d'être libérés après la mise sous pli des documents pour les départementales, alors que celle des documents pour les régionales restait à faire. Ils ont cru que vous n'aviez pas obtenu le contrat et que c'était une autre société qui l'assurerait – mais cela n'a pas été fait.
Merci, messieurs, de vous prêter à cet exercice ô combien important pour permettre aux représentants de la nation que nous sommes de faire leur devoir, c'est-à-dire d'exercer leurs responsabilités en matière de contrôle. Je pense que le constat est clair : vous avez failli. L'idée est que nous puissions à la fois en comprendre les raisons et voir comment les choses peuvent être améliorées.
Si j'ai bien noté vos propos, seuls 9 % des plis n'ont pas été distribués et il y a eu treize points de jet de documents. Permettez-moi de vous faire part de mon étonnement : soit nous ne vivons pas dans le même monde, soit vous vous moquez un peu de nous. À moins que vous ne parliez d'une seule ville ou d'une seule circonscription, je doute que les chiffres que vous avez avancés correspondent à ce qui a été constaté à l'échelle du pays. D'où ma première question : comment vérifiez-vous que les plis ont bien été distribués par vos salariés ?
Comme cela a été dit, vous étiez titulaire d'un appel d'offres : vous y avez répondu, vous avez accepté le contrat, vous connaissiez les critères. J'entends bien les difficultés que vous avez énumérées, mais elles étaient inhérentes à la mission que vous avez voulu exercer. Il me semble donc que cet argument n'est pas recevable.
Il y a un an, lors des municipales, nous avions fait appel à vos services pour distribuer du matériel électoral dans le 20e arrondissement de Paris, où j'ai été élue. Figurez-vous que, d'après notre comptage maison – des militants nous faisaient remonter de tout l'arrondissement les informations concernant la distribution ou non des plis : je suis prête à vous en dire plus si cela peut vous permettre d'améliorer vos procédures – moins d'un tiers des documents que nous vous avions confiés ont été distribués. Et votre service commercial n'avait pas été capable de nous fournir des explications.
Un an plus tard, vous nous annoncez que seulement 9 % des plis n'ont pas été distribués ? Permettez-moi de vous faire part de mon très grand étonnement. Je constate en tout cas que vous en êtes toujours au même point, mais cette fois-ci à l'échelle nationale, et que vous avez contribué à l'échec de ces élections même si vous n'en êtes pas les seuls responsables.
À l'instar de mes collègues, j'estime que le préjudice démocratique est difficilement estimable, surtout dans des cantons ruraux comme le mien, où rien n'a été distribué – et c'est le cas dans plusieurs autres cantons du Jura.
Vous aviez pourtant mesuré l'ampleur de la tâche, puisque vous avez cité le nombre de documents à distribuer. Aviez-vous recruté suffisamment ? Pour ma part, j'en doute, car j'ai vu une pauvre dame distribuer les plis en ville, avec très peu de moyens : elle était exténuée bien avant de finir sa journée…
Un point a encore ajouté à notre colère : vous étiez aux abonnés absents, il n'a pas été possible de vous joindre. Dès lors que vous n'aviez pas réussi, en trois semaines, à distribuer les plis pour le premier tour, vous étiez nécessairement conscients que vous ne pourriez pas le faire dans la semaine qui séparait les deux tours. J'avais déjà fait appel à Adrexo pour distribuer des documents, et le référent pour le département du Jura m'avait toujours répondu. En l'espèce, je n'ai pas pu le joindre.
Si vous aviez prévenu que vous n'arriveriez pas à mener à bien votre mission – ce qui eût été louable du point de vue éthique – les maires et les élus locaux, voire les candidats eux-mêmes, dont j'étais, auraient été en mesure de s'organiser et de pallier vos manques. Je trouve très dommage que vous soyez restés aux abonnés absents.
Je vous remercie, mes chers collègues, pour vos remontées de terrain et vos questions.
Messieurs, s'exprimer devant la commission des Lois n'est pas un exercice simple. Vous avez répondu sans difficulté à notre convocation, et je vous en remercie.
Dans la mesure où il nous reste un quart d'heure, je vais devoir faire des choix, mais je vais essayer de répondre de la manière la plus complète possible.
Madame Panot, les faits que vous avez relevés concernant les années 2009, 2012 et 2015 ne nous concernent en rien, puisque nous n'étions pas alors propriétaires de la société : nous l'avons acquise le 3 janvier 2017. Quant au litige que vous avez évoqué pour l'année 2018, il était antérieur à notre arrivée : il a fallu le temps que l'affaire soit traitée par les prud'hommes.
Je ne ferai pas de commentaire sur ce que l'un des syndicats de notre entreprise dit de nous. Nous avions la crédibilité nécessaire pour répondre à l'appel d'offres. Nous avons soumissionné et été auditionnés de la même manière que La Poste. Je ne peux pas répondre sur la manière dont nous avons été sélectionnés, il convient d'interroger le ministère de l'Intérieur à ce sujet, mais nous avons été attributaires de lots portant sur la distribution des plis dans sept régions, et nous en avons été ravis.
Je ne me plains absolument pas des termes du contrat que nous avons signé, monsieur Schellenberger, je dis simplement que, pour le second tour, nous n'avons pas été livrés de ce qui figurait dans ce contrat. Nous n'avons pas reçu 40 % des plis qui étaient prévus, soit 18 millions. Il aurait été difficile de les distribuer.
Pour tout vous dire, 60 % des plis nous ont été livrés à l'heure, et nous en avons distribué au total 70 %. Autrement dit, nous avons réussi à rattraper un peu de retard, avec les moyens du bord.
S'agissant des intérimaires, nous en avons convoqué le jeudi mais nous les avons renvoyés, car nous n'avions rien à leur donner à distribuer. Nous les avons de nouveau convoqués le vendredi matin, mais nous n'avions toujours rien à leur donner. C'est pour cette raison que l'une d'entre vous a relevé que des intérimaires se sont présentés et n'ont pas reçu de travail ; c'est également ce qu'a rapporté un journaliste du Parisien qui s'est infiltré chez nous. Pour être totalement transparents avec vous, nous espérions rattraper encore un peu de retard le samedi, mais de nombreux intérimaires qui étaient venus pour rien le jeudi et le vendredi ne se sont pas présentés ce jour-là. La non-livraison des plis ne nous a pas du tout aidés.
Le problème du second tour est très différent de celui du premier tour. Je remercie de nouveau nos équipes, qui ont fait tout leur possible dans ce contexte très compliqué. Je le dis honnêtement : le problème n'est pas chez nous, ni à La Poste. Monsieur Darmanin a déclaré que l'État allait récupérer non seulement la distribution, mais aussi la mise sous pli : il faut sans doute voir là une des raisons du problème.
Je ne veux pas vous laisser le sentiment que nous nous déroberions à vos questions. Notre entreprise est ce qu'elle est. Elle a répondu à un appel d'offres et en a été attributaire.
S'agissant du premier tour, le taux des plis non distribués est de 8 à 9 %, je vous le jure. Les cas que vous avez cités font partie de ces 8 à 9 % – ce qui fait tout de même 4 millions de plis, ce n'est pas rien. Le taux est semble-t-il similaire chez notre confrère La Poste. À Marseille, où j'habite, les plis n'ont pas été distribués non plus, et ce n'est pas notre entreprise qui était attributaire du lot correspondant. Dans le département de Seine-Saint-Denis, que l'un d'entre vous a évoqué, nous n'étions pas en charge de la distribution des plis. Il y a eu des problèmes partout, je ne le dis pas pour nous défausser.
Pour le premier tour, je vous le redis avec la plus grande sincérité, il y a eu des dysfonctionnements, notamment des jets de documents. À ce stade, on nous en a signalé douze, que nous avons traités avec le ministère de l'Intérieur. Il n'est pas exclu que leur nombre atteigne in fine vingt ou vingt-cinq, puisqu'on a constaté un treizième cas ce matin, du côté de Dijon.
C'est exact, et nous avons nous aussi pris des mesures. Il y a effectivement eu des dysfonctionnements de ce type, je n'en disconviens pas.
De quels moyens disposons-nous pour assurer la distribution ? Nos messagers sont équipés d'un système informatique embarqué. Je l'ai indiqué, celui-ci n'a pas fonctionné une partie du mois de mai, à cause de la cyberattaque que nous avons subie.
Nous distribuons des colis et des plis tous les jours, c'est notre métier. Pour la distribution des colis, selon une évaluation externe, notre qualité de service est supérieure à celle de La Poste. C'est d'ailleurs pour cela que nous gagnons des parts de marchés. Nous pouvions remplir ce marché, et son attribution s'est déroulée comme je l'ai décrit.
Je cède la parole à Alain Brousse pour qu'il évoque la formation du personnel, notamment des intérimaires.
Tout notre personnel a été formé. Tous ont suivi une formation particulière visant à prévenir les jets de documents. En clair, un pli jeté par terre est inévitablement rapproché d'un distributeur : la personne qui le jette est immédiatement identifiée. Il n'y a donc aucune rationalité dans cet acte.
Tout notre personnel est équipé d'un système informatique embarqué et de moyens de distribution – gilets, chariots, plans… – lui permettant d'accomplir sa mission.
J'en viens au personnel intérimaire. Cette opération était pour nous l'occasion, au sortir de la crise du covid, de proposer du travail à des personnes, notamment des jeunes, qui n'ont pas nécessairement un diplôme élevé. Notre activité s'y prête, et il nous paraissait praticable de faire appel à eux en tant que personnel de renfort.
Nous avons donc sollicité des sociétés d'intérim dont la spécialité est d'apporter des renforts pour des opérations exceptionnelles – c'en était une – et leur avons fourni un cahier des charges. Le personnel a été sourcé par ces sociétés au terme d'une procédure et d'une première information sur le type de travail proposé. Le personnel qui est arrivé chez nous a été formé, notamment aux règles de sécurité, et a été doté de tous les moyens nécessaires pour réaliser la mission.
Si l'on s'intéresse à la performance, notre personnel met plus de temps à distribuer que les facteurs, mais sachez qu'il est rémunéré au temps passé. Le système informatique embarqué nous sert notamment à rémunérer le temps de travail effectivement réalisé : grâce à un algorithme, il indique un temps cible sur lequel le distributeur doit essayer de se caler.
Il ne doit pas y avoir de débat quant à d'éventuelles différences entre le personnel interne et le personnel intérimaire venu en renfort, puisque ce dernier a précisément vocation à intervenir dans des opérations exceptionnelles.
