Qu'a fait l'État pour suivre ce marché ? Beaucoup de choses. Nous avons fourni et fournirons des documents le montrant à la présidente, mais je suis prêt à le redire devant vous tous.
Dès le 25 mai, à la suite d'incidents de distribution constatés à Belfort, nous avons fait part à la société Adrexo de ces difficultés. C'est donc très tôt : un mois avant le premier tour des élections régionales et départementales.
Le 27 mai, cette société a demandé de facturer une avance. Peut-être n'était-ce pas de bon augure.
Le 1er juin, nous lui avons demandé un bilan, à la suite des difficultés qui étaient apparues lors des élections législatives partielles. À la même date, nous avons adressé une première alerte au directeur d'Adrexo.
Le 3 juin, une réunion s'est tenue avec des fonctionnaires du ministère de l'Intérieur pour signifier à Adrexo le mécontentement des élus et du ministre – vous me permettrez de me considérer comme un élu, même si en l'occurrence j'intervenais en tant que ministre. J'ai demandé, dès le 3 juin, la mise en place de mesures correctives pour chaque incident.
Voyant que cela avait peu d'effet, le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale, en charge de ces questions, a rencontré le PDG d'Adrexo le 17 juin, pour exiger que les incidents identifiés soient corrigés avant le premier tour. Cette réunion avait été précédée, à ma demande, par une lettre on ne peut plus claire adressée par le secrétaire général du ministère. Elle expliquait à la société Adrexo que nous avions de gros doutes sur son fonctionnement, alors que nous n'avions pas encore confirmation de l'ampleur des difficultés puisque, par définition, la propagande électorale peut être distribuée soixante-douze heures ou quarante-huit heures avant le scrutin.
Pour répondre à votre question, je pense que l'État n'a pas failli dans son devoir de contrôle – si cela avait été le cas, je n'hésiterais pas à le dire. Pendant un mois avant le scrutin, il a exigé un retour d'expérience au sujet des élections législatives partielles ; les difficultés constatées par les préfectures ont été remontées au ministère ; trois réunions ont eu lieu et trois courriers ont été adressés à Adrexo. On pouvait difficilement faire mieux, à moins de se substituer à cette société ou de prendre la décision, que je n'ai pas retenue, de changer de prestataire et de sous-traitants. Comme je l'ai déjà indiqué, il s'agissait d'un important enjeu pour les deniers publics, concernant une société agréée par l'ARCEP.
Je n'ai pas pris cette décision et je l'assume bien volontiers. Peut-être aurait-il fallu la prendre ? Je ne le pense pas, mais votre commission en jugera, de même que la mission d'information que vous créerez peut-être et la commission d'enquête du Sénat.
Nous fournirons tous les documents qui montrent que l'État a agi, par ma voix, par celle du secrétaire général du ministère – que je remercie – et par celle du directeur de la modernisation et de l'administration territoriale. Les préfets ont aussi rédigé d'innombrables notes d'alerte, adressées notamment aux correspondants locaux des entreprises titulaires des marchés. Identifier ceux-ci était d'ailleurs une des difficultés rencontrées. Alors que le responsable local de La Poste est bien connu et joignable, ce n'était pas toujours le cas de celui d'Adrexo, et les préfets ont parfois eu du mal à le contacter.
Je partage aussi l'idée que les candidats ont rencontré des difficultés pour le dépôt très en amont des professions de foi. Mais c'est précisément un argument qui plaide en faveur de l'État : on a embêté les candidats pour qu'ils le fassent très en amont parce qu'on avait bien perçu que ce serait compliqué d'un point de vue logistique. Cela n'a pas été compris par les intéressés, à qui l'on demandait ce dépôt des professions de foi alors qu'ils n'avaient pas encore déposé leur candidature. L'État a donc fait son travail, à l'échelon local comme national. Toutes les professions de foi ont été collectées et mises en ligne sur le site internet du ministère, ce qui représente un très gros travail. Elles ont d'ailleurs été très largement consultées, y compris le jour du scrutin. Tout cela montre qu'on avait anticipé ces difficultés, dont la responsabilité revient en partie aux sociétés distributrices.
