La présidence de la CNCTR est l'une des fonctions dont l'« importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation » justifie, aux termes de l'article 13 de la Constitution, que le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public des commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous sommes désormais familiers de cette procédure. Il est rarissime qu'elle débouche sur un veto : depuis 2008, ce n'est arrivé qu'une fois, lorsqu'un candidat au Conseil supérieur de la magistrature s'est trouvé, pardonnez-moi l'expression, blackboulé.
Le président de la CNCTR est nommé pour six ans et son mandat est non renouvelable. Le mandat de Francis Delon, que nous avons auditionné à plusieurs reprises, s'achevant, le Président de la République nous propose la nomination de Serge Lasvignes.
La CNCTR a été créée en 2015. Auparavant, une autorité administrative indépendante s'intéressait déjà au renseignement : la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), instituée par la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. En 2015, à la suite d'un dialogue nourri entre le Parlement et le gouvernement, d'une part, et entre les pouvoirs publics français et les juridictions européennes, d'autre part, nous avons été amenés à refonder le cadre juridique du renseignement et à créer la CNCTR.
Celle-ci compte neuf membres – deux membres du Conseil d'État, deux magistrats de la Cour de cassation, une personnalité qualifiée et quatre parlementaires, dont deux députés, en les personnes de Jean-Michel Clément et de Constance Le Grip.
En 2021, le périmètre des missions de la CNCTR a été considérablement élargi. L'institution est compétente pour exercer des contrôles a priori, avant que le Premier ministre ne statue sur une demande d'autorisation de mise en œuvre d'une technique de renseignement. L'avis de la CNCTR est de plus en plus contraignant : désormais, le Premier ministre ne peut passer outre que s'il obtient le feu vert du Conseil d'État – un mécanisme assez créatif, institué en 2021. Les contrôles a posteriori sont aussi nombreux puisque, de sa propre initiative ou lorsqu'elle est saisie de réclamations, la commission dispose de tous les pouvoirs d'investigation pour vérifier, y compris au sein des services, qu'aucune technique de renseignement n'est employée illégalement.
La CNCTR joue donc un rôle considérable dans la régulation des services de renseignement. Ses rapports d'activité sont riches de propositions et j'ai eu l'occasion, avec Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, dans le cadre de la mission d'information commune sur l'évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, de poursuivre le dialogue avec cette autorité, en liaison avec la délégation parlementaire au renseignement (DPR), commune à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Je donnerai, à l'issue de cette audition, mon avis sur cette nomination. Mais je peux d'ores et déjà dire que le parcours professionnel et personnel de Serge Lasvignes est éminent. C'est celui d'un serviteur de l'État, comme la République française s'honore d'en compter.
Passé par une institution, hélas décriée, qui s'appelle, pour quelques mois encore, l'École nationale d'administration, Serge Lasvignes a choisi d'intégrer le Conseil d'État. Il a exercé pendant plusieurs années la fonction la plus éminente des fonctionnaires de l'État, celle de secrétaire général du gouvernement. Puis il a servi notre pays dans d'autres domaines, en exerçant la présidence de cet établissement public formidable qu'est le Centre Pompidou.
Au-delà de ces qualités professionnelles et de ce parcours brillant, je crois pouvoir dire, monsieur le conseiller d'État, que votre parcours personnel vous qualifie pleinement pour une mission aussi importante que celle de président de la CNCTR : vous avez à la fois le goût de l'indépendance et le sens de la nuance.
Nos échanges écrits ont été communiqués aux membres de la commission. J'ai souhaité vous soumettre un questionnaire très ouvert, l'objet de cette audition n'étant pas de faire passer un grand oral technique – que vous n'auriez aucune difficulté à réussir –, mais de comprendre la manière dont vous envisagez cette présidence, dans un cadre juridique qui reste mouvant.
Après bien des années d'investissement sur ces sujets, je suis en effet convaincu que nous serons amenés, dans les mois et les années qui viennent, à adapter encore le cadre juridique. Il ne s'agit pas de courir derrière les évolutions technologiques, mais les mutations sont telles qu'il faudra nécessairement procéder, avec mesure et réflexion, à des ajustements.
Par ailleurs, nous entretenons avec les juridictions suprêmes, nationales et européennes, un dialogue parfois rugueux. Cette rugosité est légitime car le Parlement n'est pas aux ordres, et s'il doit prendre en considération ces acteurs, il ne peut se trouver totalement subordonné, de manière servile, à ce que telle ou telle cour peut dire. En outre, les jurisprudences européennes ne sont pas totalement stabilisées : si celle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui nous avait causé bien des soucis, a été assez largement neutralisée par un arrêt du Conseil d'État, qui nous a permis d'adopter la loi du 30 juillet 2021, les conséquences juridiques de l'arrêt Big Brother Watch de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) n'ont pas encore été complètement mesurées.
Compte tenu des évolutions technologiques et supralégislatives, qu'il nous faudra analyser, le dialogue que nous entretiendrons avec la CNCTR sera très important.