Dans les jets de documents, ce sont autant des membres du personnel interne que des intérimaires qui sont en cause : c'est donc une question de personnes et non de catégorie de personnel.
Comment contrôlons-nous la distribution ? Vous l'avez compris, au moyen du PDA dont chaque distributeur est muni. Nous pouvons la suivre en temps réel et vérifier qu'elle est effective. Cela a été le cas pour le premier tour sauf pour les 1,95 % de plis non tracés.
Comment le ministère de l'Intérieur a-t-il contrôlé notre action ? Grâce à un reporting : nous lui avons fourni chaque jour, et à plusieurs moments au cours de la journée, des données relatives à l'avancement de la distribution – globales pour les deux scrutins et détaillées par département. De la sorte, nous avons pu faire part des difficultés que nous rencontrions.
Pour le second tour, je l'ai dit, le contrôle a été renforcé. Les représentants de l'État au niveau local sont allés voir comment les choses se passaient sur le terrain. Dans certains cas, ils nous ont aidés : ils se sont renseignés pour savoir si les plis non livrés allaient arriver, ou se sont rendus chez les routeurs.
Au demeurant, nous avons fait dresser plusieurs constats d'huissiers, sans pouvoir le faire partout, ce qui, en une journée, est impossible compte tenu de l'ampleur de la tâche. Certains huissiers ont constaté qu'il manquait des plis dans certains lots : par exemple, là où 100 000 plis étaient déclarés, les lots n'en contenaient que 80 000. Nous n'y avons absolument aucune part de responsabilité, n'étant pas chargés de la mise sous pli. Voilà comment les opérations ont été contrôlées.
Nous faisons en ce moment l'objet de nombreux commentaires. Tout à l'heure, le ministre de l'Intérieur a rappelé que nous avions conclu un marché pour quatre ans, mais nous n'avons pas le sentiment qu'il ira à son terme. Ma parole est donc assez libre : de notre point de vue, réaliser deux opérations d'une telle ampleur en une semaine représente une très grande difficulté, pour n'importe quel opérateur, y compris La Poste ou les gens chargés de la mise sous pli. Si on nous demandait que faire pour améliorer la situation à l'avenir, avec ou sans Adrexo, nous conclurions sans doute qu'il faudrait, dans la mesure du possible, prévoir deux semaines entre les deux tours. C'est ce qui se passe dans la plupart des pays d'Europe, où se tiennent des élections aussi importantes que les nôtres, et cela fonctionne plutôt bien.
La brièveté du délai entre les deux tours pourrait expliquer les problèmes survenus au second, mais n'a aucune incidence sur ceux du premier.
Mais je rappelle que la proportion de plis non distribués est de 9 % au premier tour, en général pour des raisons de qualité d'adresse, et de 40 % au second. Le vrai problème se pose pour le second tour. Je ne botte pas en touche, mais la seule responsabilité qui peut nous être imputée porte sur le premier tour.
La Commission auditionne MM. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste, et Philippe Dorge, directeur général adjoint en charge de la branche service-courrier-colis, sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales par l'audition de M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste, et de M. Philippe Dorge, directeur général adjoint en charge de la branche service-courrier-colis.
Messieurs, au nom de la commission des Lois, je vous remercie d'avoir répondu favorablement à la demande d'audition que nous vous avons adressée. Je vous donne la parole pour un propos liminaire sur les opérations qui font l'objet de cette audition.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, pour être très précis, car il faut l'être, je ferai porter mon exposé sur le premier tour, puis sur le second, en suivant la chronologie de la distribution de la propagande électorale.
S'agissant du premier tour, qui s'est tenu le 20 juin, il nous semble, après vérification – j'en détaillerai ultérieurement les modalités – que 100 % des plis distribuables par La Poste ont été distribués. Cela veut dire plus précisément quasiment 100 % : il s'agit de millions de plis, et aucune entreprise, aucune communauté humaine en général, n'est parfaite. Si je ne peux donc pas dire que 100 % exactement des plis ont été distribués, je peux dire qu'aucun dysfonctionnement systémique ou notable n'a été constaté. Aucune factrice ni aucun facteur, et c'est la fierté de La Poste, ne s'est rendu responsable de la destruction, de la non-distribution, de la perte ou de l'égarement de plis électoraux. C'est un fait.
Nous pouvons le vérifier de trois façons.
D'abord, les factrices et les facteurs rapportent les plis non distribuables (PND). Il s'agit des plis dont le destinataire n'habite pas ou plus à l'adresse indiquée, et de ceux sur lesquels figure une adresse incomplète, ce qui peut notamment poser problème dans l'habitat vertical – dans des immeubles où vivent des centaines, voire des milliers de personnes – et en zone rurale, où les lieux-dits exigent souvent une grande précision. Cette procédure a été suivie quasiment à 100 %.
Ensuite, nous n'avons pu trouver dans le dossier de presse du premier tour aucun article imputant un incident à La Poste, qui est simplement mentionnée comme l'un des deux prestataires chargés de l'acheminement de la propagande électorale. Avant le premier tour, nous n'avons pas reçu d'appels d'élus signalant un problème, ni au comité exécutif (COMEX) de La Poste, ni dans les directions régionales. Or les élus locaux et les parlementaires ont tous le numéro de téléphone de Philippe Dorge et le mien : en général, si un problème survient, nous en sommes très vite informés. Pour aller encore plus loin, j'ai précisément reçu deux appels avant le premier tour, l'un d'un sénateur du Grand Est et l'autre d'un président de conseil départemental de la région Auvergne-Rhône-Alpes, auxquels j'ai indiqué que nous n'avions pas la responsabilité de leurs régions respectives.
Enfin – cette observation vaut ce qu'elle vaut – une réunion de l'Observatoire national de la présence postale (ONPP) s'est tenue le 17 juin, trois jours avant le premier tour. Cette instance, que vous connaissez bien, est présidée par le sénateur Patrick Chaize et rassemble des parlementaires et élus locaux ayant une très bonne connaissance de l'univers postal. Or le sujet dont nous parlons aujourd'hui n'a pas été inscrit à l'ordre du jour de la réunion, et n'a fait l'objet d'aucune observation ni d'aucune critique.
À l'issue du premier tour, nous avons été reçus par le ministre de l'Intérieur, qui entendait sécuriser le second. À notre égard, en tant que prestataires, il s'est montré exigeant, rigoureux et très clair sur ce qu'il voulait. Nous avons pris devant lui trois engagements, que nous avons tenus : augmenter encore la force de travail affectée à la distribution de la propagande électorale du second tour ; faire de la publicité dans la presse quotidienne régionale (PQR) pour rendre visibles les élections et expliquer le processus de distribution de la propagande électorale – nous l'avons fait dans les régions placées sous notre responsabilité ; et enfin corriger les problèmes éventuels. Nous avons eu en notre possession une liste de soixante-quatre communes, sur plus de 16 000 où nous avons distribué des plis, présentant un taux de PND élevé. Nous avons procédé aux vérifications qui s'imposaient en appelant les soixante-quatre maires concernés. Comme ils nous l'ont dit et parfois écrit, les problèmes s'expliquaient le plus souvent par l'absence de mise à jour des bases d'adresses locales.
Pourquoi ne peut-on pas distribuer tous les plis ? Comme je l'ai déjà dit, les adresses sont parfois incomplètes, ce qui rend les choses difficiles même pour des factrices et facteurs expérimentés. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, chaque année, 10 % des Français déménagent, ce qui oblige à modifier les bases d'adresses en permanence, même s'il existe une offre de réexpédition. Quoi qu'il en soit, le taux de PND ne correspond pas – les parlementaires que vous êtes apprécieront cette précision à sa juste valeur – à la proportion de Français n'ayant pas reçu la propagande électorale : ceux qui ont déménagé ont pu la recevoir à leur nouvelle adresse, si elle a été injectée dans les bases d'adresses ou par le biais d'une réexpédition postale.
Le taux de PND s'élève à 8,85 % au premier tour et à 8,75 % au second. Aux élections européennes de 2019, il était de 8,15 %. On ne peut donc pas parler de rupture de tendance. La presse et les élus n'ont signalé que très peu de difficultés. J'en citerai deux. À Biarritz, il y a eu de nombreux problèmes, dus aux adresses plutôt qu'à la distribution. À Modène, un facteur peu expérimenté n'a pas déposé l'intégralité des 364 plis dont il avait la charge aux bonnes adresses. La prestation de La Poste n'est pas parfaite, ce qui est impossible dès lors qu'il s'agit de remettre des millions de plis, mais aucun incident majeur n'est à déplorer au premier tour.
J'en viens au second tour, pour lequel les choses ont été beaucoup plus compliquées car, du fait de perturbations en amont, nous avons reçu les plis de façon désordonnée. Malgré cela, dans les zones dont nous avions la charge, nous avons été capables de distribuer 100 % des plis distribuables déposés avant vingt-trois heures cinquante-neuf le jeudi, ce qui répondait à notre engagement contractuel. Nous devions distribuer ces millions de plis en quarante-huit heures. Nous avons également distribué, en vingt-quatre heures, 100 % des plis livrés le vendredi avant vingt-trois heures cinquante-neuf. Enfin, nous avons distribué 95 % des plis livrés le samedi avant trois heures. Après cette échéance, la mécanique étant enclenchée, cela devenait trop compliqué.
Dans les zones dont nous n'avions pas la charge, l'autre prestataire, Adrexo, a émis le souhait de nous confier la distribution de 5,4 millions de plis. Avec l'accord du ministère de l'Intérieur, qui est notre client, nous avons accepté de prendre ce risque. Sur les 3,7 millions de plis qu'Adrexo nous a fait parvenir, 100 % de ceux qui étaient distribuables ont été distribués.
Très peu d'incidents nous ont été signalés. En Île-de-France, une factrice a indiqué lundi matin à son supérieur hiérarchique avoir mis de côté une partie des plis qu'elle devait distribuer le dimanche – ce qui atteste aussi de la franchise, de l'honnêteté et du professionnalisme des postiers. Dans ce week-end du second tour, 40 millions de plis ont été distribués. Nous avons mobilisé 50 000 postiers sur 1 500 sites de tri du courrier. Nous avons fait travailler les équipes de tri la nuit. Nous avons effectué près de 20 000 tournées d'après-midi et 2 970 tournées de fin d'après-midi le samedi. En somme, nous avons consacré à l'opération tous les moyens possibles.