À titre personnel, je suis prêt à prendre le risque que vous avez évoqué, monsieur Larrivé, mais je peux comprendre qu'on se pose certaines questions. Vous êtes trop fin juriste pour ne pas voir que les sociétés concernées attaqueront les décisions de l'État – même si j'espère, pour ma propre santé, que j'aurai quitté le ministère de l'Intérieur avant qu'on connaisse la décision définitive des juridictions qui auront à se prononcer. Si nous sommes condamnés, il faudra verser des dédommagements très importants – c'est un marché de 200 millions d'euros. Imaginez ce que cela représente pour quatre ou cinq élections. Je compte d'ailleurs sur la compréhension d'Adrexo pour ne pas faire inutilement du juridisme compte tenu des conséquences de la non-distribution de la propagande électorale, qui a un peu rompu le lien de confiance, il faut bien l'avouer, entre l'État et cette société.
Je suis très attaché au papier, d'une manière générale – tous mes collaborateurs vous le diront. Quand on écrit une lettre d'amour, de rupture ou dans les moments importants, on ne fait pas un mail – enfin, je l'espère. Je pense qu'une élection est importante. J'ai toujours été dubitatif à l'égard des modes de vote modernes, pour de nombreuses raisons. On peut toujours y réfléchir – je ne suis pas fermé –, mais j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'on ne peut pas voter comme on like, sans faire l'effort de parcourir quelques mètres et de réfléchir, d'une façon personnelle, en famille et dans l'isoloir. Cela fait partie du catéchisme républicain et cela permet de prendre une bonne décision, d'autant que, paraît-il, plus d'un tiers des électeurs se décide dans l'isoloir. Que penser d'un vote qui n'en sortirait pas ?
La modernité est intéressante en soi, mais elle ne doit pas conduire à casser l'effort qu'on doit faire pour la démocratie. C'est, en tout cas, ma position. Il ne vous aura pas échappé qu'elle est parfois un peu minoritaire, y compris au sein de la majorité, si je comprends bien ce que les uns et les autres ont dit. Par ailleurs, on serait un peu loin du compte, à mon avis, si on s'imaginait que seules les modalités de vote expliquent l'abstention. On peut réfléchir à la question, mais je ne crois pas que la recherche de la modernité à tout crin serve beaucoup la démocratie. Je suis attaché au vote papier et à la propagande papier.
Cependant, je trouve que l'idée de M. Balanant n'est pas mauvaise. Que les gens aient le choix, qu'ils puissent, s'ils sont volontaires, recevoir la propagande électorale d'une façon numérique, comme on le fait pour les impôts, why not ? C'est tout à fait possible, d'ailleurs, compte tenu des projets informatiques que nous avons poussés lorsque j'étais à Bercy. J'ajoute que la plupart des éléments sont entre les mains de l'INSEE et non du ministère de l'Intérieur. Ce que vous proposez peut faire partie des modalités modernes des scrutins, mais il ne faut pas l'imposer. Je pense que je demanderais, personnellement, qu'on m'envoie la version papier de la propagande électorale.
Les propositions qui ont été faites visaient à réaliser des économies budgétaires. De mémoire, elles devaient s'élever à 66 millions d'euros en crédits de paiement pour le ministère de l'Intérieur, la première année. Éric Woerth m'a dit, me semble-t-il, qu'il avait déjà fait une proposition semblable il y a dix ans au ministre de l'Intérieur de l'époque – cela doit rappeler des souvenirs à M. Larrivé… Bercy propose des économies quels que soient les gouvernements.
Je peux vous dire que le Président de la République a refusé à plusieurs reprises l'envoi numérique de la propagande électorale alors que le Premier ministre y était favorable. Je le redis, je suis attaché au papier, comme le Président de la République. Je ne refuse pas une modernisation, mais elle ne peut pas être générale.
Je ne sais pas si la société Adrexo vous l'a dit, mais elle nous a adressé un courrier – je vous l'ai d'ailleurs transmis – reconnaissant d'une façon très honnête, comme elle l'a fait par voie de presse, des difficultés, qu'elle attribue notamment à une cyberattaque, dont nous avions été informés à l'époque. J'ignore comment le problème a été résolu.
Nous sommes très marris, pour ne pas dire plus, des dysfonctionnements de la société Adrexo, qui n'a pas été capable d'honorer le marché pour lequel elle a été payée, ou pour lequel elle attend d'être payée, mais je dois dire, s'agissant de nos relations, qu'elle a été à l'écoute et qu'elle a reconnu ses erreurs à plusieurs reprises.
S'agissant des élections législatives, je n'ai pas l'habitude d'indiquer les dates auxquels les décrets seront pris avant de les présenter au Président de la République et au conseil des ministres. Mais ces élections auront lieu…