Pendant toute cette période, compte tenu de l'exigence formulée par le ministre de l'Intérieur, nous avons maintenu un lien quotidien avec ses équipes, ainsi qu'avec les trois grandes associations d'élus, l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et Régions de France, dont je rappelle qu'elles sont membres de l'ONPP.
Je tiens à exprimer à nouveau la fierté qu'inspire au groupe La Poste ce que les factrices et les facteurs ont accompli. Nous avons, comme à chaque échéance électorale, distribué de façon nominale les plis dont nous avions la responsabilité. Mieux : au second tour, nous avons été capables de les distribuer en vingt-quatre heures, voire moins, en mobilisant des moyens considérables. Les factrices et les facteurs ont eu à cœur, compte tenu des incidents rapportés par les médias, de démontrer qu'ils étaient capables de combler les besoins et d'assurer la distribution.
Voilà très exactement où nous en sommes : mobilisation maximale, sens du service public, connaissance du métier. C'est très compliqué, car il faut n'oublier personne, et se rendre partout sur le territoire national. Je rappelle que ce qui guide les factrices et les facteurs, c'est l'adresse : si elle est inexacte ou incomplète, on ne peut pas trouver les destinataires. Mais en tout état de cause, le taux de PND pour cette élection est dans la continuité des échéances précédentes.
Monsieur le président-directeur général, merci infiniment pour vos explications précises. Vous comprenez la sensibilité toute particulière de la situation, qui a placé de nombreuses équipes de candidats sous tension, et même sous extrême tension. Dans ma circonscription, située en zone Adrexo, nous n'avons reçu aucun pli, ni au premier tour ni au second. Dans une très large mesure, il en était de même à l'échelle de la région.
J'aimerais vous poser trois questions précises. Le co-président de Hopps Group a indiqué tout à l'heure que les équipes d'Adrexo, au premier comme au second tour, se sont trouvées à un moment donné sans aucun pli à distribuer. Si j'ai bien compris, l'appel d'offres porte exclusivement sur la distribution des plis et les opérations effectuées en amont – fabrication, routage et mise sous pli – échappent à Adrexo comme à La Poste. Ce que je comprends moins, c'est que M. Paumier dise s'être trouvé dans une difficulté majeure sans rien avoir à distribuer, alors que vous ne semblez pas vous être trouvé dans la même situation. D'où vient le hiatus : est-ce lui qui ne donne pas les bonnes explications ou vous-même qui enjolivez la situation – ce dont je doute, car je vous connais un peu ? En tout cas, cette différence est assez sidérante. Je vous garantis que sur le terrain, nous n'avons pas entendu la même explication.
Par ailleurs, nous comprenons parfaitement la différence entre plis non distribuables et plis non distribués. Seuls ces derniers nous intéressent. Un taux de 9 % de PND est tolérable, notamment en raison des changements de résidence. Vous affirmez avoir distribué 100 % des plis distribuables au premier tour. S'agissant du second, pouvez-vous chiffrer la masse des plis que vous n'avez pas distribués ? Atteint-on des taux de 50 % ? Dans ma région, confiée à Adrexo, la proportion de plis qui ne sont pas parvenus à leurs destinataires est sensiblement supérieure à 50 %. La réponse à cette question est la seule qui nous intéresse, même s'il nous importe de comprendre la mécanique interne des entreprises concernées – et je salue comme vous le travail accompli par les 50 000 postiers mobilisés.
Enfin, vous avez évoqué vos relations avec le ministère de l'Intérieur. Pouvez-vous décrire précisément vos modalités de contrôle, sur le terrain, de la façon dont le travail a été exécuté ?
Le double scrutin, qui n'est certes pas une nouveauté – même s'il était en l'occurrence étendu sur l'ensemble du territoire – a-t-il constitué pour vous une difficulté particulière ? Si oui, en quoi, sachant que vous distribuez des courriers tous les jours ?
Par ailleurs, de quels délais disposiez-vous pour déposer les plis, au premier et au second tour ? Il n'en a pas encore été question, mais certaines professions de foi du premier tour ont été distribuées avant l'ouverture de la campagne officielle. À l'opposé, dans une zone relevant d'Adrexo, certains plis étaient encore distribués le dimanche de l'élection à seize heures. Invraisemblable !
Quel est le niveau de détail de l'appel d'offres auquel vous avez répondu ? Sans doute devra-t-on en demander communication au ministère de l'Intérieur, madame la présidente, afin d'évaluer le degré d'exigence fixé pour ces prestations qui relèvent du domaine régalien et qui ont été pour partie confiées à des entreprises privées.
Enfin, a-t-il ou non été envisagé que vous soyez sollicité pour la mise sous pli ?
Chers collègues, je vous communiquerai l'ensemble des documents que le ministère de l'Intérieur m'a fait parvenir, à ma demande – appels d'offres, cahiers des clauses techniques et autres.
Je regrette que nous n'ayons pas obtenu de réponse lors de la précédente audition, notamment concernant les disparités régionales et les chiffres des plis non distribués au second tour.
Je note les liens qui sont noués entre La Poste et les élus locaux ou nationaux, ce dont je me félicite. À la différence de La Poste, si je comprends bien, Adrexo trace ses messagers mais pas ses courriers, ce qui explique que ceux qui n'ont pas été distribués ne lui aient pas été retournés. Comment cette traçabilité pourrait-elle être améliorée, en particulier s'agissant de la propagande électorale ?
On observe une augmentation régulière et marquée du nombre de plis non redistribuables. Nous nous en inquiétons.
Par ailleurs, comment la répartition géographique a-t-elle été organisée entre La Poste et Adrexo ?
La Poste a distribué la totalité de ses plis distribuables : effectivement, la distribution est un métier. Mais pouvez-vous confirmer que La Poste n'a pas eu à souffrir de la même difficulté qu'Adrexo, qui se plaint de n'avoir pas été livrée de 40 % de ses plis le jeudi soir avant le second tour ?
Enfin, si l'appel d'offres avait été déclaré infructueux à la suite de l'impossibilité pour les entreprises soumissionnaires d'apporter les garanties nécessaires, La Poste aurait-elle pu garantir la distribution de l'ensemble de la propagande électorale ?
Comment le spécialiste de la distribution des courriers que vous êtes explique-t-il les défaillances d'Adrexo ?
Qu'avez-vous prévu en faveur des postiers, dont la mobilisation a été en effet exceptionnelle ? Cela peut-il induire quelque chose pour la politique à venir de La Poste ?
Enfin, vous l'avez dit, être facteur est un métier. Dès lors qu'il s'agit d'un service public essentiel, ne serait-il pas opportun de réexaminer votre politique en matière de sous-traitance, notamment en ce qui concerne la distribution des colis, et de recours de plus en plus fréquent à des CDI intérimaires ou à des CDD de 36 mois ? Autrement dit, même si vous ne comptez pas en revenir à un statut de fonctionnaire comme je le souhaiterais, envisagez-vous au moins un statut qui garantisse une expertise professionnelle comparable à celle d'un salarié en CDI classique ?
Député du Rhône et de la ville de Lyon, je souhaite savoir si cette zone relevait de votre secteur.
Nous étions responsables de certaines zones dans cette région, mais pas de la ville de Lyon.
La situation y a été catastrophique. Dans le bureau de vote que je présidais en centre-ville, nous posions la question régulièrement : au premier tour, la situation était plus ou moins comparable à ce dont mes collègues ont fait état, mais au second, on frôlait les 80 % ou 90 % d'électeurs qui n'avaient rien reçu ! Quel que soit le responsable, une telle défaillance est inexcusable, même avec des délais très courts – qui plus est en plein centre de Lyon, où les adresses changent très peu car il y a peu de mouvements parmi les habitants.
Pour ce qui est de La Poste, à quel pourcentage d'intérimaires avez-vous fait appel, même si vous disposez de cohortes d'agents postaux professionnels ?
Pouvez-vous confirmer que, lors des précédentes échéances électorales, La Poste était le seul distributeur de la propagande électorale ? Si oui, quelle était l'ampleur des éventuelles défaillances ?
Merci à vous pour votre travail, monsieur le président, et à nos amis postiers pour leur engagement.
Selon le directeur général d'Adrexo, 40 % des plis ne lui avaient pas été livrés à l'échéance entre les deux tours. Il en a récupéré environ 10 % plus tard, ce qui donne 70 % de plis à distribuer en tout, auxquels s'applique la marge d'erreur tout à fait compréhensible de 9 %. Quel est le pourcentage de plis qui ont été livrés le jeudi soir à La Poste ?
Nous sommes d'autant plus déçus par le déficit démocratique lié à ces dysfonctionnements que La Poste nous a habitués à un service public de qualité.
Entre le premier et le second tour, vous avez dû pallier les manquements d'Adrexo. Vous avez dû vous rendre compte que c'était mission impossible, et l'on peut vous reprocher de ne pas avoir fait preuve de plus de transparence. Pourquoi n'avez-vous pas informé les préfets et les maires de la situation ? Peut-être auraient-ils trouvé les moyens de vous aider ?
Avez-vous en effet reçu tous les plis prévus au premier et au second tour, et à quel moment ? Adrexo explique certaines de ses défaillances par des retards à ce niveau. Par ailleurs, le double scrutin contribue-t-il à expliquer ces difficultés d'acheminement ? En est-il de même s'agissant du délai entre les deux tours, pourtant habituel si l'on excepte les élections présidentielles ?
Pour le premier tour, nous avons reçu 100 % des plis attendus. Il n'y a pas eu de difficultés particulières en amont, le ministre de l'Intérieur en a convenu.
Dès lors qu'environ 9 % des plis sont non distribuables, environ 91 % ont dû arriver à destination. Mais si je vous parle de 40 millions de plis, je ne prétendrai pas être absolument sûr qu'il ne s'agit pas plutôt de 39,9 millions : dans une telle masse, on peut rencontrer quelques petites difficultés, mais elles sont secondaires, nous l'avons vérifié.
Nos relations avec le ministère de l'Intérieur étaient quotidiennes – et plus encore lorsque le ministre nous a demandé de tout faire pour sécuriser le second tour. Nous avons parlé librement des difficultés rencontrées et nous avons fait preuve d'une totale transparence.
Pour le second tour des élections départementales, nous avions reçu le jeudi soir 75 % des plis prévus, que nous devions distribuer dans les quarante-huit heures. Le samedi à trois heures, fin du délai d'arrivée des plis que nous avons jugés distribuables, le chiffre était monté à 88 %. Pour les élections régionales, nous avions reçu 45 % des plis le jeudi à vingt-trois heures cinquante-neuf, et 80,6 % à la fin de ce même délai. Le dispositif que nous avions prévu nous a permis d'absorber ces livraisons tardives. Je précise que nous avons reçu 1,5 million de plis entre minuit et trois heures du matin le samedi.
Nous avons été parfaitement transparents tout du long, et en contact fréquent avec les maires et les préfets. Ce trio a bien fonctionné, malgré des délais réduits.
S'agissant de la traçabilité, nous ne jetons pas les plis non distribuables, nous ne les détruisons pas, nous les donnons aux mairies afin qu'elles puissent corriger leurs bases d'adresses pour leurs futures listes électorales.
En ce qui concerne les défaillances d'Adrexo, je n'ai aucun commentaire à faire : jamais un postier ne se prononce sur ses concurrents.
Enfin, être facteur, c'est en effet un métier. Nous n'avons organisé aucune sous-traitance pour ces opérations électorales. En revanche, un peu moins de 10 % de nos forces de travail sont sous CDI intérimaire ou CDD. Cela dit, ce sont des facteurs de métier au milieu des autres facteurs.
Et ce taux n'a pas changé à la fin de la semaine.
Non plus que pendant l'ensemble des opérations.
Pour ce qui est du secteur du courrier en général, nous faisons appel à l'intérim, parce qu'il connaît une décroissance considérable. Entre 2008 et 2019, les volumes ont été divisés par deux ; en 2022 ou 2023, le nombre de plis à distribuer n'excèdera sans doute pas 6 milliards. Nous avons donc besoin d'un volant d'ajustement de la main d'œuvre. Philippe Dorge et ses équipes ont beaucoup utilisé cet outil que le législateur a mis à notre disposition, le CDI intérimaire, car il confère aux salariés une certaine sécurité.
La ville de Lyon ne faisait pas partie de nos zones, même si nous étions présents en Auvergne-Rhône-Alpes en fonction des besoins d'Adrexo.
Enfin je vous confirme que lors des précédentes opérations électorales, La Poste était le seul prestataire. Les taux de plis non distribuables étaient à peu près équivalents.
Pour ce qui est du double scrutin, il multiplie mécaniquement par deux le nombre de plis, mais il n'y a là rien d'insurmontable. Lors d'une tournée normale, un facteur s'arrête en moyenne à 50 % des adresses. Il doit bien évidemment les desservir toutes lors des élections, sans compter le volume des deux enveloppes. Nos facteurs ont probablement dû effectuer deux tournées le même jour. Nous avons donc décidé de doubler le tarif des heures supplémentaires vendredi et samedi derniers – samedi, à dix-neuf heures, 800 facteurs étaient encore en tournée, et beaucoup ont sans doute travaillé neuf ou dix heures.
Les zones géographiques ont quant à elles été attribuées par notre client, le ministère de l'Intérieur : nous en avons eu huit et Adrexo sept. Nous nous étions bien entendu portés candidats sur les quinze lots.
Un délai de deux semaines entre les deux tours est certes plus confortable, mais nous avons prouvé une nouvelle fois que nous étions capables de mener à bien ce travail en une semaine. Les facteurs se sont mobilisés à la hauteur du besoin de service public qu'ils ont ressenti. Certains plis ont même été distribués en moins de vingt-quatre heures. Cela a certes impliqué une organisation et une mobilisation particulières, mais c'est possible.
La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur les dysfonctionnements dans l'organisation logistique des élections régionales et départementales.
Nous poursuivons nos travaux sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections départementales et régionales avec le ministre de l'Intérieur. Le ministère a transmis à la commission tous les documents que je lui ai demandés – appel d'offres, contrats-cadres, courriers échangés avec les sociétés. Je les tiens à la disposition des députés qui souhaiteraient les consulter.
Je me suis déjà beaucoup exprimé dans les hémicycles de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les dysfonctionnements graves qui ont affecté la distribution de la propagande. Au moins trois grandes familles de raisons peuvent expliquer les différences notables entre départements, et le secrétariat général du ministère et moi-même allons y travailler plus précisément.
Premièrement, depuis l'année dernière, un nouvel appel d'offres prévoit une répartition de la distribution – les régions concernées ont été communiquées à la commission – en deux lots, pour moitié par La Poste et pour moitié par Adrexo. Ces sociétés sont les deux seules que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), autorité administrative indépendante, a validées comme pouvant concourir à ces marchés, dont le montant approche 200 millions d'euros. Pour que la concurrence ait un sens, il faut qu'Adrexo et La Poste puissent répondre à l'appel d'offres.
Deuxièmement, l'État a accepté la délégation de la mission de service public qu'est la distribution de la propagande. La France est à peu près le seul pays à organiser l'information électorale de cette manière. Depuis le début du siècle dernier, l'État prend à sa charge l'envoi de la propagande et des bulletins de vote ainsi que les frais des candidats qui obtiennent un certain pourcentage des voix. Une directive européenne de 1997, complétée en 2002, a prévu la libéralisation du secteur postal et le changement de statut de La Poste. Sa transposition en droit interne a donné lieu à la loi de 2005, qui rend obligatoire la concurrence. Jusqu'en 2010, La Poste disposait de l'ensemble des lots, qu'elle partage depuis l'arrivée d'Adrexo. En raison de sa complexité, la distribution de la propagande a toujours donné lieu à des dysfonctionnements – vous le savez si vous avez été militant, élu ou candidat –, mais ils n'ont toutefois jamais atteint de telles proportions.
Troisièmement, l'organisation de ces élections, extraordinaires à maints égards, n'a pas été sans difficulté. Quand la plupart des démocraties européennes, voire mondiales, ont reporté leurs élections locales, nous les avons maintenues, en différant leur tenue par trois fois. Cela n'a pas facilité l'organisation en amont s'agissant du dépôt des candidatures et du traitement de la propagande, de l'impression à la distribution en passant par la mise sous pli. Celle-ci a également été déléguée en partie, notamment à la société Koba, dont nous avons aussi constaté de graves dysfonctionnements – nous y reviendrons. La crise du covid a donné à tout ce travail un caractère assez original. Surtout, c'est la première fois, depuis 1986, que nous avons organisé deux élections en même temps dans l'ensemble du territoire national. Les élections cantonales organisées en même temps que les régionales ne concernaient jusqu'à présent que la moitié de la France.
Le report des élections, la crise du covid et la concomitance de deux élections locales très importantes, décidée par le Parlement en 2015, ont sans doute contribué aux difficultés.
S'agissant des difficultés de distribution dans certains territoires, je n'ai pas entendu les propos qu'ont tenus les responsables des deux sociétés à l'instant. Je les ai moi-même convoqués, après que le secrétaire général l'a fait, à ma demande, après le premier tour. Ils ont reconnu un nombre de plis non distribués plus élevé que la moyenne, atteignant parfois 13 %, y compris dans des départements où La Poste les distribuait. Ce ne sont pas les sociétés, mais l'État, par le biais du ministère de l'Intérieur, et les élus, dans le cadre du comité de suivi présidé par Jean-Denis Combrexelle, qui ont alerté sur le fait qu'un certain nombre de plis n'avaient pas été distribués dans certaines communes, dans un pourcentage similaire pour La Poste et Adrexo. Des variations plus fortes ont été constatées dans les zones couvertes par Adrexo, qui nous ont d'autant plus inquiétés.
Deux types de difficultés ont été constatés. D'abord, des plis non distribués sont restés sur place, alors qu'Adrexo aurait pu rechercher leurs « propriétaires » par des envois postaux complémentaires, en lien avec les mairies, ce que fait habituellement La Poste. Sans doute la sous-traitance a-t-elle été trop importante et confiée à des personnes insuffisamment formées : de nombreux intérimaires et des personnes en insertion ont distribué le courrier, alors que ce travail compliqué requiert un savoir professionnel.
Est ensuite en cause la tenue des listes électorales. Le ministère de l'Intérieur, certes par délégation aux maires, en a la charge, mais il rencontre, avec l'INSEE, des difficultés portant sur les adresses, les compléments d'adresse ou l'état-civil. Indépendamment de la propagande et de la responsabilité des sociétés, nous devons fiabiliser les listes électorales, surtout si le Parlement venait à choisir un mode de scrutin différent ou complémentaire.
La réinternalisation me semble constituer la solution principale pour une bonne partie des opérations de propagande – appellation qui pourrait être modernisée. Entre les deux tours, l'État s'est substitué à de nombreux opérateurs privés : plus de 1 000 agents publics ont été réquisitionnés entre le lundi et le vendredi pour faire les mises sous pli et les distributions. Au passage, même s'il ne baisse pas cette année, le nombre d'agents en préfecture a diminué de 40 % en dix ans – en Lozère, par exemple, il est passé de 130 à 90 agents. En cinq jours, nous avons dû réquisitionner la quasi-intégralité du personnel préfectoral et sous-préfectoral. Manifestement, cette suppléance du service public n'a pas été tout à fait concluante pour le second tour, mais qui pouvait faire mieux en cinq jours ?
Je remercie les dirigeants de la société La Poste, même si eux aussi ont manqué une partie du marché, d'avoir accepté de reprendre une partie des marchés de la société Adrexo, qui était manifestement incapable de les mener à bien.
En conclusion, il me semble qu'il faut accepter l'idée qu'on ne peut pas soumettre à la concurrence ce moment important, d'ailleurs difficile à établir économiquement, qu'est la distribution de la propagande. J'ai proposé au Premier ministre d'étudier la question et je souhaiterais que le Parlement le fasse, avec sans doute davantage d'objectivité que n'en pourrait montrer le ministère de l'Intérieur. Cela impliquerait de demander à la Commission européenne l'autorisation de travailler en direct avec la société La Poste, d'en tirer les conclusions dans la loi nationale afin d'autoriser le ministère de l'Intérieur à passer un marché de 200 millions d'euros. C'est dire si les enjeux sont importants.
Monsieur le ministre, vous comprenez certainement l'incompréhension voire la colère de nombreux candidats, électeurs et citoyens qui ont subi un préjudice démocratique lors des élections régionales et départementales, en ne recevant pas la propagande électorale du fait d'un accident industriel. Reçue par courrier, la propagande électorale est un pilier de notre processus électoral. Pour les électeurs, elle est parfois la seule source d'information sur les candidats et leur programme, voire sur la tenue prochaine d'un scrutin. On peut penser qu'une partie d'entre eux, peu ou mal informés, ne se sont pas déplacés pour ces raisons, même si elles sont loin d'expliquer toute l'abstention. Reste que nous devons absolument régler le problème pour les prochaines échéances.
Les auditions ont révélé un large fossé entre les deux prestataires. À mes yeux, Adrexo a failli, contrairement à La Poste, forte de son expérience et de ses personnels qualifiés. Les remontées des territoires montrent des différences sensibles. Partagez-vous ce constat ? Que pensez-vous des arguments avancés par Adrexo ? Le fait de tenir deux élections simultanément peut-il expliquer les dysfonctionnements majeurs dans la distribution des plis ? Faut-il revenir sur l'autorisation que l'ARCEP a donnée à Adrexo, puisque l'entreprise n'a pas rempli la mission qui lui était confiée ?
Je me réjouis du travail de contrôle et d'audition que nous entamons. Le Sénat a créé une commission d'enquête ; à l'Assemblée, il est question d'une mission d'information. Les auditions montrent que cela est plus que nécessaire, car nous devons entrer dans le détail. Ce qui s'est passé ne peut pas se reproduire.
Comme de nombreux candidats, j'ai été frappé par le fait qu'une partie de la propagande officielle a été distribuée, au premier tour, avant le début de la campagne officielle. Cela était-il prévu, et dans quel cadre ? Nous devons clarifier l'action de propagande de l'État et sa synchronisation avec la campagne officielle.
Dans certaines communes, des maires ont vu des « messagers » distribuer des professions de foi le dimanche du second tour. C'est le comble du ridicule ! S'il est scandaleux que l'État n'arrive pas à organiser leur distribution avant l'élection, il devient humiliant et invraisemblable que les prestataires les distribuent le jour même, à un horaire avancé.
Préalablement à la distribution, quels mécanismes avez-vous instaurés pour contrôler l'exécution des contrats, en matière de validation des processus et d'organisation ? Pour ces marchés d'ampleur, de quels outils de pilotage disposez-vous ?
Pourquoi la mise sous pli a-t-elle été si peu anticipée ? Quelle partie avez-vous décidé de sous-traiter et pour quelles raisons ? Dans mon département, les pompiers ont été mobilisés le vendredi avant le second tour pour aider à la mise sous pli. Cette étape semble pourtant être de la responsabilité du ministère de l'Intérieur.
Enfin, le délai d'une semaine pour remettre les plis aux prestataires était-il différent de celui des autres scrutins ?
L'audition des dirigeants de Hopps Group, d'Adrexo et de La Poste laisse apparaître une différence notable dans la qualité des réponses fournies. La commission des Lois n'a pas reçu les chiffres concernant la distribution, du premier et du second tour, par région et par département. Il importe de les rassembler pour dresser un bilan, nécessaire avant toute réflexion et conclusion pour améliorer le système.
Nous n'avons pas eu de retour sur la traçabilité des courriers. La Poste indique que les courriers qui ne sont pas adressables sont remis aux maires, qui peuvent vérifier les listes électorales. La société Adrexo n'a pas précisé ce qu'elle avait fait de ces courriers, en dehors des plis qui peuvent être retrouvés. Il semble y avoir une véritable disparité, qui m'incite à remettre en question les 8 % de courriers non distribués avancés par Adrexo. J'ai le sentiment que l'entreprise s'est calée sur le pourcentage de La Poste. Tant que nous n'aurons pas les chiffres, nous ne pourrons pas avancer correctement.
Je peux aussi témoigner des disparités régionales. En Isère, je n'ai reçu aucune propagande, ni au premier ni au second tour, ni pour les départementales ni pour les régionales. Cela est bien de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Par ailleurs, avez-vous les chiffres des doubles procurations pour ces scrutins ?
Les chiffres fournis par Adrexo et La Poste lors des auditions sont fort étonnants. En Ardèche, par exemple, les dysfonctionnements – plis non livrés, ne contenant la propagande que pour une seule élection, voire enveloppes vides – sont estimés à plus de 50 %. De nombreux électeurs ont vu dans cette négligence une forme de mépris à leur endroit ; ils ont répondu à cette incapacité par une autre, en n'allant pas voter. Il ne faut pas sous-estimer le nombre de celles et ceux qui sont restés chez eux.
Le directeur d'Adrexo a pointé des raisons externes aux défaillances de son entreprise. Il a évoqué 18 millions de plis non livrés et des lots incomplets. Reste qu'à l'issue de son audition, on ne peut s'empêcher de penser qu'il savait qu'Adrexo ne pourrait pas honorer son contrat.
Aviez-vous des doutes sur la capacité de l'entreprise à honorer son contrat ? Compte tenu des éléments dont vous disposiez au terme des discussions que vous avez eues, pourquoi n'avez-vous pas déclaré le marché infructueux ? C'est ce qui se passe en général, lorsque l'on a de forts doutes sur la capacité d'une entreprise à honorer un marché public. Quelle a été la nature de vos discussions avec Adrexo ?
Les remontées des citoyens de ma circonscription sont très nombreuses. Sophie, de Villequiers, écrit : « Nous n'avons pas reçu les plis officiels ». Thierry, de Soye-en-Septaine, s'insurge : « Aucune distribution, c'est une honte ! » Jacques affirme qu'à Ignol, les plis ont été retrouvés dans le fossé. Frédéric, de Bourges, atteste que les documents de vote pour les régionales n'ont pas été reçus. Vincent, à Sagonne, raconte avoir reçu cinq plis dans sa boîte aux lettres, dont aucun n'était destiné à son foyer. À Orcenais, j'ai reçu les plis pour les départementales samedi à 20 h 15, et jamais ceux pour les régionales.
Cette indignation n'est pas partisane, feinte ou surjouée. Elle est profondément saine, citoyenne et démocratique. En un sens, elle est même rassurante, et doit remonter dans cette enceinte.
En tant qu'ancien auditeur, je me demande comment ce marché a pu être attribué à une société qui n'avait manifestement pas les moyens d'honorer son contrat. Que faut-il changer dans le processus de passation des marchés ? Quelles sanctions seront prises à l'encontre des opérateurs qui se sont montrés aussi défaillants ?
Je ne reviendrai pas sur tous les éléments qui montrent la gestion catastrophique de ces élections, tout le monde les connaît. Dès le 14 juin, nous avons alerté sur les défaillances, et demandé, dès le 21 juin, une commission d'enquête – j'espère qu'elle verra le jour. Sans que ces défaillances puissent expliquer l'abstention – c'est le régime de la Ve République qui en est responsable –, elles ont tout de même aggravé la question.
Vous avez mentionné la difficulté d'une telle organisation en période de covid. C'est précisément pourquoi des groupes, notamment le nôtre, avaient demandé que soit apportée encore plus d'attention à ces élections. Nous avions demandé deux circulaires, des panneaux installés un mois à l'avance, des messages civiques. Cela n'a pas été fait, mais on ne s'attendait pas à ce que les dysfonctionnements soient encore plus graves que d'habitude. Après le covid, ces problèmes révèlent la baisse des effectifs de l'État – vous avez parlé de la préfecture de la Lozère –, l'improvisation, que dénoncent certains agents venus en renfort, la privatisation et l'externalisation, qui affaiblissent l'État. Un tel krach démocratique s'ajoute à ce que nous avons vécu pendant la crise du covid. Il faudra avoir une réflexion à plus long terme sur l'externalisation des fonctions de service public.
Il serait trop simple de mettre toute la responsabilité sur le dos d'Adrexo, puisque le Gouvernement est donneur d'ordres. Lors de son audition, la société a parlé de plis non reçus. Le problème venait donc de l'amont. Qu'en pensez-vous ?
Pour éviter de nouveaux dysfonctionnements, vous recommandez de réinternaliser la mise sous pli et la distribution de la propagande électorale pour la présidentielle. Vous avez dit que vous demanderez au Premier ministre de saisir le Parlement pour modifier la loi. Tout cela nous semble aller dans le bon sens. Pouvez-vous préciser quand cela sera fait ? Avons-nous des chances que tout cela avance d'ici à l'élection présidentielle ?
Sur ce dernier point, je n'ai pas la maîtrise du calendrier parlementaire, mais à coup sûr, après que nous aurons regardé ce qui s'est passé. Je partage l'avis de Mme Jacquier-Laforge, il faut prendre un peu de temps avant de mettre fin à des marchés. Adrexo représente 22 000 salariés, sans les sous-traitants ni les intérimaires ; elle compte de nombreuses implantations locales dans tous les départements de France. La société est déjà en difficulté financière. Hors La Poste, elle est le leader français de la diffusion et de l'envoi postaux. Ce n'est pas une petite société.
Malgré la pression, à laquelle je souscris, nous devons réfléchir avant de prendre des décisions qui risquent de la mettre en péril économiquement – le marché, en ce qui la concerne, est de 93 millions d'euros – et de lui donner une très mauvaise publicité. Ayant été candidat aux élections départementales, je sais qu'un grand nombre des électeurs de ma commune n'a pas reçu les plis qui devaient être distribués par Adrexo, alors que je les ai reçus quatre fois. Étant responsable, juridiquement et politiquement, je ne cherche pas de bouc émissaire. Derrière Adrexo, il y a des salariés.
Cependant, je suis favorable à ce qu'on regarde très rapidement si l'on gagnerait à changer la loi, sans risque au regard de la conventionalité européenne et des règles de concurrence qui nous obligent. J'espère que, d'ici à la fin de la session parlementaire, le Premier ministre aura l'occasion de s'exprimer sur cette question que je lui soumettrai. Elle n'est pas sans conséquence budgétaire ni organisationnelle pour l'État, mais nous sommes capables, en temps masqué, de commencer à organiser l'élection présidentielle. Nous sommes encore dans les temps pour celle-ci ainsi que pour les élections législatives, voire référendaires, si le Président de la République ou le Parlement décidait d'un référendum dans les mois ou les années qui viennent. Il est encore temps de reprendre les choses en main.
On peut aussi imaginer que l'on délègue intégralement le service postal, comme au Royaume-Uni, sans le soumettre à la concurrence. Porter des plis est un métier difficile, qui requiert des qualifications professionnelles, et on ne saurait concevoir d'en confier la tâche aux seuls agents des préfectures. Néanmoins, qui dit monopole dit non-maîtrise des prix ; il faudrait donc avoir une discussion avec la société La Poste. Il ne s'agirait pas que, seule sur le marché, elle puisse imposer des prix disproportionnés au contribuable. C'est sans doute une difficulté de la situation, sur laquelle doit s'interroger toute personne, notamment les parlementaires, qui contrôle le bon usage des deniers publics. Mais La Poste est une société responsable, qui comprend évidemment les impératifs de l'État.
M. Rupin a raison d'évoquer un préjudice démocratique, mais je ne pense pas que celui-ci ait altéré la sincérité du scrutin. D'ailleurs, la jurisprudence du Conseil d'État a toujours considéré que le non-acheminement de la propagande électorale n'altérait pas le scrutin. Nous verrons ce qu'il adviendra des recours formés. On semble penser que ces problèmes ne surviennent qu'aujourd'hui, mais il y a eu des précédents. J'ai cité, au Sénat, la ville d'Annecy dont aucun habitant n'a reçu la propagande électorale lors des élections européennes – La Poste était pourtant chargée de la distribution. Le métier est très difficile, il nécessite une logistique très serrée, peut-être un peu ancienne et sans doute à moderniser, ce qui explique qu'il y a toujours eu des dysfonctionnements, même s'ils n'avaient pas connu une telle ampleur. Le juge de l'élection a toujours considéré que cela n'altérait pas le scrutin. Nous verrons ce qu'il dira demain.
Face aux difficultés, pour la première fois, nous avons mis en ligne la quasi-totalité des professions de foi. Bien sûr, cela ne suffit pas pour tous les électeurs et ne remplace pas la profession de foi papier, mais du moins avons-nous essayé cette voie. Dès le lundi matin suivant le premier tour, j'ai convoqué les sociétés La Poste et Adrexo pour leur demander d'acheter des encarts dans la presse quotidienne régionale (PQR) afin d'informer nos concitoyens, et de faire des distributions en double. Ces achats n'étaient pas prévus dans le marché ; elles l'ont fait, et je les en remercie. Cela n'a pas suffi partout, mais il y a bien eu une autre diffusion de la propagande électorale que par les moyens traditionnels.
La société Adrexo a manifestement failli. Quant à expliquer l'écart avec La Poste, je me méfie du déclaratif.
Pour répondre à M. Schellenberger sur les mécanismes de suivi, nous avions tous les jours des retours – les documents sont à la disposition de la commission. Le secrétariat général et la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) demandaient aux deux sociétés où elles en étaient. Nous les avons alertées. Dans la zone de distribution de La Poste, j'ai le souvenir de soixante-quatre villes qui n'avaient pas reçu d'information, où les maires ont été appelés. Un travail de suivi a donc bien été réalisé.
Il ne nous appartenait pas de considérer que la société Adrexo n'était pas capable de remplir ce marché, puisque c'est à l'ARCEP qu'il revient de valider la capacité d'une société à concourir à ce type d'appel d'offres. Eu égard à la séparation des pouvoirs, je me garderai bien de me demander si l'ARCEP a bien ou mal fait son travail – vous me le reprocheriez, d'ailleurs. Selon les règles en vigueur et voulues par le législateur, l'autorité a considéré que la société Adrexo était capable de répondre à ce marché.
Nous n'aurions d'ailleurs pas pu y mettre fin avant même que celui-ci commence. Si nous l'avions fait alors qu'Adrexo n'avait encore commis aucune faute, l'État aurait dû, d'un côté, lui rembourser 100 millions d'euros à la société, au titre du préjudice subi, et, de l'autre côté, demander à La Poste, alors en situation monopolistique, de reprendre le marché, ce qu'elle aurait sans doute fait dans des conditions au moins identiques. Prise malgré le code de la commande publique et malgré l'agrément donné par l'autorité administrative indépendante à une société, dont je rappelle qu'elle est le leader français de la distribution et emploie 22 000 salariés, la simple décision du ministre de l'Intérieur aurait coûté 200 millions d'euros d'argent public. Et ce alors même qu'on ne savait pas encore comment les choses allaient se passer, puisqu'il n'y avait alors pas de preuves de problèmes.
Comme l'ont relevé M. Rupin et M. Schellenberger, les difficultés ont été accrues par la concomitance des deux élections et leur temporalité, auquel il faut ajouter le fait qu'aux grandes régions ont correspondu de grandes listes et que les élections départementales ont suscité beaucoup de candidatures. De nombreux partis politiques et associations d'élus ont demandé de repousser les dépôts de candidature jusqu'au dernier moment. Nous l'avons accepté en raison du changement de dates des élections, de la pandémie et de la nécessité de donner du temps pour pouvoir faire de la politique. C'était bien normal, mais cela a accru les contraintes pesant sur le dépôt de la propagande officielle.
Contraintes pour les imprimeurs, tout d'abord, dont vous savez qu'ils ont eu initialement des problèmes d'approvisionnement en papier, puis de réalisation des impressions. De nombreux candidats ont fait peser sur La Poste ou Adrexo la responsabilité de l'absence d'arrivée des plis. Or beaucoup d'entre eux n'ont pas apporté à temps à l'imprimeur les professions de foi et les bulletins de vote – et il s'agit parfois des candidats de listes très importantes ayant gagné les élections –, dans certains cas en raison de la défaillance de leurs propres prestataires. Cela peut être aisément prouvé par les magistrats qui président les commissions de contrôle des opérations de vote.
En tout état de cause, les deux sociétés chargées de la distribution – Adrexo et La Poste – et l'État ne sont pas responsables de tous les maux ; quelques-uns ont aussi été responsables individuellement. De surcroît, le report par trois fois des élections et du dépôt des candidatures, à la demande des associations d'élus et des partis politiques, a conduit à une compression très importante des délais de mise sous pli et de distribution. Cette situation était difficile à anticiper puisque, lorsque le marché a été passé en décembre, la date définitive des élections n'était pas connue avec certitude. Même si cela n'excuse pas les difficultés constatées, cela les explique.
Je prends avec beaucoup de précautions les chiffres fournis par les deux sociétés prestataires. De mémoire, le pourcentage de plis non distribués s'élève à 17 % en Ardèche au premier tour, ce qui est déjà très important. C'est peut-être davantage. Je ne remets pas du tout en question les constatations faites par M. Saulignac.
Nous faisons face à un triple problème.
Tout d'abord, la perception par les électeurs des défaillances de distribution de plis peut difficilement faire l'objet d'une vérification d'une précision scientifique.
Ensuite, se pose la question de la qualité de la tenue des listes électorales. Sans faire injure au député de la Seine-Saint-Denis, il est plus facile de les mettre à jour, par exemple en Lozère, car la mobilité y est moindre. Si l'on ajoute que la distribution des plis est par nature plus aisée dans les zones rurales que dans les grands ensembles urbains, lorsqu'on me dit que la propagande électorale est mal distribuée dans les campagnes, j'ai tendance à penser qu'il y a vraiment un problème. L'inquiétude s'est donc accrue lorsque se sont manifestés les mauvais résultats de distribution par Adrexo en zone rurale, et dans une moindre mesure par La Poste.
Enfin, lorsqu'un pli n'a pu être distribué, La Poste l'a repris pour faire son métier de postier : essayer de trouver le destinataire d'un courrier important. Tel ne fut manifestement pas le cas avec les comportements non professionnels d'Adrexo, une grande partie de ses salariés, de ses intérimaires ou de ses sous-traitants laissant les plis dans des halls d'immeubles, les abandonnant dans des bois, comme je l'ai vu en Côte-d'Or, les jetant ou les brûlant. Telle est, à mon avis, la grande différence entre les deux sociétés.
Le code électoral ne prévoit pas de date pour le début de la distribution de la propagande électorale, monsieur Schellenberger ; aucune date à ce sujet ne figure donc dans les marchés passés, qui se conforment au cadre législatif et réglementaire en vigueur. En revanche, il existe bien une date limite à laquelle cette distribution doit se terminer : la veille du scrutin, s'il ne s'agit pas d'un nouveau document au sens du code électoral. La Poste procède à la distribution de propagande électorale parfois jusqu'au samedi soir, ce qui n'a malheureusement pas toujours d'effet, car nombreuses sont les personnes qui n'ouvrent pas leur boîte à lettre à ce moment-là. J'avais été saisi par le président de l'Association des départements de France, Dominique Bussereau, au sujet de la distribution de propagande électorale très en amont du scrutin. Je lui ai répondu que, même si on pouvait le regretter, c'est à bon droit que les sociétés prestataires distribuent ces documents bien longtemps avant la tenue du vote. Sur ce point, le contrat a été tout à fait respecté ; peut-être faudra-t-il modifier la loi.
Je souligne que la France est sans doute le seul pays qui organise deux élections locales en même temps et qui laisse seulement cinq jours ouvrés entre deux tours – à l'exception de l'élection présidentielle. Dans les pays qui procèdent également à des élections à deux tours, le délai entre les deux votes est plus grand, ce qui facilite la logistique. La France est aussi le seul pays où la propagande électorale est envoyée gratuitement à l'ensemble des électeurs. On multiplie donc les défis d'organisation.
Je le répète, c'est la première fois depuis trente-cinq ans que deux élections sont organisées en même temps sur l'ensemble du territoire. Peut-être y a-t'il eu des erreurs dans leur préparation, et j'en assume bien évidemment la responsabilité ; mais je tiens à souligner le caractère exceptionnel de ces élections.
S'agissant des mises sous pli mal faites et des distributions trop tardives, je n'ai, à ce stade, pas eu d'éléments concernant des distributions effectuées le dimanche, mais je vous crois bien volontiers. Nous avons de nombreux témoignages de personnes qui ont été appelées au dernier moment pour distribuer les plis, dont certaines n'ont d'ailleurs plus voulu travailler pour Adrexo parce que les opérations se passaient mal et que, dans certains cas, elles étaient insultées, victimes de l'énervement des uns et des autres.
Je suis preneur de toutes les informations documentées disponibles, car nous allons nous retourner vers ceux qui ont exécuté ce marché pour leur demander des comptes. Si nous étions amenés à résilier ce contrat pour éviter que ces défaillances recommencent au moment des élections présidentielle et législatives, les enjeux financiers seraient bien entendu importants. Nous aurons alors besoin du maximum d'informations très précises à l'appui de la procédure. Lorsqu'il s'agit d'un marché de 100 millions d'euros, les avocats ne se contentent pas de seules impressions. Je compte sur les travaux du Parlement pour nous aider.
Il est en effet nécessaire d'effectuer rapidement un bilan. Une quinzaine de jours est nécessaire pour cela, et il vous sera transmis dès qu'il sera disponible, madame la présidente.
J'ai demandé à tous les préfets de faire parvenir pour la fin de la semaine, sans doute jeudi, les rapports qu'ils auront réalisés sur les difficultés de distribution des plis, après, bien entendu, avoir consulté les responsables locaux des partis politiques et les maires. Je les transmettrai sans modification à la représentation nationale, de telle sorte que vous disposerez des cent notes sur ce sujet, ce qui vous aidera à comprendre ce qu'il s'est passé et à questionner les sociétés titulaires des marchés.
Je ne dispose pas des données chiffrées concernant les doubles procurations. J'avais demandé, dès le premier tour, transmission du nombre de procurations, et je regrette de ne toujours pas l'avoir, le système en quelque sorte à l'ancienne rendant très lente la remontée d'information. En revanche, je peux vous fournir le nombre de procurations effectuées en ligne, ce qui était possible pour la première fois : avec 260 000 procurations au premier tour, c'est un bon chiffre au vu du taux d'abstention.
Plusieurs questions ont été posées sur les 18 millions de plis non livrés. Je ne suis pas certain de ce chiffre. Je constate que la Poste a exactement la même façon de fonctionner qu'Adrexo, en tout cas avec l'État, et qu'elle déclare ne pas avoir eu de problème de plis non livrés. Nous verrons donc. Il peut aussi y avoir eu des problèmes de distribution parce que les candidats n'ont pas livré les documents ; cela a été le cas dans des régions entières – je ne donnerai pas de noms, car ce sont des choses qui peuvent arriver. Dans quelques cas, les préfets eux-mêmes ont procédé à des mises sous pli, avec leurs sous-préfets, comme dans la Drôme ou en Corrèze. Des réquisitions de personnels ont également pu intervenir à cet effet, notamment de sapeurs-pompiers. Les dépôts ont pu être effectués dans l'urgence, c'est tout à fait possible. Mais je ne dispose pas de ce chiffre de 18 millions de plis non livrés ; cela étant, je veux bien étudier les choses pour mieux comprendre ce qu'a voulu dire la société Adrexo.
En revanche, il est certain que la société Koba Élection, chargée de la mise sous pli, a parfois fait des erreurs – on n'en a pas assez parlé, car on s'est focalisé sur la propagande diffusée. Je constate que les retours de cette société n'ont pas été de la même qualité que ceux de la société Adrexo : alors même qu'elle connaissait des difficultés très importantes, cette dernière a toujours répondu aux appels de l'État et aux convocations, n'a pas nié les problèmes, a communiqué quand l'État le lui a demandé et a mis en œuvre des mesures avec La Poste quand cela a été exigé. Cela ne retire rien aux dysfonctionnements mais démontre sa volonté de régler le problème. Je ne peux pas dire que la société Koba Élection a montré la même diligence quand l'État l'a alertée, à de nombreuses reprises, sur les difficultés constatées, que ce soit au niveau national ou local.
Il est tout à fait possible, comme cela a été évoqué lors des questions au Gouvernement, qu'il y ait eu des défauts de distribution de propagande électorale, mais aussi que la propagande distribuée n'ait parfois pas été la bonne. Cela pose des questions difficiles, au sujet desquelles je me suis déjà exprimé en présentant mes excuses, puisque je suis le chef de l'administration du ministère de l'Intérieur.
La société Adrexo pensait peut-être à un problème particulier, puisqu'en Centre-Val de Loire, un imprimeur a complètement failli en ne fournissant pas les documents destinés à être mis sous pli. Il ne s'agit d'une faute ni de l'État ni d'Adrexo, mais bien de l'imprimeur. En tout état de cause, les préfets feront part en détail de tous les incidents constatés dans leur département.
Cela n'est, en effet, pas la première fois qu'il y a des difficultés de distribution des documents de propagande électorale. Lors des élections législatives de 2017, alors que vous n'étiez pas aux responsabilités, un certain nombre de ces documents avaient été adressés en dehors de mon département, si bien que j'ai obtenu un nombre non négligeable de voix en Haute-Savoie. Plaisanterie mise à part, ce n'est donc pas un phénomène nouveau. Cela a également toujours été le cas pour les acheminements entre les deux tours, en raison du délai très court.
Mais, cette fois, les professions de foi ont été demandées très en amont du premier tour, ce qui laissait aux distributeurs quasiment trois semaines pour faire leur travail. Je le dis franchement, je m'interroge sur le mécanisme de contrôle et de suivi de l'État. Il y a sans doute des choses à améliorer à cet égard, afin de donner aux préfets les instruments leur permettant de vraiment suivre l'évolution de la situation.
Au vu des difficultés de distribution de plis, l'alerte aurait dû être donnée dès le lundi précédant le premier tour. Le travail de suivi des préfectures devrait être beaucoup plus fin et porter sur l'ensemble du processus électoral, complexe, où des défaillances peuvent se produire. Envisagez-vous de donner davantage de moyens aux préfectures pour effectuer ce suivi très en amont, mettre en place des systèmes de déclenchement d'alerte et réaliser des contrôles sur les délégataires ?
Je ne reviendrai pas sur le constat partagé au sujet de cet immense bazar qui a été un véritable motif de tristesse, et parfois de révolte, pour tous ceux qui aiment l'État et la démocratie.
S'agissant des solutions, monsieur le ministre, vous envisagez de réinternaliser ces missions tout en nous faisant part de vos doutes sur la conventionalité d'une telle solution.
Disons-le directement, on doit assumer l'idée de confier de nouveau le soin de distribuer la propagande électorale à La Poste, entreprise publique, au titre de ses missions de service public et d'intérêt général. C'est peut-être contraire à des stipulations du droit européen. Eh bien, tant pis ! Si la Commission européenne décide d'engager un recours en manquement devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qu'elle le fasse !
On doit assumer un contentieux et l'idée qu'au cœur de la souveraineté de l'État, il y a l'organisation de la démocratie française. On a trop démembré les missions qui sont au cœur de la souveraineté – et je le dis en incluant tous ceux qui nous ont précédés, sans propos partisan. Il faut reprendre la main, pour éviter une forme de révolte populaire que certains collègues ont très bien décrite ; j'ai moi-même pu constater ce sentiment d'humiliation dans les petits villages de Puisaye. Entrons dans un rapport de force avec la Commission européenne, ce qui l'incitera peut-être à proposer une modification de la norme européenne.
On n'a pas bâti l'Union européenne pour être incapable de distribuer la propagande électorale lors des grands rendez-vous démocratiques. Notre devoir est désormais de reprendre la main. Si telle est bien l'orientation qui est privilégiée, nous serons au rendez-vous, afin d'entrer dans une logique de rapport de force face à des évolutions du droit européen qui ont abouti à désarmer l'État et à affaiblir la démocratie française.
C'est navrant, mais il faut rappeler que ce n'est pas la première fois que l'on entend nos concitoyens se plaindre de ne pas avoir reçu la propagande électorale. À cette échelle, c'est cependant peut-être une première. Vous avez souligné à juste titre, monsieur le ministre, que deux élections locales étaient organisées en même temps, dans tout le territoire. Il faut donc prendre la mesure de la complexité du sujet.
Comment peut-on rebondir et engager une modernisation ?
Les services fiscaux ont un temps proposé aux contribuables de choisir entre un envoi par courrier ou par courriel de leur déclaration d'impôt. Peut-être pourrait-on le faire pour la propagande électorale, les citoyens pouvant opter pour une réception uniquement par voie électronique. Une adresse courriel pourrait figurer sur la carte électorale, sous réserve des garanties nécessaires de confidentialité afin d'éviter que cette information soit accessible aux maires. Je préférerais personnellement recevoir la propagande électorale par courriel, et plus nombreux seraient les Français dans ce cas, plus grandes seraient les économies réalisées sur les coûts d'acheminement, notamment dans les zones rurales isolées. Ces économies permettraient de mieux distribuer les plis par courrier pour ceux qui le souhaitent. Quel est l'état de vos réflexions sur ce sujet ?
Selon vous, quels contrôles devaient être exercés par l'administration, c'est-à-dire en l'espèce les préfectures, sur l'externalisation de ce service, sachant son importance pour l'exercice de la démocratie ?
Les auditions ont mis en lumière la désorganisation des flux de la propagande électorale. Adrexo, en particulier, a dénoncé le fait que 40 % des plis qu'elle devait distribuer n'avaient pas été mis à sa disposition le jeudi. Quelle a été l'alerte à ce moment-là ? Comment est-ce possible ? Pourquoi centraliser la mise sous pli en Normandie, région très éloignée dans certains cas ?
Je retire de tout cela un sentiment de désorganisation et de manque de contrôle vis-à-vis de sociétés, en particulier d'Adrexo, qui ne sont pas habituées à faire ce travail extrêmement précieux et sérieux de distribution de la propagande électorale.
Le déroulement de ce scrutin a beaucoup frappé nos concitoyens, dans une période où la défiance vis-à-vis de la vie politique est déjà grande. D'une certaine manière, nous avons assisté à un déni démocratique, notamment au premier tour – comme l'a rappelé Rémy Rebeyrotte, le second tour est souvent source de confusion et de difficultés pour la distribution de la propagande électorale.
Je ne suis pas convaincu par l'idée d'acheminer la propagande électorale par d'autres voies que celles, classiques, fixées par la loi. Dématérialiser totalement pourrait présenter un problème d'égalité de traitement de nos concitoyens. Il faut aussi conserver le caractère particulier de ce moment qu'est l'envoi sous forme papier, où s'effectue la rencontre entre les candidats et les électeurs. Un grand nombre de nos concitoyens y est attaché, et tous ne sont pas suffisamment habitués au monde numérique. Dans la vie, un certain nombre de sujets mérite qu'on continue d'avoir des pratiques plus conventionnelles. À un moment où nos concitoyens sont assez déstabilisés, il faut veiller à ne pas rajouter de la confusion et de la complexité.
Notre seul impératif à cet instant est de garantir la qualité de la distribution des plis et de l'organisation du scrutin pour les prochaines élections.
Par-delà la manière dont a été délivré l'agrément par l'ARCEP, on ne peut pas échapper à une réflexion sur les conditions économiques de la distribution des plis de propagande électorale. Cette activité devant aussi véhiculer un certain nombre de valeurs, il faudra se pencher sur les conditions de rémunération des employés de ces sociétés prestataires, qui sont amenés à effectuer ce travail dans des conditions extrêmement difficiles. Même s'il y a des règles de secret des affaires à respecter, cela doit conduire à s'interroger sur la manière dont sont construits les prix dans les offres répondant à ces marchés publics.
Cela sera d'autant plus vrai si une seule société devait à l'avenir remplir cette fonction. On ne peut pas demander aux gens de travailler à n'importe quelle heure. Je tiens d'ailleurs à saluer les postiers du département de la Loire, qui ont procédé à des distributions de plis entre 3 heures et 5 heures le samedi matin pour compenser le travail qui n'avait pas été forcément fait de la meilleure manière. On ne peut pas imposer de tels procédés si on poursuit un idéal démocratique plus élevé.
Je rejoins évidemment le brillant plaidoyer de notre collègue Guillaume Larrivé pour le retour à davantage de souveraineté dans l'exercice de cette mission de service public.
Le contrat d'entreprise qui lie l'État et La Poste définit les missions de service public que l'État confie à cette entreprise, parmi lesquelles figure, par exemple, l'acheminement de la presse, qui est subventionné par l'État. On pourrait défendre un raisonnement similaire pour la propagande électorale.
Je vous interroge aussi solennellement au sujet de l'attachement à la diffusion de la propagande électorale sous forme papier. J'ai été rapporteur pour avis des crédits de la mission Administration générale et territoriale de l'État et je n'oublie pas qu'au début de ce quinquennat, le ministère de l'Intérieur a proposé de supprimer cette propagande papier à deux reprises au moins. Chacun mesure aujourd'hui, avec ce test grandeur nature, l'effet délétère d'une telle absence, même si cette diffusion par plis aurait été remplacée par autre chose, sous un format numérique. Pouvons-nous entendre aujourd'hui, de votre part, la manifestation d'un attachement réel du ministère de l'Intérieur à cette propagande électorale imprimée ?
Enfin, vous présenterez lors du conseil des ministres de mercredi prochain un décret de convocation des électeurs qui, selon la presse, avancerait les dates de l'élection présidentielle aux 10 et 24 avril. Quel calendrier envisagez-vous pour les élections législatives, sujet qui nous intéresse aussi de manière un peu accessoire ?
Qu'a fait l'État pour suivre ce marché ? Beaucoup de choses. Nous avons fourni et fournirons des documents le montrant à la présidente, mais je suis prêt à le redire devant vous tous.
Dès le 25 mai, à la suite d'incidents de distribution constatés à Belfort, nous avons fait part à la société Adrexo de ces difficultés. C'est donc très tôt : un mois avant le premier tour des élections régionales et départementales.
Le 27 mai, cette société a demandé de facturer une avance. Peut-être n'était-ce pas de bon augure.
Le 1er juin, nous lui avons demandé un bilan, à la suite des difficultés qui étaient apparues lors des élections législatives partielles. À la même date, nous avons adressé une première alerte au directeur d'Adrexo.
Le 3 juin, une réunion s'est tenue avec des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur pour signifier à Adrexo le mécontentement des élus et du ministre – vous me permettrez de me considérer comme un élu, même si en l'occurrence j'intervenais en tant que ministre. J'ai demandé, dès le 3 juin, la mise en place de mesures correctives pour chaque incident.
Voyant que cela avait peu d'effet, le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale, en charge de ces questions, a rencontré le PDG d'Adrexo le 17 juin, pour exiger que les incidents identifiés soient corrigés avant le premier tour. Cette réunion avait été précédée, à ma demande, par une lettre on ne peut plus claire adressée par le secrétaire général du ministère. Elle expliquait à la société Adrexo que nous avions de gros doutes sur son fonctionnement, alors que nous n'avions pas encore confirmation de l'ampleur des difficultés puisque, par définition, la propagande électorale peut être distribuée soixante-douze heures ou quarante-huit heures avant le scrutin.
Pour répondre à votre question, je pense que l'État n'a pas failli dans son devoir de contrôle – si cela avait été le cas, je n'hésiterais pas à le dire. Pendant un mois avant le scrutin, il a exigé un retour d'expérience au sujet des élections législatives partielles ; les difficultés constatées par les préfectures ont été remontées au ministère ; trois réunions ont eu lieu et trois courriers ont été adressés à Adrexo. On pouvait difficilement faire mieux, à moins de se substituer à cette société ou de prendre la décision, que je n'ai pas retenue, de changer de prestataire et de sous-traitants. Comme je l'ai déjà indiqué, il s'agissait d'un important enjeu pour les deniers publics, concernant une société agréée par l'ARCEP.
Je n'ai pas pris cette décision et je l'assume bien volontiers. Peut-être aurait-il fallu la prendre ? Je ne le pense pas, mais votre commission en jugera, de même que la mission d'information que vous créerez peut-être et la commission d'enquête du Sénat.
Nous fournirons tous les documents qui montrent que l'État a agi, par ma voix, par celle du secrétaire général du ministère – que je remercie – et par celle du directeur de la modernisation et de l'administration territoriale. Les préfets ont aussi rédigé d'innombrables notes d'alerte, adressées notamment aux correspondants locaux des entreprises titulaires des marchés. Identifier ceux-ci était d'ailleurs une des difficultés rencontrées. Alors que le responsable local de La Poste est bien connu et joignable, ce n'était pas toujours le cas de celui d'Adrexo, et les préfets ont parfois eu du mal à le contacter.
Je partage aussi l'idée que les candidats ont rencontré des difficultés pour le dépôt très en amont des professions de foi. Mais c'est précisément un argument qui plaide en faveur de l'État : on a embêté les candidats pour qu'ils le fassent très en amont parce qu'on avait bien perçu que ce serait compliqué d'un point de vue logistique. Cela n'a pas été compris par les intéressés, à qui l'on demandait ce dépôt des professions de foi alors qu'ils n'avaient pas encore déposé leur candidature. L'État a donc fait son travail, à l'échelon local comme national. Toutes les professions de foi ont été collectées et mises en ligne sur le site internet du ministère, ce qui représente un très gros travail. Elles ont d'ailleurs été très largement consultées, y compris le jour du scrutin. Tout cela montre qu'on avait anticipé ces difficultés, dont la responsabilité revient en partie aux sociétés distributrices.
À titre personnel, je suis prêt à prendre le risque que vous avez évoqué, monsieur Larrivé, mais je peux comprendre qu'on se pose certaines questions. Vous êtes trop fin juriste pour ne pas voir que les sociétés concernées attaqueront les décisions de l'État – même si j'espère, pour ma propre santé, que j'aurai quitté le ministère de l'Intérieur avant qu'on connaisse la décision définitive des juridictions qui auront à se prononcer. Si nous sommes condamnés, il faudra verser des dédommagements très importants – c'est un marché de 200 millions d'euros. Imaginez ce que cela représente pour quatre ou cinq élections. Je compte d'ailleurs sur la compréhension d'Adrexo pour ne pas faire inutilement du juridisme compte tenu des conséquences de la non-distribution de la propagande électorale, qui a un peu rompu le lien de confiance, il faut bien l'avouer, entre l'État et cette société.
Je suis très attaché au papier, d'une manière générale – tous mes collaborateurs vous le diront. Quand on écrit une lettre d'amour, de rupture ou dans les moments importants, on ne fait pas un mail – enfin, je l'espère. Je pense qu'une élection est importante. J'ai toujours été dubitatif à l'égard des modes de vote modernes, pour de nombreuses raisons. On peut toujours y réfléchir – je ne suis pas fermé –, mais j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'on ne peut pas voter comme on like, sans faire l'effort de parcourir quelques mètres et de réfléchir, d'une façon personnelle, en famille et dans l'isoloir. Cela fait partie du catéchisme républicain et cela permet de prendre une bonne décision, d'autant que, paraît-il, plus d'un tiers des électeurs se décide dans l'isoloir. Que penser d'un vote qui n'en sortirait pas ?
La modernité est intéressante en soi, mais elle ne doit pas conduire à casser l'effort qu'on doit faire pour la démocratie. C'est, en tout cas, ma position. Il ne vous aura pas échappé qu'elle est parfois un peu minoritaire, y compris au sein de la majorité, si je comprends bien ce que les uns et les autres ont dit. Par ailleurs, on serait un peu loin du compte, à mon avis, si on s'imaginait que seules les modalités de vote expliquent l'abstention. On peut réfléchir à la question, mais je ne crois pas que la recherche de la modernité à tout crin serve beaucoup la démocratie. Je suis attaché au vote papier et à la propagande papier.
Cependant, je trouve que l'idée de M. Balanant n'est pas mauvaise. Que les gens aient le choix, qu'ils puissent, s'ils sont volontaires, recevoir la propagande électorale d'une façon numérique, comme on le fait pour les impôts, why not ? C'est tout à fait possible, d'ailleurs, compte tenu des projets informatiques que nous avons poussés lorsque j'étais à Bercy. J'ajoute que la plupart des éléments sont entre les mains de l'INSEE et non du ministère de l'Intérieur. Ce que vous proposez peut faire partie des modalités modernes des scrutins, mais il ne faut pas l'imposer. Je pense que je demanderais, personnellement, qu'on m'envoie la version papier de la propagande électorale.
Les propositions qui ont été faites visaient à réaliser des économies budgétaires. De mémoire, elles devaient s'élever à 66 millions d'euros en crédits de paiement pour le ministère de l'Intérieur, la première année. Éric Woerth m'a dit, me semble-t-il, qu'il avait déjà fait une proposition semblable il y a dix ans au ministre de l'Intérieur de l'époque – cela doit rappeler des souvenirs à M. Larrivé… Bercy propose des économies quels que soient les gouvernements.
Je peux vous dire que le Président de la République a refusé à plusieurs reprises l'envoi numérique de la propagande électorale alors que le Premier ministre y était favorable. Je le redis, je suis attaché au papier, comme le Président de la République. Je ne refuse pas une modernisation, mais elle ne peut pas être générale.
Je ne sais pas si la société Adrexo vous l'a dit, mais elle nous a adressé un courrier – je vous l'ai d'ailleurs transmis – reconnaissant d'une façon très honnête, comme elle l'a fait par voie de presse, des difficultés, qu'elle attribue notamment à une cyberattaque, dont nous avions été informés à l'époque. J'ignore comment le problème a été résolu.
Nous sommes très marris, pour ne pas dire plus, des dysfonctionnements de la société Adrexo, qui n'a pas été capable d'honorer le marché pour lequel elle a été payée, ou pour lequel elle attend d'être payée, mais je dois dire, s'agissant de nos relations, qu'elle a été à l'écoute et qu'elle a reconnu ses erreurs à plusieurs reprises.
S'agissant des élections législatives, je n'ai pas l'habitude d'indiquer les dates auxquels les décrets seront pris avant de les présenter au Président de la République et au conseil des ministres. Mais ces élections auront lieu…
Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous aurons des échanges au sein de la commission pour déterminer sous quelle forme nos travaux se poursuivront sur ce sujet, qui est manifestement d'importance.
La réunion se termine à 19 heures 50.
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.